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REVUE
BRITANNIQUE.
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REVUE
CHOIX D'ARTICLES
TRADUITS DES MEILLEURS ÉCRITS PÉRIODIQUES
DE LA GRANDE-BRETAGNE,
SUR L.\ LITTÉRATURE, LES BEAUX-ARTS, LES ARTS INDUSTRIELS,
l'agriculture, la GÉOGRAPHIE , LE COMMERCE, l'ÉCONOMIE
POLITIQUE, LES FINANCES, LA LÉGISLATION, ETC., ETC.;
Par MM. Chaules Coqueeel; Dondey-Doppé Fils, de la Société Asiatique;
Ed. Lafon de Lapebat , ancien Chef de Division au Ministère de l'Intérieur ;
Saulnier fils , ancien préfet , de la Société Royale Académique des Sciences
et de la Société Asiatique; Sédillot; West , Docteur eu Médecine (^pour /es
articles relatifs aux sciences médicales ) , etc., etc.
^roiôihne €ïiition.
\Doiii& (becoiu).
|3am,
Au BUREAU DU JOURNAL, Rue de Grenelle-Sl-Honoré, N» 29 ;
Chez. DONDEY-DUPRÉ PÈRE ET FILS, Imp.-Lib. ,
Une Saint-Loiii» , No tfi , au Marais , et lue Kirljelicu , No 67.
1825
IMPRIMSUIE DE DONDFY-DCPRK
SEPTEMBRE iSaS.
REVUE
INDUSTRIE.
EXPLOITATION DES MINES DU NOUVEAU-MONDE.
LJ NE brochure qui coulient beaucoup de documens pré-
cieux sur rexploitation des ruines du Nouveau -Monde ,
vient de paraître à Londres , sous le titre de Recherches
sur les plans, les progrès et l'importance politique des Com-
pagnies des mines d'Amérique (i).
Cet écrit , dont nous croyons utile de faire connaître les
passages les plus remarquables , a pour objet ; i° de déter-
miner quel était , année commune , le produit net des mines
du Nouveau - Monde , sous l'administration espagnole , et
quels étaient les moyens généralement employés pour l'ob-
tenir 5 2° d'examiner la situation des diverses entreprises
formées , pendant le cours de ces dernières années, pour
l'exploitation de ces mines et l'état progressif de leurs
travaux ; 3° de rechercher quelle sera leur influence sur la
richesse publique.
I. En comparant, dit l'auteur, les données fournies par
M. de Humboldl, avec celles qui l'ont été par Adam Smilh
et par l'abbé Rayual, nous pouvons fixer à 8,5oo,oooliv.st.
(i) Aiiiiiffuiry into the plans, prof(ress, and policy of the American
ininin^ Companies , 3<1 cd. , John Murrai Albermarle-streel , iSaS.
2 Exploitation des mines
(2i2,5oo,ooo fr. ), le produit net , année commune, des
mines du Nouveau-Monde, sous la gestion des Espagnols
et au commencement de ce siècle.
L'examen des modes d'exploitation, adopte's par les
Espagnols , a prouvé : i° que les frais énormes qu'ils
faisaient, provenaient surtout de l'imperfection de leurs
machines , et du défaut d'ordre et de suite dans les travaux j
2° que les bénéfices étaient diminués de moitié, par la raison
que le soin d'extraire le minerai et celui de le réduire n'ap-
partenaient pas à la même entreprise 3 3° que les profits
qu'une mine peut offrir dépendent essentiellement du prix
du mercure nécessaire à la réduction du minerai.
II. D'après ces données, l'on a pensé, avec raison, qu'à
l'aide de capitaux suffisans , de procédés meilleurs et d'une
gestion plus éclairée , on pourrait exploiter les mines du
Nouveau- Monde , en profitant des événemens qui ont
amené son indépendance. Plusieurs compagnies se sont
formées dans ce but , pour les mines situées dans le Mexi-
que , dans la Colombie , dans le Pérou , le Chili , Buenos -
Ayres et le Brésil.
Des mines du Mexique. — Le Mexique contient environ
trois mille mines. Des huit millions et demi sterling,
extraits annuellement de l'Amérique, il en fournissait à
lui seul plus de moitié , et cette portion était le produit
d'un petit nombre de mines , situées dans un territoire très-
circonscrit. Les mines du Mexique forment huit groupes
rangés à l'ouest , sur les versans des Cordillères d'Anahuac,
et occupent une surface de douze mille lieues carrées (un
dixième du territoire mexicain). Ce sont, en général, des
mines d'argent : l'or s'y rencontre à peu près dans les
mêmes proportions qu'en Hongrie Ce n'est pas la richesse
intrinsèque du minerai qui les distingue de celles d'Europe,
mais bien son abondance et la facilité avec laquelle on le
réduit.
du Noui>eau-Monde . 3
La première Compagnie formée pour exploiter les
mines du Mexique, est généralement connue aujourd'hui
sous le nom de Compagnie anglo-mexicaine. Son capital est
d'un million sterling , divisé en dix mille actions de cent
livres sterling chacune.
Cette compagnie s'est formée au mois de juillet 1824.
Le 26 février 1825, ses membres se sont réunis en assemblée
générale, pour entendre un rapport sur les progrès de l'en-
treprise. Il résulte de ce rapport que les commissaires de
la compagnie étalent arrivés au Mexique vers le milieu du
mois d'août 1824. Le i5 novembre, ils écrivaient aux
directeurs de la compagnie , en Europe , que rexploitatlon
qu'ils étalent chargés de surveiller avait déjà reçu un com-
mencement d'exécution. Ils désignaient quatre mines dans
le district de Guanaxuato ; savoir : Valenciana , Serena ,
Santa-Rosa et Guadalupe , et deux mines dans le district
de Catorcej savoir : la Conception et Guadalupe. Les plus
fécondes de ces mines sont la Valenciana et la Conception.
La première passe pour la plus riche de tout le Mexique ;
il n'y a pas soixante ans qu'elle est ouverte. De 1792
à 1802 , elle a donné, année commune, un produit net de
i5o,ooo llv. st. ( 5,750,000 fr. ). Elle était grevée alors
d'un impôt de 29 ^ pr. °/^, réduit aujourd'hui à 6pr. "/q.
Le rapport annonçait que la Valenciana produisait par
semaine deux mille charges de minerai , du poids de trois
quintaux chacune; qu'en fouillant la mine de la Conception
on avait découvert une veine qui, dans les premiers huit
jours, avait donné 5oo dollars ; la semaine d'après , 5,700,
et 7,000 dans la suivante; enfin , que les premiers frais d'ex-
ploitation paraissaient devoir être promptemeut rembour-
sés. Le rapport ajoutait que dans la même mine ou avait
trouvé du mercure, du fer et quelques indices de houille,
découverte très-précieuse pour l'exploitation.
La compagnie a expédié pour le Mexique, à diverses
4 Exploitation des niinbs
époques, cinq bâtitnens charges de machines et de mineui's.
Une seconde compagnie , pour l'exploitation de diverses
mines , s'est formée sous le nom de Compagnie mexicaine
des mines de Guanaxuato et de Catorce.
Cette compagnie a pour président Dom Lucas Alaman,
ancien député de Guanaxuato aux cortez d'Espagne , et
aujourd'hui l'un des membres les plus distingués du gou-
vernement mexicain. Elle avait d^abord un capital de
24O7O02 'iv. st. , divisé en six mille actions de 4© liv. st.
chacune. Le 1*=' mars 1825, ce capital a été augmenté de
dix-huit mille actions, également de 4o liv. st.
Une troisième compagnie s'est chargée d'exploiter les
mines de Real del Monte. Son capital est de 200,000 liv. st.,
divisé en cinq cents actions de 4^0 liv. chacune. Elle a
expédié au Mexique trois bâtimens chargés de machines ,
d'outils et de munitions de tout genre, ayant à bord cent
quarante mineurs ou ingénieurs. Les mines de Real del
Monte , qui appartiennent , pour la plupart , au comte de
Régla, sont citées pour leur grande fécondité.
Enfin , une quatrième compagnie , organisée au mois de
novembre 1824, doit exploiter les mines de Tlapuxahua et
quelques autres situées sur le territoire de Coronas , pro-
vince de Vaîladolid. Elle a un capital de 4-00,ooo liv. st. ,
divisé en mille actions de 4oo liv. chacune ; et elle a ré-
cemment envoyé au Mexique un grand nombre de mineurs.
Colombie. — Le produit net de ses mines a été évalué à
620,000 liv. st. , année commune. Les mines d'or sont les
seules qui forment les élémens de celte estimation ; car , au
moment où elle a été faite, celles d'argent n'étaient pas
exploitées.
La Compagnie des mines de Colombie s'est formée en
décembre 1824.
Le prospectus de l'association nous annonce : que la por-
tion de la république de Colombie , précédemment désignée
du Nouçeaii-Mondea 5
sons le nom de i>ice-î'oyauté de la Nouvelle-Grenade . con-
tient les principales minières, el ([ue l'on prcsnme ({n'on
n'a découvert , jusqu'ici , qu'une portion peu considérable
des trésors qu'elles recèlent ; que l'association a pris à
ferme du gouvernement colombien, qui en a la propriété ,
les mines d'argent de Ly^^to-^w/za , laManta, San-Juan
et el Christo de Lagas , situées à Mariquita ; et que tout fait
espérer qu'à l'expiration du traité, les bénéfices seront
proportionnés au capital engagé dans l'entreprise.
On lit aussi dans les prospectus « que les machines et ins-
trumens d'exploitation peuvent être transportes sur le fleuve
de la Madeleine à Honda , ville qui n'est éloignée de Mari-
quita que de six lieues. On y volt encore qu'à Mariquita
le climat est sain elle combustible très-abondant j mais que
ies ouvriers y sont rares et très-chers. »
Enfin , le prospectus porte que la compagnie traite en
ce moment de l'exploitation d'autres mines d'or , d'argent
et de cuivre , et que , quant aux mines d'or , le procédé
d'affinage adopté pour le métal, après son extraction ,
paraît susceptible de grandes améliorations.
Le président de l'association est M. Hurtado , chargé
d'aft'aires de Colombie auprès du cabinet de Saint-James ,
son capital est d'un million st. divise en 10,000 actions de
100 livres chacune.
Brésil. — D'après l'ouvrage récent de M. Caldeleugh,
sur l'Amérique du sud (i ), les mines d'or du Brésil donuenl,
année commune, un produit net de 900,000 liv. st. « On
« n'y a point encore .découvert des mines d'argent, ajoule
« l'auteur ; mais je n'oserais affirmer qu'on n'en découvrira
<f pas , attendu qu'on y trouve du plomb. »
L'empereur du Brésil , malgré la rigueur des lois restric-
j^i) Voyez l'analyse de cet ouvrage, lom. I*-'', a"-' livraison, pag. ?>oty
6 Exploitation des mines
llves portées contre les étrangers , a concédé à M. Edouartl
Oxenford le privilège de former une société pour exploiter,
sous sa protection spéciale , les mines d'or et d'argent de
la province Minas Geraes.
Ces montagnes abondent en pierres précieuses et en
métaux, qu'on peut par une application directe des ma-
chines, extraire avec plus de célérité et à beaucoup meil-
leur marché qu'on ne Ta fait jusqu'ici j et, ce qui justifie
cette opinion , c'est qu'on trouve vers leur sommet des
masses d'or pur.
Le capital de la compagnie impériale des mines du
Brésil, estd'un million st. divisé en 10,000 actions de 100 llv.
chacune,
Buenos- Ayres. — Le prospectus de l'entreprise des mines
des provinces de la Plata , annonce que les mines qui ren-
ferment de l'or , de l'argent et d'autres minéraux précieux,
sont presque toutes vierges, faute des capitaux et des con-
naissances nécessaires à leur exploitation. Cependant, ces
contrées possèdent de vastes forêts , ressource précieuse
pour le combustible et le bols de construction ; elles sont
couvertes de pâturages, sillonnées de courans d'eau , et
il ne serait pas très - difficile d'établir une communica-
tion entr' elles et Buenos-Ayres , au moyen d'une grande
route.
Ces mines sont, pour la plupart, sans propriétaire 5 ainsi
la compagnie n'aura point à partager avec des tiers les bé-
néfices de l'exploitation • ou bien, s'il se présente quel-
que prétendant à la propriété, on croit qu'il se contentera
de recevoir une modique rente.
Il n'y a peut-être pas de pays sur la surface du globe,
dont les ressources aient été plus négligées, faute de po-
pulation et de capitaux , que celles des provinces de la
Plaïa. Ses trésors minéraux , à l'exception de ceux^du
Potose, n'ont clé l'objet d'aucun système régulier d'ex-
du Noui>eau-Monde. 7
ploitalion. Ses minières les plus importantes sont celles de
Famatina , 'JJpsalata et Rosario.
On va de Buenos -Ayres à Famatina par Cordoue. Le
service des transports de Buenos - Ayres à Cordoue se fait
par des chariots du port de deux tonneaux , avec toutes
les facilités désirables et à un prix modéré. Les mines de
Famatina surpassent , peut-être , en richesse, les plus riches
qu'il y ait au monde 5 mais nous n'avons pas de données
sur leur produit annuel j nous ne savons même pas si
l'exploitation en a été suivie pendant une année entière.
Celles d'Upsalata sont situées sur la route qui , de Men-
doza , conduit au Chili par les Cordillères. Elles font partie
des versans de ces montagnes du côté de l'est ; mais leur
position n'est pas très-élevée. Le sol fournit cVexcellens
pâturages, un combustible très-abondant, et l'on peut, h
un prix raisonnable, tirer des plaines entre Mendoza et
San-Luis, des bois de construction de la première qualité.
Les mines d'Upsalata , découvertes en i683 , et négli-
gées jusqu'en 176J, appartenaient au Chili avant la créa-
tion de la vice-royauté de Buenos-Ayres. On assure qu'elles
sont une ramification du Potose. La veine principale a
neuf pieds de largeur 5 elle se divise en deux branches,
et celles- ci en plusieurs filons qui s'étendent sous les mon-
tagnes voisines, à une distance de trente milles.
Les mines de Rosario sont situées près de Salta, et pro-
duisent en ce moment beaucoup d'or.
La compagnie des mines de Buenos-Ayres ne bornera
pas ses exploitations à un seul district. Propriétaire à per-
pétuité de toutes les mines qui existent au sud de la Plata ,
elle y appliquera successivement sou industrie.
Cette compagnie, formée en 1822, doit payer au gou-
vernement de Buenos-Ayres un droit d'un pr. ^o sur l'or et
l'argent quelle extraira. Son capital est d'un million st.
divisé en 10,000 actions de 100 liv. chacune.
, 8 Exploitation des mines
Pérou. — Le produit annuel des mines du Pérou est , d'a-
près Testimation de M. de Humboldt, d'environ 1,200,000
liv. st. par an ; celles de Pasco , de Gualgayoe et de Huan-
tajaya , sont à peu près les seu'es qu'on ait exploitées dans
ce pays.
Les mines du Pérou sont , pour la plupart , situées à
treize mille pieds au-dessus du niveau de la mer, et for-
ment, par leur élévation et leur température, un affreux
contraste avec les plateaux délicieux du Mexique. Pour
donner une idée de leur richesse , il suffit d'observer que les
mines de Pasco, quoique très-mal exploitées, ont fourni ,
année commune , pour 5ooo,oo liv. st. de lingots.
Le Pérou possède aussi des mines de mercure ; celle de
Santa-Barbara en a produit de 4 à 6,000, et même jusqu'à
lOjOoo quintaux par an; mais un intendant des travaux
ayant imprudemment enlevé, pour se les approprier, les
étais précieux qui soutenaient le toit de la mine, ce toit
s'est écroulé , et , depuis lors , l'exploitation est devenue
impossible.
La compagnie du Pérou ne s'est formée que depuis peu.
Elle a obtenu une concession à longues années, des mines
les plus importantes de Pasco; son capital est d'un mil-
lion st., divisé en 10,000 actions.
Chili. — Les mines du Chili ont moins souffert de la ré-
volution que celles du Mexique et du Pérou. Même en 1 82 1 ,
elles ont donné un million et demi de dollars. C'est le
quart de leur produit net , année commune.
Le Chili a des avantages qui lui sont propres; tels que
l'immense étendue de ses côtes , la bonté de ses ports, et
la facilité d^y transporter les produits des mines des Aiulcs,
et des montagnes intermédiaires.
La compagnie du Chili vient de s'organiser sous ia pré-
sidence de don Mariano de Egana , ministre plénipoten-
tiaire de la républicpie du Chili auprès de S. M. Brilauni-
du Nouçeau-Monde . g
que. Le prospectus nous apprend que ce pays contient des
mines d'or, d'argent, de cuivre, de plomb, d'ëtain et
de fer; elles sont situées snr la ligne des Cordillères qui se
rapproche le plus de la mer. Le climat y est bon , les bras
n'y sont pas rares, les bois et Teau y abondent j et ce qui
est très - important , on a découvert des houillères non
loin de la Conception.
Le capital de la compagnie est d'un million st. divisé
eu 10,000 actions. Elle a expédié pour le Chili un bâti-
ment chargé de machines, et ayant abord un grand nombre
de mineurs.
Une autre compagnie s'est organisée à Londres dans le
même but , sous la protection du ministre plénipotentiaire
du Chili, et sous le nom de compagnie anglo-chilienne;
son capital est de i,5oo,ooo liv. st. divisé en i5,ooo ac-
tions.
Une troisième compagnie a été créée au mois de
mars 1825, à l'effet d'exploiter les mines de tout genre
qui existent tant au Chili qu'au Pérou , et spécialement les
mines de cuivre du Chili; le travail de ces dernières, à
l'aide de la houille , qui , dans ce pays , est très-abondante
et d'un transport peu coûteux , doit produire les plus heu-
reux résultats. Son capital est d'un million st. divisé en
10,000 actions.
Enfin la compagnie générale des mines de l'Amérique
du sud , vient de s'organiser avec un capital de deux mil-
lions st. , divisé en 20,000 actions de 100 liv. chacune.
Elle se propose d'obtenir à titre de cession ou de bail,
quelques-unes des mines de l'Amérique du sud , comme
aussi d'acheter, afin de le réduire , le niiuerai provenant
des autres exploitations.
Ainsi le total des capitaux des compagnies anglo-amé-
ricaines , qui se sont récemment organisées pour l'exploi-
tation des mines du Nouveau-Monde, s'élève à la somme
I o Exploitation des mines
énorme de i2,o(5o,ooo llv. st. ( 5oi,5oo,ooo ); le total
des actions s'élève à i45,coo.
III. Tel est le tableau des diverses associations relatives
aux. mines du Nouveau-Monde. Il est à remarquer que
plusieurs qui cependant n'ont encore qu'un an d'exis-
tence , ont déjà publié sur leurs travaux des rapports dé-
taillés et satifaisans. On ne peut donc les confondre avec
quelques autres dont les actions n'offrent que des valeurs
fictives et illusoires.
Si , comme tout l'annonce , ces compagnies sont de
bonne foi , et si le succès qu'on attend de leurs travaux se
réalise , quelle en sera l'influence sur la prospérité des na-
tions qui y sont le plus directement intéressées , et sur les
valeurs en général? Cette grave question a été diversement
résolue par ceux qui s'en sont occupés.
Il est évident que le succès des entreprises des mines
exercera une influence particulière sur l'Angleterre, en lui
procurant des bénéfices considérables , et sur les états nou-
vellement émancipés , en leur assurant tous les avantages
qui résultent de la circulation d'une grande masse de
capitaux.
Les contrées où les mines sont situées, ont été de tout
tems les plus florissantes du nouveau continent. C'étaient
les seules dont les ressources parussent suffire à la subsistance
des babltans ; c'étaient du moins celles qui supportaient le
plus facilement l'empire exerce par la métropole. Outre
la partie de la population directement employée à l'exploi-
tation des mines , il y en avait une autre constamment oc-
cupée dans une multitude d'établissemens, pour l'achat et
la réduction du minerai. liCs maisons de commerce se
fixaient pour !a plupart sur le territoire des mines, et les
grands propriétaires du Mexique , résidant près des sources
de leur fortune , contribuaient par leur luxe à mettre
d'immenses capitaux en mouvement. Quand on considère
du Noui'e an -Monde . 1 1
le nombre infini cVintércts créés par Texploitalion de ces
mines, Timmense population qu'elle occupait, le commerce
auquel elle servait d'aliment, et la division du travail qu'elle
favorisait , on ne peut comparer l'importance de ces en-
treprises qu'à celle de nos manufactures eu Angleterre.
La révolution a eu sur ces contrées florissantes des effets
aussi prompts que funestes. Ijes machines employés à l'ex-
ploitation des mines furent partout détruites , par suite
de la guerre ou par l'incurie des propriétaires ; car malheu-
reusement il est bien peu de révolutions qui n'entraînent
des désordres à leur suite. La ville de Guanaxuato fut
pillée par les soldats de Mina. Des 70,000 âmes qui
l'habitaient au commencement de ce siècle , à peine en
reste-t-il un tiers en ce moment , et , d'après les rapports
récens d'un voyageur, la ville de Vaîenciana , autrefois une
des plus opulentes du Nouveau-Monde, n'offre plus qu'un
monceau de ruines.
Les compagnies créées , eu Angleterre , pour l'ex-
ploitation des mines, rendront, on n'en peut douter, la
vie aux contrées qui les possèdent. Déjà ces compagnies
ont produit un très-grand bien. Les Mexicains regardent les
travaux commencés aux mines de Yalcnciana , qu'ils ap-
pellent les mines du peuple , comme le signal du retour de
leur ancienne prospérité.
La situation de l'Amérique est maintenant bien différente
de ce qu'elle était , lorsqu'elle ne connaissait d'Européens
que ses tyrans et les boucaniers. Colonie de l'Espagne, et
victime de son aveugle politique , l'Amérique , dans les
tems antérieurs , n'a jamais puisé ses ressources en elle-
même j elle a toujours été livrée , pour sa subsistance
et sa défense , à la merci d'un autre hémisphère ; mais ac-
tuellement elle commence à ne plus compter que sur sa
propre énergie. Elle a donné des preuves incontestables
de celte énergie, en secouant le joug sous lequel elle
I a Exploitation des mines
était courbée ; et son territoire , définitivement affranchi ,
possède tous les avantages qui peuvent contribuer à sa pros-
et à sa puissance.
En ce moment, où Taugmentalion de son commerce et
de son revenu est si nécessaire à son existence , la circula-
tion des capitaux, occasionée par les travaux des mines ,
lui procurera surtout les plus grands avantages ; mais ses
habltans, enrichis par les valeurs qu'ils en extrairont,
reconnaîtront bientôt qu'ils ont encore des sources de fortune
plus productives que les veines de la Guanaxuata. Ainsi se
formeront , pour la Grande-Bretagne, des peuples de con-
sommateurs qui lui seront acquis , non par un aveugle sys-
tème colonial , non par la prohibition du commerce avec les
autres nations, ni par des mesures tendantes à détruire toute
énergie dans la colonie, pour enrichir la métropole j mais
par les besoins naturels à de grandes et florissantes popu-
lations. Ainsi seront cimentées , entre notre patrie et les
anciennes colonies de TEspagne et du Portugal, des rela-
tions que quelques négocians anglais ont établies à l'épo-
que où elles étaient dans l'adversité , et que notre sage
gouvernement vient de consacrer comme une des sources
de notre prospérité actuelle , et un des soutiens de noire
grandeur future.
On objecte , il est vrai , que le succès des entreprises des
mines doit compromettre un Intérêt bien autrement impor-
tant que ne l'est celui de la prospérité commerciale de la
Grande-Bretagne et du Nouveau-Monde : l'intérêt général
de la propriété qui éprouverait une perturbation universelle,
par suite de l'accroissement subit et prodigieux du capital
circulant.
Ces craintes ont été , dans ces derniers tems , si fréquem-
ment manifestées , et elles ])araissent même avoir été parta-
gées par de si bons esprits, qu'elles ne sont pas indignes
d'arrêter un instant notre attention.
du Noiweau-Mwidc. i3
Les personnes plus particulièrement intéressées à ce que
les métaux iirécleux conservent leur valeur actuelle, sont
nTabord les capitalistes, et en second lieu les propriétaires de
mines. Quand même ces derniers retireraient, dans le prin-
cipe de grands bénéfices de leurs produits , ils seraient con-
damnésàvoir le marché se fermer à mesure que la surabon-
dance de ces mêmes produits tendrait à en diminuer le prix.
La crainte d'une grande dépréciation dans la valeur de
l'or et de l'argent , par suite d'un accroissement énorme
dans le capital circulant, résulte de ce qui s'est passé eu
Europe, après la découverte des deux Indes.
Cet événement a conduit l'illusîre Montesquieu à exa-
miner !e vice inhérent à cette nature de richesses , qui les
rend inutiles à raison même de leur abondance. Dans le
cliapitre de V Esprit des lois, intitulé: Des Richesses que
l'Espagne tira de l'Amérique , il a calculé que , dans deux
siècles ( vers l'année igôo ) , les produits des mines d'Amé-
rique ne couvriraient plus les dépenses de leur exploitation.
« Les Espagnols, dit Montesquieu, fouillèrent ks mines,
creusèrent les montagnes , inventèrent des machines pour
tirer les eaux , briser le minerai et le séparer ; et comme
ils se jouaient de la vie des Indiens, ils les faisaient travailler
sans ménagement. L'argent doubla bientôt en Europe, et
le profit diminua toujours de moitié pour l'Espagne, qui
n'avait chaque année que la même quantité d'uu métal
qui était devenu la moitié moins précieux.
» Dans le double du tems , l'argent doujjla encore et le
profit diminua encore de la moitié.
» Il diminua même de plus de la moitié j voici com-
ment :
» Pour tirer l'or des mines , pour lui donner les prépa-
rations requises et le transporter en Europe; il falloit une
dépense quelconque j je suppose qu'elle fut comme i est
à 64. Quand l'argent fut doublé une fois, et par conse-
il. 2
i4 ll.rploituLion des mines
queiit la moitié moins pi'écicux , la dépense fut comme
2 est à 04. Ainsi les flottes qui portèrent en Espagne la
même quantité d'or , portèrent une chose qui , réellement,
valait la moitié moins et coulait la moitié plus.
» Si l'on suit la chose de doublement en doublement,
on trouvera la progression de la cause de l'impuissance des
richesses de l'Espagne.
j) Il y a environ deux, cents ans que l'on travaille les
mines des Indes. Je suppose que la quantité d'argent qui
est à présent dans le monde qui commerce , soit à celle qui
était avant la découverte, comme Sa est à 1 , c'est-à-dire
qu'elle ait doublé cinq fois. l>aus deux cents ans encore , la
même quantité sera à celle qui était avant la découverte ,
comme 64 est à i , c'est-à-dii-e qu'elle doublera encore. Or,
à présent, cinquante quintaux de minerai pour l'or, don-
nent quatre , cinq et six onces d'or, et quand 11 n'y en a
que deux , le mineur ne retire que ses frais. Dans deux
cents ans , lorsqu'il n'y en aura que quatre, le mineur ne
tirera aussi que ses frais. Il y aura donc peu de profit à
faire sur l'or. IMême raisonnement sur l'argent, excepté
que le travail des mines d'argent est un peu plus avantageux
que celui des mines d'or.
» Que si Ton découvre des mines si abondantes qu'elles
donnent plus de profit , plus elles seront abondantes, plus
tôt le profit finira. »
Mais une révolution universelle s'est opérée depuis l'é-
poque où ce grand publiciste publia son chef-d'œuvre j les
signes représentatifs de la richesse ont prodigieusement
augmenté , et la nature même de ces signes a subi d'impor-
tantes modifications.
La dépréciation qu'éprouvent tous les objets est toujours
proportionnée à leur multiplicité. Le montant actuel des ca-
pitaux , de tous genres, répandus sur la surface du globe,
est incalculable. L'^s mines d'Amérique fournissent annuel-
du Nouçcaii-Monde. i5
lemenl une somme de produits à peu près égale ; mais
comme elle n''offre aucun rapport appréciable , avec celle
des capitaux existans , elle u\i sur la dépréciation de ces
capitaux aucun effet sensible. Si l'exploitation de ces mines
rendait aujourd'hui le double qu^autrefois, quelle influence
ce résultat pourrait-il exercer sur un état de choses , dans
lequel la dette d'une seule nation surpasse le montant de
tout ce que les mines ont produit depuis l'époque où Vasco
de Gama doubla , pour la première fois , le cap des Tem-
pêtes?
Bientôt après la découverte du Nouveau-Monde, une
immense quanlité d'or et d'argent se répandit en Europe.
Ces métaux étaient alors , en général, les seuls signes re-
présentatifs des valeurs , et cette fonction les rendait
trop précieux pour qu'on pût les consacrer à d autres
usages. Quant aux trésors de IMontezuma et d'Athualpa ,
une portion en fut absorbée par la magnificence des
cours ; une autre fut employée à augmenter l'opulence
et la splendeur de l'église , une troisième a fait naître ,
en Italie , les merveilles des arts. A ces trois exceptions
près , les trésors du Mexique et du Pérou contribuèrent
seulement à accroître la masse du numéraire en circula-
tion. Mais s'il dut en résulter une grande dépréciation dans
la valeur de l'or et de l'argent, cette dépréciation ne provint
pas uniquement de leur surabondance. Avant qu'elle se
fil sentir, un goût marqué pour les entreprises hasardeuses
s'était manifesté eu Europe. Les limites du monde connu
avaient été reculées avant que Cortez et Pizarre eussent
envahi l'empire des lucas et des rois Aztèques, et pillé leurs
palais et leurs trésors. Les nations qui avaient colonisé les
contrées précédemment découvertes avaient déjà, par ce
moyen , étendu leur commerce. Aucune de ces colonies ne
renfermait cependant de mines d'or, ni d'argent. Ces mé-
taux , qui étaient les seuls signes représentatifs des valeurs
i6 Exploitation des mines
augmentaient donc journellement Je prix , à mesure que
les progrès du commerce les rendaient plus ne'cessaires.
C'est au milieu de ces circonstances que rAmcrique versa
sur l'Europe les trésors de ses mines. L'accroissement subit
du numéraire se fit donc sentir à une époque où les métaux
existans , partout recherchés, avaient un prix extraordi-
naire et inoui. La réaction fut proportionnée à un tel état
de choses , et l'or et l'argent perdirent aussitôt la moitié
de leur valeur.
Mais les progrès de l'industrie, à cette époque, n'é-
taient point en rapport avec la multiplication subite des
métaux. Toutes les denrées coulèrent plus cher, et l'Es-
pagne qui avait pris les signes représenlatifs de la richesse
pour la richesse elle-même, et qui , dans son aveuglement,
avait abandonné le commerce et l'agriculture , ne possé-
dait plus , au moment où elle croyait toucher à la monar-
chie universelle , que des coffres épuises et des troupes
sans solde et sans discipline.
En créant , par le travail , de nouveaux produits , loin
de priver l'or et l'argent de leur utilité , nous en avons
étendu et multiplié l'usage. Ces métaux ne sont plus ex-
clusivement consacrés à représenter les autres valeurs ,
fonction qui les rendait trop précieux pour qu'on pût s'en
servir différemment j ils ne sont aujourd'hui que la monnaie
courante des capitaux actuels , dont ils ne représentent
qu'une portion très-faible et inappréciable.
Aussi une quantité limitée d'or et d'argent circule-t-elle
maintenant comme instrument d'échange. Le reste est em-
ployé et le sera désormais dans de plus fortes proportions ,
à des usages interdits autrefois par la rareté de ces métaux
et par la nécessité de les transformer en numéraire ; ils
deviendront, en quelque sorte, 1 objet d'une consommation
domestique.
Mais quand bien même la niasse des métaux précieux
du Noiwcau-Moiidc . i-j
s'accroîtrait au point de surpasser rallentc dos Iionunes les
plus confians dans le succès des nouvelles compagnies
de mines, nous ne croyons pas que le capital circulant fut
pour cela déprécié. Supposons , par exemple , qu'on versât
tout-à-coup, en Europe, 5o, 000,000 st. ( 750,000,000 fr. )
d'or et d'argent. L'effet qu'ils produiraient sur la masse
actuelle des capitaux ne pourrait qu'être proportionné au
rapport existant entre 3o,ooo,ooo st. , et le montant de ces
capitaux j suivant nous, ces 5o, 000, 000 st. n'auraient d'au-
tre résultat sensible que de faire disparaître peu à peu de la
circulation une somme correspondante de billets de ban-
que ou de papier-monnaie.
Au surplus, pour prévenir les fâcheux résultais d'une
surabondance de métaux précieux , il ne nous sera pas né-
cessaire d'encombrer nos buffets de vaisselle plate et de
boire dans des coupes d'or. Les moyens nous manquent-ils
de consacrer à une plus noble destination tous les trésors
que peuvent receler encore les mines du Nouveau-Monde ?
Un grand empire, objet fréquent des méditations de nos
politiques modernes, gémit sous les ineonvéniens d'un pa-
pier-monnaie déprécié ; et d'après la nature de son gouver-
nement , le mal ne peut que s'accroître de jour en jour. Cet
empire ne pourrait-il pas en trouver le remède dans les
mines du Nouveau-Monde ?
Toutefois, ce n'est pas dans ce vaste empire (l'Autriche ),
ce n'est pas non plus, ni à Moscou, ni à Astracan, que nous
devons chercher un débouché pour la surabondance du
numéraire.
De nombreux et puissans états dont le commerce et la
population ne tarderont pas à recevoir d'immenses accrois-
semens, et qui déjà sont animes de cet esprit d'entreprise
qu'enfantela liberté, auront eux-mêmes besoin de muUip'ier
leurs moyens d'échange. On ne battra donc plus monnaie
à Mexico, à Lima et à Popayau , pour renip ir les coffres
i8 Exploitation des mines du Nouveau-Monde.
d'un vice-roi, ou ponr fournir au luxe d'une cour d'Eu-
rope , mais pour favoriser le développement de l'industrie
et de la puissance américaines.
En eft'et , pour ne parler que du Mexique, si nous exa-
minons la richesse de son territoire, la variété de ses pro-
ductions , sa topographie si favorable aux transports des
denrées et à la construction des canaux ; si nous fixons
nos regards sur son admirable position, qui, pour em-
prunter les termes magnifiques de M. de Humboldt, eût
permis au monarque espagnol qui s'y serait établi , de
transmettre ses ordres dans six semaines à la Péninsule,
en Europe, et dans quarante jours aux îles Philippines,
en Asiej si nous considérons ses ports dans la mer Paci-
fique et leur proximité du Canada et de l'Australie ; si
nous songeons surtout à la possibilité de confondre les flots
des deux Océans qui baignent ses côtes dans un canal ,
qui deviendrait une des grandes routes du commerce du
inonde (i); nous nous convaincrons que cette nouvelle
république réclamera bientôt pour elle-même tous les tré-
sors de ses mines, et qu'elle cessera de les exporter sur
les galions de la Vera-Crux et d'Acapulco.
(i) Voyez l'examen de re projet, page 3fi4 de la seconde livraison
du ler volume.
AGRICULTURE.-INDUSTRIE.-COMMERCE.
DES PROGRÈS DE LA RICHESSE NATIONALE EN ANGLE-
TERRE.
Il est utile pour les nations, comme pour les parti-
culiers, de considérer, de tems en lems , la situation de
leurs affaires, et d'examiner, avec une attention scrupu-
leuse et patiente, si leurs intérêts généraux prospèrent ou
sont en souffrance. Le moment paraît être arrivé , pour la
Grande-Bretagne, de faire cet examen. Au-dehors , nous
sommes en paix avec nos voisins , et nous Jouissons ,
dans l'intérieur , d'un degré de tranquillité plus qu'or-
dinaire. Il n'y a peut-être jamais eu d'époque où toutes
les branches de notre industrie se soient trouvées dans
une situation aussi prospère, et où les diverses classes
d'individus qu'elles occupent aient été plus employées.
Presque toujours , dans les tems antérieurs , des plaintes ,
plus ou moins fondées et plus ou moins vives, ont été pro-
férées, soit par les cultivateurs, soit par les négocians ,
les armateurs ou les chefs de nos fabriques. Aujourd'hui, si
aucune classe n'entretient l'espoir de gains extravagans,
aucune, non plus, n'a à souffrir de privations douloureuses.
Nous paraissons jouir de ce vent modéré, mais constant ,
qui fait entrer le navire dans le port, d'une manière bien
plus certaine que s'il était poussé par un vent plus impé-
tueux quoique favorable.
M. liowe a publié, il y a .jnelque tems, un ouvrage qui
a le mérite incouleslable d'être un extrait très-clair et fort
bien fait de docujucMis authentiques mis sous les yeux du
20 Des progrès de la richesse nationale
Parlement, et relatifs à la situation acluelle du royaume (i).
Lorsque cet ouA^rage parut, les produits agricoles avaient
éprouvé une ïjaisse temporaire que Tauteur a prise pour
une baisse permanente. Il en résulte que quelquefois il
n'estime pas assez haut la valeur des produits annuels de
l'Angleterre. Mais si , à cet égaïxl, nous n'adoptons pas tou-
jours ses conclusions, nous n'en considérons pas moins
son livre comme fort utile j car, sous une forme agréable et
commode ^ il contient beaucoup de renseiguemens précieux
que Ton n'aurait pu se procurer que par^^des recherches
pénibles dans une masse de papiers parlementaires très-
volumineuse, et qui, d'ailleurs, n'est accessible qu'à un
petit nombre de personnes. Cependant , le tableau qu'il a
présenté de l'état actuel de nos affaires, aurait été plus
complet et plus satisfaisant, si, en établissant quelques
comparaisons avec la situation du royaume , à des époques
antérieures, il nous eût mis à même d'apprécier l'étendue
et la rapidité de nos progrès. Nous allons tâdier de sup-
pléer k ce qui manque , sous ce rapport , à l'ouvrage de
M. Lowe; et comme nous serons forcés d'entrer dans des
développemens assez étendus j afin de ne pas abuser de
la patience du lecteur, nous nous interdirons toute espèce
de discussion théorique, et nous nous contenterons de
rapporter des faits. IMaintenant, sans un plus long préam-
bule, nous entrons en matière.
La plus importante de toutes les branches de l'industrie
nationale est incontestablement l'agriculture. Aucune autre
n'occupe un aussi grand nombre de personnes , et elle
nous fournit à tous la plus grande partie des denrées ali-
mentaires que nous consommons. Mais, par sa nature
n)êmc , elle n'est pas susceptible de faire des progrès ra-
(i) The présent state of England , in regard tu a^ricullurc, trade
and finance , with a comparison of thc prospects of ^n^land and
France. \\y Joseph Lowc , Esq. i8ai.
en Angleterre. 21
pldes. Dès !es tems les plus reculés , elle a arrêté l'altenlion
de tous les hommes réunis en société, et cependant, en-
core aujourd'hui , la science de Tagrieultiire ne se compose
que d'une série de faits. La théorie en est à peine ébauchée ,
et les cultivateurs sont obligés, dans la pratique, de suppléer
à l'insuffisailce de ses préceptes.
Le principe le plus actif des progrès de la richesse et du
bien-être des sociétés a été la division du travail. Mais
comme les travaux de l'agriculture ne sont pas simultanés,
ce principe est peu susceptible de lui être a:>pHqué. Nous
distinguons, il est vrai, le nourrisseur de bestiaux,, de la
laitière, et l'un et l'autre, du cultivateur qui sème les grains ,
mais on a rarement tenté d'introduire, avec quelque étendue,
la division du travail dans l'exercice des occupations ma-
nuelles de la ferme. La même main qui, dans une saison,
emploie la serpe ou la faux , dans d'autres , doit se servir
du fléau ou de la bêche : aussi aucun de ceux qui sont
occupés de la culture des champs, n'acquiert-il ce degré
supérieur d'habileté qui peut seulement être le résultat de
l'usage continuellement répété du même genre de travaux.
L'emploi des différentes machines pour abréger le tra-
vail , surtout depuis que l'importance de sa division a été
généralement sentie, a eu des résultats immenses dans
toutes les branches de notre industrie manufacturière j mais
ces améliorations mécaniques ont été peu appliquées et
paraissent peu susceptibles de l'être à l'industrie agricole.
Les moulins pour battre le blé, ne compensent que très-
difficilement les frais de leur construction, quand ce n'est
point un cours d'eau qui les fait mouvoir. Jusqu'à présent ,
on a fait peu d'usage des machines à ensemencer et des
nouvelles charrues , nommées dri'll-ploughs ; il y a même
des cantons oxi elles sont absolument inconnues. La ma-
chine à vanner fait, il est vrai, une exception à cette règle
générale : comme il est possible de l'employer dans tous
22 Des progrès de la richesse nationale
les tems, quel que soit l'état de ralmosphère , elle a été
presqu'universellement adoptée j mais elle sert plu'.ôt à
parer à quelques-uns des inconvéniens de notre climat ,
qu'à abréger le travail ou à en augmenter le produit.
Comme les cultivateurs sont en général très-sédentaires,
ils sont moins susceptibles de perfectionnement que les
autres classes de la société. Les innovations leur sont
odieuses, et c'est toujours avec crainte ou mépris qu ils
accueillent les changemens qu'on leur propose. Cette dis-
position se manifesta fortement, lorsqu'il y a cinquante ou
soixante ans , on introduisit le navet en Angleterre, et plus
récemment lorsqu'on commença à y cultiver le ruta-haga
ou navet de Suède. IjC même esprit anime les ouvriers
que les cultivateurs emploient , et rien n'est plus difficile
que de les déterminer à cbanger le mode de leurs travaux
ou la forme de leurs outils. Nous pouvons en citer une
preuve récente : la faux écourtée du Hainault donne la fa-
cilité de recueillir trois fois plus de blé dans un jour,
qu'on ne peut le faire avec la faux anglaise j et sir George
Rose avait fait venir à ses frais des moissonneurs flamands
pour apprendre aux nôtres à s'en servir. Mais ses bonnes
intentions n'ont eu aucun résultat, et nous croyons que
l'usage de cette faux , loin de s'étendre , a été abandonné ,
même dans les cantons où on avait d'abord tenté de l'in-
troduire.
Cependant, en comparant les progrès de l'agriculture
anglaise avec ceux de l'agriculture des autres pays, nous
nous convaincrons que relativement ils ont été très-rapides.
Nous n'avons pas besoin de remonter jusqu'au quatorzième
siècle pour nous assurer de ces progrès; mais peut-être
n'est-il pas inutile d'observer que l'auteur de Fleta, qui
écrivait sous le règne d'Edouard P*", dit que si la terre ren-
dait trois pour un , le fermier perdrait, à moins que le graiu
ne se vendît cber. Il paraît, d'après le même ouvrage.
en Angleterre. a 5
qu'ordinairement on seniaît deux, boisseaux de grains par
acre. Sir John Cullom nous donne le compte d'une ferme
du Norfolk, en i/)qo, d'où il résulte que le produit par
acre avait été en froment, de six boisseaux; en orge,
de douze; et en avoine, de cinqj mais cette année avait dû
être mauvaise , car le même écrivain estime à douze bois-
seaux de grains, le produit ordinaire de l'acre. Cependant
c'est beaucoup moins par nos récolles en céréales que par la
cu'ture des légumes, que nous pouvons apprécier les pro-
grès que nous avons faits depuis ces tems reculés. On com-
mença à établir des jardins dans la première partie du
quinzième siècle; mais ils furent presque tous détruits
pendant le cours des guerres civiles d'York et de Lan-
castre. Il paraît que, dans le principe, ce fut sur les côtes
de l'est que se trouvaient la plupart de ces jardins, à cause
du voisinage de la Flandre; et qu'ils ne suffisaient pas
même à la consommation de quelques riches propriétaires
qui les faisaient cultiver. Selon Evelyn, le chou ordinaire,
que l'on avait tiré des Pays-Bas , fut introduit pour la pre-
mière fois en Angleterre, en i55g; mais celte culture
n'avait pas encore fait beaucoup de progrès en i56si, puis-
qn'à cette époque, Bu'.lein écrivait dans son livre des Sim-
ples : « Le chou est excellent pour faire des potages , et
c'est un légume d'un grand profit que les Flamands nous
vendent cher, quoiqu'il vienne dans nos jardins où nous
le négligeons \ car il y en a en abondance entre Aldborough
et Herlford , dans le Suffolk, sur le bord de la mer. »
Hartlib , l'ami de Millon, auquel Cromwell avait ac-
cordé une pension, à cause de ses écrits sur l'agriculture,
dit que de son tems les vieillards se rappelaient les premiers
jardiniers qui étaient venus dans le Surrey , et qui avaient
vendu des carottes , des panais , des pois et des raves : cej
légumes étaient alors considérés comme très-rares , attendu
qu'on les faisait venirde Li Hollande. « Ce fut, dit-il , sous U>
34 D^S progiTS de Ici richesse niiliurttilc
règne d'Henri VIII que le houblon et le cerisier lurent
plantés pour la première fois, et les artichauts et les gro-
seilles ne commencèrent à être cultivés que du tems d'E-
lisabeth. Mais, à cette époque , on tirait encore des cerises
de la Flandre, des oignons, du safran et du réglisse d'Es-
pagne, et du houb'on des Pays-Bas. Quant aux pommes
de terre, on ne commença à les connaître qu'en i586,
et , pendant près d'un siècle, on les cultiva dans les jardins,
comme une plante exotique très-précieuse, destinée seule-
ment à la table des grands et des riches. Il résulte d'un
manuscrit qui contient le compte des dépenses de la maison
de la reine Anne, femme de Jacques 1'='^ , qu'alors elles se
rendaient un shilling la livre.
Lorsqu'on lit l'histoire de l'agriculture, il est curieux
de voir combien ses progrès ont été accélérés par ceux du
commerce et des manufactures. C'est en Flandre que le
commerce et l'agriculture avaient pris, pendant le moyen
âge , les accroissemens les plus rapides. Le commerce, en
augmentant le nombre des consommateurs, en même tems
qu'il en augmentait !a richesse, leur avait perniis des jouis-
sances inconnues à leurs ancêtres, et il était devenu, de
cette manière, un stimulant très-actif de l'industrie agri-
cole. La même chose est arrivée en Angleterre, qui a reçu
de la Flandre les premiers élémens de l'industrie et du
commerce, et avec eux une impulsion qui a déterminé les
cultivateurs à adopter de nouvelles méthodes et à tenter
de nouvelles cultures.
Cette impulsion s'est prolongée jusqu'à nos jours, avec
une force toujours croissante. Dans les tems les plus reculés
dont nous venons d'entretenir le lecteur , il existait à peine,
dans la société, une classe intermédiaire, lie pays était
divisé en un certain nombre de grands propriétaires qui le
faisaient cultiver à leur profit, par des hommes qui étaient
tous dans leur dépendance. Comme les habitans des villes
en Angleterre. a5
étaient peu nombreux , les produits agricoles n'avaient
guère d'acheteurs ; et le surplus des années abondantes
était cousonimc clans des prodiga'ités féodales, tandis
qu'au contraire, dans les mauvaises années que l'imperfec-
tion de l'agriculture rendait fort communes , la disette et
quelquefois mentie une famine absolue faisaient rapidement
décroître la population. Les villes qui existaient alors dé-
pendaient, pour la plupart, de quelque baron voisin, qui
accordait aux bourgeois l'usage du terrain sur lequel elles
étaient construites, et celui du terrain environnant, sous
la condition qu'ils lui fourniraient des vêtemens , à£s
armes et quelques petits articles de luxe. Ce ne fut que
graduellement que se forma la classe des fermiers; d'abord,
au moyen d'engagemens pris avec le propriétaire, de lui
remettre une certaine portion de fruits; ensuite par une
espèce de participation entre le propriétaire et le cultiva-
teur; et enfin lorsque le commerce, en s'étendant , donna
aux consommateurs les moyens de payer en argent ios
fruits de la terre , les fermiers purent aussi payer en ar-
gent le prix de leurs baux, et, en retour, ils acquirent des
droits certains et déterminés sur le sol.
Il paraît, d'après ce que dit Harisson, dans sa des-
cription de la Bretagne, qu'entre le règne d'Edouard I"
et celui d'Elisabeth, la culture et par conséquent le pro-
duit de la terre s'étalent fort améliorés. De son tems, dans
les années médiocres, un acre convenablement cultivé pro-
duisait communément de seize à vingt boisseaux de sei"le ou
de froment , trente-six boisseaux d'orge et quatre ou cinq
quarters d'avoine.
A cette époque l'acre ordinaire avait près d'un quart de
plus que notre acre d'aujourd'hui; mais, d'un autre côté, le
boisseau contenait au moins neuf gallons au lieu d'en con-
tenir huit, comme maintenant. A mesure que l'agriculture
se perfectionnait , la terre devenait plus productive et
0.Q Des progrès de la ricli&sse nationale
partant il fallait moins de bras pour la cultiver. Comme
les progrès de la richesse générale permettaient à uu plus
grand nombre de consommateurs d'acheter de la viande ,
on avait mis en pâturages une portion plus considérable
du territoire. Ce changement est indiqué par plusieurs lois
du livre des statuts , qui furent rendues pour empêcher la
trop grande extension des pâturages , afin que les pro-
létaires des campagnes qui , à cette époque , n'avaient
guère d'autres moyens de s'occuper que les travaux des
champs, ne restassent pas sans ouvrage.
Mais , sans nous astreindre à suivre pas à pas la marche
de notre agriculture , ce que d'ailleurs Tinsuffisauce des
documeus authentiques ne nous permettrait pas de faire,
il nous sera facile de constater retendue de ses progrès ,
par les produits qu'elle fournit aujourd'hui. Pendant le
cours des cinq années précédentes, nous n'avons consommé
que des grains venus dans notre propre sol; et, pendant
les soixante-dix dernières années , quoique nous ayons eu
plusieurs récoltes très-mauvaises, la quantité de grains
tirés de l'étranger a été insignifiante. Depuis l'année 1754
jusqu'à la fin de 1824, l'importation du froment étranger,
déduction faite de ce qui a été exporté, ne se monte qu'à
15,195,004 quarters, ou 217,071 quarters et une fraction
par année. Comme , pendant le même espace de tems , la
population moyenne a été de plus de io,coo,ooo d'ames,
puisqu'elle s'est graduellement élevée de huit à quinze
millions, en admettant que chaque individu, l'un portant
l'autre, consomme un quarter par année, la quantité de
blés tirés du dehors n'a pu servir qu'à la consommation
de treize jours. Mais , si nous mettons de côté les importa-
tions faites en 1800, 1801, 1810, 1817 et 1818, qui ont
suivi des. années excessivement mauvaises, il en résultera
que les blés étrangers n'ont pas fourni à une consommation
de plus de huit à neuf jours. Ainsi, il est évident que tandis
eit Angletert^e. a 7
que les consommateurs se sont é'evf's de huit à quinze
millions , le produit de notre sol s'est accru de la même
manière, et même, pendant les cinq dernières années qui,
à la vérité, ont été d uî.e fécondité plus qu'ordinaire, ce
produit s' est augmenté dans une proportion plus forte que
la population.
Il j a un assez grand nombre de personnes qui pensent
avec regret aux dix années qui se sont terminées en 1764,
qu'elles supposent avoir été extrêmement favorables aux
cultivateurs. A cause que pendant ces dix années, la quan-
tité du grain exporté a été plus considérable que celle du
grain importé, ils croient que les fermiers de cette époque
se trouvaient dans une situation ])eaucoup plus heureuse
que ceux des tems postérieurs, lorsque l'importation a été
plus forte que l'exportation. Mais, en y réfléchissant un peu,
ces personnes se convaincront facilement que l'importation
où Texporlation d'une quantité de grains qui équivaut h
peine au 45""^ de la consommation du pays, ne peut exercer
aucune influence sur le sort des producteurs. L'excédant
de l'exportation sur l'importation n'a été, année commune,
pendant le tems qui s'est écou'é de 1754 à 17G4, que de
'^53,578 quarters de froment, et de -^50^07 5 quarters
d'orgej mais quoiqu'une exportation aussi peu considé-
rable n'ait pu exercer aucune influence sur la condition
des cultivateurs, elle sert cependant à constater la dépré-
ciation des produits agricoles, car il est évident qu'elle
n'aurait pas eu lieu, si les prix des marchés de la Grande-
Bretagne n'eussent pas été inférieurs à ceux des marchés
du dehors. Les consommateurs de l'intérieur sont, sans
contredit, ceux qui procurent le plus d'avantages aux pro-
priétaires fonciers, et tout ce qui tend à augmenter le
nombre des habitans , et à leur fournir des moyens de
consommer davantage, doit eu même tems augmenter, dans
une proportion correspondante, le bien-être de ces proprié-
•iS Des progrès de la richesse nationale
taircs. A mesure que le commerce et rintlustrie manufActu-
rière augmenteront la richesse du pays , il y aura aussi plus
de demandes pour les produits agricoles d'une qualité su-
périeure. Ceux qui vivaient avec de Forge consommeront
du fromenlj ceux dont le pain était la principale nourriture,
mangeront aussi du bœuf et du mouton j et les consomma-
teurs de bœuf et de mouton pourront acbeter des alimens
plus cbers et plus délicats. Les diffcrens progrès que fait la
société doivent tous concourir à accroître la valeur de
la terre et celle de ses fruits , tandis que les propriétaires ,
devenus plus ricbes et pouvant se permettre un plus grand
nombre de jouissances de luxe , contribuent à leur tour à la
prospérité du commerce et de l'industrie par la consomma-
lion qu'ils font de leurs produits. Telle est, en effet, la
marche graduelle et progressive qu'a suivie parmi nous la
richesse publique.
Une autre branche de l'industrie nalionale qui, à cause
de son étendue et de son utilité, mérite une attention par-
ticulière, ce sont les constructions, soit qu'elles doivent
servir d'habitations ou d'ateliers pour confectionner les
marchandises , ou bien de magasins pour recevoir ces
mêmes marchandises en dépôt lorsqu'elles sont confec-
tionnées. Nous n'avons aucune donnée qui nous permette
de calculer avec exactitude les accroissemens récens de ces
deux dernières classes de constructions. Les états que l'on
a dressés de la population en 1801 , 181 1 et 1821 , n'indi-
quent que le nombre des maisons qui existaient dans ces trois
années , et les différences d'une époque à l'autre constatent
seulement les augmentations que ce nombre a reçues 5 mais
ils n'indiquent pas combien de maisons neuves en ont
remplacé de vieilles} combien de grands et dispendieux
édifices ont (Ué substitués à des bàlimens d'un ordre Infé-
rieur^ ni combien d'habitations commodes, quoique de
petite proportion , ont été construites pour loger des caté-
en A/igleterrc. sq
g-ories nombreuses d'individus qui auparavant vivaient dans
des chaumières, dans des caves ou dans des greniers. Il
résulte des états de 1801 que le nombre des maisons habi-
tées , était alors , eu Angleterre et dans le pays de Galles,
de 1,580.925^ en 1821, il était de 2,088, i56; ainsi il y
avait eu un accroissement de 50^,255, ou de près d'un tiers,
dans le court espace de vingt .ans.
Comme les nouvelles constructions nous paraissent être
une preuve incontestable de Taugmenlation de la richesse
nationale, en même tems qu'elles-mêmes concourent puis-
samment à cette augmentation, ainsi qu il nous sera facile
de le démontrer, nous espérons que le lectenr excusera les
développemens dans lesquels nous croyons devoir entrer à
cet égard.
Toute construction nouvelle suppose rexisteuce anté-
rieure d'un capital. Il est rare qu'on fasse bâtir luie maison,
sans avoir les fonds nécessaires pour en payer !es frais ; et
lorsqu'on ne les a pas , il faut ou les emprunter, ou se servir
d'ouvriers qui aient par devers eux assez d'argent pour
travailler à crédit. Il est aussi impossible d'élever une
maison sans capital que de l'élever sans bras, et il importe
peu à notre proposition dans quelles mains ce capital se
trouve.
Quelques entrepreneurs de bàlimens pourront sans doule
donner à leurs opérations ime extension exagérée , oui
leur fera perdre une partie ou même la totalité des capitaux
qu'ils y engageront,- mais il en est de même dans toutes les
autres branches d'industrie ; et la diminution du profit em-
pêchera que ces opérations se prolongent assez long-tems ,
pour qvie la richesse publique en soit affectée. Si la popu-
lation surabonde , le prix des loyers s'élèvera, et les cons-
tructeurs gagneront daviinlage. Si au contraire il v a p'us
de logemens qu'il n'eu faut, îes lovers buisseront, et les
entrepreneurs de bàlimcns devrcu'. se contenter d'un !)é-
n. :>
5o Des progrès de la richesse nationale
néfice plus mocléré. Dans l'un et Vaulre cas, la conslruc-
tion d'une nouvelle maison suppose nccessairemenl la for-
malion antérieure d'un capital ; et il importe peu au public
en général , à qui cette maison profite le plus, de celui qui
Ta fait bâtir , de celui qui l'a achetée ou de celui qui la
loue.
Mais la construction d'un bâtiment n'est pas seulement
une preuve de l'accumulation d'un capital : c'est aussi un
moyen très-réel d'augmenter la richesse de la nation. Le
terrain sur lequel il est élevé devient ordinairement plus
précieux , par le choi^ qu'on en a fait. Les matériaux qui
constituent les différentes parties d'une maisoii sont , en gé-
néral, de peu de valeur, avant que le travail humain les
réunisse. La pierre qui u'avall aucun prix , quand elle était
dans le sein de la terre , en acquiert , lorsqu'elle est trans-
portée à sa surface. Les ouvriers employés dans l'opération
profitent de l'excédant de leui's gages sur leur dépense; et
les marchands qui les nourrissent ou qui les habillent font à
leur tour un nouveau bénéfice. Le profit du maître de la
carrière résulte de la différence qui existe entre les gages
qu'il a payés et le prix de la pierre. Lorsqu'elle a été extraite
du sol, il faut la conduire au lieu où elle doit être em.
p'oyée. SI c'est par eau que ce transport s'effectue, le
maître du ])ateau sur lequel la pierre sera chargée, fera
un bénéfice dont le montant sera plus ou moins élevé , selon
le prix que lui aura coûté ce bateau, les salaires qu'il
donnera aux hommes de l'équipage, et la dépense qu'occa-
sioneront les chevaux de halage. Un premier bénéfice aura
été recueilli antérieurement par le marchand de bols ,
les scieurs, les cordlers et tous ceux qui auront con-
couru d'une manière quelconque à la construction ou à l'é-
quipement du bateau. Enfin les actionnaires des canaux
gagneront également, au moyen des droits de péage qu'ils
prélèveront,
en Ang'flene. 5i
Avant qu'on puisse faire usage de la matière brute , il
faut en préparer une autre par des procédés plus longs , afin
d'en cimenter les diverses parties et d'en composer un tout
solide. En conséquence, la pierre à chaux sera conduite
avec des profits de la même nature , tous petits, mais sin-
gulièrement nombreux, et diversifiés, du lieu où on la
trouve, jusqu'au four, où une autre substance, ie charbon de
terre , qui n'avait pas plus de valeur lorsqu'il était dans la
mine, sera transporté avec des profits semblables. Quant
aux ouvriers employés à la construction des murs , ils
auront pour bénéfice la différence qu'il y aura entre le
montant de ieur salaire et les dépenses qu'ils sei o;it obligés
de faire pour leur entretien persoimel et pour racquisllion
de leurs outils. La première de ces dépenses procurera un
l)énéfice à plusieurs espèces de marchands , et la seconde,
au mineur , au forgeron , en un mot , à une série très,
variée de professions diverses qui concourent toutes à l'exé-
cution de ces outils. Il faut aussi ajouter à ces profits, ceux
que fera le maître maçon sur l'ensemble des travaux des
ouvriers qu'il emploiera , et sur le coût des matériaux qu'ils
mettront en œuvre.
Nous n'avons encore parlé que du commencement de la
construction de la maison. Il est évident qu'à mesure qu'elle
s'avancera , les matériaux employés proviendront de
sources plus nombreuses et toujours plus variées , et que
les profits se diviseront et se subdiviseront , pour ainsi dire >
à l'infini. Il y aura ceux du charpentier, du menuisier,
du plombier, du ferblantier, du peintre , du marchand de
glaces , du marchand de papier et bien d'autres encore
qui deviendront les centres d'autant de cercles particuliers,
dans lesquels les bénéfices iront se repartir de la manière
que nous avons déjà indiquée. Nous ne pousserons pas cette
analyse plus loin : il nous suffit d'avoir montré clairement,
qu'une portion considérabl/* , et pcul-ètre même la plus
52 Des progrès de la richesse fiai îo mile
considérable des fonds employés à hàlir, contribue puis-
samment à augmenter le bien-être , non pas d'une classe
particulière , mais de la société eu général.
Si le nombre des maisons s'augmentait plus rapidement
nue la population , quoique ce fût une indication certaine
de l'accumulation antérieure des fonds nécessairres pour les
bâtir, ce serait cependant une preuve moins positive de
Tétât florissant de la nation , que celle qui résulte de la
proportion actuellement existante entre l'accroissement des
maisons et raugmenlalion des babitans. En comparant les
états de recensement de 1801 et 1821 , on voit que dans
l'espace de vingt ans, le nombre des babitans s'est accru
de trente-un pour cent, et que celui des maisons ne s'est
accru que de trente. Londres avait, en 1801, 1 2 i,29.g mai-
sons, et 804,845 babitans j et, en 1821 , il avait 164,681
maisons , et 1,225,694 babitans; de manière qu'il faudrait
douze mille maisons de plus pour que , dans le cours de ces
vingt années , le nondjre des maisons et des babitans se
fut augmenté dans la même proportion.
C'est dans quelques villes manufacturières où le nombre
des babitans et des maisons s'est augmenté le plus rapide-
ment, que la supériorité de l'accroissement des personnes
sur celui des babitations est le plus sensible. Ainsi , par
exemple, à Mancbester, les babitans se sont augmentés
de 68 p. °/q , et les maisons seulement de 56; k Birmiugbara,
les babitans se sont augmentés de 49 p- "/o? et les maisons
de 45 ; à Nottingbam , les babit;ins se sont augmentés
de 48 p. °lo , et les maisons de 4o- I-ies maisons et la popula-
tion de Leeds , de Derby et de Carlisle se trouvaient à peu
près dans la même proportion, aux deux, époques. A Bris-
tol, à Worwicb et à Exeter, les babitans se sont augmentés
plus rapidement que les maisons , et presque dans la même
proportion qu à Londres.
Txous avons d("jà dit que nous n'avions pas de données
€71 Angleterre. 53
suflfisanles pour délerminer la proportion qui existe entre
le noinljre des magasins et des ateliers et celui des habi-
tations. Nous nous contenterons de donner ime idée de
l'augmentation de ces divers genres de constructions , en
faisant connaître la quantité de briques qui a acquitté le
droit à plusieurs époques. Le droit sur les briques fut,
comme on sait, imposé en 1784.- Voici dans quelle progres-
sion sVst accrue la consommation de cet article :
Briques.
Quantité moyfinnc imposée dans le cours des an-
nées 1785, 1786 el 1787 463,405,628
Quantité moyenne Imposée dans le cours des an-
nées 1801 , 1802 et i8o3 728,447)055
Quantité moyenne imposée dans le cours de? an-
nées 1811 , 1812 et i8i3 g34,o65,83y
Quantité moyenne imposée dans le cours des an-
nées 1821, 1822 et 1823 1,020, 28g, i83
Nous allons nous occuper maintenant d'un autre emploi
que l'on a fait du capital national , et qui n'est pas d'une
moins liante importance. Nous A'oulons parler des canaux.
navigabUfs qu'on connaissait à peine en Angleterre , il y a
soixante ans. L'on a souvent comparé ce genre d'opération
à une loterie , dans laquelle il y a un petit nombre de lots
et une multitude de billets blancs, et l'on a même pré-
tendu que le produit des canaux du royaume représentait
tout au plus l'intérêt légal des sommes employées h les
construire. Nous avons fait des efforts pour connaître exacte-
ment le produit de ces entreprises , non parce qu'elles nous
auraient paru moins avantageuses au public, si ces asser-
tions eussent été fondées; mais parce que, sur un sujet si
important, nous avons pensé qu'il convenait d'avoir des
rcnseignemcns exacts et positifs.
Voici le résultat de nos recliercbes , sur la situation de
quatre-vingts compagnies de caïuuiv: viiigl-troisontdépc nsi"
54 Des progrès de la richesse nationale
5,754:910 liv. st. , et n'ont pas encore donné de dIvideuJe
à leurs souscripteurs; quatorze ont dépensé 4^075, G'jS,
et paient maintenant un dividende de 92,281 liv. st. ; vingt-
deux qui ont dépensé 2,196,000 liv. st. . paient un dividende
de 162,400 liv. st. 5 onze qui ont dépensé 2,0'-5,3ooliv. st.,
paient 216.024 liv. Les autres dix compagnies ont fait une
dépense de 1,127,230 liv. st., et elles paient à leurs ac-
tionnaires 5 11,554 liv. La somme totale dépensée a été
de i5,2o5,ii7 liv. st. ( 550,127,925 fr. ); et les dividendes
annuels s'élèvent à 782,25- liv. st. ( 19,556,425 fr. ) ; ce
qui fait environ 5 3/1 p. °/o du capital. Mais c'est Lien moins
à cause des bénéfices de leurs actionnaires , que les canaux,
sont utiles , qu'à cause de la valeur qu'ils donnent à plu-
sieurs produits des districts qu'ils traversent. Le fer des
mines , la pierre des carrières , et même la craie , les
cailloux qui, auparavant, étaient de peu ou de nulle va-
leur, en acquièrent, et deviennent des articles de commerce
que Ton peut facilement échanger avec d'autres.
J^îous devons aussi dire quelque chose de cette admirable
invention moderne, au moyen de laquelle la force de la
vapeur a été si heureusement substituée à celle des hommes
et des animaux. Il y a maintenant cinquante ans que la
première machine à vapeur , exécutée d'après les plans de
M. Watt, a été mise en mouvement. Les avantages en
furent si évidens, qu'on ne tarda pas à en multiplier les
applications, et que le nomlire s'en accrut avec une rapi-
dité extraordinaire. M. Partlngton, dans son histoire de
la machine à vapeur , estime le nombre de celles qui
étaient en activité, il y a trois ans, à dix mille qui faisaient
l'ouvrage de deux cent mille chevaux. Quoique l'acquisi-
tion de ces machines ait du couler quatre fois plus que
n'auraient coulé les animaux qu'elles remplacent, cepen-
dant comme il faut les renouveler moins souvent, et que,
d'ailleurs, le combustible qui les alimente coûte un quart
en Angleterre. 55
de moins que le fourrage, les avantages de l'adopllon de
ces puissans moteurs sont incontestables.
Cette branche d'industrie qui , avec ses divisions et ses
nombreuses subdivisions , est designée sous le titre de
fabrique de coton, est mie de celles qui font le mieux, voir
toutes les ressources de l'esprit humain , et qui ont le plus
activement contribué à faire jouir les individus des classes
inférieures d'un degré d'aisance auquel leurs pères étalent
entièrement étrangers. Il paraît que ce fut en i6oo que
celte fabrication fut introduite en Angleterre. Quoique ,
selon les idées du tems , elle eût acquis , dans le voisi-
nage de Manchester, un très-grand développement en i64i,
ce ne fut qu'eu l'jGo qu'on parvint , pour la première fois,
à faire un tissu uniquement composé de coton. Au-
paravant , l'art de donner assez de force au colon pour
pouvoir en former la chaîne du tissu , était inconnu ; on
ne s'en servait que pour ia trame, et la chaîne était
faite avec du fil de lin. L'Introduction de la machine à
carder fut bientôt suivie de diverses tentatives pour filer à
la mécanique; mais ces tentatives furent infructueuses jus-
qu'en l'y Gg , où le célèbre Arkwright obtint une patente
pour sa machine à filer. Nous n'insisterons pas sur le
mérite de cette machine , ni sur celui des différentes amé-
liorations qu'elle a reçues depuis. Nous voulons seulement
déterminer d'une manière précise l'époque à laquelle a eu
lieu cette belle invention dont les résultais ojit été aussi
pronqits qu'étendus.
Quoique lemplol des machines ait élé poussé plus loin
dans cette fabrication f[ue dans toute autre , le bon marché
de ses produits les met à lu ])ortée de tant d'individus , qu'il
n'y en a aucune, à l'exception de l'industrie agricole , qui
donne de l'occupation et des moyens de subsistance à un
aussi grand nombre d ouvriers. On peut alllrmer sanscrainte
quG quoique la quanllté de colon brut façonné dans les
56 Des pi'Ogrès de la richesse nationale
fabriques ait plus que centuplé , depuis soixante-dix ans ,
le nombre de personnes que ces fabriques emploient à
augraente' dans une proportion encore plus forte , malgré
les métliodes abrégées de travail qui ont été découvertes. Il
résulte des comptes de la douane que la quantité du coton
brut, importé à trois époques différentes, a été comme
il suit :
Livres.
Quantité moyenne du colon importé annuellement,
dans le cours de 1765 , 1766 et 1767 ^,1/^l,ZÇ)f^
Quantité moyenne du coton importé annuellement ,
dans le cours de iSo^, i8o5 et 1806 5q, 008,67 3
Quantité moyenne du coton importé annuellement,
dans le cours de 1822 , 1820 et 1824 ^ • i53, 799,803
Mais l'augmentation de la quantité de coton brut façonné,
dans nos manufactures, ne peut donner qu'une idée très-
imparfaite de l'importance qu'a acquise cette fabrication.
Dans le principe , on ne faisait guère avec le coton que
des étoffes grossières , telles que celles qu'on emploie pour
faire des poclies, des vestes de palefreniers, etc. Plus tard,
on commença à fabriquer des bouracans et autres tissus de
la même nature. On fit ensuite des velours de coton et
différentes étoffes de fantaisie. I^a valeur du coton brut
qui entrait dans ces tissus faisait une portion très-con-
sidérablc de leur valeur totale. Mais lorsque les métiers à
filer se perfectionnèrent , on fabriqua des mousselines dont
la fiuesse s'accrut progressivement , jusqu'à ce qu'enfin
avec une livre de coton , tout an plus , du prix de trois
shillings, on fit une pièce qui représentait une valeur de
plus de six liv. st. Les progrès que nous avons faits dans la
l'abricalion de ce dernier article , ont même été si rapides
que taudis qu'il y a quarante ans, toutes les mousselines
dont on faisait usage en Europe et en Amérique , venaient
des Indes orientales, nous en envoyons aujourd'hui des
'en Angleterre. 07
qiiaiUllés trcs-considéra])les cians ces mêmes conlrécs, In-
dcpendammeut de celles que nous expédions pour les au-
tres marchés du dehors et de celles qui se consomment
dans rinlérieur (1).
(i) KOTE DU Traducteur. Aucun fait n'est assurément plus re-
manjuable dans l'histoire du commerce , que cette re'volutlon qui s'est
opére'c dans les relations mercantiles de l'Inde et de l'Angleterre;" et
rien n'est plus propre à faire sentir les prodigieux avantages de l'emploi
des machines. En Angleterre, le prix moyen de la main d'œuvre est
de 2 sh. 5 d. ( environ 58 sols ) ; dans l'Inde, il est seulement de 2
pences ( 4 sols ). Les fabricans anglais tirent du Bengal une grande
partie du coton qu'ils emploient : de manière que , pour y faire vendre
leurs tissus, il faut qu'ils supportent la de'pense d'un double transport,
chacun de 4 à 5 mois. Il faut en outre qu'ils paient : 1° une prime
d'assurance d'au moins 6 p. "/o de la valeur des cotons bruts qu'ils
font venir des possessions de la Compagnie ; 2° une autre prime, e'ga-
lement de G p. "/o de la valeur de ces mêmes cotons qn'ils y ren-
voient façonnes. A ces frais, nous devons ajouter encore l'inte'rèt de
leur argent , pendant tout le tems qui s'e'coulc, depuis le moment où
ils en cxpe'dient pour solder leurs achats, jusqu'au moment où le retour
des fonds , rëaiise's par la vente de leurs produits , les fait rentrer dans
leurs avances. Cependant tous ces désavantages "n'ont pas empêché
l'industrie, comparativement si récente, de la Grande-Eretagne , d'é-
craser dans l'Inde, au moyen des puissantes machines dont elle dispose
une industrie antique qui remonte à des tems immémoriaux. C'était
du Bengal que les Anglais tiraient la plus grande partie des étoffes
de coton qu'ils portaient dans le siècle dernier ; et maintenant ils
en envoient chaque année pour plus de trente millions de fr. dans les
différentes présidences de la Compagnie. Peut-être aussi verrons-nous
un jour les Européens vendre des schalls jusque dans les vallées du
Cachemir. La révolution commerciale sur laquelle nous venons de
donner quelques détails a fait ressortir tout le vice de l'institution des
castes. Les Hindous n'ont pas , comme nous , la possibilité de se retirer
d'une industrie improductive pour se livrer à des travaux plus avan-
tageux. Attachés éternellement, par d'absurdes croyances, à la. pro-
fession de leurs pères, dès qu'elle cesse de pouvoir fouinir à leur
subsistance, il faut qu'ils vivent des secours nécessairement |ir<'caires
et insiiflisans de la charité publique , (jiiand ce sont des classes nom-
38 Des -progrès de la richesse nationale
Voici , tVaprès les CA'aluations officielles de la douane ,
quelle a été , aux époques indiquées ci-dessus, la valeur de
tous IcS cotons exportés.
Lis'res sterlings. Francs.
Valeur moyenne des exportations de tissus
de coton faites annuellement , en ijGS,
lyGGctijGy 223,154 (5,577,858)
Valeur moyenne des ixportations de tissus
de coton faites annuellement, en i8o4,
i8o5eti8o6 8,734,917 (218,372,925)
Valeur moyenne des exportations de tissus
de coton faites annuellement, en 1822,
1823 et 1824 26,128,221 (653,205,525)
Pendant les deux derniers siècles, les manufactures de
laine du pays se sont successivement étendues et amélio-
rées 5 mais les progrès qu elles avaient faits antérieurement,
à raA'énement de Georges IIÎ , ne peuvent point supporter
le parallèle avec ceux qu'elles ont faits depuis. Il y a qua-
rante ou cinquante ans que lorsque la laine était tondue et
livée, on la peignait ou on la cardait à la main. On la dis-
tribuait e^isuite à différentes personnes qui la filaient dans
des endroits séparés et éloignés les uns des autres. La plu-
part des fabricans avaient des magasins pour recevoir , à
époques fixes, la laine que leur reportaient les fileurs.
Cette manière de procéder faisait perdre beaucoup de tems,
et, d'ailleurs, elle donnait Heu à des discussions continuelles
outre les parties intéressées, sur le poids de la marchan-
dise, et sur le nombre et la longueur des fils des éche-
Lrcuses qu'elle doit alimenter. Depuis que les fabricans anglais ont
pu vendre des cotonnades sur les marchés de l'Indostan , à des prix
inférieurs à ceux des fal)rl»-ans du pays, une partie des individus qui
s'y occupaient du tlssaga de ces e'toHes, est livrée , dit-on, à toutes
les angoisses d'une affreuse dc'lrcsse , que les pcrfeclionnemens conti-
nuels des manufactures de la Grande-Bretagne, doivent encore aug-
menter à l'avenir. S. F.
en Angleterre. 09
\caiix. Souvent aussi les fiicurs se trouvaient dans des com-
tes éloignés, et il fallait tlépcnser beaucoup d'argent pour la
transmission de la matière première. C'est à la main que
Ion faisait la chaîne, et c'est de la même manière et tout
aussi lentement que la trame était disposée sur la navette.
C'était également par des opérations manuelles que se
faisait tout le travail qui suit celui du tisserand. Des ma-
chines ont été successivement inventées, pour exécuter la
totalité de ces diverses opérations ; et quoique le travail
humain ait été fort abrégé , cette fabrication emploie main-
tenant beaucoup plus de bras qu'elle n'en employait aux
époques antérieures. Au moyen delà machine à filer, une
plus grande égalité est donnée aux fi!s. On est parvenu aussi,
par d'autres machines , à tondre et à apprêter les draps
avec moins de dommage que précédemment; et il résulte
de l'ensemble de ces divers procédés, qu'avec la même
solidité , ils offrent beaucoup plus d'apparence. Tous les
travaux s'exécutent actuellement sous la survei lance du
maître : il peut en combiner les diverses parties i ilsaità jour
fixe quand les marchandises pourront être mises en ventej
et les capitaux employés dans ces opérations circulent avec
une célérité qu'on n'aurait jamais cru possible.
Nous avons eu, il y a quelques années, une singulière
preuve de la manière rapide avec laquelle on travaille
mainSenant ces tissus , lorsque Sir John Throgmorton se
mit à table avec un ha])il dont la laine avait été coupée
le matin sur le dos des moutons. Cette laine avait ensuite
été lavée, cardée, filée et tissée ; le drap avait été tondu ,
apprêté et teint; un tailleur en avait fait un habit; et tout
cela, dans le tems qui s'était écoulé depuis le lev.cr du jour
jusqu'à sept heures du soir.
Quoique les machines appliquées pour la première fois
eu Angleterre à cette fabrication, aient été depuis imitées
dans" le reste de l'Europe, et n-*uralisées aux Etats-Unis
4o Des progrès de lu richesse iiailorrolc
(VAmérique, cependant nos exportations de draps ont tou-
jours été en augmentant. Non-seulement nous avons mis
en œuvre toute la laine de nos troupeaux, quoiqu'ils aient
pris une grande extension , mais celle de l'Espagne a aussi
été insuffisante, et nous en avons tiré des quantités prodi-
gieuses de la Saxe , de la Prusse et de plusieurs parties du
continent européen qui , auparavant , ne nous en avaient
jamais fourni. Aucune autre importation de matière, pre-
mière , à Vexception de celle du coton , ne s'est accrue dans
luie proportion aussi forte, comme on pourra s'en con-
vaincre par le compte suivant.
Livres.
Quantité moyenne de laine importe'e annuellement
en 1765 , 1766 et 1767 4)24'»^64
Id. en 1788 , 17SQ et 1790 2,911,499
Id. en 1802, i8o3et i8o4 18,884,876
La consommation de nos tissus de laine, dans le même
espace de tems , par les nations étrangères, s'est augmentée
dans la proportion suivante :
Liv. st. Francs.
Valeur des tissus de laine exportés, anne'c
moyenne, en 17G5, 1766 et 17G7 4j'^3o,384 (115,759,600)
Jd. en i8o4, i8o5 et 1806 ., 5, 667,551 (141,688,775)
Id.cn 1822, 1823 et 1824 6^200,548 (i55, 013,700)
lia fabrication des soieries était un de ces fruits exotiques
dont rinlroductiou exige beaucoup de peines et de patience;
elle est aujourd'liui tout-à-fait acclimatée parmi nous, et
l'on a été aljondamment indemnisé des soins qu'il a fallu
lui donner dans l'origine. On avait imposé un droit considé-
rable sur la matière première 5 mais comme les mareban-
dises fabriquées, dans les manufactures anglaises , avaient
la possession à peu près exclusive du marcbé intérieur,
la prospérité toujours croissante du pays communiqua une
impulsion active el constante à cette industrie, qui, d'abord
en Angleterre. 4 i
•extrciïienicnt borncc, a fini par dcnaer des moTCus d'exis-
tence à plusieurs centaines de milliers d'Individus. La taxe
imposée sur la matière première n'avait pas été le seul
obstacle aux progrès de ces manufactures. Ijc salaire des
ouvriers qu'elles employaient avait été réglé par une loi,
ce qui avait donné lieu à des coalitions et à des désordres
^nullipliés. Ces désordres avaient eu nicuie un caractère, si
alarmant, pendant la fermentation excitée par Wilkes,
-que plusieurs fahricans avaient pris le parti de s'éloiener
des grandes villes populeuses , et de transférer leurs étaWis-
•sémens dans tles lieux plus Iranquiiles. Ce fut Paisley qu'ils
choisirent. Les fabriques de gaze qu'on y établit, y donnè-
rent ensuite naissance à celles de mousseline , et c'est ainsi
qu'un obscur village est devenu une cité florissante. Des
considérations seniblables ont fait transférer à Leek , à
Macclesfield , etc., d'autres brandies importantes de la fa-
brication des soieries. Cependant, quoiqu'une portion consi-
dérable des manufactures de ce genre soit maintenant éta-
blie dans la campagne , elles ont pris une si grande exten-
sion, que le nombre des ouvriers qu'elles occupent dans la
capitale et dans son voisinage , est plus considérable que
jamais.
Autrefois la matière première nous était à peu près ex-
clusivement fournie par les contrées méridionales de l'Eu-
rope, ce qui avait un grave inconvénient; car nos relations
avec ces divers pays étaient fréquemment interrompues
- ]iar des événemens politiques. Mais un grand changement
s'est opéré à cet égard, dans les cours de ces dernières an-
nées. La culture de la soie a reçu une extension considéra-
ble dans nos établlssemeus des Indes orientales, et on en
a beaucoup amélioré la qualité; de manière que celle du
Bengal peut maintenant remplacer la soie d'Lalie, pour
la trame de la plu; art des tissus, et surtout pour les fran-
ges,' les garnitures et autres articles inrérlciu's. La soie de
42 Des progrès de la richesse natioiui^e
la Cliine est très- propre, à cause de sa couleur et de sa
lluesse, à faii'e des bas; et aujourdMiuî les fabricans du
continent sont exactement informes des ventes de la Com-
pagnie , et ils acbètent à ses agens une partie des soies bru-
tes qu'ils emploient. L'état suivant Indique l'accroissement
régulier qu'a reçu la consommalion de la soie. Le lecteur
verra sans doute avec plaisir comme la proportion de l'im-
portation de la soie brute, à l'importation de la soie or-
gansinée , s'est modifiée à mesure que cette brandie d'in-
dustrie se perfectionnait.
Soie brute. Soie organsinée.
* Livres. Livres.
Quantité moyenne de soie importée annuel-
lement, en 1765, 1766 et 17G7, déduction
faite des quantités exportées 352, i3o 3G3,4')8
/J. en 17.S5, 1-86 et 1787 547)(io5 307, 8G0
Id. en 1802 , i8o3 et iSo4 967.805 384,5oti
/^. en 1022 , iSii et i8.i4 2,172,401 336, 6gi
Les limites dans lesquelles nous sommes obligés de nous
renfermer ne nous permettent pas de faire l'histoire de la
fabrication du fer, depuis ses commencemens jusqu'à nos
jours; nous serions, d'ailleurs, dans la nécessité de nous
servir de termes tecbniques inconnus à la généralité de
nos lecteurs. Les grandes améliorations de cette brandie
si importante de notre industrie datent surtout du moment
où l'on substitua le cocke du charbon de terre an charbon de
bois, 11 y a environ soixante-dix ans. Voici quelle a été , à
différentes époques , la quantité de fer fondu en Angle-
terre et dans la principauté de Galles. En 1750, 22,000
tonneaux; en 178S, 68,5oo ton. ; en 1796, 124,879 ton.;
en 1806, 252,000 ton.; en i8xG, 58o,ooo ton.; et en 1824,
600,000 t. Nous n'avons pas de données positives sur le fer
fondu en Ecosse aux mêmes époques; mais nous avons lieu
de croire que l'augmentation a été, proportionnellement,
aussi considérable.
en Angleterre . 4^
Au moyen tics progrès que nous avons faits dans la fabri-
calion de cet article , nous avons pu nous passer des fers
étrangers , quoique dans certains cas nous nous servions
encore de celui de Suède, et nos exportations n'ont pas
cessé de s'accroître.
Ton.
Quantité moyenne de fer exporte annuellement, en 1760,
1766 et 1767 1 1,373
Id. en i8o4 , i8o5 et 180G • 28, 009
Id. en 1822 , et 1823 et 1824- y4)Ooo
L'exploitation des mines de cuivre a reçu aussi de grands
accroissemens, et il paraît constant qu'elle a doublé dans
ces vingt-cinq dernières années. Cependant nous sommes
encore bien loin de pouvoir suffire à notre propre consom-
mation, et nous importons des quantités considérables de
cuivre étranger, pour alimenter nos diverses manufactures.
Une des meilleures preuves des étonuans progrès de notre
commerce de quincaillerie, c'est l'augmentation de la po-
pulation dans les districts où on s'en occupe. Il n'y a peut-
être pas de brandie d'industrie où des opérations aussi
minutieuses et en aussi grand nombre, soient exécutées par
des maclunesj mais, malgré tous les moyens employés
pour abréger ou pour remplacer le travail humain, nulle
part ce travail n'a été plus recherché et mieux rétribué que
dans quelques villes qui s'occupent spécialement de cette
fabrication. Voici dans quelle proportion le nombre de
leurs habitans s'est accru pendant les vingt dernières an-
nées :
1801. 1802.
Birmingham 72,670 106,722
Sheffield 45,755 65,275
W'olverhampfon 12,565 i8,,'î8o
La population des paroisses situées dans le voisinage de
CCS villes , s'est augmentée dans une proportion corres-
pondance.
44 Des progrès de la richesse nalionale
IjPS manufactures de toiles n'ont guèrcs jusqu'il pré-
sent clé établies que dans les districls dont le sol était le
plus convenable pour la culture du lin. Ou pouvait croire
que la faveur dont jouissent actuellement les étoffes de
colon ferait nécessairement diminuer la consommation des
toiles; mais le contraire est arrivé, et jamais on n'en a
fait un aussi grand usage que dans ces dernières années ,
surtout depuis que le principe des Rlule-Jennies a été
appliqué à !a fabrication de ces tissus. Nous pouvons
donner une preuve incontestable de ce que nous avançons,
en faisant connaître la quantité de lin venu du dehors , à
trois époques différentes.
Quintaux,
Quantité moyenne de lin importé annuellement, en 1788,
178<:) et I jgo 219, Gio
Id. en i8o4 , i8o5 et 1806 [^\'^^-il^^
Id. en 1821 , 1822 et 1820 601,887
Cette progression est d'autant plus remarquable que, dans
le même tems, la culture du lin, au lieu de diminuer en
Angleterre , y avait pris une nouvellf extension.
Voici quelle a été ia quantité des toiles que nos fabricans
ont exportées aux mêmes époques , après avoir satisfait
aux besoins d'une population toujours croissante.
Yards.
Quantité moynnne des toiles exportées annuellement
en 1765 , 1766 et 17G7 4>68i,8of>
Jd. en 1804, i8o5 et 1806 10,387,543
Id. en 1822 , 1823 et 1824 02,287,543
Cet accroissement du commerce des toiles de la Grande-
Bretagne,, n'a porté aucun préjudice aux toiles d'Irlande,
comme le prouve le compte suivant:
Yards.
Oiinn'iilé moyenne des toiles d'Irlande exportées an-
nuellement en 1765 , 1766 et 1767 2,2iq,4c)G
Id. en i8o4 , i8o5 et 180G 4)^9')94''
/./. en 1822 , 1823 et \'r>\\ 12,701, ii(i
en Angleterre. 4^
Il est bien peu de fabrications qui offrent autant d'intérêt
qne les manufactures de poterie, dont l'art et la science
ont également concouru à améliorer les produits. C'est la
chimie qui a distingué les différentes espèces de terre et
déterminé quels étaient les mélanges que Ton pouvait en
faire , ainsi que le degré de cuisson que ces combinaisons
variées devaient respectivement subir. L'art a étudié les
dessins fournis par l'antiquité ; et en imitant les formes des
vases étrusques, il en a encore surpassé l'élégance. On a
fait de la vaisselle de toutes les qualités , de manière à ce
qu'il y en eût pour les différentes classes de la société, depuis
les plus pauvres jusqu'aux plus opulentes. On trouve de la
poterie anglaise dans chacun des pays et presque dans
toutes les maisons du Nouveau-Monde , dans plusieurs par-
ties de l'Asie , et dans la phipnrt des contrées de l'Europe.
Dans l'intérieur, elle a fait abandonner l'usage de la vais-
selle de bois et d'étain qui a lieaucoup moins de propreté.
Comme la matière première n'a aucun pi'ix , c'est l'indus-
trie qui a entièrement créé la valeur de cette fabrication ,
qui a puissamment contribué à l'accroissement de la richesse
nationale. La grande quantité de vaisselle que l'on trouve
dans toutes les habitations , ainsi que l'augmentation de la
population dans les districts où ces fabriques sont établies,
prouvent, d'une manière incontestable, l'extension qu'elles
ont prise et les progrès qu'elles ont faits.
Notre commerce de verrerie a dû nécessairement s'aug-
menter en même tems que les constructions et le nombre
des habitans; mais nos verres n'ont pas eu au dehors tout
le débit que leur aurait procuré leur qualité supérieure ,
s'ils n'eussent pas été soumis à une taxe considérable. En
effet, quoique cette taxe soit restituée, au moment de l'ex-
portation, le consommateur étranger n'en est pas moins
obligé d'en supporter l'intérêt , à partir de l'instant où
elle a été acquittée , jusqu'à celui où elle est remise par les
II. 4
^6 Des progrès de la ricliesse nationale
agens du Trésor : Il faut en outre supporter la totalité' du
droit pour les verres qui se cassent dans le transport, de-
puis la sortie de la fabrique jusqu'au point d'embarquement.
Si la politique avisée qui a fait révoquer l'impôt sur la
soie , fait également révoquer celui qui pèse sur cet article, -
nos manufactures de verre obtiendront nécessairement un
grand débit dans les différens marchés du monde. La
même observation est applicable à nos cuirs et aux pro-
duits de nos poteries, dont la consommation ne s'est pas
moins augmentée dans l'intérieur que celle des autres
marchandises ; mais qui , à cause des droits qu'ils suppor-
tent, ne circulent au dehors que très-difficilement, malgré
leur excellente qualité.
Nous venons d'esquisser rapidement la situation des
branches principales de notre industrie; nous avons vu
qu'elle n'avait pas cessé de s'améliorer depuis l'avéneraent
du feu roi, ou du moins depuis la paix, de 1760 , et que ce
mouvement progressif avait continué , avec une rapidité
toujours croissante , sous le gouvernement du roi régnant.
Le montant total de l'exportation, tant en produits de la
Grande-Bretagne qu'en marchandises étrangères , a été ,
année moyenne, pendant les trois années qui ont suivi la
paix, de 1765, de i4, 92.5,950 (375,148,750 fr. ), ce qui
ne fait pas le tiers de l'exportation actuelle des seuls pro-
duits de la Grande-Bretagne. Voici , depuis cette époque ,
comment cette progression s'est opérée :
Liv. st. Francs.
Montant total de l'exportation des pro-
duits de la Grande-Bretagne , année
moyenne, en 1783, 1784611785... 11,090,718 (^77, 267,950)
Montant total de l'exportation des pro-
duits de la Grande-Bretagne , anne'e
moyenne , en i8o3, 1804 et i8o5... 27,726,983 (693,174,575)
Montant total de l'exportation des pro-
duits de la Grande-Bretagne , année
moyenne, en 1S21 , 1822 eî iSaS. . . 4-^>283,359 (1,1 33, 083,975)
en Angleterre . 4"
Jja revue que nous faisons des sources principales de la
grandeur et de la prospérité de la nation , serait assuré-
ment fort incomplète , si nous ne disions rien de notre ma-
rine marchande. C'est à elle que nous sommes redevables,
en grande partie, de notre puissance : car eile a été Tune
des causes les plus actives des succès de notre marine mili-
taire. Les progrès de la marine marchande ont été si .ré-
guliers, en Angleterre, que la guerre elle-même, au lieu
d'y mettre obstacle, semble au contraire les avoir favorisés.
Semblable au chêne dont ses navires sont construits ,
« Per damna, per caedes, ab ipso
Ducit opes animumque terre. >•
M. Chalmers a fait des recherches sur le tonnage des
bâtimens nationaux et étrangers , sortis de la Grande-Bre-
tagne, depuis la restauration de Charles II jusqu'en 1802,
Il en résulte que le port de nos navires s'est élevé, pendant
cet espace de tems, de 93,266 tonneaux, à 1,459,689.
Au commencement de cette période , la proportion des na-
vires étrangers, sortis de nos ports, avec les navires an-
glais , était comme un est à deux ; et , à la fin , elle n'é-
tait plus que comme deux est à sept. Cette proportion a
dû nécessairement varier nu peu, en tems de guerre, en
faveur des bâtimens étrangers; et, en tems de paix , eu
faveur des nôtres. Ce mouvement progressif a continué ,
puisque le tonnage des bâtimens marchands qui, comme
nous venons de le voir, était, en 1802 , de 1,459,689 ton, ,
se trouvait, en 1823, de 2,5i9,o44- Le nombre des hom-
mes d'équipage s'était élevé à i66,555. Ce relevé ne com-
prend que les bâtimens enregistrés; car nous n'avons au-
cun moyen de connaître !e tonnage des nombreux bâtimens
employés sur les canaux et sur les rivières navigables , non
plus que la quantité de bras occupés à les conduire. Ils for-
mait' cependant une portion considérable de la richesse
^8 Des progrès de la iHcliesse nationale
nationale , et le nombre a dû nécessairement s'en augmen-
ter en même tems que celui des canaux et que la quantité
des marchandises transportées au moyen de la navigation
intérieure d'un point du royaume à l'antre.
Si le nombre des bâtimens marchands ne s'est pas ac-
cru, pendant ces dix dernières années, dans une pro-
portion aussi forte que pendant les trente qui ont précédé ,
il est facile d'en donner une raison satisfaisante. Ceux de
ces navires que le gouvernement employait comme trans-
ports , ou à d'autres usages , dans les dernières années de
la guerre , et dont le port variait de 200,000 à 5oo,ooo
tonneaux, ont été , depuis la paix , remis à la disposition
du commerce.
La valeur du numéraire est tellement mobile , que le
meilleur moyen de s'assurer d'une manière positive des
progrès de la richesse d'une nation , pendant une période
d'une aussi longue durée que celle de soixante ans , c'est
de constater raccroissement de ses produits , sans essayer
d'en faire l'estimation, et telle est la marche que nous avons
suivie dans ces recherches. Cependant pour un tems plus
court, le montant des recettes que le Trésor se procure par
les taxes , peut être aussi un moyen convenable de recon-
naître les pas en avant ou les pas rétrogrades qu'a faits un
peuple. L'emploi de ce moyen nous conduirait à des résul-
tats dont nous aurions lieu également de nous féliciter.
Voyons, par exemple , quel a été le produit de la taxe sur
les legs et sur l'enregistrement des testameus en 1810»
i8i5, 1819 et 1825 :
Produit Je la taxe Produit de la taxe sur
sur les legs. l'enregislrement des testamens.
1810 530,983 liv. st l^1!^■,o■i.Ç, liv. st.
i8i5 655,807 5o6,854
1819 855,633 68a,a2i
1833 990,787 7o6,8o5
en Angleterre. 49
Dans Texamen que nous venons de faire de la situation
du pays, nous avons tâché d'éviter tous les points suscep-
tibles de controverse. Nous désirions prouver pricipale-
ment que la masse des produits s'était beaucoup accrue ;
qu'une portion de ces produits , au lieu d'être consommée
immédiatement, avait été ajoutée aux accumulations pré-
cédentes \ et qu'il en résultait que la nation était , à tous
égards , beaucoup plus riche qu'aux époques antérieures.
Nous n'avons pas voulu essayer de déterminer le montant
total du capital et du revenu des habitans de la Grande-
Bretagne , à la fin de la guerre de Sept-Ans , après celle de
l'indépendance des Etats-Unis , à la paix d'Amiens, et, en-
fin, à l'époque actuelle, dans la crainte d'être taxés de cré-
dulité ou d'exagération. Que l'ensemble de nos ressources
ait triplé, quadruplé ou quintuplé, depuis la paix de 1762,
c'est un point sur lequel on peut avoir des opinions diffé-
rentes 5 mais, ce qui n'est pas douteux, c'est qu'elles se
sont beaucoup accrues , et qu'aujourd'hui nous sommes
incontestablement le peuple le plus riche de l'univers.
(1) Nous aurions pu éviter de parler de la dette pubii-
(1) Note du Tr. En lisant ce qui va suivre , le lecteur ne doit pas
perdre de vue que le Quarterly Review est un des apologistes en titre
des ministres de la Grande-Bretagne, et que, pour remplir son man-
dat, il est obligé de défendre les emprunts qui ont e'té coniracte's par
des administrations dont la plupart des membres du ministère actuel
faisaient partie. Si les publlclstes cite's ci-après ont exage'ré les consé-
quences funestes que la dette nationale de l'Angleterre devait avoir,
c'est qu'ils n'avaient pas prévu les prodiges qui résulteraient des diffé-
rentes applications des sciences aux arts industriels. Sans ces prodiges
il est \raisemblable que leurs propkéties se seraient vérifiées à la lettre.
Il est évident que l'auteur de cet article , d'ailleurs si remarquable ,
cherche à affaiblir l'impression qu'avait produite, en Angleterre , un
autre article publié dans la Revue d'Edinbonrf^ ^ contre le système
des dettes fondées , et dont nous avons donné la traduction dans la
deuxième livraison du i^r volume. S. F.
5o Des progrès de la richesse nationale
que. sujet continuel de plaintes et d'alarmes : ou du moios
nous contenter d'exposer qu'à l'exception de 600,000 liv.
sterl. ( 1 5,000,000 fr. ) qui sont l'intérêt d'une somme de
16,000,000 sterl. ( 4-00,<joo,ooo fr. ) dus aux étrangers, la
totalité des dividendes est payée par une portion de la
nation à une autre portion. Si, d'un côté, un certain nom-
bre d'individus se trouve plus pauvre , à cause de ces paie-
mens, de l'autre, un nombre égal se trouve plus riche.
Le seul motif que nous ayons de ne pas traiter à fond cet
important sujet , ce sont les limites dans lesquelles nous
sommes obligés de nous renfermer. Peut-être un jour nous
examinerons , d'une manière plus spéciale que nous ne l'a-
vons encore fait , le svstème des dettes fo/idées : nous appré-
cierons les maux qui résultent des prodigalités qu'il encou-
rage et des taxes exagérées qui les suivent; et nous compare-
rons ces inconvéulens avec les bienfaits qui découlent de la
manière dont il stimide plusieurs branches d'industrie; des
encoui'ageme::s qu'il donne à l'économie, en lui permettant
de retirer nne rente des plus petites sommes ; du grand
nombre d'individus qu'il intéresse au maintien de la tran-
quillité publique ; de sa tendance à créer une classe inter-
médiaire dans la sociétJ ; et, enfin, de l'obligation qu'il
impose aux go uvernemens de remplir, avec une fidélité
scrupuleuse , tous leurs eugagemens pécuniaires.
II est évident, d'après l'exposé que nous avons fait , que
l'augmentation de la dette nationale n'a aucune tendance à
diminuer la production; car, nous avons vu que nos pro-
duits n'avaient pas cessé de s'accroître, dans le moment
même où la dette nationale prenait le plus d'extension.
Mais , si nous ne reconnaissons pas que la detle nationale
soit un mal sans mélange, nous conviendrons cependant
que la grande extension qu'elle a prise, la rend aujourd'hui
plus nuisible qu'utile. Aussi avons-nous applaudi aux sages
en Angleterre. 5i
mesures provoquées par le chancelier de FEchiquier, et
nous nous félicitons de ce que raugmentation de la popu-
lation et de la richesse publique tend, tous les jours, à eu
alléger le poids.
Il existe- une certaine classe d'écrivains politiques qui
met sa satisfaction à effrayer le public, en l'entretenant
perpétuellement des conséquences funestes que doivent
avoir notre dette et les taxes dont elle a rendu l'imposition
nécessaire. Non-seulement pendant la durée d'une longue
guerre, mais même depuis la conclusion de la paix, ils
n'ont pas cessé de gémir sur la triste situation du pays et
d'affirmer que sa guérison serait impossible , si on ne con-
sentait pas à faire usage de leurs remèdes. Malheureusement
ces remèdes inspiraient une si forte répugnance qu'il n'y
avait pas moyen de les adminislrer. Mais en dépit de ces
habiles docteurs et de l'obstination du malade, il a survécu,
et il se trouve même dans un état de convalescence qui
est, à tout prendre , assez satisfaisant. Au surplus , cette
lugubre race de prophètes n'est pas nouvelle ; elle existait
déjà à l'époque de la révolution de 1688, et elle témoignait
dès-lors le même empressement à administrer ses remèdes,
qu'on refusait avec non moins d'entêtement.
En 1699, Davenant prédisait que « notre or et notre
argent disparaîtraient par degrés 5 que les rentes baisse-
raient ; que le prix de la terre et celui de la laine diminue-
raient i que les maisons de ferme et les fabriques tombe-
raient en ruines, et qu'en un mot, avant qu'il fût peu,
nous aurions tous les signes d'une nation en décadence. »
Un recueil périodique, le Crciftsman^ disait, eu 1706 :
..« La dette énorme ( notez qu'elle n'était pas alors de cin-
quante millions et que les 5 p. "/^ étaient à io5 ) qui pèse
sur la nation doit être considérée comme l'origine de tous
nos maux actuels et des dangers qui nous menacent dans
5 a Des progrès de la richeise nationale
Tavenir. C'est à cause de cette dette que Ton a imposé ces
tax.es oppressives qui, dans l'espace d'un petit nombre d'an-
nées, ont doublé le prix, de toutes les choses nécessaires à
la vie, réduit au désespoir l'artisan et le pauvre laboureur,
"mis le fermier dans l'impuissance d'acquitter le prix de son
bail , et qui s'opposent à ce que le riche propriétaire lui-
même pourvoie convenablement au sort de sa famille. >»
Bolingbroke déclara, en 17497 que le produit des aides,
qui avait été de cinquante- cinq millions pendant les neuf
années précédentes, paraîtrait incroyable aux générations
futures, et Dodington renonça à un emploi lucratif, à ce
qu'il assure , par pur désintéressement, « à cause de la triste
situation oii se trouvait le pays, situation pour laquelle
il ne connaissait aucun i-eniède. » Hanvay prétendait, en
1756, qu'il était généralement reçu parmi les arithméticiens
politiques , que « nous pouvions porter notre dette jusqu'à
cent millions j mais que si on la portait plus haut , nous
ferions nécessairement banqueroute. » Hume, Blackstone
et lord Raimes, ont tenu à peu près le même langage.
Adam Smith lui-même engageait le public à ne pas croire
trop légèrement que nous pourrions supporter, sans les
plus grands inconvéniens, un fardeau plus considérable que
celui de la dette qui existait en 1777 : elle était alors d'en-
viron cent cinquante millions.
Maintenant nous savons, par expérience, le peu de fon-
dement de ces prédictions , et cette expérience doit nous
rassurer sur nos destinées futures.
Nous croyons avoir présenté à nos lecteurs un tableau
fidèle des accroissemens de la richesse publique dans ses
diverses branches ; il nous reste actuellement à faire con-
naître la manière dont les énormes capitaux accumulés se
sont distribués dans les différentes classes de la société, et
cette lâche est encore plus difficile et plus délicate que la
en Angleterre. 55
première. Le meilleur moyen de nous guider dans cette
recherche , c'est de nous rappeler , autant que possible, la
proportion dans laquelle les consommations de toutes les
classes de la société , depuis les plus hautes jusqu'aux, plus
élevées, se sont successivement accrues. Nous pouvons
aussi tirer parti d'un état mis sous les yeux, du Parlement,
dans lequel les rentiers sont classés suivant le montant des
dividendes auxquels ils ont droit. C'est dans les fonds
publics que l'on place, en général, les épargnes que l'on
fait sur ses dépenses courantes. Nous disons sur les dépen-
ses courantes, car il est tvident que si la totalité des éco-
nomies faites par la nation eût été absorbée par la dette ,
nous n'aurions pas autant augmenté le nombre de nos mai-
sons , de nos fabriques , de nos magasins , de nos fermes ,
de nos bestiaux , etc. ; et l'on n'aurait pas pu entreprendre
ces grandes routes , ces ponts , ces canaux, et tous ces ou-
vrages admirables , dont l'exécution a exigé de si grands
capitaux. Voici la copie de l'état communiqué au Parle-
ment :
54
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en Angleterre . 55
IJ résulte d'un autre état, également communiqué au Par-
lement, que des huit cents millions sterlings (vingt milliards
de francs) , qui composent le capital actuel de la dette,
1-5 raillions seulement peuvent être considérés comme
flottans : le reste est en tutelle à la chancellerie et à rÉchi-
quier , ou appartient à des institutions de charité , des cor-
porations et à des particuliers qui se contentent de toucher
Tintérét de leur rente, sans jamais spéculer sur le capital.
Dans quel tems cette somme énorme a-t-elle été épargnée,
dans quelle proportion se trouve-î-elle avec la masse totale
des économies , et quel est le montant des nouvelles épar-
gnes qui se font annuellement sur ses intérêts , pour être
ajoutées au capital de la nation? C'est ce qu'il serait difficde
de déterminer d'une manière précise. Au reste, il importe
beaucoup moins d'être fixé à cet égard , que de connaître
la manière dont la propriété des fonds puhlics se trouve
répartie. Cette répartition a eu pour résultat d'enrichir la
classe intermédiaire , l'un des plus beaux ornemens de la
nation, et sa meilleure garantie contre les usurpations du
pouvoir ar])itraire d'une part , et de l'autre, contre la ty-
rannie , plus dangereuse encore et plus ignoble, d'une popu-
lace ignorante.
L'état ci-dessus fait voir que le nombre des rentiers est
de 288,475, dont 277,594 reçoivent une rente annuelle au-
dessous de 4oo liv. st. , et qu'il n'y en a que 10.879 qui
touchent une somme supérieure. 140.000 ont une rente
au-dessous de 20 liv. , et près de i5o,ooo en ont une de 20
à 200 liv. La classe qui reçoit de 200 à 600 liv. , quoique
beaucoup moins nombreuse , comme on devait s'y attendre,
est encore de plus de 20,000 personnes.
Nous n'avons pas de motifs pour supposer que les autres
portions du capital accumulé soient distribuées d'une ma-
nière trcs-diûérenle , et les tajces réparties ( asscssed taxcs%
nous fournissent une nouvelle preuve que non-seulement
55 Des progrès de lu richesse nationale
la classe intermédiaire s'est beaucoup augmentée , mais
qu'elle s'est augmentée dans une proportion bien plus forte
que la baute et la basse classe. Le nombre des personnes
qui entretiennent un cheval de luxe , est de 148,786; il y
en a 9.3,493 qui en ont deux ; 15,704 qui en ont de trois à
huit, et 1,168 qui en ont au-delà de huit. La même pro-
portion peut être observée dans la manière dont les domes-
tiques maies se trouvent répartis; il y a 4o,2i8 personnes
qui en ont un ; 6,761 qui en ont deux ; 45^52 qui en ont de
trois à cinq ; 1,596 qui en ont de cinq à huit, et seulement
618 qui en ont un plus grand nombre. La taxe sur les fenê-
tres fournit encore une autre preuve de ce que nous avons
avancé; il y a 755, 1 10 maisons qui ont moins de dix fenê-
tres ) 178,354 qui en ont de dix à vingt ; 56,485 qui en ont
de vingt à trente; 10,673 qui en ont de trente à quarante;
6,326 qui en ont de quarante à soixante ; 2,649 *ï^^ '^^ *'"'•
de soixante à cent, et 940 qui eu ont au-delà de cent. Le
nombre des voitures à deux roues s'est élevé , pendant le
tems qui s'est écoulé entre i8o4 ^t iSaS, de i3,23o à
a6,799, ou de cent pour cent, et celui des voitures à
quatre roues de 20,157 ^ 4^?656 j 01* ^^ cent viugt-cinq
pour cent. Ainsi la dépense comme le revenu de la nation
prouvent également que la porLion la plus considérable de
la richesse accumulée a été acquise par la classe moyenne,
qu'elle tend sans cesse à augmenter , en faisant sortir des
rangs inférieurs un grand nombre d'individus , dont plu-
sieurs s'élèvent ensuite graduellement jusqu'aux rangs les
plus élevés.
Aucun lecteur de bonne foi ne supposera, sans doute, que
notre intention soit de faire valoir la classe intermédiaire
aux dépens des deux autres. Toutes sont utiles et même
indispensables dans leurs situations respectives. Mais nous
ne pouvons pas nous empêcher de sentir quelque prédilec-
tion pour celle qui, s'élevant régulièrement de rang en rang,
en Angleterre. 57
comble le grand intervalle qui sépare les deux extrêmes.
C'est celte classe qui est principalement en possession de
ces vertus morales et religieuses , àe ces connaissances
utiles , de ce caractère indépendant , de ce patriotisme ,
qui, avec la .protection du ciel, ont fait jouir la Grande-
Bretagne d'un degré de prospérité inconnu au reste du
monde.
Les classes supérieures sont surtout destinées à stimuler
la production et par conséquent le développement de la
richesse générale. Nous entendons souvent parler de prix
énormes payés pour des fruits précoces que l'on sert tians
de brillantes réunions. On taxe ces dépenses de profusions ,
et l'on regrette que cet argent n'ait pas été employé au
soulagement de quelque famille nécessiteuse. C est bien
moins la sensualité que la vanité qui fait faire ces dépenses;
mais quelque folles qu'elles paraissent , on peut mettre
en doute si elles ne contribuent pas plus efficacement au
bien-être , même des dernières classes , que des aumônes
distribuées aux indigens. Au fond, il est assez rare que
l'on paie des prix aussi élevés , et pour dix jardiniers qui
parviennent à les obtenir , il y en a cent et peut-être mille
qui n'y réussissent pas. Le premier en date gagne le plus
haut prix ; celui qui vient après vend à un prix inférieur j
les suivans vendent plus bas encore, jusqu'à ce qu'enfin au
bout de quelques jours , ou du moins de quelques semaines,
les productions que l'espérance d'une rémunération si consi-
dérable avait attirées sur le marché , deviennent tellement
abondantes qu'elles sont à portée de milliers d'individus
qui n'auraient jamais pu en consommer , si auparavant
elles ne se fussent pas vendues beaucoup plus cher.
Occupons nous maintenant d'une autredépense de luxe. Il
paraît qu'en 1 765, il y avait 1 2,904 voitures à quatre roues 5
il y en a maintenant 26,799 , indépendamment de 45,856
voitures à deux roues , dont le nombre était si peu consi-
58 Des progrès de lu richesse nationale
dérable , à la première de ces époques , qu'il ne vaut pas la
peine d'être indiqué. A la même époque, il y avait à Londres
56 carrossiers qui employaient environ 4>ooo ouvriers j il
y en a aujourd'hui i55 qui occupent 1 4,000 individus.
Mais comme les ouvriers carrossiers ne se multiplient pas
plus vite que le reste de la société , cette augmentation
dans leur nombre a dti être tirée , eu partie , des autres
classes. Ce ne sont point les rangs supérieurs qui les ont
fournis, mais les rangs inférieurs; l'on sourira peut-être
de l'emploi que nous faisons ici des mots inférieur et supé-
rieur ; mais il ne faut pas oublier qu'il existe des degrés
dans toutes les classes. La même chose pourrait être ob-
servée dans les autres branches d'industrie, dont les pro-
duits sont destinés aux jouissances des riches.
Si jamais on mettait à exécution le projet insensé de ré-
partir la fortune des riches entre les autres membres de la
société , l'avoir de ceux-ci n'éprouverait , par cette spolia-
tion, qu'un accroissement bien peu considérable , et tout-à-
fait insuffisant pour compenser l'absence du stimulant que
le luxe des hautes classes donne à leur industrie.
Les moyens physiques de jouissance ne sont pas plus
développés chez les riches que chez les autres; il ne sont
pas à l'abri du chagrin , et ils sont même plus exposés à
cet accablement mental qui résulte de la satiété et d'une
existence oisive. Dans l'administration de leur fortune, ils
ne sont, bon gi'é ma! gré , que les trésoriers du public. SI
leurs capitaux sont placés en terres , comme ils ne peuvent
en occuper personnel'ement qu'une petite partie, il faut
qullslouent le reste à d'autres qui ies cultivent pour leur pro-
pre compte. Si au contraire ces capitaux sont en argent ,
ce sont des banquiers, des négocians , des fabricans . etc.,
qui les font travailler , et le profit qu'ils en retirent est au
moins égal à l'intérêt qu'ils paient aux prêteurs. D'un au-
tre côté , les avantages moraux qui résultent pour les
en Angleterre . 5^
classes supérieures de ravancement progressif de la classe
moyeuue, sont une compensation suffisante des services
qu'ils lui rendent, en lui confiant l'administration de leur
fortune. liCs anciens barons vivant dans leurs châteaux,
au centre de leurs domaines , entourés de leurs tenanciers
ou plutôt de leurs esclaves , n'étaient soumis à d'autre in-
fluence qu'à celle de la force. lis ne tenaient aucun compte
de l'opinion que Ton entretenait de leur caractère; ils bra-
vaient les menaces de leurs voisins et comprimaient les
murmures de leurs vassaux. Le frein salutaire de ro[.inion
publique n'existait pas alors. Cette puissance nouvelle ne
date que de l'époque où une classe intermédiaire s'est formée,
et l'influence qu'elle exerce s'augmente à mesure que cette
classe acquiert plus d'importance. Personne n'est aujour-
d'hui tellement élevé au-dessus des autres, qu'il ne se trouve
souvent en collision avec ses égaux. Les gradations pres-
qu'imierceptlbles qui réunissent les différentes classes de
la société, la diffusion générale des lumières, les contacts
multipliés, le désir d'acquérir de l'influence politique, tout
contribue à ce que les supérieurs recherclient et se ména-
gent la bonne opinion de leurs inférieurs.
L'amélioration du sort des classes moyennes est évidente,
et il est impossible d'aller dans les campagnes, d'entrer dans
les boutiques, de visiter les ateliers et les magasins, sans
être frappé des étonnans changemens qu'un petit nombre
d'années aproduits. Nous voyons les champs mieux cultivés;
les granges plus remplies ; les chevaux et le bétail en meil-
leur état et en plus grand nombre; et tous les instrumens
d'agriculture améliorés. Dans les villages , dans les bourgs
et dans les villes , les boutiques sont plus nombreuses et
ont plus d'apparence; les difféi'entes marchandises sont
plus séparées les unes des autres j ce qui est une preuve
incontestable de l'augmentation des ventes. Ces marchan-
dises , dont la quantité est innombrable , sont diversifiées
6o Des progrès de la richesse nationale
(le manière à pouvoir satisfaire tous les besoins, tous les
goiits, et méine tous les caprices, et à se trouver propor-
tionnées aux moyens pécuniaires de toutes les classes d'a-
cheteurs. Il est facile également de se convaincre de la
prospérité générale et de reconnaître les moyens par les-
quels elle a été obtenue, lorsque Ton visite les manufactures
et qu'on y suit les nombreuses séries de préparations que
l'on fait successivement subir à tous les produits qui y
sont entasses. Si nous portons nos regards un peu plus
haut, et que nous examinions les comptes des banquiers
de la capitale et des provinces , nous nous convaincrons
aussi qu'il y a un accroissement prodigieux dans le mon-
tant des fonds déposés dans leurs caisses, et avec lesquels
on peut opérer sur les différentes espèces de marchandises ,
en profitant des occasions favorables , ou qui attendent de
bonnes garanties pour être placés à intérêt. L'abondance
des capitaux n'est pas moins démontrée par le haut prix
des fonds publics , l'avidité avec laquelle on accueille les
nouveaux projets, et cette plainte générale, qui est pres-
que la seule que l'on fasse aujourd'hui , qu'il est impossible
de tirer parti de son argent. La conséquence naturelle de
l'accroissement de la richesse publique a été la diffusion
d'une multitude de jouissances , que l'on considérait jadis
comme des jouissances de luxe, et qui sont devenues si
communes que nous ne les caractérisons plus, aujourd'hui,
que par l'épithète adoucie et exclusivement anglaise de
confortable. C'est ce dont on peut se convaincre facilement
en voyant l'élégance des décors intérieurs de nos maisons
et toutes les aisances qui y sont réunies.
Les négocians de Londres vivaient, il y a quarante ou
cinquante ans , dans d'obscures allées , où leurs comptoirs
sont encore maintenant. A. deux heures ils dînaient à la
hâte avec leurs commis, et ils allaient ensuite se remettre à
leur pupitre, pour faire leur correspondance, qui lesoccu-
en Angleterre. 6l
pait souvent jusqu'à minuit. Les détaillans coucliaient der-
rière leurs boutiques ; leur meilleure chambre était louée
à des logeurs '•, il n'y avait guère que quelques-uns des
plus riches d'entre eux qui fussent chercher une retraite
contre le tumulte et les soucis de la cité , dans les villages
voisins d'Isliugton , d'Hackney et de Camberwell. Mais ce
qui est bien remarquable, c'est qu'aujourd'hui que le luxe
de toutes les classes de marchands a tant augmenté à Lon-
dres, que leur nombre est triplé, et qu'ils font dix fois plus
d'affaires qu'ils n'en faisaient auparavant , les banqueroutes
ont éprouvé proportionnellement une diminution considé-
rable. Voici quelle en a été la quantité moyenne, à quatre
époques différentes.
Quantité moyenne en 1791, 1792, 1793 816
/i^. en i8oi , i8o2, i8o3 ,,.. 1,168
Id. en 181 1, 1812, i8i3 2,228
Id. en 1821 , 1822 , 1823 i)i34
En même tems que la richesse de la population des villes
s'augmentait, une amélioration très-sensible se faisait re-
marquer, à plusieurs égards, dans ses mœurs et dans ses
habitudes. On s'enivre beaucoup plus rarement le matin,
et les tavernes ont diminué plus rapidement encore que le
nombre des habitans ne s'est accru. Les plaisirs des Anglais
sont maintenant plus raisonnables et plus sains que ceux que
leurs prédécesseurs de la génération dernière allaient cher-
cher dans les clubs, dans les estaminets, et auxquels ils
consacraient une si grande partie de leur tems et de leurs
économies.
Les campagnes ne présentent pas un aspect moins satis-
faisant. Tandis que les fermiers substituaient le travail de la
tête à celui des mains, ils changeaient aussi la veste ronde
du laboureur contre des vêtemens plus appropriés à leur
nouvelle situation. Les femmes, qui contribuent si puis-
samment à lamélioration des habitudes sociales , sont au-
II. 5
6a Des progrès de la richesse nationale
jourd'liui, dans celte classe, beaucoup mieux élevées, et
elles ont assez d'agrémeus pour déterminer leurs maris et
leurs frères à revenir plus sobres et plus promplement des
foires et des marchés. L'auberge du village a cessé d'être
plus propre et plus commode que l'habitation du fermier.
Il n'en était pas de même jadis •. nous nous rappelons qu'il
n'y a pas encore quarante-cinq ans qu'on vit, pour la pi-e-
mièro fois , un tapis de pied et un parapluie , dans une petite
ville située, tout au plus, à cent milles de Londres. Eu allant
visiter cette même ville, l'été précédent , nous pûmes nous
convaincre que la plupart des maisons , même celles des
petits marchands , étaient pourvues maintenant du premier
de ces meubles, et que presque tous les habitans possédaient
le second. Le sol des meilleures maisons de la campagne
était alors pavé avec de la pierre ou avec de la brique , et le
meuble le plus uécessai're était un grand banc avec un dos
élevé , pour protéger la famille contre le vent qui pénétrait
de toutes parts à travers les trous et les crevasses des murs.
Les maîtres buvaient dans des gobelets de corne et man-
geaient dans des assiettes d'étain , et les serviteurs dans des
assiettes de bois. Vous trouverez aujourd'hui , dans les
mêmes maisons, des tapis, de la porcelaine et des glaces.
Cette classe respectable de la société , qui afferme une
partie de ses terres, et qui cultive l'autre , celle des gen-
tilshommes de campagnes, n'a pas moins amélioré son genre
de vie. Les effets des progrès du commerce et des fabri-
ques , sur la propriété foncière , ont plus que doub'é leur
revenu dans les quarante dernières années. Le champ plus
étendu que présentent aujourd'hui les professions libérales ,
les mettent à même de placer plus aisément leurs fils, aux-
quels ils font donner une bonne éducation , et les condi-
tions favorables auxquelles ils se procurent de l'argent , en
hypothéquant leurs terres , leur permettent d'établir plus
convenablement leurs filles.
en Angleterre. 63
Parmi les fabricans , il y en a plusieurs qui possèdent
des fortunes de prince, honorablement acquises. D'autres,
en plus grand nombre, quoique dans une situation infé-
rieure, augmentent incessamment leurs capitaux, et pro-
curent du .travail et des moyens d'existence à des milliers
d'individus. Nous avons fait connaître plus haut les pro-
grès de la civilisation de Birmingham, de Manchester, de
Leeds et de quelques autres villes où sont établies les plus
importantes de nos manufactures. Il v a quarante ans oue
nous étions parfaitement informés des fortunes qui s'y
trouvaient et du genre de vie de leurs diverses classes d ha-
bitans. Il nous serait impossible de peindre la surprise que
nous avons éprouvée , pendant le cours d'un voyage tout
récent que nous y avons fait , après une longue absence, en
voyant les ctonnans changemens qui s'y sont opérés. Nous
ne parlons pas des nombreux individus dont les pères et
les gi'and-pères étaient à peine sortis , à notre connaissance
personnelle, de la classe des prolétaires, et qui possèdent
actuellement des établissemens magnifiques , car les exem-
ples particuliers ne prouvent rien ; mais il serait difficile
de ne pas être frappé de l'énorme accroissement àes bâ-
timens , de l'amélioration générale de leur construction ,
et de la somme d'aisances dont jouissent ceux qui y logent.
Le travail doit précéder la jouissance , et, avant que les
fruits de la terre soient cueillis , ils faut qu'ils soient trem-
pés de la sueur de ceux qu'ils sont destinés à faire vivre.
Dans les sociétés les plus policées , comme dans celles qui
ont fait le moins de progrès, il doit nécessairement y avoir
des individus occupés à porter l'eau , à fendre le bois , en
un mot à toutes ces professions qui exigent plus de vigueur
que de talent et d'habileté. Cependant , il n'en est pas moins
vrai que le taicnl et Thabi'eté tendent constamment à faire
sortir des dernières classes un certain nombre d'individus,
pourles mettre dans une situation supérieure à celle de leurs
64 Des progrès de la richesse nationale
pareils. A mesure que ces individus s'avancent , d'autres^
qui étaient au-dessous d'eux , viennent prendre les places
qu'ils laissent vides , et ce mouvement graduel se prolonge,
chaque rang s'avançant toujours davantage , et se recrutant
dans les rangs immédiatement inférieurs.
Il suffit d'invoquer ses propres souvenirs pour se con-
vaincre des heureux changemens qui se sont opérés dans le
sort des dernières classes du peuple , et de l'étendue de la
part qu'elles ont prise aux avantages qui sont résultés pour
la nation, des progrès des différentes branches de notre in-
dustrie. L'un des premiers de ces avantages est, sans con-
tredit , la propreté , qui a eu une si grande influence sur la
santé , et par conséquent sur la longévité des habitans de
la Grande-Bretagne. La nature et la qualité des alimens
que ces classes consomment, ont été également fort amé-
liorées.
Au commencement du règne du feu roi , le pain d'orsfe ,
d'avoine et de seigle , était la nourriture universelle du
peuple. En 1764 , la quantité d'orge que produisait l'Angle-
terre, était égale à celle du froment : elle n'en fait pas
le tiers aujourdhui , quoique la proportion, convertie eu
drèche, se soit beaucoup augmentée. Sir Frederick. Morton
Eden dit qu'il y a cinquante ans , on mangeait si peu de
froment , dans le comté de Cumberland, qu'il n'y avait que
les familles riches qui en consommassent un quart de bois-
seau. Il en était de même , à cette époque, dans les comtes
de l'ouest. L'usage du froment est plus ancien dans ceux
qui sont voisins de la capitale, et il s'est répandu graduelle-
ment, à niesure que la richesse a circulé du centre aux ex-
trémités.
L'augmentation de la consommation de la viande de
boucherie , dans une proportion plus forte que l'accroisse-
ment de la population, est une preuve certaine que les
classes inférieures en consomment plus qu'autrefois. Voici
en Angleterre . 65
quel a été le poids moyen des bestiaux vendus à Londres
eu 1702 et 17^4 '-
Livres. Livres.
En 1733.. . veaux et bœufs, 870 moutons, 28
1794 Id. , 462 Id. , 35
Il paraît constant qu'aujourd'hui, le poids moyeu du veau
etdubœufestde 800 livres, et celui des moutons de 80. -Mais
l'augmentation, dans la quantité des bestiaux tués chaque
année, a été encore bien plus considérable que celle de
leurs poids, car, tandis que la population a augmenté de
78 p. "/o , depuis 1764 jusqu'en 1824 > ^^ consommation de
la viande de boucherie s'est accrue de ii5 p. °l^. Il y a
eu, en outre, un accroissement correspondant dans la con-
sommation du porc frais et du porc salé , du fromage et
du beurre.
L'usage du thé et du sucre, si heureusement substitué
à celui des liqueurs fermentées , a aussi concouru à amé-
liorer la condition du pauvre , eu rendant moins commune
l'ivresse, autrefois l'une des causes principales des habi-
tudes prodigues , indolentes et grossières , qui existaient
dans les dernières classes de la nation. La consommation
de ces deux articles s'est accrue, en même tems, que la po-
pulation , mais dans une proportion beaucoup plus forte ;
car, tandis qu'elle a doublé , le nombre des consommateurs
ne s'est augmenté que de moitié.
Les habitations du pauvre ne se sont pas moins amélio-
rées que ses alimens. Pour s'assurer de ce progrès , il n'est
pas nécessaire de remonter aux anciennes époques de notre
histoire , lorsque la grande masse du peuple vivait dans des
baraques de bois , sans vitres et sans cheminées. Nous
voulons parler d'un tems dont plusieurs d'entre nous peu-
vent se souvenir. Il n'y a pas encore beaucoup d'années que
les habitations des campagnes n'avaient d'autre sol que ce-
lui que la nature avait formé j et qu'un mélange de chaux
66 Des progrès de la richesse nationale
et de sable était considéré comme un grand luxe, par les voi-
sins de ceux qui en jouissaient. Les murs en torchis étaient
rarement revêtus de plâtre j et, lorsque ces maisons avaient
un étage , ou n'y montait que par une cclielle. Les portes
et les fenêtres ne fermaient pas assez hermétiquement pour
empêcher la neige et la pluie de pénétrer; aussi, dans les
tems humides, les inégalités du sol se remplissaient de
boue. Actuellement il est rare de trouver, dans la cam-
pagne, une maison dont les murs ne soient pas revêtus de
plaire, et le sol recouvert de pierres, de briques ou de
planches; qui n'ait pas des portes ou des croisées bien closes,
et uu escalier pour conduire aux chambres supérieures.
Les meubles et les ustensiles domestiques sont en plus
grand nombre et de meilleure qualité. Au lieu de coucher
sur une paillasse, les paysans reposent maintenant sur des
matelas ou (\es lils de plume, enveloppés dans des draps
et dans plusieurs couvertures quelquefois en piqué de coton.
Des chaises de paille ont été substituées aux tabourets et
aux bancs de bois , et la marmite est maintenant accom-
pagnée d'un gril, d'une poèle à frire et de plusieurs cas-
seroles. Plus d un lecteur trouvera sans doute ces humbles
détails bien ridicules ; mais que ceux qui lisent avec dédain
Tenumération de tous ces petits meubles, voyagent dans
les pays qui en sont dépourvus , et ils ne tarderont pas à
s'apercevoir de toute leur importance.
Un changement non moins satisfaisant s'est opéré dans
les vetemens des classes inférieures. Ces habits de droguet,
ordinairement si malpropres, que portaient autrefois les
hommes et les femmes, ont été remplacés par d'autres
plus fuis et plus fréquemment renouvelés. C'est probable-
ment une des causes de l'immense accroissement de la con-
sommation de savon, qui, dans le cours de quarante ans,
s'est élevé graduellement de trente-cinq à qualre-vingt-
quiuze milliei's de livres pesant.
en Angleterre. 67
Il résulte de calcnls sur l'exactitude desquels nous
croyons pouvoir compter, que, dans la Grande-Bretagne,
le nombre des individus possédant un revenu quelconque,
est au nombre de ceux qui n'ont aucun moyen d'existence
que leurs bras ou la charité publique , comme deux est à
un . proportion qui auparavant n'a jamais existé dans ce
pays , et qui , aujourd'hui même, n'existe dans nulle autre
contrée de l'Europe.
Dans les tems antérieurs , l'attention des savans était ab-
sorbée par des recherches purement spéctilatives ; mai.s
actuellement, beaucoup d'entr'eux occupent la sagacité de
leur esprit à découvrir de nouveaux agens ou à perfec-
tionner ceux précédemment découverts , pour ménager
l'emploi des hommes et des animaux dans les travaux mé-
caniques. Plusieurs de ces tentatives échoueront sans doute,-
mais cependant le résultat définitif et infaillible de ces ef-
forts, doit ctre d'affranchir de plus en plus l'espèce hu-
maine de l'obligation de se livrer à des travaux dégoûtans
ou pénibles 5 et, de cette manière, d'élever graduellement
les différentes classes de la société. Par des considérations
analogues , nous ne saurions donner trop d'éloges au désir
que l'on témoigne d'améliorer l'éducation du peuple. Le
plan de l'institution nationale est certainement un des
plus vastes et des mieux combinés qu'on ait encore con-
çus , pour atteindre ce but , et nous ne doutons pas que
cette société ne rende d'éminens services au pays , eu
inculquant aux individus des classes inférieures , dès leur
premier âge, l'esprit d'ordre et d'économie; en leur- don-
nant le goût de la lecture , en même tems qu'elle leur
procurera les moyens de le satisfaire ; et en leur faisant
sentir tout le prix de nos institutions civiles et religieuses.
Toutes les prospérités dont nous venons de dérouler le
magnifique tableau , ont été obtenues sans le secours de nos
théoriciens poUtiqucs et de aos réformateurs, et en dépit
68 De la liberté du commerce.
de leurs sinistres proplicties. Notre monarque est tonjonrs
investi de sa haute dignité et du pouvoir nécessaire pour
faire exécuter les lois. La pairie est encore en possession
de ses prérogatives hérédiitaires , et l'on n'a pas réorganisé
la chambre des communes. Les électeurs conservent leurs
anciennes franchises. Les terres des grands propriétaires
n'ont pas été partagées. Ce sont des hommes bien nés et
bien élevés qui continuent d'occuper les chaires de nos
églises. Aucune portion de la dette publique n'a été con-
fisquée, et nous n'avons pas renoncé, comme on nous le
conseillait, à nos possessions lointaines. D'après cela, nous
croyons que nous ferons bien de nous en tenir , jusqu'à
nouvel ordre, à nos vieilles institutions, et d'ajourner encore
les expériences que ces messieurs voudraient faire subir au
corps politique. ( Quarterly Ref^iew. )
ECONOMIE POLITIQUE.
DE LA LIBERTE DU COMMERCE , ET DE L EXPORTATION
DES MACHINES.
Nos lecteurs n'ont pas oublié , sans doute , qu'au com-
mencement de la session dernière, un comité de la cham-
bre des communes fut désigné pour faire des recherches
sur les lois relatives aux coalitions d'ouvriers , à leur
émigration et à l'exportation des machines. Après avoir
consulté une foule de témoins , dont les dépositions rem-
plissent plus de 600 pages in-folios , le comité adopta cer-
taines résolutions qui furent soumises au jugement de la
De la liberté du commerce. 6g
chambre. La teneur de ces résolutions , en ce qui regarde
les coalitions et les émigrations d'ouvriers, avait pour but
la révocation des lois existantes , comme tout-à-fait préju-
diciables. En conséquence , ]M. Hume proposa des bills de
révocation , qui furent unanimement adoptés. Le comité
ne proposa rien de positif, relativement à l'exportation
des machines. Voici quelle fut sa conclusion:
« Votre comité a examiné la question relative à l'expor-
» tation des machines, avec le plus grand soin 5 mais il
» pense qu'une nouvelle enquête et des recherches plus
-" approfondies sont nécessaires, avant de prendre une réso-
y> lution définitive sur cet objet important. Il est d'avis
» de renvoyer l'examen d'une question aussi grave à la
» prochaine session du parlement. »
Le bien que nous avons vu faire à l'administration ac-
tuelle , et ce que nous connaissons déjà du talent et de la
persévérance de M. Hume, auquel le public a de si grandes
obligations , nous font présumer que celte importante ques-
tion ne sera pas perdue de vue. Nous différons, cependant,
en un point, du sentiment du comité. Il nous a semble,
après avoir lu attentivement les différens rapports , que
l'examen de nouveaux témoins n'aboutira qu'à faire perdre
du tems. On a recueilli un grand nombre de témoignages j
il ne reste plus maintenant qu'à les peser et à prendre une
décision.
D'après la législation qui est actuellement en vigueur ,
l'exportation de certaines machines est défendue, et celle de
plusieurs autres est permise. Le témoignage de M. Place, et
d'un grand nombre d'hommes éclairés , établit, d'une ma-
nière incontestable, qu'il est impossible de définir les arti-
cles prohibés ou non prohibés avec assez d'exactitude, pour
qu'un officier de la douane en puisse reconnaître la diffé-
rence. M. Place a fait voir comment la loi était continuel-
lement éludée j et MM. Boy d, Wilmot, Hume et Saint-
70 De la liberté du commerce.
John, très- versés dans les matières de douanes, ont déclaré
que son action était presque toujours impuissante. Mais l.i
nature de la loi , et ses motifs d'abrogation, sont de peu
d'importance. Notre objet est d'examiner si le principe en
est admissible , c'est-à-dire , s'il convient réellement de
s'opposer à l'exportation des machines.
Les partisans de la loi actuelle, et de la nécessité de la
rendre plus sévère encore , se fondaient principalement
sur ce qu'il y aurait du désavantage pour nos manufactures
à fournir aux étrangers des machines qui les mettraient en
position de vendre leurs produits à ineilleur marché que
l'Angleterre. Cet argument a été répété par MM. Harri-
son, Yates, Hawey , Osier, Brunton et plusieurs autres;
ils ne le faisaient pas valoir en faveur d'une seule espèce de
manufactures , mais dans l'intérêt de toutes. Ces écrivains
paraissent avoir adopté pour principe , que nous devons
être la seule nation manufacturière du globe, et que nos
importations ne doivent consister qu'en matières pre-
mières. D'un autre côté, le but des gentilshommes de cam-
pagne est de faire de nous une nation agricole , et de s'op-
poser avec énergie à l'importation de ces mêmes matières;
de sorte qu'entre ces deux extrêmes , notre commerce exté-
rieur se bornerait à l'importation des produits étrangers au
sol anglais , et à l'exportation des produits de nos manu-
factures , suffisaus pour payer les matières importée^ Cha-
que classe s'attache exclusivement aux moyens d'augmenter
sa prospérité particulière, sans réfléchir que le véritable
moyen d'arriver à un résultat utile, est de savoir comment
on pourra faciliter au public la plus grande consommation
de produits manufacturés et agricoles.
La doctrine de la liberté du commerce devient si popu-
laire, et ses principes sont si universellement reconnus par
ceux qui n'ont pas d'intérêts privés à leur opposer, que la
plupart des lecteurs seront tentés de les admettre sans
De la liberté du commerce . 71
autre examen. Mais nons ne nous regarderions pas comme
de vrais amis de celle liberté , si nous refusions d'écouter
toutes les objections individuelles , et d'examiner tous les
cas en faveur desquels la suspension ùe la règle générale
est demandéel L'exportation des machines est un de ces
cas. La question à résoudre est donc de savoir s'il peut
exister, pour défendre aux étrangers d'acheter nos ma-
chines , d'autres raisons que celles qui nous ont déterminés
à leur permettre d'acheter nos produits ordinaires.
L'avantage qui résulte du commerce extérieur est tout
entier dans le nombre et la variété des importations. Cette
vérité n'a pas besoin d'être démontrée. I..es exportations
qui ne sont pas suivies de retours , sont évidemment des
perles. Si nous pouvions obtenir pour rien les marchandises
étrangères, nous pourrions a'ors consommer, non-seule-
ment ces marchandises , mais encore toutes celles, que nous
aurions produites , dans l'intérieur, pour en payer l'impor-
tation. Aussi, pour justifier la défense de l'importation des
machines, faudrait-il prouver que nos autres exportations
et surtout nos importations seraient augmentées par cette
mesure prohibitive? Une diminution d'exportation, l'im-
portation restant la même, serait un bien au lieu d'un mal.
Nous devons rechercher, en conséquence, si la tendance
des machines à s'établir au dehors , serait une cause ca-
pable de diminuer la masse de nos importations.
Cela posé, et le but du commerce extérieur étant de
favoriser l'importation, il suit que la seule raison pour la-
quelle une nation exporte , c'est qu'en agissant ainsi , elle
se procure plus facilement que par aucun autre moyen un
plus grand nombre d'objets de consommation. Si cent jours
de travail, en Angleterre, produisent 1,000 aunes de sole
et 2,000 aunes de coton, tandis qu'en France la même
quantité de travail donne 2,000 aunes de soie et seulement
7 a De la liberté du commerce .
i,0oo aunes de coton, il est de Tintérêt des deux nations
que le coton d'Angleterre soit échangé contre la soie de
France. Si, dans une circonstance donnée , et au moyen de
quelqu'invention utile, telle qu'une machine à vapeur, cent
jours de travail produisent, en Angleterre , 2,000 aunes de
soie et 4,000 de coton, et en France seulement 2,000 aunes
de soie et 1,000 aunes de coton, comme dans Thypothèse
précédente, il sera encore dans l'intérêt des deux pays que
les cotonnades anglaises soient échangées contre des soieries
françaises. Les fabricans de l'une et de l'autre nation, en
se bornant au genre de production dans lequel ils excel-
lent, peuvent produire 4,000 aunes de soie et 8,000 aunes
de coton ; mais si , dans un accès de jalousie , ils se refu-
sent mutuellement les avantages d'un échange commercial ,
le produit total des deux contrées sera seulement de 4»ooo
aunes de soie et 5,ooo de coton; la perte commune, à
partager , étant de 5, 000 aunes de coton , chaque nation
en aura perdu i,5oo. L'invention des machines à vapeur,
par les Anglais, ne saurait être un motif raisonnable pour
les Français d'interrompre avec eux leurs relations mer-
canli'es: loin de s'en plaindre, ils devraient au contraire s'en
féliciter. Depuis cette invention, ils se procurent, en échange
de leurs soies, une plus grande quantité de tissus de coton
que par le passé. Mais, supposons que les Français profitent
à leur tour de ce puissant moteur, dont l'utilité nous semble
égale dans la fabrication des soieries et des cotons ; faut-il
on conclure que les Anglais seront ruinés ? — Précisément
le contraire ; les Français , avec le secours de la machine ,
peuvent produire 45OOO aunes de soie et 2,000 aunes de
coton •■, les Anglais 4, 000 aunes de coton et 2,000 aunes
de soie ; ou bien , si chaque nation se renferme dans le
genre de fabrication qui lui est pi'opre , leurs travaux réu-
nis donneront 8,000 aunes de coton et 8,000 aunes de soie.
De la liberté du commerce. 7 3
Les Anglais auront ainsi, pour leur consommation , 4,000
aunes de colon et 2,000 aunes de soie (i). Avant que la
machine à vapeur fut introduite en France , ou n'y produi-
sait que 2,000 aunes de soie ; maintenant on en produit
4,000. Il est donc évident que la fortune publique s'aug-
mentera dans la Grande-Bretagne, par l'accroissement des
moyens de production qu'elle pourra introduire chez les
nations voisines.
Ce qui a surtout contribue à faire maintenir les lois
prohibitives de l'exportation des machines , c'est qu'on se
représente les deux pays, non point comme deux so-'
ciélés qui se rendent mutuellement service, mais comme
deux rivaux dangereux l'un à l'autre. Pour donner quel-
qu'apparence de réalité à cette hypothèse , on introduit
une troisième nation qui est suppposée le théâtre de la riva-
lité des deux autres. Par exemple, si la France et l'Angle-
terre, au lieu de commercer exclusivement ensemble, trai-
tent isolément l'une et l'autre avec l'Amérique du Sud , on
prétend qu'il s'opère un changement dans leurs relations
mutuelles. Ou suppose qu'il n'est plus de leur intérêt com-
mun d'augmenter leur puissance respective de production,
mais qu'il leur importe au contraire , individuellement, de
se nuire dans la carrière des améliorations. La valeur de
cette proposition mérite d'être examinée séparément.
Supposons, comme ci-dessus, que cent jours de travail
produisent, en Angletere , 2,000 aunes de coton et 1,000
aunes de soie ; et , en France , 2,000 aunes de soie et i ,000
aunes de coton. Admettons que ces deux pays commercent
avec le Brésil , où l'on peut changer contre un quintal de
sucre une aune de coton ou de soie. Il est évidemment de
(i) La déduction nécessaire des frais de transport d'un pays à l'au-
tre, a, été volontairement omise, pour ne point gêner le développe-
ment de la proposition. Le lecteur peut aisément y supple'er.
y 4 D^ ^ liberté du aommerce.
l'intérêt de la France et de l'Angleterre que la France pro-
duise de la soie , et l'Angleterre du coton , comme moyens
d'obtenir du sucre. Si , à l'aide des machines à vapeur ,
cent jours de travail , en Angleterre, peuvent donner 4,ooo
aunes de coton et 2,000 aunes de soie , tandis que cent jours
de travail , en France, ne produisent que 2,000 aunes de
soie , et i ,000 aunes de coton , il est encore avantageux pour
l'Angleterre d'acheler des soies françaises pour les exporter
au Brésil , et de l'intérêt de la France d'acheter du coton
en Angleterre, pour la même destination. Assurément, il
est, dans cette hvpothèse, très-désirable pour les Anglais que
les Français puissent , au moyen de la machine à vapeur,
leur fournir une plus grande quantité de soie en échange
de leurs cotons. Si les demandes du Brésil consistent en soie-
ries , les Anglais n'auront-ils pas les moyens de s'en pro-
curer deux ou trois fois davantage, pour acheter du sucre,
lorsque la machine à vapeur aura mis les Français en état
d'en augmenter la production ? et si le Brésil demande du
coton , les Français ne donneront-ils pas une quantité
double de soierie en échange du coton, qui leur manque,
pour acheter aussi du sucre? L'Angleterre a besoin de
sucre (i) j la France en a également besoin, et, à moins
de croire que l'une de ces nations puisse fermer à l'autre
toute communication avec le pays qui produit cette denrée,
il est absurde de supposer que le sucre ne sera pas acheté
avec quelque chose. Tant que les Français importeront du
sucre , ils seront obligés d'exporter , pour le payer, des
(i) Il est digne de remarque, que lorsque nous cherchions à oh—
tenir dans l'Ame'rique du sud le monopole des marchandises manu—
faclurées , l'importation des deux principales denrées de ce pays , le
sucre et le café , soient expressément défendus en Angleterre. Nous ne
voulons pas acheter aux Brésiliens deux de leurs produits exportables,
et quand ils en disposent en faveur d'autres étrangers, nous trouvons
sTiauvais que ces étrangers nous supplantent.
De la liberté du commerce . n5
produits de leurs manufactures, ou des manufactures étran-
gères , achetés avec ceux de leur propre industrie. La
défense de l'exportation des machines n'empêchera pas les
Français d'être nos coucurrens avec succès . en vendant à
meilleur marché que nous plusieurs de leurs denrées.
Une différence dans la facilité relative de la production
est essentielle pour les échanges. Le fermier du comté
d'Essex et le fabricant du comté d'York commercent en-
semble, parce que l'un et l'autre produisent le grain et
le drap avec des avantages réciproques. L'Européen et
l'Américain sont dirigés par les mêmes motifs dans leurs
relations commerciales , et si le préjugé se dissipait , si la
prohibition était abolie, le même intérêt rapprocherait les
Français et les Anglais. Non seulement tout le monde com-
merçant voudrait profiter de l'accroissement des moyens
de production , mais !es avantages résultant de l'accrois-
sement de ces moyens , dans un seul pays , seraient sentis
dans les autres. Chaque pays a intérêt à la prospérité gé-
nérale , qu'il ne saurait manquer de partager. Si les argu-
mens en faveur des réglemeus prohibitifs étaient pré-
sentés par une classe de manufacturiers, ou par chaque
classe, en faveur d'elle-même, elle aurait cherché au
moins à se procurer un bénéfice qui eût quelqu'appa-
rence de réalité ; elle aurait voulu sacrifier l'intérêt public
à son propre intérêt. Si un marchand , ou un corps de
marchands , s'efforçaient d'obtenir quelques dispositions
restrictives, quelque privilège exclusif, nous compren-
drions fort bien leur butj mais ils ne retireraient aucun
avantage d'une application générale des lois prohibitives.
Leurs bénéfices personnels , eu qualité de monopoleurs ,
seraient plus que compensés par leur participation aux
pertes publiques. Au reste , il n'est pas surprenant qu'une
société de négocians , qu'une corporation ait de la ten-
dance à sacrifier l'intérêt général à son avantage jiarticu-
76 De la liberté du commerce.
lier. Mais que penserons-nous d'une prétention qui ne tend
à rien moins qu'à sacrifier, à de petits calculs personnels,
le sort des différentes branches dont se compose le com-
merce de la nation tout entière? Des raisonneurs de ce
genre ne méritent que les Petites-Maisons. Nous compre-
nons aussi comment chaque classe de fabricans de coton,
de soie, de laine , de toile , ou de quincaillerie , peut cher-
cher à tromper la législature , et à lui faire croire que ce
qui est utile à sa prospérité individuelle , doit être néces-
sairement trcs-avantageus. au public. Nous concevons sans
peine qu'un fabricant de coton puisse espérer, mal à pro-
pos sans doute , de se procurer une plus grande quantité
de soie , de toile et de quincaillerie pour son coton , en
détruisant à l'étranger une manufacture rivale, et que les
fabricans de soie et de laine aient de pareilles espérances ;
mais 11 est trop déraisonnable qu'ils cherchent à se priver
collectivement des avantages du commerce extérieur.
Parmi les personnes consultées par le comité , il en est
qui n'ont rien épargné pour lui persuader de conserver
leurs lois favorites. Les salaires des ouvriers, disait-on,
sont beaucoup moins élevés sur le continent , et surtout
en France; donc nos manufactures ont besoin de protec-
tion. D'accord avec ces personnes sur le but , nous diffé-
rons entièrement sur le choix des moyens ; nous croyons
que le meilleur qu'on puisse employer pour favoriser les
développemens de l'industrie nationale, c'est de faire en
sorte que les individus puissent rendre leur travail aussi
avantageux que possible. Si l'Angleterre exporte en France
dix espèces de denrées en retour desquelles la France lui
en envole dix autres , il importe peu à l'Angleterre que
les salaires, en France , soient médiocres ou élevés, que ses
ouvriers habitent des palais ou des chaumières. Quel que
soit le taux des salaires , les motifs- d'échange restent les
mêmes. Dix pièces de produits sortent de France et d'An-
De hi Jiherti'- du cnmmercf. "j-j
r,îel(M-:'e v>.\qc tîcs avantages récipi-oques ; il est piu- coii-
séqiu^nt de rintcrcS; véritable des deux nations de Ses
échangf-r.
Ea admettant que le prix du travail soit plus cher en
Angleterre qu'en France, cette considération ne saurait
être un argument contre la iiherlé du commerce. IKest
bien connu que les gages des ouvriers sont moins élevés
en Irlande qu'en Angleterre. Les relations commerciales
en sont-elles pour cela moins utiles aux deux royaumes ?
Les Irlandais importent nos laines, et le fait peut paraître
étonnant, quoique leurs ouviiers soient moitié moins payés
que les nôtres. lie bas prix des sa'aires ne doit pas être
exc'usivement rapporté aune seule branche de produc-
tion , mais à toutes. Ce serait un état de choses fort
curieux, en vérité , qu'un pays où les salaires sont modi-
ques , imaginât de fournir gratis , à ses voisins , les pro-
ductions qui leur manquent. Jusqu'à ce que cela soit ainsi,
cependant, il y aura un commerce extérieur, indépendant
du taux des gages, à moius que tout rapport commercial
soit interdit.
Un observatevir profond du cœur humain a remarqué que
lorsque les hommes étaient sous l'influence J'une crainte,
ils se précipitaient d'autant plus dans 'e danger, qu'ils en
étaient plus eftrayés. Ijes Anglais redoutent que les étran-
gers ne nuisent à leur commerce. Le moindre bruit les
épouvante. S'ils voient un étranger A'endre à meilleur
compte qu'eux-mêmes , ils se croient près de' leur ruine ; la
seule idée d'uae concurrence étrangère leur paraît le plus
grand des malheurs. Un maçon pourrait tout aussi bien
s'alarmer de ce que son boulanger aurait traité avec le
boucher à des condiliouà plus favorables que lui , et faire
cuire son pain , en laissant au boulanger le soin de bâtir
son {owv. Pour couronner l'œuvre, il ne manquei'ait plus
.TU boucher que de leur fermer sa porte et de savourer,
II. 6
•y 8 De la liberté du commerce.
en vrai monopoleur , la tlouble jouissance tle réparer sa
maison et de faire pétrir son pain. Il est assez extravagant
de vouloir profiter des bénéfices du commerce extérieur ,
et d'être jaloux de l'industrie étrangère au point de cher-
cher à la paralyser. Une nation qui veut faire d'immenses
importations , et qui dérobe avec soin aux autres les pro-
cédés les plus simples et les plus capables de leur procurer les
produits susceptiJdes d'être exportés , peut être comparée
au propriétaire d'une mine , qui , sachant et le gisement et
la direction des plus riches filons , en cacherait la connais-
sance à ses ouvriers , et les laisserait en proie à des diffi-
cultés de son invention, ou à un homme affamé qui va au
marché et qui dispute avec le détaillant , tout prcL à lui
servir de bons et uliles alimens (i).
Nous en avons dit assez pour satisfaire ceux même qui
sont peu habitués aux raisonnemens sur lesquels est fondée
la doctrine de la liberté du commerce , et pour leur prou-
ver que l'exportation des machines ne doit pas être pro-
hibée. Nous sommes persuadés que leur usage plus rép;indu
à l'extérieur doit plutôt contribuer à augmenter qu'à dimi-
nuer la richesse natiouale. Il faut espérer qu'on n'aura plus
rien à dire pour achever de convaincre la majorité des fa-
brlcans. Il y en a cependant quelques-uns parmi eux, et
ce sont ceux qui ont été consultés par le comité , dont on
u'ose espérer la conviction. Nous leur adresserons une
dernière observation.
On a déjà reconnu que toute tentative de défendi'e l'ex-
portation de certaines machines , taudis qu'on tolère celle
(i) Note du Tr. Le paragraphe contient , sous une l'orme ironi-
que, les ve'rite's les plus intéressantes île léconomie politique. Le
lecteur ne saurait les me'diler avec trop de soin ; tout notre avenir com-
mercial en dc'pend. Voilà la vraie philosophie du commerce; philoso-
phie pratique , destinée à changer la face du globe , et à faire de tous
SCS habit;)ns une immense famille- Ad. 13.
De la liberté du cnntmerce . 79
(le beaucoup d'autres , doit être infructueuse et ne saurait
aboutir qu'à encourager la fraude et les fausses déclarations.
Maintenant, n'est-il pas possible qu'un cbargcment de ina-
cbines, dont la direction serait indiquée pour une partie du
monde , soit envoyé dans une autre? Nous avons appris der-
nièrement, qu'un négociant voulant importer de la gom,me,
du Hâvre-de-Grâce , fut obligé , d'après notre étrange
législation , de l'envoyer d'abord à New-York, d'où la réex-
portation est permise en Angleterre. Si une niaclilne est
déclarée en expédition pour l'Amérique du sud , un mar-
chand habile à saisir les occasions favorables, nepourrait-il
pas l'exporter eu France , par la vole du Pérou ou du
Chili ? Ou trouve du fer de Suède et de Russie dans toutes
les parties du continent , tandis qu'en Angleterre il vient
d'être défendu par une loi Insensée. Le fer est le principal
élément de la fabrication des machines ; nos ouvriers ont
aujourd'hui la liberté d'émigrer par détacbemens : par con-
séquent les étrangers peuvent fabriquer eux-mêmes leurs
machines sans beaucoup de difficultés. Si donc l'usage ne
peut manquer de s'en répandre, le meilleur parti que puisse
prendre l'état dans cette circonstance, n'est certainement
pas d'empêcher nos capilallsles d'en faire fabriquer j et si
l'emploi des machines, chez l'étranger , doit porter préju-
dice à quelques-unes de nos manufactures , pour compenser
cette perte, faisons-nous fabricans de macliines.
( Westminster B.ei>iew, )
LITTÉRATURE.
OEUVRES DE FREDERIC SCHLEGEL.
Dix volumes. Vienne, i823-i8a4, fom. — i et -j.
Frédéric Schlegel est le frère de Gnillaume-Augusle
Schlegel , très-connu en Angleterre comme traducteur de
Sbakspeare j comme ami de M^^ de Staël, et comme un des
philologues les plus distingues de noire époque, Frédéric
naquit à Hanovre, en 1772, et, quoique destiné au com-
merce, il reçut une excellente éducation. Placé, à l'âge de
seize ans, dans une maison de banque, à Ijcipsick, le contraste
enîre ses premières éludes et la monotonie de sa nouvelle
existence, lai rendit l'instruction plus chère, et augmenta
singulièrement en lui cette aversion pour le commerce ,
déjà tant de fois éprouvée par plus d'un jeune homme
avide de gloire. Bientôt il se dégoûta complètement do ses
occupations habituelles, et il s'adonna tout entier à l'étude.
C'était précisément à l'époque où la littérature et les
sciences étaient cultivées avec la plus grande ardeur en
Allemagne. Wieland et Herder n'étaient pas au déclin de
leur gloire ; Goethe et Schiller en recherchaient les palmes,
plutôt en frères qu'en rivaux. Wolf avait fait de la philo-
logie une science; Schelling et Fichte, élèves de Rant,
marchaient les égaux de leur maître. Tous ces grands
hommes avaient une iulluence marquée sur la jeunesse
contemporaine , et, parmi elle , on remarquait particuliè-
rement Novalis Tieck et Schlegel. Frédéric Schlegel s'a-
donna d'abord exclusivement à toutes les études qui avaient
rapport à l'ancienne Grèce; et, l)ientc)t après, il étudia
niofonclémenl le5 écrits de Goethe et de Fichte. Dans
Œiwrei de Frédéric Sch/cgeJ. 8 r
quelques-uues des opinions qu'il manifesta vers cette épo-
que , ou trouve plus d'enthousiasme que de jugement.
Peu de tems auparavant, il avait essayé ses forces comme
auteur. Il publia, en 1797 > la première partie d'un ou-
vrage très- remarquable , quoiqu'il n'ait jamais été fini ,
intitulé les Grecs et les Romains ; et , en 1 798 , il fit paraître
les poésies des Grecs et des Romains. En 1797 j son frère
Guillaume-Auguste, Tleck et lui , fondèrent un écrit pé-
riodique sous le titre ^Athénée ; les articles en étaient cités
pour la hardiesse et Toriginalilé de leurs paradoxes. Il fut
alors évident quil aimait mieux l'éclat que la vérité , et
qu'il s'occupait fort peu que sa pensée fût juste, pourvu
qu'elle fut singulière et saillante. Vers le même tems , il
écrivit le roman de Lucinde , qui était , pour l'esprit et
la forme, une copie de la Fiunirnetta de Boccace. L'au-
teur paraît avoir pensé que l'on s'amuserait beaucoup de
l'histoire de ses amours , et de la peinture exagérée de
quelques jouissances physiques finissant par la folie. Il se
trompait complètement en cela; son livre fut plus décrié
qu'il ne fut lu, et la seconde partie n'a jamais vu le jour.
Schlegel , comme plusieurs autres de ses contemporains,
préparait la voie à l'exaltation religieuse par l'éplcuréisme.
Une imagination déréglée, un désir ardent de briller , un
enthousiasme sauvage pour l'âge delà chevalerie, avaient
détourné, à l'époque où il écrivait, une foule d'hommes
très-distingués de la roule du vrai et du beau. Winkelman
abandonna le protestantisme dans des vues purement mon-
daines; mais plus tard, des poêles, des auteurs, des ar-
tistes, se firent catholiques parce que les cérémonies du
culte protestant étaient trop simples , trop peu favorables
■aux beaux-arls et à la poésie. Frédéric Schlegel fiit de ce
nombre. En 1802 , sa femme et lui renoncèrent à la com
niunion prolcstanle; ils cherchèrent des consolalions dans
le sein de IVglisc catholique.
82 Œuvres
Depuis sa*conversion , tous ses écrits ont reposé sur une
base étroite et fragile. Oa ne saurait !ui refuser une grande
supériorité de stjle ; et sa traduction des poésies latines
du moyen âge , son Lothaire , son Maller , possèdent ce
mérite au plus haut degré, quoiqu'ils soient dépourvus
d'Idées et d'invention. En 1808, lorsqu'il vint à Vienne ,
il parut avoir adopté les rcssentimens de toute T Allemagne
contre le despotisme de Napoléon. En 180g, il accompa-
gna le comte de Stadlon en Bavière , et il affecta un libéra-
lisme pronoucéj mais ce n'était point son allure naturelle,
et son véritable but était d'obtenir de la considération et des
privilèges, en défendant les opinions de roligarcliie autri-
chienne. Lorsque la campagne fut décidée en faveur de
Napoléon, il retourna à Vienne, s'unit plus intimement que
jamais avec M. de Gentz , et fut très-protégé par M. de
Metternich. Là , n'étant plus invité à ranimer le flambeau
mourant du patriotisme allemand , il reprit ses anciens
travaux, il écrivit ses leçons d'histoire moderne et celles
de littérature, qui seront plus spécialement l'objet de nos
observations. Ses doctrines et ses opinions plurent telle-
ment au prince de Metternich qui! l'envoya à Francfort ,
en qualité de conseiller de légatioii. Rappelé depuis à
Vienne , il y a constamment travaillé à étouffer le peu de
disposition des Autrichiens à l'Indépendance, au grand re-
gret de ceux qui s'intéressent k l'amélioration de l'espèce
humaine.
Nous avons cru devoir offrir à nos lecteurs celte courte
notice sur la vie deSchlegel, afm de les mettre en état de
mieux, apprécier quelques-uns de ses écrits. Son ouvrage
sur la littérature ancienne et moderne a été traduit en an-
glais, et doit avoir quelqu'influence dans la Grande-Bre-
tagne. M. Schlegel s'y montre, sans contredit, fort élo-
quent , et si sa critique manque quelquefois de profondeur ,
elle est toujours ingénieuse j il connaît parfaitement les
(le Frédéric ScUlegel. 8 >
langues , !a poésie et la philosophie des ancieus et des mo-
dernes. Mais le désir de justifier son apostasie et ses opi-
nions politiques du moment, ont donné à ses écrits une
tendance contre laquelle il est important de prémunir le
lecteur. A force d'esprit et d'éloquence , il cherche à prou-
ver , par une foule de circonstances tirées de Thistoire ci-
vile et littéraire, que leiirincipe de la monarchie absolue,
soutenue par une hiérarchie sacerdotale , est d'origine
divine.
C'est ce système que nous avons l'intention d'examiner
avec soin. On peut le regarder comme un échantillon des
moyens employée, sous la direction de quelques-uns des
gouvernemeus di' l'Allemagne, pour retenir les hommes
dans l'ignorance et dans l'erreur, en amusant leur imagi-
nation d'objets frivoles ou d'un intérêt secondaire , sous
prétexte de leur enseigner la vérité. Schlegel a l'art de
paraître désintéressé, et il écrit sans passion , quoiqu'il ne
perde jamais de vue le but de ses travaux. Il prétend domi-
ner tout sou sujet avec le plus grand calme ; son impar-
tialité apparente s'empare de la confiance du lecteur, dont
il abuse pourtant , en oubliant de citer les auteurs qui
pourraient déposer contre ses théories. D'une autre part,
les écrivains dont les principes paraissent favorables à ses
vues , sont exaltés outre mesure j leurs erreurs sont justi-
fiées ou défendues. Toutes ses considérations , quelque gé-
nérales qu'elles puissent paraître, sont toujours dictées par
les circonstances et toujours dans le but d'imposer à se6
lecteurs les opinions que le gouvernement autrichien a in-
Icrct de leur faire adopter.
IMous admettons avec lui , par exemple , que la phi;oso-
phie doit cire un des sujets traités dans une histoire litté-
raire , et que ce qui regarde l'entendement humain, y doit
occuper la place la plus importante. Nous admettons éga-
lement que là littérature perdrait beaucoup, si les hommeâ
8', G-jnrf^s
que leur itais^auce ( t leur Cortuiie appeîieut aux plus hautes
fonctions du gouvernenienl , négligeaient de perfectionner
leur esprit et s'occupaient exclusivement de leurs devoirs
publics, laissant la culture des sciences et des arts à ceux
que le sort éloigne des grands enip;ois et de l'administration
de rétat. Mais nous ne pouvons pas reconnaître la consé-
quence qu'il en tire j savoir : que les nobles sont les pré-
cepteurs naturels du genre humain, et que les autres
hommes sont nés pour en recevoir Tempreiale de leur
caractère et ia forme de leur civilisation. Nous trouvons
naturel qu'où enseigne une pareille doctrine dans les pajs
où la noblesse est en possession exclusive du gouvernement
et des fonctions les p' us éievéesj mais les lumières et la civi-
lisation feront bientôt justice de ces existences privilégiées.
Ceux qui veulent obtenir eu garder le pouvoir doivent
posséder des connaissances supérieures , et auciine classe
d hommes ne peut les acquérir en empêchant les autres
d'y atteindre.
Après avoir ainsi indiqué les principes généraux qui ont
guidé la plume de l'auteur, nous exposerons avec briè^'eté
le précis de quelques-unes de ses leçons. Dans la première,
il examine la poésie des Grecs , avant l'époque de Socrate ;
et dans la seconde, leur littérature et leur philosophie,
pendant les tems postérieurs. Il remarque très- Justement
« que nos idées actuelles et nos connaissances sont tellement
« dérivées de celles des anciens , qu il est difficile déparier
n de littérature sans commencer par eux. » Homère, selon
lui , avait un pressentiment de la révélation , tandis que
Hésiode lui jsaraît disposé au matérialisme.
Pindare , accusé par les anciens d'avoir montré trop d at-
tachement pour les Perses, est déiéndu par M. Schlegel,
de manière à pi'ouver que ce critique regarde comme ime
vertu le défaut de pati'i<;lisme, s'il est remplacé par l'ad-
niiralio)! portée à un souver.iin riratiger. « Le rei)rocht'
lit: Frédcn'c Schlegel. 85
j) fait à Plndare , dit-il , peut cire facilement expliqué. Il est
» évident, par ses poésies , qu'il n'aimait pas la domination
» populaire qui avait occasioné des troubles fréquens dans
» la Grèce. Parmi les tribus doriques , le pouvoir des
» nobles était très-grand , et il régnait beaucoup d'atta-
« chenienl pour les formes mouarcliiques. Dans l'apli-
» quité , la domination de l'aristocraUe ne se montra Jamais
» sous un point de vue si brillant que chez les Perses ; et,
a quoique plusieurs souverains aient individuellement
» abusé de leur autorité , ils se faisaient généralement
» estimer par la douceur et !a noblesse de leurs manières. »
Pindarea, comme on voit, un grand mérite aux yeux de
M. Scblegel , celui de haïr la démocratie et d'aimer le
pouvoir monarchique.
Nous passons sous silence plusieurs remarques du même
genre sur les autres poètes , historiens et philosophes grecs,
toutes remarquables p. r l'élégance de l'expression, en re~
greltant qu'un homme du talent de M. Schlegel ait pu s'im-
poser une tâche aussi déplorable. Il ne dit pas un mot de
Démoslliène : et pourquoi ? parce que son éloquence éner-
gique fut dirigée contre un monarque. Si cet esprit de lâ-
cheté se maintient encore pendant quelques années en
.\ulriche, l'histoire de l'Allemagne sera bientôt à refaire, et
les rejetons barbares de la maison de Hapsbourg seront tous
transformés en Bajardou en Grandisson. M. Schlegel, trai-
tant toujours , avec le même esprit de système, de la litté-
rature romaine, oublie de citer Catulle , soupçonné d'avoir
manque de respect h l'empereur ; et 11 s'est efforcé de faire
de Virgile \m poète national, parce qu'il traita son souverain
comme un Dieu : erit illc inihi seniper Deus. IXous avons été
surpris que l'auteur ait rendu justice à Tacite. Voici ses
propres termes : « De tous les auteurs latins, Tacite est
)) celui dont il est le plus utile de parler. Le sens profond
j) de cet écrivain , la vigueur de sa pensée, Tonergie tt la
P.G Œuvres
» concision de son style, admirablement adapté au sujet,
» paraissent d'autant plus inimitables que plusieurs auteurs
» ont essayé en vain de fimiter. »
Nous dirons peu de mots des septième et huitième le-
çons, dans lesquelles M. Schlegel a traité de la littérature
du moyen âge , principalement en Allemagne. Il cite Tbéo-
dorlc , Cliarlemagne et notre Alfred comme fondateurs
de la littérature de leur nation respective ; maïs , avant
eux. , Ulphilas avait traduit la Bible, du grec en gothique.
Les langues et les littératures du Nord ont été cultivées
plutôt que l'auteur ne le suppose ; et Beolbuf, poème du
troisième et du quatrième siècles , écrit dans une langue
du Nord, est une preuve décisive de l'antiquité de la litté-
rature germanique. Y\. Schlegel présume que les Germains
des bords de la Baltique , ont reçu leurs caractères ru.ni-
ques des Phéniciens qui vinrent commercer avec eux. Mais
la tradition ne paraît pas d'accord avec cette opinion.
Runa est pris quelquefois dans un sens poétique; et quel-
quefois employé pour exprimer qIcs caractères alphabéti-
ques ou magiques. Or, la religion , la poésie et la magie,
avant eu , parmi ces peuples, une même origine, les carac-
lèi-es runiques doivent avoir été les premiers employés dans
la langue religieuse des Germains , et très- probablement
dans la langue parlée.
Dans ses leçons sur la littérature italienne , M. Schlegel
préfère le Tasse au Dante; mais M. Schlegel est , par de-
voir, admirateur du pouvoir papal , et l'on sait que le Dante
a fait tout ce qui dépendait de lui pour l'affiiiblir. C'est
ainsi qu'il censure Machiavel, tout en reconnaissant sa su-
périorité comme historien. Les travaux de ce vigoureux
écrivain sur Tlte-Llve , et sa mort hors du sein de l'Eglise
catholique, expliquent sufllsamment cette opinion.
\a manière dont M. Schlegel parle de Luther, son il-
lustre compatriote , donnera une idée de l'esprit qui règne
de Frédéric Schlegel. 87
dans tout son ouvrage : w II y avait , pour ainsi tlire, dans
» le génie puissant de cet homme privilégié, deux prin-
» cipes opposés qui tendaiens sans cesse à le dominer. On
» remarque, dans ses écrits un combat perpétuel entre la
« lumière et les ténèbres , entre une foi solide et des pas-
» sions indomptées , entre Dieu et l'homme. Aussi les ju-
» gemens de ses contemporains et de la postérité ont tou-
» jours été divers, quelquefois même opposés , toutes ieS
» fois C[\i\\ s'est agi de lui. Je dois déclarer, pour ce qui
» me touche, que l'étude de ses écrils et de sa vie, ne m'a
n inspiré d'autre sentiment que celui de la pitié qu'on
» éprouve en voyant un génie aussi élevé se contredire et
» se perdre lui-méine. » Nous ne sommes point surpris que
M. Schlegel , fortement attaché aux maximes de la papauté,
ait de la peine à faire grâce à ceux qui les ont combattues.
Mais , son opinion ne saurait compromettre en rien la
gloire de Luther. Jamais aucun homme n'a travaillé avec
plus d'énergie à la recherche de !a vérité , et peut-ètra il
l'aurait découverte, s'il avait vécu dans un autre siècle.
Comme écrivain , ce grand réformateur a obtenu les suf-
frages de tous ses concitoyens. On admire , dans sa tratkic-
lion de la Bible , la force , la dignité, Ja grâce du style , et
cette heureuse flexiijilité de talent qui reproduit sans effort
la physionom'e de l'original , depuis le récit le p:us simple
jusqu'au sublime enthousiasme des prophètes. Notre but
principal élant de signaler le système politique qui domine
dans Y Histoire liltéraire de M. Schlegel , nous ne le sui-
Trons j)as dans ses remarques sur les littératures des autres
parties du monde. Eu parlant è.Q& auteurs anglais , français
et espagno's , ses préjugés n'ont pas eu une occasion aussi
favorable de se développer. Toutefois , on trouve encore
dans ses exagérations sur le mérite ^ç^s littératures espa-
gnole et portugaise , une preuve de sa prédilection pour
l'Eglise romaine.
88 Histoire d;S vins
Nous lermioeroûs nos observations sur cel auteur si dis-
tingué , sous le point de vue littrraire, par l'originalité et
la finesse de ses critiques, en avertissant le lecteur de se dé-
fier de ses principes qui tendent à rendre la servitude aima-
ble et le despotisme perpétuel , s'il pouvait 1 être. On fera
bien de le lire et de Técouter , parce que son style a du
nombre, du mouvement et de la grâce j mais ce charme est
trompeur ; pour y échapper , il fout être sur de soi-même ,
et ne pas perdre de vue les réllexions que nous venons de
soumettre au iecleur. ( fyestniinster Retnew. )
HISTOIRE DES VINS ANCIENS ET ^JODERNES.
Par le docteur Alexandre Henderson, ua vol. ia-4°, i8a5 (i).
Le docteur Henderson a tenu plus encore que le titre
de son livre ne semblait promettre, quoiqu'il promît beau-
coup. Une histoire des vins des anciens eût été incom-
plète, si l'auteur n'y avait pas joiilt tous les détails relatifs à
la culture de leurs vignobles , à leur manière de recueillir ,
de préparer et de conserver leurs vins ; et si , en même
tenis , il n'avait pas tâché d'apprécier les traits de ressem-
blance ou d'analogie de ces vins avec ceux des modernes.
Il fallait introduire^ en quelque sorte, le lecteur au milieu
de leurs festins , dont ies vins composaient la partie essen-
tielle. Le docteur Henderson n'a rien épargné pour rendre
ses recherches à la fois instructives et agréables. A force
de connaissances, de jugement et de goût, il est paivenu
(il The history nf niitlent nnd modem i\<ines , l>y A. Hcndcrion ,
M. D. 4" i8a,'j.
anc7e7is et modernes. 8q
à donner beaucoup crintérèt à toiiles les aLufions au vin, qui
se rencontrent si fréquemment dans les ouvrages histori-
ques, didactiques et lyriques des écrivains de la Grèce et
de Rome , et surtout dans Horace.
Son ouvrage est géuéraiement cpnsacré à l'histoire du
vin, comme le titre l'annonce j cependant on y rencontre
plusieurs chapitres sur la fermentation, sur les principes
conslituans des vins , sur leur classification , leur conser-
vation , leur maturité, leur sophistication, et leurs pro-
priétés nutritives et médicales , qui sont dignes d'un pro-
fond examen. On trouve aussi, dans lesnotPs, un tableau
de leurs forces relatives, de la quantité d'alcohol qui se dé-
gage pendant la fermentation , et une évaluation des diffé-
rentes espèces de vins français. Nous allons donner une
analyse rapide de ce travail remarquab'e, en ajoutant
les observations que nous croyons nécessaires pour relever
quelques erreurs, ou réparer quelques omissions. Nous au-
rions désiré , par exemple , que l'auteur eût établi d'une
manière positive quede était , du côté de l'Orient, la limite
où s'est arrêtée , dans tous les tems , la culture de la vigne,
et la fabrication du vin.
Il commence son ouvrage par un chapitre sur les vi-
gnobles des anciens, sur la nature du terrain et de l'ex-
position qu'ils choisissaient, et sur leur manière de planter
et de tailler la vigne. Il paraît y avoir eu des différences
d'opinion sur la hauteur qu'on devait lui laisser prendre :
Cal on , Pline et Columelle recommandent qu'on tienne la
vigne basse; les deux. agronomes célèbres, Saserna père et
fils, conseillent au contraire de la laisser pousser indéfini-
ment. Les différentes espèces de vins , connus chez les
anciens, étaient très-nombreuseg ; mais il est impossible de
les désigner sous des dénominations modernes. La côte
d'Aminée passait pour produire uu vin remarquable, sur-
tout par ia délicatesse exquise de sou bouquet , et l'on
90 Histoire des lins
trouve, dans la vie de rempereiir Florien , par Vopiscus ,
un passage curieux où le changement de couleur du raisin
de celte côte , est donne comme un présage. Le vin de No-
meuUnu , coutenant plus de substance muci'agineuse que le
premier , était également très-recherché. I^a l'igiie Apiana,
le muscat moderne , qui a reçu son nom actuel , comme son
nom ancien, de sa disposition à attirer iesaheii'.es ou les mou-
ches , n'avait pas moins de célébrité. Les anciens mettaient
beaucoup de soins et de sagacité dans le choix, du terrain
pour les différentes espèces de vignes, et plusieurs coteaux
ne produisaient souvent qu'une seu'e qualité de raisin. La
portion la p'us intéressante de ce chapitre est consacrée au
tableau comparatif de la dépense et du revenu des anciens
et des modernes dans l'exploitation des vignobles. Le doc-
leur Henderson entre , à ce sujet , dans une foule de re-
cherches extrêmement précieuses , dont !e résultat est k que
» "V arron n'a point exagéré en assurant que le produit d'une
» portion de terre , équivalant à un acre anglais, pouvait
» s'élever à cinquante-quatre muids de vin^ récolte infini-
» ment supérieure à celles de nos meilleurs vignobles. » Il
faut remarquer , cependant , que les anciens visaient trop
souvent à 'a quantité aux dépens de la qualité, et supposer
au moins une erreur dans Varron^ depuis qu'on s'est assuré
que les vignobles de Grenade , les p'us fertiles Au. monde et
les mieux situés , ne donnaient guère que le tiers du pro-
duit indiqué par cet auteur. Les profits , évalués d'après
les bases les plus raisonnables , ne s'élevaient pas , chez
les anciens , au-delà de six pour cent des capitaux consa-
crés à !a culture des vignes , comme , en Bourgogne , ils
ne produisent que le sept , et en Champagne seulement le
trois pour cent.
Dans ce chapitre , et dans plusieurs autres parties de sou
ouvrage , relatives aux vins des anciens , le docteur Hen-
derson a négligé trop légèrement un grand nondire d'au-
anciens et modernes. 9 1
leurs, qui lui auraien! fourni des renseignemens précieux
sur les vignoljles et les vendanges des Grecs , et principa-
lement sur les différences qui existaient entre leurs procédés
et ceux des Romains. Il ne parle pas non plus des maladies
auxquelles les vins sont exposés , ni des insectes et des ani-
maux qui peuvent les attaquer , et des moyens que les
anciens employaient pour les en préserver ; il est vrai que
ces détails ne sont pas précisément Fobjet essentiel de son
ouvrage ; mais tant d'écrivains de Tantiquité ont rapporté ,
à cet égard, des particulai'ités curieuses , qu'il aurait pu
citer quelques-unes des plus importantes. On aurait appris
volontiers , par exemple , comment les anciens défendaient
leurs vignes des attaques des chèvres et des renards. Hasse!-
quist nous assure que, dansTOrieut, les cliakals délruient
quelquefois des vignobles entiers. Le goût des renards pour
le raisin est passé en proverbe , et la fête célébrée par les
cultivateurs d'Albènes, en Tlionneur de Bacciius , fête dans
laquelle ils lui sacrifiaient un bouc, doit certainement son
origine aux ravages exercés par cet animal sur son arbris-
seau favori.
Le second chapitre est consacré aux détails de la ven-
dangé et aux procédés employés par les anciens pour la
fabrication de leurs vins. La vendange commençait géné-
ralement au mois de septembre, et ils avalent grand soin
de ne cueillir d'abord que les raisins les plus mûrs du
coteau le mieux exposé. Les premiers cueillis contenaient
selon eux, le plus de moût ; les seconds donnaient le meil-
leur vin ; le troisième le vin le plus doux. La méthode de
tordre les queues , d'écarter les feuilles et de laisser les
raisins exposés au soleil , encore suivie aujourd'hui pour
les vins délicats , était fort en usage chez les anciens.
Théophraste, dans son Traité des Plantes, nons apprend
qu'oa enveloppait quelquefois les grappi?s d'une cloclie ,
pour les garantir de la trop grande ardeur du soleil. Les
g 5 JJi.itoi'i'e de^ Tins
différentes uianicrcs de préparer ie moûc , ses noms et ses
qualités, lorsquil avait subi quelques frausforruatlons ; le
pressoir , le mélange de l'eau salée et plusieurs autres in-
grédiens érangei^s à nos goûts , tels que la poi\ , des bois
du Midi , des herbes aromatiques; sont traités dans l'ou-
vrage da docteur Henderson d'une manière claire et com-
plète. Nous admettons avec lui que quelques - nues défi
substances qui devaient être ajoutées au A'in, d'après Colu-
melle , n'avaient d'autre résultat que de !e clarifier ou de
lui communiquer un parfum quelconque; mais après tout ,
ce chapitre ne donne pas une haule idée du goût des an-
ciens, ni de rexcellence de leurs vins , s'ils étaient préparés
selon les prescriptions de cet auteur.
Dans le troisième chapitre, on trouve la description des
vases que les anciens employaient pour conserver leurs vins
et des celliers où ils les déposaient. Des peaux d'animaux
rendues imperméables par l'huile ou les gommes résineuses,
servaient à cet usage, de tems immémorial : on en voit des
preuves dans Homère et dans l'Ecriture. On introduisit
ensuite des vases d'argile enduits de poix ; lorsque le bois
abondait, on s'en servait pour faire des tonneaux. i mais, eu
général, les Grecs et les Romains employaient la poterie,
de préférence.
Les tonneaux qui contenaient les vins les plus généreux,
étaient placés dans toute la longueur du cellier , et enfoncés
dans le sable. H est probable qu'on avait recours au siphon
pour vider les plus grands : on se contentait d'incliner les
plus petits sur le côté , comme le voit dans plusieu^-s pas-
sages des auteurs.
Tout ce qu'a dit le docteur Henderson sur les celliers des
anciens , est fort curieux ; mais nous aurions encore désiré
qu'à cet égard il eût consulté davantage les auteurs grecs,
ne fût-ce que pour comparer leur méthode à celle qui est
indiquée par les écrivains romains. On sait , par un pas-
ann'f'n.'! c! modi'rnr.s. ry»
sage (le Xôno bon , que les Grecs conservaient lerrs vins
dans la lartle la plus fraîcbe de leurs habitations, et il existe
un scoliaste d'Aristophane, qui dit qu'ils étaient dans Tu-
sage de garder \p vin etlbuiledaus des caves ou des citernes.
Encore de nos jours , les insulaires de Tîle de Zante ne con-
servent pas auirement leurs huiles.
Avant que les amphores fussent déposées dans le /'unie/-
ri'um , les Romains v attachaient une étiquette inchquant
Vannée de la récolte des vins qu'elles contenaient et le nom
des consuls eu exercice. La manière d'employer lefiema-
riiim à Tamélioration des vins, empruntée des Asiatiques,
est parfaitement décrite par notre auteur. Lorsque les vins
étaient robustes et de nature à gagner à cette préparation ,
l'effet en devenait salutaire : on en faisait principalement
usage pour donner du corps à ceux d'une qualité inférieure.
Le docteur Renderson paraît convaincu que les vins épais
des anciens n • devaient cette propriété qu'à l'emploi an fu-
mariian. Cependant nous sommes plus disposés à partager
l'opinion de Pav»^- , qui pense que dans les premiers teras
de la fabrication des vins en Grcce , on leur donnait gé-
néralement une consislance artificielle. Il prétend même
qu'un seul petit canton de la Laconie produisait des vins
qui ne fussent point épaissis par la fumée ou par l'ébuUition ,
et un texte d'Aristote , qu'il cite, semble confirmer celte
opinion.
[jC produit de la dernière vendange était goûté, pour \\
première fois, le jour de la fête de Bacchus, au mois d:?
mai, lorsque les vents d'ouest avaient cessé. Jadis on célé-
brait une fête analogue, en Angleten'e , comme on le fait
encore en Allemagne , à la Saint-Martin j on ouvrait les
barriques de bière , au milieu des festins , des chansons et
des réjouissances de toute espèce.
Le docteur Heuderson termine ce chapitre par des cita-
tions qui prouvent qu'il \\f a rien d'absolument nouveau
II. n
g4 Histoire des vins
sous le soleil , en bien ou en mal. « Pour attirer les ama-
» teurs j dit-il , les marchands de vins , chez les anciens ,
» employaient toutes sortes de ruses 5 quelques-uns versaient
» du vin jeune et médiocre dans des tonneaux qui en avalent
n contenu d'excellent j d'autres plaçaient du fromage et
» des noix dans leurs celliers , afin que ceux qui entraient,
» fussent tentes d'en manger , et que leur palais fût émoussc
» avant de goûter an vin. »
Les variétés et les qualités générales des vins des anciens
sont exposées dans le chapitre suivant. Il est évident qu'à
moins de comparer leurs qualités à celles des vins modernes,
il est impossible de nous en donner une idée exacte , et
quels que soient les efforts du docteur Henderson pour ar-
river à ce but , on s'aperçoit aisément des difficultés qu'il a
dû rencontrer dans cette partie de son travail. Il fait ob-
server, avec raison, « qu'il n'est pas toujours très -facile
» de déterminer d'une manière précise , les qualités dls-
» tinctives des vins modernes , et que cette tâche est néces-
.) sairement plus difficile encore à remplir , pour les vins
» des anciens j mais que les termes aux moyens desquels
» nous caractérisons l'odeur , la saveur et les propriétés
» essentielles des nôtres , ayant aussi été employés dans
M l'antiquité , on peut déterminer , par analogie , jusqu^à
» un certain point, quelques-unes des propriétés des vins
» anciens , et même établir auxquels des produits de nos
» coteaux ces vins ressemblent davantage. »
La douceur était une qualité jugée à peu près indispen-
sable dans les vins des anciens. Le docteur Henderson en
donne des preuves convaincantes , et l'on trouve dans Mar-
tial un passage qui porte son assertion jusqu'à l'évidence.
Cet auteur compare le nectar des dieux au vin de Falerne,
mêlé avec le miel d'Athènes ( liv. xiii , p. 108. ). Les Ro-
mains tiraient ces vins doux de l'étranger j ceux de l'Italie
étaient généralement secs et durs, e. ne devenaient pota-
anciens et rrwclfrnes. g5
blcs qu'avec le temset le séjour dans \g fumariurn . Il y avait
donc trois espèces de vins chez les anciens : les vins (!oux ,
les vins secs et les vins intermédiaires, à la fois secs et doux,
ou doucereux. Les vins grecs étaient principalement sucrés,
comme le vin de Chypre ou de Constance; ceux de Co-
riuthe et de Pramuia étaient secs, et ne perdaient lear
âpreté qu'au bout d'un certain nombre d'années. Les plus
forts étaient hauts en couleur ; ceux qui provenaient des
raisins blancs gardaient une teinte jaunâti-e : aucun d'eux
n'était doux. On les désignait par le nom de leurs crus, et
dans les cas de récolte extraordinaire, par celui des consuls
de l'année. Il fallait cinq ans pour mûrir les plus géné-
reux , et quelquefois davantage. Souvent le viu ne s'amé-
liorait qu'après vingt ans : passé ce teras , il devenait exquis.
Cinq ou six ans suffisaient aux vins étrangers , et lorsqu'ils
étaient de nature à supporter la mer , ils gagnaient beau-
coup à voyager.
Les vins ordinaires d'Italie étaient à très -bon marché ,
quoiqu'on ne puisse pas en déterminer le prix d'une manière
exacte ; il paraît avoir varié depuis deux sous jusqu'à huit
sous le o-a/Zo/z ( quatre litres de France ). Les vins inférieurs
de la Grèce coûtaient 25 , 5o et 5o fr. le muid ; les meil-
leurs s'élevaient jusqu'à uoo fr. , et Pline parle d'une seule
amphore de vin grec superfin , qui fîit payée ce prix exor-
bitant. En 472 , sous le règne de Théodoric, la vendange
avait été si abondante , que le vin ordinaire gc vendit
moins d'un sou le gallon.
En parlant des principaux vins de la Grèce et de l'Asie ,
le docteur Henderson les représente comme le produit pres-
que exclusif des îles Ioniennes et de l'Archipel. Lesbos ,
Chio et Thasos fournissaient les plus estimés ; leur couleur
était d'un jaune pâle, et leur bouquet d'une odeur exquise.
Le vin.de Lesbos avait moins de parfum , mais plus de sa-
A'cur ; celui de Thasos, généreux , doux , vieillissait lente-
g6 Histoire des vins
ment ; mais lâge lui donnait une odeur agréable de pomme.
Le docteur Clarke assure que les médailles de Chio , qui ne
sont point rares dans le Levant , ont toutes quelques rap-
ports au vin de cette île , qui conserve encore son ancienne
célébrité j elles représentent d'un côté un spliynx couronné
de raisins, et de Tautre une amphore avec quelques em-
blèmes de la fertilité de l'île. Le vin de Clilo était si estimé ,
si rare et si cher, lorsqu'il fut introduit à Rome pour la
première fois , que dans les repas les plus somptueux , on
n'en versait qu'une coupe à chacun des convives.
Les Grecs étaient familiarisés avec les meilleurs vins
de l'Asie et de l'Afrique. Parmi les derniers , ceux de
Tœnia n'admettaient aucune comparaison ; et le vin de
IMéroé , boisson favorite de Gléopâtre , avait de l'ana-
logie avec celui de Falerne. Le vin de Tœnia , d'une cou-
leur grise ou verdàtre , un peu astringent , quoique doux,
se faisait remarquer par son odeur aromatique. On voit,
cependant , par une épigramme de Martial , déjà indiquée ,
que la plupart des vins d'Egypte étaient d'une qualité
fort inférieure , et Macrobe déclare positivement qu'ils
ctaienl extrêmement froids et mous , malgré la chaleur du
climat.
lips vins des Romains sont le sujet du sixième chapitre.
La Campanie, cette province célèbre par la douceur de
son climat et la fertilité de ses coteaux , produisait le meil-
leur de la presqu'île. « Dans l'antiquité , dit notre auteur ,
» les collines qui donnent à toute la contrée une physio-
» nomle riante et animée , paraissaient ne former qu'un
» immense vigno])le où l'on prenait soin d'entretenir les
» espèces de raisin les plus parfaites, j» Le vin de Falerne
était le produit le phis recherché de ce vignoble; mais il
est probable (jue , sous ce nom , on préparait et on vendait
souvent les vins moins délicats de Gaurus et de Marsicus.
Selon Pliae , cité par HP!idî:rson, !.; via de Cécul^e qu'on
anciens et modcnics. q^
rrcnitail dacs les marais J'Amyclce , avait eu , dans un
tems, beaucoup de réputation 5 mais on négligea les vignes ,
<'l la formation d'un canal contribua à les faire abandonner.
Ls vin de Falerne était alors au second rang, et peut-être
au premier ; le vin d'Albe , au troisième , à cause de sa
douceur. Auguste , selon Pline, donnait la préférence au via
de Lelos , quoiqu'il doive paraître extraordinaire , comme
l'observe le docteur Henderson, qu'Horace n'en ait jamais
parlé. Tels étaient , avec les vins de Sorrente et de Capcue ,
analogues à ceux de Xérez et de Madère , les plus fameux
vins de la Campanie , du tems des Romains.
Nous ne suivrons point le docteur Heuderson 'ans les dé-
tails relatifs à l'histoire des vins de Vérone , de la Sabine ,
de Spolelle et de la Sicile.
Les Romains , indépendamment de ces vins . en tiraient
beaucoup de leurs provinces de la Grèce , de la Gaule, de
l'Espagne et de l'Archipel. Les raisins violets de Vienne et
le riche muscat du Languedoc leur étaient parfaitement
connus, ainsi que les vins généreux de l'Espagne. Les îles
Baléares leur en fournissaient également, et lis en faisaient
autant de cas que de ceux de plusieurs crûs de Tf ialie.
On trouve dans quelques passages des anciens, que la
populace de Rome avait fini par éprouver le besoin du vin
avec autant de vivacité que celui du blé , à mesure ijue le
hixe faisait des progrès, et que l'empire mirchait vers sa
décadence. Suélone rapporte que le peuple se plaignait
amèrement, sous Auguste, de la rareté et de la cherté du
vin, et que ce priuce répondit que son gendre Agrippa avait
pris des mesures pour l'empêcher de mourir de soif, en
veillant à l'entretien des fontaines. Il faisait allusion au
corps des ingénieurs hvdraulicjues [cura/ores aquanmi ) ,
que celui-ci avait institué et préposé au soin et à la couse r-
vation des aqueducs. Vopiscus , dans sa f^ie d'Aurélien ,
parle ausi i\\\ projet qu'avait eu cet empor» ur de fournir
f)8 lîiiloitv drs vins
du vin à la populace , comme on lui fournissait du pain ,
de riiuile et de !a viande; mais on lui fit sagement observer
que s'il accordait celte faveur , il faudrait accorder toutes
celles que le caprice et la «léhauclje feraient solliciter au
peuple romain. Il se contenta de faire déposer du vin dans
le temple du Soleil , où il était vendu à très-bas prix. Les
tribuns et les autres ofllcicrs des légions en recevaient une
ration j et l'on peut conclure d'un édit de l'empereur Niger,
que toute l'armée romaine en buvait également pendant la
durée du service , jusqu'à ce qu'il fût décidé que les soldats
se contenteraient de vinaigre (i).
Les moyens employés par les anciens pour tremper ou
rafraîchir le vin , forment le sujet du septième chapitre. Ils
regardaient comme inconvenant et grossier de le boire pur ;
mais tandis que les Grecs et les Romains y mêlaient de l'eau
pour Vaifaiblir , les Asiatiques y ajoutaient des épiées pour
lui donner plus de force et de saveur.
Il était difficile, sous un climat tel que celui de l'Ilalle
et de la Grèce, de se procurer de la glace ou delà neige
pour rafraîchir les boissons ; et c'est cependant sous des
latitudes aussi chaudes qu'il est surtout agréable de hoire
Jrais. Les Grecs avaient emprunté cet usage aux Orientaux,
ainsi que la manière de conserver la glace et la neige , et
d'abaisser la température de l'eau par l'évaporation : ils la
transmirent aux Romains. Ce dernier procédé a été parti-
culièrement décrit par Athénée , Pline et Galien j le doc-
teur Henderson ajoute qu'on employait des eufans à entre-
tenir pendant toutes les nuits , l'humidité extérieure des
barriques. La fraîcheur de ces barriques était conservée ,
aussi bien que les pots de neige et de glace qu'elles ren-
(i) KOTE DU Tr. Ce que les Romains appelaient acctnm^ le vi-
naigre , n'e'tait qu'une espèce de vin fabriqué , une sorte de piquette
qu'on donnait aux soldais, et que ceux-ci mêlaient avec de l'eau pour
se dc'salle'rcr. On pourrait l'appeler le vin de. munition. Ad. lî.
anciens et modernes. 99
maient , aa moyen d'une enyeloppe de paille, de branches
de cl)cna et de toiles grossières. Le docteur Henderson paraît
croire qu Alexandre apprit , dans Tlnde , cette méthode de
conserver la neige; mais elle était connue plus d'un demi-
siècle avant sa naissance.
Cette première partie de l'histoire des vins des anciens,
est terminée par un exposé des dififérens emplois du vin dans
les festins des Grecs et des Romains ] leurs ragoûts , leurs
sauces, leurs coupes, leurs toasts, leurs différentes espèces
de vins sont décrites de la manière la plus agréable. On y
remarque <les contrastes singuliers entre les mœurs des Grecs
et celles des Romains : ceux-ci permettaient à leurs femmes
de prendre place à leurs banquets , mais ils leur défendaient
l'usage du vin , tandis que les Grecs , qui le leur permet-
taient , ne souffraient point qu'elles parussent dans leurs
festins.
Le docteur Henderson a très-bien fait ressortir la dif-
férence qui existait entre les grossières jouissances des hé-
ros d'Homère , et les brillantes réunions des Grecs et des
Romains, dans des tems postérieurs. « Arcliestraie de Sy-
» racuse , dit-il, qui parcourut la terre et les mers , seule-
» ment pour étudier l'art de bien vivre , réunit ses maté-
» riaux , et en fit un poème sous le titre de la Gastronomie j
» dont plusieurs fragmens ont été conservés. TImarchides
» de Rhodes offrit à ses concitoyens l'hommage d'un traité
» en six ou sept livres , sur le même sujet. Un ouvrage
» complet sur l'art du cuisinier, commençant parles truffes
» et finissant par le poisson , est dû à Philoxène de Cylhère,
» le prototype des Epicm'cs de noire tems , qui demandait
» aux dieux le cou cV une grue pour prolof2ger ses Jouissances,
» et qui se faisait toujours accompagner d'esclaves chargés
I) d'hqile, de vinaigre, et d'épices , pour assaisonner les
i> mets qu'on pourrait iui offrir, lorsqu'il dînait en ville.
n On dit qu'Arlsiolo lui-même, s'éiait occupe de rédiger
loo Hisloire dtfs ri/is
» un code (le lois pour la table , et qu'il passait , parmi ses
» contemporains j pour un grand amaîeur de poisson. »
Nous dirons quelques mots des salles à manger de l'an-
ti({uité. Elles étaient toujours placées dans la partie la pais
élevée de la maison, à cause du plaisir de la vue, et leur
longueur était double de leur largeur. La décoration inté-
rieure ne répondait pas toujours à la magnificence des re-
pas, surtout s'il faut croire ce que dit Horace, de ces
canapés suspendus autour de la table , dont la chute enve-
loppait souvent les convives d'un nuage de poussière (i).
Cependant les salles à manger de quelques eiripereurs,
notamment celles de Néron et d'Héliogabcile, surpassaient
en magnificence tout ce que nous pouvons imaginer de
plus brillant dans les tems modernes ; elles étaient revêtues
de grandes lames d'ivoire, qui présentaient des tableaux
différens en glissant sur des roulettes j on parfumait les
convives et on les couronnait de fleurs. Le mouvement des
corps célestes était imité sur des plafonds cintrés, de ma-
nière à représenter le cours des saisons. Nos lecteurs pour-
ront consulter sur cette matière , i'ouvrage à la fois ins-
tructif et amusant de dAruay , ou /es Recherches sur les
rnceurs doniesiùjues des Romains.
Les Grecs et les Romains avaient empruntés aux Asia-
tiques l'usage de se coucher pour prendre leurs repas.
Leurs sièges étaient extrêmement élégans ; les pieds en
étaient d'ivoire ou de bronze ; ils les couvraient d'élolTes
couleur de pourpre et richement brodées. Quelquefois on
y semait des roses : l'anecdote du Sybarite est bien connue.
Les tables ne le cédaient point aux sièges en richesse et
en magnificence : dans les premiers tems elles étaient de
sapin ou d'érablej plus tard les Romains y employèrent le
bois de citronnier. Les pieds et Ips bords é aient garnis
d'ivoire ou d'argent.
(i) Horace, Sal.,i;v. II,, 8.
anciens et modernes, ioi
Mais ce lu:s.e n'était pas constamment accompagaë du
goût et de la propreté ne'cessaires. Jusque sous le gouver-
nement des empereurs , on n'avait pas connu le iiuge de
table: c'est seulement à cette époque que les Romains
commencèrent à se servir de la laine pour i'aire des nappes i
ils employèrent aussi delà toile et de la soie brodées eu or.
Ce fut long-tems après Auguste, que clia{jue Ampbylrion
imagina d'ofFrir des serviettes à ses convives : jusque-là ,
chacun apportait la sienne ; et l'on dit que cette coutume
ne cessa , que parce que les esclaves chargés de porter les
serviettes , s'en servaient pour dérober toutes sortes d'ob-
jets (i). On essuyait les tables avec une éponge après le
dîner. Les convives étaient ordinairement vêtus de blanc.
Pour ne pas salir les lits , on leur donnait des pantoufïles
ou bien ils étaient leurs chaussures. Chacun était servi par
son esclave ; ceux-ci rapprochaient ou éloignaient les plats ,
nettoyaient la table, servaient à boire et chassaient les
mouches.
Les Romains recevaient leurs verres des manufactures
d'Egvpte : ils étaient aussi purs , aussi limpides que du cris-
tal de roche \ on ne commença à les connaître à Rome que
vers Tan 556 de sa fondation.
Les usages et les cérémonies les plus importantes rela-
tives aux festins des anciens ; les libations aux dieux , le
couronnement des convives et êies coupes avec des guir-
landes dont la fabrication était devenue une branche de
commerce fort importante ; la manière de porter les san-
tés, circonstance ù i'occasiou de laquelle il faihiit remplir
sa coupe juiqu'aux bords; les devoirs etraulorilé du pré-
sident du banquet; Tljabitude qu'avait le maître de la mai-
son de garder les meilleurs morceaux pour lui et pour ses
ï (i; Avant que l'usage Jl-s serviettes fût coniiu , les anciens es-
suyaient leurs doigts avec de la mie tie pain qu'ils jetaient ensuite aux
cliiens qui se trouvaient dai.s la salle à niangci.
102 Notice sur la vie
convÎA'es les plus intimes on les plus riches , tandis que les
autres étaient obligés de se contenter de leurs restes j toutes
ces particularités et plusieurs autres encore, également
fort curieuses, sont présentées de la manière la pins in-
téressante dans ce chapitre. Dans un autre article nous
examinerons comment l'auteur a traité le reste de son
sujet , en faisant l'histoire des A'ins modernes , et en en ap-
préciant les diverses propriétés.
( Westminster Revicw. )
BIOGRAPHIE.
NOTICE SUR LA VIE DE SIR RICHARD ARKWRIGHT (l).
C'est le sort commun des inventeurs de ne pas être heu-
reux. Les hommes qui ont enrichi leur pays par des décou-
(i) Note du Ta. La plupart des nations modernes ne se sont
guère occupées que de l'histoire des conque'rans et des hommes pu-
blics. On les a vues souvent se livrer à des recherches minutieuses,
pour connaître toutes les particularite's de la vie de ceux qui ne leur
avaient e'tc signale's que par le mal qu'elles en avaient reçu ; et tandis
qu'elles enregistraient avec soin les actes de leurs bourreaux , ces bien-
faiteurs de l'humanité , qui , par des proce'de's admirables , introduits
dans les arts utiles, ont re'paré le dommage causé par les guerres, les
administrations inhabiles et les mauvaises lois , vivaient obscurs et
mouraient dans l'oubli. L'antiquité s'était montrée plus reconnais-
sante et plus éclairée; les Hindous, dans l'élan de leur gratitude ,
avaient attribué une origine divine à Kasyapa, qui avait desséché les
plaines marécageuses du Cachemir ; et la Grèce avait dressé des au-
tel* à Triptolème, l'invenlcur de la charrue. L'Angleterre a de bonne
de sir Richard ^Irkwn'ght. lo^
rertes utiles , ont , presque tous , vécu dans Tabandon et ia
misère . il en est bien peu qui aient recueiîli personnelle-
ment le fruit de leurs travaux. Ceux-là iiième qui jouissaient
déjà d'une certaine aisance ont éprouvé de grandes difficultés
h faire accueillir leurs projets, et c'est ordionirement aux.
dépens de leur repos et de leur fortune qu'ils ont essayé
de les mettre à exécution. Ont-ils obtenu parfois un succès
tardif, l'envie leur a contesté l'honneur de leurs inventions;
la cupidité a tenté de leur en ravir le prix; et les ruses du
commerce et toutes les subtilités de la chicane ont à la fois
été dirigées contre eux. Les inventeurs sèment , mais il est
bien rare qu'ils récoltent. Cependant, la deslinéed'ArkAvright
offre une exception remarqualjle à cette loi commune ; ce
n'est pas qu'il n'ait eu sa part des disgrâces presque tou-
jours réservées au génie : sa condition fut loug-tems obscure;
ses talens s'exercèrent d'abord sans appui , et ses efforts
rencontrèrent des obstacles dans l'ignorance et dans des
craintes chimériques. Alors qu'il eut vaincu ces obstacles,
il en vit naître d'autres. Ses droits furent contestés, ils furent
souvent méconnus , et jamais même ils n'ont été solidement
établis. La calomnie s'attacha à son nom, et Tenvie le signala
comme usurpateur des mventions d'autruî. Cependant,
Arkwright vit enfm se dissiper ces nuages élevés par la
beure imîté cet exemple : ses rois ont souvent confe'ré à des me'cani—
ciens , les honneurs de la clievalerle ; et aujourd'hui ses premiers ne'—
gocians, les hommes les plus distingue's de sa puissante aristocratie,
des ministres , et jusqu'à des princes du sang royal , se sont re'unis pour
élever une statue à Watt , l'auteur des principaux perfcctionnemens
introduits dans la machine à vapeur. En même tcms, plusieurs recueils
périodiques publient des notices biographiques sur les agronomes et
les mécaniciens qui ont rendu le plus de services à la Grande-Bre-
tagne. C'est au G lascow— Magazine que nous empruntons la notice
que l'on va lire, sur sir Richard Arkwright, l'un de ces hommes
utiles : nous ne négligerons pas l'occasion de faire successivement
connaître la vie de quelques autres, à leurs émules du continent.
io4 Notice sur Ui rie
malveillance; il acquit une grande fortune, et avant de
terminer sa carrière, il eut ia satisfaction d'en tentlre ses
concitoyens le bénir comme leur bienfaiteur.
Ricliard Ârk^vright naquit de pauvres parens , en i"52 ,
à Preston , dans le comté de Lancastre. Il était le dernier
de treize enfans. On lui fit prendre de bonne heure Vétat de
barbier, qu'il exerça jusqu'à l'âge de trente ans. On ne
sait pas bien ce qui le porla d'abord à diriger son attention
vers la fabrication du coton. Il paraît toutefois qu'habi-
tant un pays qui contenait plusieurs manufactures de ce
genre, il eut souvent occasion d'observer 'es procédés <iu'on
y employait, et qu'il fut frappé des plaintes qu'il entendait
faire aui fabricans de manquer de colon fdé. I^e comté cle
Lancastre était, dans ce lems-là , la seule province d'An-
gleterre qui eut des fabriques d'étoffes de coton , et les
procédés dont on y faisait usage étaient encore très-impar-
faits. Jusqu'en 1765, le calicot -, alors comme aujour-
d'hui, la principale étoffe qu'on y confecliouudt , se fai-
sait partie en lin, et partie en coton: la trame était en
coton et la chaîne en fil de lin. Cependant, tout le monde
sentait l'imperfection de ces procédés, et la nécessité de les
améliorer; chaque jour il se faisait quelque expérience
dans ce but, et c'est de celte époque que datent les im-
inenses'progrès que l'Angleterre a faits, tant dans ses ma-
nufactures de coton , que dans toutes ses autres fabrica-
tions.
Un tisserand du comté de Lancastre, nommé Hargrave,
inventa d'abord un nouveau procédé pour carder le colon,
et ensuite une machine pour \ejiler, ap^^clée spin/iing-Jenny:
c'était déjà un grand pas de fait dans la voie des perfec-
lionnemens. Mais les ouvriers prirent feu ; ils craignirent
d'être moins employés par suite de ces innovations. Ib s'u-
nirent donc contre l'inventeur, brisèrent ses métiers, et le
forcèrent d'aller s'établir ailleurs. Le malheureux Hargrave
de sir Richard Arkwright . lo5
lenla, en conséquence, tle se fixer à Notlingham , mais dans
cette ville , méuae difficulté : on se coalisa contre ses inven-
tions; il ne put les faire adopter, et mourut peu après dans une
profonde misère. Dans ce^ entrefaites , Arkwright essayait
de perfectionner le mode de fder, alors en usage ; mais
faute de connaissances en mécanique , 11 ne put construire
une machine propre à remplir ses vues 5 il n'y parvint
que long-tems après, et il n'obtint ce succès qu'à l'aide
d'autrui. Voici en substance les reproches qu'on lui a faits
à cet égard.
D=!us Tanaée 1769, Arkwright avait déjà quitté le métier
de barbier, et il parcourait les campagnes cherchant à
acheter des cheveux; il vint, dans ses courses, à Waring-
ton, et là i; se lia avec un horloger nommé Kay. Il confia
à ce dernier quelques Idées qui Toccupaient sur la décou-
verte du mouvement perpétuel. Kay tourna en ridicule
ces idées, et lui fit observer que sou génie s'exercerait plus
utilement en cherchant à découvrir quelque procédé pour
filer le coton, propre à remplacer avec succès celui qui
était alors en usage. Ayant construit des machines pour un
fabricant de Warrlngton, cet horloger avait acquis par là
quelques notions sur le mode de filer le coton, et il en fit
part à Arkwright. Ces deux hommes mirent leur génie en
commun, pour construire une nouvelle machine, et le ré-
sultat de leurs essais fut une mécanique qui avait quelques
avantages sur celles connues jusqu'alors. On a dit que dans
ta cgiifectiou de cette machine, rinventlon appartenait à Kay,
ei les perfectionneniens à Arkwright. Quoi qu'il en soit, le ré-
sultat de leurs communs efforts ne pouvait être considéré que
comme un premier pas. Depuis cette époque, Arkwright
employa à faire des expériences cinq années consécutives ,
et une somme de 20,000 liv. st. ( 5oo,ooo fr. ) , et ce ne fut
qu'à respiration des cinq années que ses machines furent
portées au polal de perfection où clk>s sont aujourd'hui.
io6 Notice sur la vie
lies Ibntls avaient ctc avancés par des personnes qui avaient
une égale confiance dans sa probité et clans ses talens.
S'étant associé avec un capitaliste de Pi'eston, sa ville
natale , il établit des macliiues d'après le modèle dont il
était l'inventeur ; mais elles n'eurent pas un meillear sort
que celles de l'infortuné Hargrave. Les ouvriers se soule-
vèrent, les brisèrent , comme ils avaient brisé celles d'Har-
grave , et chassèrent Arkwright et son associé de leur ville.
Il se retira alors dans celle de Nottlugham j et là , loin de
se rebuter, il s'occupa de nouvelles expériences pour amé-
liorer de plus en plus ses procédés. Il trouva une maison
de banque qui lui fit à cet effet une avance considérable de
fonds; mais les avances se multipliaient, et le succès des
expériences était incertain. La maison de banque chercha
à transporter ses intérêts , à cet égard, en d'autres mains.
Un riche fabricant de bas de Nottingham , auquel elle
s'adressa , vit de suite tout ce que promettaient les expé-
riences d'Arkwright. Il s'empressa donc de rembourser à
cette maison les avances qu'elle avait faites , et de se subs-
tituer à ses droits. En 1769, ArkAvright obtint un brevet
pour un métier à filer, et il établit à Nottingham un mou-
lin qui était mu par des chevaux. En 177 i , il en établit un
autre qui devait se mouvoir par un cours d'eau.
Le métier àjîler a été, à juste titre, considéré comme
une invention admirable. La machine qui sert à dévider et
filer le coton est, sans contredit, le plus beau procédé dé-
couvert par Arkwrigh'. Tous les perfectionnemens qu'il
fit depuis , bien que plus ou moins importans , n'exigeaient
pas un esprit aussi créateur , puisqu'ils n'étaient que le
développement d'un principe déjà connu. On dit que la
première idée de cette machine lui fut inspirée par la vue
du moulin ordinaire employé dans la fabrication du fer,
et qu'il conçut par analogie que le même mécanisme
pourrait s'appliquer à la filature du coton.
sur sir Richard Arhwright . 107
Arkwright commençait à retirer quelque fruit de ses in-
ventions, lorsque flans l'année 177 2, on prétendit que ses
perfectiohnemens ne lui appartenaient pas en propre j et l'on
voulut s'autoriser de celte allégation pour lui contester son
brevet. A cette occasion il soutint un procès dont l'issue fit
éclater la justice de ses droits , et dès-lors il ne fut plus
inquiété à Tégard de ce premier brevet. Ayant ensuite
améliore ses machines, il obtint, eu 1775, un brevet
pour ce nouveau perfectionnement 5 mais ce second brevet
devint un autre olîjet de contestation , et à la suite d'un
très-long procès qui ne se termina qu'en 1785, le brevet
fut déclaré nul. On motiva ce jugement sur ce que le
principe mécanique des changemens qu'il avait introduits
dans ses machines était déjà connu.
Heureusement Arkwright pouvait se consoler de cette
disgrâce par le succès Immense qui couronnait d'ailleurs
ses entreprises. Il y avait associé un capitaliste écossais,
et la fortune les comblait l'un et l'autre de ses plus riches
faveurs. Les machines d'Arkwright se répandaient dans
tout le royaume , et il percevait sur chaque fuseau qui y
entrait , un droit annuel qu'on ne pouvait considérer que
comme un tribut payé au génie. Cependant cette prospérité
lui avait fait beaucoup d'ennemis et d'envieux, et son ca-
ractère peu conciliant n'était pas propre à en diminuer le
nombre. Ses ennemis lui rappelaient sans cesse la bassesse
de son premier état , et ils montraient assez par-là qu'eux-
mêmes n'en seraient pas sortis si le sort les y eût placés.
Arkwright disait à cette occasion et par allusion à son as-
socié , qu'il avait mis son rasoir entre les mains d'un Écos-
sais qui leur ferait la barbe à tous.
Les perfectionnemens faits à cette époque dans la ma-
chine à vapeur, permirent d'en faire Tappllcation aux
maphines pour filer le coton , et les inventions d'Arkwright
secondées de cette manière par celles de Watt, acquirent une
r(;8 Notics sur ta vie de sir Richard Arkyi>rish.t .
o
îinporlance nouvelle. Les machines ilc Bolton et deWnlt fi;-
rent appliquées, pourla première fois, h celles d'Aïk^vright,
dans l'année 1790. Elles furent placées, à celte époque,
dans les belles fabriques que ce dernier avait établies à
(]romford, village du comté de Derby, où ii avait défini-
tivement fixé son séjour
Il nous reste peu de choses à dire sur les derniers évé-
nemens de la vie d'Arkwrigbt. En 1786, il présenta une
adresse au roi, an nom du sbérift' de Wicksworth, et ij
recnt à cette occasion le titre de chevalier. Il mourut
dans son domaine de Cromford , le 5 août 179^.
Cet homme célèbre par ses inventions utiles , ne put
jamais se dépouiller des formes contractées dans sa jeunesse,
et en prendre d'autres p'us analogues au rang auquel ses
talens lavaient élevé depuis. Il était incontestablement
doué d'un esprit supérieur; mais à cet esprit était allié un
caractère bizarre et pétulant. On se fera quelque idée des
avantages que l'Angleterre a relire de ses découvertes , en
se rappelant l'état grossier où était la fabrication des tissus
de coton , il y a cinquante ans , et en considérant que cette
fabrication est aujourd'hui la plus importante qui occupe
les habltans de ce pays. Les produits des fabriques de
colon dans la Grande-Bretagne sont estimés à la valeur
annuelle de plus de quarante iiiillions sterlings ( un milliard
de francs ) , dont la moitié se consomme au-dehors. Plus
d'un huitième de ces produits sort des fabriques de Glas-
gow et de celles de ses environs. Tous les pays de l'Europe
ont employé avec profit le métier à filer. En un mot , le
développement que les fabriques de coton ont pris par
suite des perfectionnemens d'Ark^vright et de ses succes-
seurs, est une chose sans exemple dans l'histoire du com-
merce. ( Glasgow Magazine )
AGRICULTURE.
DES PLANTATIONS,
Nous apprenons avec plaisir que rempressement du pu-
blic à se procurer le Guide du Forestier Aç.ls\o'^T^A.-VYi , en a
déjà rendu nécessaire une seconde éditiou. Les détails dont
est rempli cet ouvrage sont trop iniportans pour pouvoir
être exposés dans une analyse,- aussi nous bornerons-nous à
fixer l'attention du lecteur sur un^-Tijet particulier qui y est
traité d'une manière supérieure.
Il s'agit de l'avantage qu'il y a pour le propriétaire et
pour le fermier , à planter d'arbres les parties de la ferme
qui ne peuvent pas être employées à d'autres usages. Rien
de plus aisé pour le propriétaire que d'intéresser le fermier
à contribuer, de celte manière, à la fertilité et à l'agrément
du solj car, indépendamment du fait que nous allons
citer d'après M. Monteath , nous en connaissons beaucoup
d'autres qui confirment sa tbéorie.
Si l'on exige d'un fermier qu'il entretienne les arbres du
propriétaire, et qu'il soit responsable de tous les dommages
que d'autres personnes peuvent leur faire éprouver , sans
qu'il y soit intéressé, on n'atteindra jamais le but qu'on se
propose, quelque sévère que soit la loi,- mais on y par-
viendra en intéressant le fermier à faire des plantations et
à enlr( tenir celles qui existent déjà. En ti'ès-peu de tems
en effet , les endroits les plus déserls et les plus nus dans
la campagne, deviendront agréables à la vue, et surtout
d'un bon rapport. On observera, dans le passage suivant
que M. Monlenlîi parle d'après sa propre expérience.
« Puisque nous considérons, dit-il, les plantations d'arbres
comme d'une grande importance pour le pays en général
II. 8
1 lo Des plantations.
et pour les propriétaires , ne trouverions-nous donc aucun
moyen de les faire tourner également à l'avantage des fer-
miers eux-mêmes? Comme nous le prouverons dans la
suite, il n'est rien déplus lucratif que de planter et d'élever
des ai'bres, soit pour en faire des bois taillis , soit pour les
« conserver en haute futaie. Ne pourrait-on pas insérer dans
les baux une clause qui obligeât le fermier à planter, chaque
année, un certain nombre d'arbres, pendant toute la durée
du bail, et dans les endroits qui lui seraient indiqués par
le propriétaire, ou par son intendant, ayant soin d'obliger
le preneur à les entretenir et à les remplacer s'ils étaient
détruits? Mais pour l'encourager à augmenter le nombre
des arbres de haute futaie et à faire des plantations, il fau-
drait stipuler qu'à l'expiration du bail, les arbres seraient
estimés par deux experts choisis, chacun par l'une des par-
ties ; que le propriétaire serait obligé de payer au fermier
la valeur de ceux qu'il aurait plantés et élevés pendant la
durée de son bail , et qu'en cas de refus le fermier pourrait
les vendre ou les abattre.
» En assurant ainsi au fermier son capital et les intérêts,
on verra s'élever de grandes plantations qui , cans cet en-
courageraeut, n'auraient jamais existé. Outrel'avantageque
retirera le fermier, de l'ombrage si nécessaire aux pacages,
il ne laissera piis un seul pouce de terre inculte dans sa
ferme, et il plantera, dans les plus mauvais terrains, des
arbres dont il sera sûr de retirer un bénéfice à la fin du
bail. En même tems , le propriétaire aura l'avantage de
posséder une provision précieuse de bois de construction ,
qu'il n'aurait pas pu se procurer sans y intéresser son fer-
mier , et il aura toujours sous la main ceux dont on a besoin
dans l'agriculture. L'exemple que nous allons donner,
peut être regardé comme une preuve des avantages qu'il y
aurait pour les fermiers , à stipuler dans leurs baux de sem-
blables conditions.
Des plantations. 1 1 1
M La terre de Cross-Capple, paroisse de Dunblan, dans le
Perthshire, fiit afFermée, en 1777, pour trente-huit ans
par J. Dawson, moyennant 25 liv. st. par an. Ou avait
stipulé dans l'acte que le fermier ferait telles plantations
qu'il jugerait à propos dans les terres humides , qui ne
conviendraient pas au labourage 5 qu'il pourrait en em-
ployer le produit, soit aux usages de l'agriculture, soit
aux constructions qu il aurait besoin de faire pendant la
durée du bail. A l'expiration du traité, tout le bois devait
être estimé par deux experts choisis, l'un par le proprié-
taire , l'autre par le fermier. Il était aussi expressément
stipulé que si les deux experts ne s'accordaient pas , ils
choisiraient un tiers dont le jugement serait admis par les
deux parties. Enfin, le propriétaire devait payer comptant
au fermier la somme déterminée dans l'expertise. Le bail
étant expiré, le fermier désigna son expert, et je fus choisi
par les curateurs pour le propriétaire, alors mineur. Le
résultat de notre travail ayant offert une différence de
25 liv. st. , nous fîmes choix, pour vider le partage, de
M. Ed. Stirhng, architecte à Dunblan, et la valeur des
arbres fut arrêtée à 1,029 1^^- ^^' T^*^ ^^^ curateurs payèrent
à l'instant; le total des fermages ne s^étant élevé qu'à 988 liv.
st., le fermier a reçu 4 1 liv, st. de plus qu'il n'avaltpayé pen-
dant toute la durée du bail. Il estbon d'observer qu'après les
dix premières années, il avait assez de bestiaux pour fournir à
tous les besoins des bâtimcns et de l'agriculturej il faut remar-
quer aussi que dans notre procès-verbal, nous avons supposé
que le bois devait être coupé à l'instant, et transporté au
marché; aussi , l'avons-nous évalue^ à 20 p. 100 au-dessous
du prix auquel il se serait vendu quelques années plus tard.
» Le fermier ayant été libre , d'après le bail , de planter
telle espèce <l'arbre qui lui plairait, choisit à tort les pins
d Ecosse ; tandis que , s'il avait planté des chênes ou des
frênes, qui auraient parfaitement convenu au terrain, il
1 1 u Vues présumées de M. Hush'sson ,
aurait presque triplé ses produits. Les bois étaient d'ailleurs
parfaitement aménagés, et d'un âge à profiter chaque an-
née 1 beaucoup plus qu'ils ne l'avaient fait jusque-là en
trois ans. Ces arbres considérés sous le rapport de leur
croissance et de l'agrément qu'ils donnaient à la propriété,
avaient augmenté de 4op- loo !a valeur du domaine. »
On voit par cet exemple comment l'intérct du propriétaire
s'est combiné avec celui d u fermier . {Far mer' s Magazine . )
COMMERCE.
VUES PRESUMEES DE M. HUSKISSON, PRESIDENT DU
BUREAU DU COMMERCE.
Les débats qui ont suivi la motion de M. Whitmore ont
du enfin ouvrir les yeux des propriétaires fonciers sur les
besoins de la nation. Ils ne peuvent plus espérer que l'on
sacrifiera l'utilité de tous à leurs avantages particuliers, eu
continuant à fermer le marché intérieur aux blés étran-
gers. Quelque précieux que soient les intérêts de notre
agriculture, il est évident que ceux de nntre industrie ma-
nufacturière le sont maintenant davantage j non-seulement
à cause delà multitude de bras qu'elle emploie, mais aussi
à cause des capitaux énormes engagés dans ses diverses
branches, et du grand nombre d'hommes habiles dont le
talent et les connaissances concourent au succès de ses tra-
vaux.
Le but de M. Huskisson paraît être de faire descendre
les denrées de première nécessité, au prix où elles sont dans
les autres pays. Il espère atteindre ce but en dégageant
président du bureau du commerce. 1 1 5
le commerce des restrictions et des droits qui gênent parmi
nous la liberté de ses mouvemens. La baisse des denrées
alimentaires ferait diminuer , dans une proportion corres-
pondante /le prix de la main-d'œuvre qui cesserait d'être
plus élevé en Angleterre que sur le continent. C'est seule-
ment lorsque ce dessein sera accompli, que nous commen-
cerons à Jouir pleinement de nos grands capitaux , de notre
immense ci'édit, de la supériorité de nos machines, de Tabon-
dauce du combustible que produisent nos mines de char-
bon, en un mot, de tous nos aA'antages naturels et acquis.
Par ce moyen si simple et cependant si habile, la Grande-
Bretagne deviendra infailliblement l'arbitre des marchés da
monde.
M. Huskisson est accusé d'avoir mis volontairement de
Tobscurité dans l'exposé de ses projets. Déjà on lui avait
adressé le même reproche, à l'occasion du rapport du
comité de 1821, dont on lui attribue la rédaction ; et , dans
le fait , l'analogie entre ce rapport et son dernier discours,
est si grande, que s'il avait lu le premier , au lieu de lire le
second, l'eflét eût été le même. I/obscurité calculée du
discours et du rapport doit être attribuée à une cause uni-
que. En 1821, M. Huskisson ne voidait indiquer que quel-
ques-uns des grands traits de son plan , ajournant les dé-
tails à l'époque où il proposerait au Parlement des mesures
définitives. Les ministres craignaient d'exciter les alarmes
et les ressentimens des gentilhommes de campagne; classe
puissante qui a de nombreux représeulans à la cbambre
des communes, et qui est si intéressée à ce que les grains
étrangers ne soient pas admis dans nos ports. Ils désirent
également aujourd'hui ne pas provoquer prématurément
l'opposition de cette classe: d'autan!: plus que l'état des
chaiiges étrangers , et la tendance des matières d'or et
d'argent. à aller sur le continent , les oblige de remettre à
un tcms indéfini les mesures qui pourraient augmenter
il4 Vues présumées de M. Husktsson,
l'exportation des métaux précieux. Telles sont les causes
de la manière ambiguë dont ils se sont expliqués sur leurs
Tues ultérieures. En attendant qu'ils puissent les mettre à
exécution, la libre admission du blé du Canada et de celui
des entrepôts , autorisée à la session précédente , dimi-
nuera les besoins du marché , fera descendre les prix ,
conciliera au gouvernement l'opinion du commerce, et
préparera tout doucement la classe agricole à des mesures
plus importantes et plus décisives. '
Les mesures que les ministres se proposent de prendre,
auront encore un autre effet : ce sera d'empêcher les per-
pétuelles fluctuations du prix des grains. Lorsque ce prix
pourra, jusqu'à un certain point, être maintenu à un taux
uniforme, le cultivateur , avant de prendre une terre à bail,
en calculera facilement les bénéfices; l'agriculture devien-
dra un commerce régulier, et elle ne sera plus ime spé-
culation périlleuse, comme e!le l'a été pendant les neuf
ou dix dernières années. Rien de plus vigoureux que la
réponse de M. Huskisson à M. Gooch, lorsque celui-ci
avançait à la chambre des communes , que le système ac-
tuel était bon , et qu'il fallait s'y tenir.
K J'ai toujours pensé, dit M. Huskisson, que ce que
nous devions le plus désirer, c'était de maintenir la per-
naanence des prix, et d'empêcher des oscillations convul-
sives, qui mettent le désordre dans la fortune des cultiva-
teurs. Or , que fait la législation actuelle ? Elle limite , dans
les mauvaises années , les marchés dont nous pouvons tirer ,
les grains qui nous sont nécessaires , et dans les bonnes f
elle nous empêche de vendre nos produits surabondans.
Il est impossible de ne pas être surpris qu'il y ait encore
quelqu'un qui puisse faire l'éloge d'un système également
préjudiciable au cultivateur , à l'artisan et au fermier lui-
même, surtout après le rapport de 1821 , qui en a si com-
plètement démontré tous les vices. Certes, ce n'était pas
prenaient du bureau du commerce. 1 1 5
eu iHl'i, que Ton pouvait se foliciler des effets produits
par ce système , lorsque les grains étaient tombés à 58 sh.j
que tous les soirs on entendait parler, dans cette chambre,
de la banqueroute nationale et proposer les expédiens les
plus extraordinaires. Dans Tespace de deux, ans, le prix du
grain a varié de 58 à 1 12 sb. le boisseau. Il résulte de ces
variations que l'industrie des fermiers ne présente plus au-
cune sûreté j que plusieurs des opérations auxquelles ils se
livrent, sont de purs jeux, dont les résultats sont aussi in-
certains que peut l'être l'agiotage des actions des mines ;
et que lorsqu'ils font un long bail, 11 est Impossible qu'ils
calculent les conséquences définitives qu'il doit avoir sur
leur bien-être et sur celui de leurs familles. »
Rien , assurément , n'est plus mauvais qu'un pareil état
de choses, et il importe beaucoup à la prospérité générale
du pays, que lorsque le fermier prend un engagement, il
puisse en prévoir les résultats. Sans doute les produits des
dîmes et de la rente de la terre tomberont , par suite des
mesures des ministres , et par conséquent ces mesures ne
sauraient être agréables aux membres du clergé et aux
propriétaires fonciers. Mais ce qu'ils perdront d'un côté,
sera compensé de l'autre, au moins en partie, par la
diminution du prix de toutes les marchandises ; diminu-
tion qui sera, comme nous l'avons déjà vu, la conséquence
infaillible delà baisse des denrées alimentaires et du prix
de la main-d'œuvre.
L'introduction des grains du dehors, dans nos marchés,
tournera encore d'une autre manière à l'avantage de notre
commerce et de notre industrie. En effet, il n'est pas dou-
teux que l'admission de ces grains dans nos ports, ou leur
exclusion, n'ait une grande Inlluence sur les cultures de
l'étranger; c'est un fait bien connu, que lorsqu'en 1816,
l'importation fut défendue, dc;s portions très-considérables
de terrain casèrent d'y être cultivées. Lorsqu'elle sera per
1 16 Population actuelle
mise de nouveau, ces teirrams seront remis en valeur, et
l'augmentation cVaisance qui en résultera pour les pays oii
ils se trouvent , leur permettra d'acheter un plus grand
nombre de nos produits. D'ailleurs, beaucoup de négocians
anglais, pour faciliter l'écoulement de leurs marchandises,
consentiront à les troquer contre des grains, quand bien
même ces grains devinaient donner peu de bénéfice j et, de
cette manière , ils forceront la vente de quantités considé-
rables d'articles de nos manufactures. Toutes ces transac-
tions seront encore singulièrement facilitées par les per-
fectionuemens continuels introduits dans nos moyens de
li'ansport qui deviennent de jour en jour plus sûrs et plus
rapides. {^London Magazine. )
STATISTIQUE (i).
POPULATION ACTUELLE DE L IRLANDE, COMPAREE A CELLE
DE QUELQUES AUTRES PAYS DE L'zUROPE.
Le recensement delà population d'irlaiide, fait en 182 1,
a fourni le résultat suivant:
Individus du sexe masculin, 3,3/^i,^iù
Individus du sexe fe'niinin 3,459,901
Total.... 6,801,827
Ce qui, en estimant la superficie du pays à 18,700
(1) Note du Tr. Jusqu'à piésent on a conside'ré raccroissement de
la population d'un pays, comme une indication certaine de sa pros—
ptrilé. II est remarquable que, contrairement à cette supposition.
de l'Irlande . 117
milles carres d'Irlande (i) , donne 365 individus par mille
carré. Celte population paraît bien remarquable quand on
fait les comparaisons suivantes :
En Irlande 223 \
En Angleterre 207
En Ecosse 70
Dans le pays de Galles 98 \ Par mille carré anglais.
En France i44
Dans les états de la confédération
Germanique m
L'Irlande est donc , proportionnellement à son étendue,
trois fois plus peuplée que l'Ecosse , luie fois et demi plus
peuplée que la France , et deux fois plus peuplée que l'Ai-.
lemagne. La population de l'Irlande ne l'emporte pas sur
celle de l'Angleterre autant qu'on l'a généralement supposé,
En Irlande elle est plus disséminée , et en Angleterre elle
est plus concentrée dans les grandes villes. La population
d'Irlande est plus forte dans les comtés d'Armagli et de
Monaglian , que dans les autres comtés. Dans le premier,
elle est de 480 individus par mille carré anglais , et dans
l'autre, elle est d'un peu moins. Cependant la population
du comté d'Armagli est surpassée par celle du comté de
Lancastre en Angleterre, laquelle, en comprenant les
grandes villes de Liverpool et de Manchester , est de Goo
individus par mille carré , et non compris ces villes , d'en-
viron 490 par niliie carré.
L'on a avancé que l'un des meilleurs moyens d'apprécier
la marche de la population d'un pays , c'est de s'assurer
l'Irlande , une des contrées les plus misérables de l'Europe , en soit
la plus peuplée. Ce phénomène statistique méritait d'être relevé. La
source à laquelle nous avons puisé ces renseignemcns, ne permet pas
d'en contester l'exactitude.
(i) Le mille d'Irlande é(juivaul à une dcmi-licuc de France , à
vmgl-cinq lieues par degré.
1 18 Population actuelle
du nombre (Vliulividus qu'il contient au-dessous de i'âgede
quinze ans. Dans un pays où la population est stationnaire,
à peu près un quart des individus est au-dessous de cet
âge. Dans les Etats-Unis d'Amérique , près de la moitié est
au-dessous de l'âge de quinze ans ; en Irlande , environ les
deux cinquièmes. Les diverses provinces d'Irlande pré-
sentent, sous ce rapport, des proportions différentes.
Sur un million d'individus, on compte au-dessous de
l'âge de quinze ans :
Dans la province de Munster 4^7,925
Dans celle de Connaught 4^4)^47
Dans celle d'UIster l^o!^,o'ito
Dans celle de Lelnster , 3y8,953
Dans les Etats-Unis d'Amérique 4^'^j')o8
En Suède ^4^) ' *^^
Dans quelques cantons de la Suisse 25o,ooo
D'où il résulte que les provinces de Munster et de Con-
naught , sont celles où la population augmente le plus ra-
pidement. Celle de Munster se rapproche, à cet égard ,
des Etats-Unis d'Amérique.
Le rapport de nombre entre les deux sexes est , en Ir-
lande , d'environ io4 individus du sexe féminin, pour loo
du sexe masculin j en Angleterre , de io6 du sexe féminin,
pour loo du sexe masculin; tandis qu'en Ecosse on compte
environ ii3 individus du sexe féminin, pour loo du sexe
masculin. Une différence si remarquable ne s'explique pas
facilement. A Londres , ainsi qu'à Dublin , elle est plus
sensible encore. Dans cette dernière capitale, les individus
du sexe masculin , sont à ceux de l'autre sexe , dans le
l'apport de loo à 1 15.
M. Weyland , dans son traité sur les Principes de la
population et de la production , obsi'rve que « par suite de
la douceur du climat , de la fertilité du sol et de la facilité
qu'on trouve à s'y procurer une cabane en terre pour de-
de l'Irlande. 119
meure , et un cliamp de pommes de terre ( ce qui est un
effet de rinsouciance et de la bonté mal-entendue des pro-
pric'taires) , il s'est formé dans les parties les moins civi-
lisées de l'île vuie population surabondante; population qui
n'est nuilemcnt réclamée parles besoins de l'industrie; qui
reste par conséquent oisive , et qui est tout-à-fait négligée
par les classes supérieures qui ne cherchent en aucune ma-
nière à améliorer ses mœurs, ses habitudes et sa condi-
tion. »
( Dublin Phi'hsophical Journal. )
DE LA SITUATION DE L ILE-DE-FRANCE , AUJOURD HUI ILE
MAURICE, DEPUIS QUE CETTE ILE EST DEVENUE UNE
COLONIE ANGLAISE.
Le gouvernement Britannique, par une décision toute
récente, conforme au système libéral qu'il vient d'em-
brasser, a soumis les produits de l'Ile-de-France , importés
en Angleterre , aux mêmes droits d'entrée que ceux des
Antilles anglaises.
Lorsque nous nous rendîmes maîtres de cette île, en
1810, son agriculture ainsi que son commerce étaient
livrés à un abandon complet. Cinq années plus tard, on ne
voyait plus aucune trace des circonstances malheureuses
sous lesquelles elle gémissait auparavant; l'agriculture et
le commerce y avaient repris leur activité. Des maisons de
Londres et du Bengal y avaient établi des comptoirs, et
elles espéraient pouvoir doubler leurs capitaux.
Telle était la position de Tîle quand nous l'administrions
comme colonie étrangère et captive. Devenue depuis co-
lonie anglaise, par le U-aité de paix de i8i4 , elle paraît
I20 Du commerce
avoir éprouvé, de la part de nos ministres, moins de laveur
et de ménagement. Ce fut pour elle une mesure bien funeste
que cet ordre du conseil de 1816, qui , abolissant ou mo-
difiant la loi de l'entrepôt , éloigna de ses ports les pavil-
lons étrangers. Du jour où cet ordre fut promulgué au Port-
Louis, ses pi-oduits perdirent un tiers de leur valeur, et le
prix, de ceux qui y furent importés d'Europe, s'éleva dans
la même proportion. ( Pétition des habitans et négocians
de nie-de-France, du 2 avril 1816. )
D'autres effets de cette mesure ne tardèrent pas à se
manifester. Le commerce de rîium que l'île faisait avec le
nord de l'Europe, et celui qu^elle fiiisait aussi avec l'Amé-
rique du sud, cessèrent tout-k-coup ; tandis que l'île
Bourbon, qui était restée sous le gouvernement français,
bériia du commerce de sa voisine, en continuant d'ac-
cueillir tous ies pavillons.
L'épouvantable ouragan qui désola Flle-de-France en
1816, fixa l'attention sur les remontrances qu'elle ne cessait
d'adresser au Parlement contre cette fatale mesure. Ce ne
fut cependant qu'en 1820 qu'un nouvel ordre du conseil
rouvrit enfiu ses ports aux. pavillons des autres nations.
La colonie conservait un autre sujet de plainte , non
moins grave, contre le gouvernement Britannique; il pro-
venait des droits élevés d'importation auxquels ses sucres
étaient soumis en Angleterre, à l'instar de tous ceux qui ne
provenaient pas de nos colonies aux. Antilles. Non-seule-
ment ces droits ont rendu presqu'impossible tout commerce
entre l'Ile-de-France et la métropole, mais, d'après le té-
moignage même de son gouverneur , sir Robert Far-
qubar , ils ont cliargé noli-e budget d'unesomme annuelle de
100,000 liv. st. , pour frais de gouvernement : somme que
sans ces restrictions I.1 colonie eût pu payer elle-même.
Les entraves mises à l'importation des sucres venant de
l'Inde, sont motivées sur ce que, à leur défaut , nos mar-
de l'Ilt-de-France. 12 1
chés seraient encombrés de celte denrée , et sur ce que la
culture du sucre par des jnains libres, telle qu'elle se pra-
tique dans l'Tnde, est moins dispendieuse que celle qui a
lieu dans les Antilles par les mains des esclaves. Mais ce
raisonnement pèclie par sa base , si on l'applique à llle-de- •
France, où le sucre est cultivé comme aux Antilles, par
les infortunes importés des côtes d'Afrique (i). Les ha-
bitans de celte île ont d'ailleurs , comme ceux de l'Inde,
le désavantage d'un grand éloignement de la métropole ,
ce qui augmente les frais de transport et les primes d'as-
surance ; en outre , ils ne peuvent guère cultiver que la
canne à sucre, à cause des fréquens ouragans qui désolent
leur île , et dont les efforts portent spécialement sur les
plantations de girofle, de café et de coton.
Autre exemple des fâcheux effets du système restrictif.
Ija France favorise naturellement les sucres qui lui vien-
nent de l'île Bourbon; aussi, quoique d'une qualité in-
férieure à ceux de l'Ile-de-France, se vendent-ils y dollars
eu numéraire ( 58 fr. 5o c. ) par quintal , tandis que ceux
de cette dernière colonie ne se vendent , par quintal , que
de 5 à 4 dollars 1/2 ( 16 fr. 5o c. à 24 fr. i5 c. ) en pa-
pier-monnaie.
Ces considérations, jointes à une foule d'autres, que les
colons et le gouverneur de l'Ile-de-France ne cessent, de-
puis pluneurs années, de soumettre au ministère, ont
enfin déterminé les mesures que nous avons signalées au
(1) "Note du Tr. D'après le recensement fait en 1816 , l'ile possc'-
dait à cette époque 84)000 noirs. De ce nombre , 55, 000 ( près des
deux tiers ) étaient mâles ; cette disproportion entre les sexes s'explique
par les renforts de nègres niàles qu'on importe sans cesse de la côte
d'Afrique. Ainsi il parait que la traite continue à l'îlc-dc-France ,
malgré les réglemens contraires. Elle a lieu par les îles Séclicllcs, et
l'on calcule que, depuis i8i6 jusqu'à la fin de i8a4, il est entré, par
cette voie, 70,000 noirs dans la colonie.
122 Aperçu des ressources
commeacement do C3t article, et font espérer , pour cette
colonie, un avenir plus heureux. Néanmoins, on ne peut
s'empêcher de regretter que ses intérêts aient été sacrifiés
si long-tems à ceux, de nos colonies des Antilles ; que depuis
près de dis. ans , par Teffet d'un acte dont ou ne peut s'ex-
pliquer le hut ( Tordre du conseil de 1816 ) , le commerce
ait été obligé d'abandonner ses ports, et que la métropole
ait eu à supporter inutilement une charge annuelle d'un
million sterling ( 25, 000,000 fr. ) , depuis la même époque.
( Asïatîc Journal. )
APERÇU DES RESSOURCES DE l'eJIPIRE DES BIR3IANS (l).
TOPOGRAPHIE.
Le territoire des Birmans est coupé , par le fleuve
Iraouady, en deux portions inégales. A l'orient de ce fleuve,
il se compose d'une région qui a environ cinquante lieues
d'étendue, et qui est bornée par une rivière appelée Saloing-
Miet, laquelle, s'unissant avec le Sitang, va se jeter dans
le golfe de Martaban. A l'ouest du même fleuve, il com-
prend ini pays de trois à dix lieues de largeur, qui , d'une
part , est borné par une chaîne de montagnes habitée par
ime race indépendante, appelée les Ralns ; et de l'autre,
par une contrée appelée le Cossay, qui est plus accessible
que cette dernière aux entreprises des Birmans. La rivière
du Chedouain sert proprement de limite entre cette contrée
et le territoire birman. Au nord et au nord-est , le pays des
(1) Note du Tr. E'ans un moment où la uuissance anglaise ren-
contre dans l'Inde un obstacle inattendu, nous avons pensé que les
détails suivans sur les Birmans qui le lui opposent, présenteraient un
intérêt particulier. Ces détails sont empruntés à la Gazette officielle
de Calcutta.
de l'empire des Birmans. 123
lîirmans est borné par des montagnes qui le séparent de
la province chinoise Yii-Nan. IVantres montagnes, qui
se lient avec celle-ci , et qui se prolongent jusqu'au golfe
de Siam , forment une barrière entre ce pays et le royaume
de Siam ; ces dernières sont habitées par des hordes sau-
vages. Les Birmans sont maîtres de la navigation de
riraouady jusqu'à la ville de Quantong, située sur la
frontière de l'Yu-Nan. Les vallées que comprend cette por-
tion de l'empire birman sont possédées par des chefs
tributaires qu'on nomme Chobouahs. La capitale de l'em-
pire appelée Ummérapoura, est située dans cette même
portion , sur les bords de Tlraouady , et à une lieue au
nord-est des ruines de l'ancienne Ava. Les plaines qui l'en-
vironnent, et qui s'étendent plus ou moins jusqu'à la ville
de Prom , sont d'une fertilité extrême.
Tout le pays , au midi de cette dernière ville , formait
l'ancien royaume de Pégu. Au sud-est de Prom, est l'an-
cien royaume de Tonghuin , pays fertile , mais peu peu-
plé. Au midi et au couchant du Tonghuin , s'étend jus-
qu'à la mer la conti'ée appelée Henzaouady 5 à l'orient
et au midi de ce même royaume , est celui de Sitang ,
aujourd'hui une dépendance de l'Henzaouady ; et , plus
à l'orient, est la région de Martaban , située autour du
golfe de ce nom Le pays compris entre les côtes du Tanas-
sérim , forme un gouvernement particulier. Il en est de
même des ports de Tavay et de Merghi.
CLIMAT , SOL ET PRODUCTIONS.
Le climat du territoire birman est généralement plus
tempéré et plus sain que celui d'aucun autre pa>s, sous
la même latitude. Les saisons sont régulières, et les mala-
dies pestilentielles y sont inconnues. Les tremblemeus de
terre et les tempêtes y sont fort rares.
124 Aperçu des ressources
Dans les provinces supérieures , !e sol est un terroir sec,
sur un roc ferrugineux. Dans les autres, 11 contient plus
d'argile et de matière végétale.
Les productions sont aussi variées qu'abondantes. Dans
les l'orèts , ou trouve la tecque et les différens bois de cons-
truction communs à riude. Les plaines produisent toutes
les espèces de céréales et la plupart des plantes légumi-
neuses. Sur le bord des rivières, et partout où il y a de
leau , on cultive le riz, l'indigo et le cossoumba , plante
d'où Ton tire une belle teinture , couleur ponceau , fort es-
timée chez les Malais , mais peu connue en Europe. Les
autres productions de ce pays , sont le tabac , le coton ( qui
est de deux espèces j l'un blanc ordinaire, d'un ton foncé ,
que les Chinois Importent pour faire le nankin); la canne
à sucre dont ils ne tirent pas de parti parce qu'ils préfèrent
la matière sucrée que leur fournit le palmier ; enfin , des
fruits en très-granl nombre, dont les ims sont communs
à VInde et les autres particuliers à ce pays. La disette ici
est fort l'are, et quand elle arrive, c'est par la faute des
hommes , plutôt que par celle du sol ou du climat.
COMMERCE ET INDUSTRIE.
Les productions qui s'exportent annuellement de ce pays
en Cbine , s'élèvent à la valeur de cinq à six lacs de roupies
(de i,5oo,ooo,à 1,800,000 fr. ) Elles consistent principa-
lement en Ivoire, en ambre , en jaspe et en pierres pré-
cieuses , ainsi qu'eu nids d'oiseaux qui viennent des porls
de Tavay et de Merghi. Les Birmans prennent en retour
de la sole, tant brute qu'ouvrée, des velours, du fil d'or
et d'argent , de l'or en lingots , et surlout de la feuille d'or ,
dont Us font un grand usage. Le Eengal fait le commerce
avec eux par la voix d'Arracan , et reçoit des valeurs d'or
et d'argent eu échange de Si's étoffes de soie et de colon.
Les Birmans fondent les métaux , construisent des navires
de l'empire des Birmaîis. isS
et des barques , et font (Vexccllens cordages. Ils sont b©ns
tourneurs , tant en bois quen ivoire j ils taillent et polissent
les pierres précieuses , et sont babiles potiers. Leurs prin-
cipaux artisans sont cependant étrangers j ils sont peu
avancés en agriculture , quoiqu'ils cultivent assez bien cer-
taines plan les , telles que le tabac, le cossoumba et quel-
ques autres.
POPULATION.
On estime la population de Tenipire birman à 4,000,000
d'ames, estimation qui ne paraît nullement exagérée. On dit
même queTempereur voulant, i! y a quelque tems, se faire
une idée de la population de ses états, somma cbaque ville et
cliaque village de son empire de lui fournir un soldat, et
que tous ces soldats réunis formèrent une armée de buit
mille hommes. Si l'on suppose que ces huit mille villes ou
villages contiennent, l'un portant l'autre, deux cents mai-
sons , on a un total de i ,0oo,ooo maisons 5 et si l'on suppose
ensuite sept individus pour cl)aque maison, on a une po-
pulation entière de 11,200,000 âmes, population qui est
encore bien faible pour l'étendue de l'empire birman.
On assure que les femmes sont aux hommes dans le
rapport de 10 à 0 et même de 4 à i , disproportion causée,
dit-on, par les guerres que ce pays a eu constamment à
soutenir. Quoi qu'il en soit, d'après les rcnseignemens les
plus exacts qu'on ait pu prendre , il ne paraît pas que les
naissances de l'un et de l'autre sexe soient ici dans des
proportions différentes de celles des autres pays.
FORCE MILITAIRE.
1/empereur n a pas d'armée permanente, à moins qu'on
n'entçnde par ce nom un corps d'artillerie sans discipline,
composé de quelques chrétiens indigènes et de (piclques
rcnc'gnts de tous les pays et de toutes les religions; un corps
II. n
I iG Aperçu des ressources
de cavalerie trenviron une centaine d'hommes , et un
autre d'infanterie, formé de 2,000 hommes presque nus et
mal arme's. Quand il vent lever des troupes, il fliit un
appel à ses chobouahs , ou princes tributaires, qui sont
tenus de lui en fournir. îl en fait un semblable aux villes,
dont le contingent se règle sur le nombre des malsons
qu'elles contiennent. Deux , quatre , six maisons au plus ,
suivant les cas, achètent un homme, qu'elles sont dans
l'obligation d'armer, d'équiper et de solder, pendant toute la
durée de la guerre. IjC soldat est armé d'une épée, d'une
lance et d'un bouclier. S'il n'a point de fusil, le munltion-
naire public lui en délivre un, dont il doit compte à la
fin de la guerre. Les cartouches lui sont fournies gratis.
S'il déserte, sa famille et tous ses parens sont saisis , jetés
dans une hutte de chaume et brûlés vifs. Les exemples de
ce genre ne sont pas rares. On désigne aux recrues un lieu
de rassemblement, où elles se rendent à leurs fi'alsj quel-
quefois aussi on les réunit sur des barques mises en réqui-
sition à cet eflet. Le capitaine Cos rapporte, dans la rela-
tion de son voyage, que, sur la route d'Arracan à Ummé-
rapoura , il vit un grand nombre de ces recrues en
pelotons : c'étaient des jeuues gens au-dessous de vingt ans,
ou des vieillards décrépits , qui se rendaient à cette dernière
ville. L'Arracan a été taxé à 3, 000 hommes pour la
guerre actuelle. On stationne les contingens de l'est sur la
frontière de l'ouest, et vice versa, pour être plus certain
de leur fîdélilé.
En même tems que l'empei'eur , qui s'était laissé per-
suader que les Anglais voulaient l'attaquer, se disposait
à prendre l'offensive, il méditait une autre attaque contre
]e royaume de Siam. Cette double lutte a exigé le dévelop-
pement de toutes ses ressources.
Dans le premier but , il a fait marcher 10,000 hommes
vers Arracan, et il eu a rassemblé un nombre égal sur la
de l'empire des Birmans. 1 2-
frontière tl'Assam, quil supposait devoir être notre point
d'attaque. Tl s'est ménagé, en même tems , une armée de
réserve pour couvrir le Pégu et Yanghong. Dans le second
but , il a dirigé 20,000 hommes contre Jamaï.
Une force de 10,000 hommes sera le contingent des dif-
férentes contrées situées au midi de Prom jusqu'à la ^ner :
savoir Bassein , les îles formées par les bouches de Tlraoua-
dy, leTonghuin, THenzaouady, proprement dit, le Sitan et le
Martaban, qui sont les plus belles provinces des Birmans.
On ne croit pas toutefois , qu'administré comme il Test,
l'empire puisse mettre sur pied plus de 60,000 hommes.
FINANCES.
Tjes domaines du monarque aux pieds d'or, diminuent tous
les jours, mais , en revanche , son trésor grossit sans cesse.
Ce trésor est im'gouffre qui engloutit sans retour la fortune
de ses sujets. Il était déjà considérable , lors de la révolu-
tion qui mit ce prince sur le trône , et il s'est augmenté
depuis par des confiscations continuelles. En fonds dispo-
nibles, ce prince est sans doute l'un des plus riches souve-
rains de l'Inde.
Il pourvoit aux. dépenses de sa famille, de sa maison et
de ses ministres , non par des fonds pris sur le revenu , mais
par des dons en terres , ou des privilèges qu'il accorde, oa
par des impôts particuliers dont il autorise la perception.
Par ses dons eu terres , il a déjà aliéné une grande partie
de ses domaines tant patrimoniaux qu'acquis.
Sou revenu fixe se compose, d'une part , des tributs an-
nuels que lui paient les chobouahs, et de l'autre, du pro-
duit de ses domaines, de celui des mines et des taxes , tant
sur les objets importés qu'exportés.
Son revenu casuel provient de confiscations , d'aubaines,
d'amendes, tle donations, etc. Les impôts se paient com-
munément en nature j les productions sont emmagasine'es
l 'iH Fi)rce 11 nli Luire
et converties ensuite en argent, suivant les besoins du fisc.
Les tributs des chobouabsse paient toujours en numéraire,
ainsi que les droits sur quelques articles de commerce , et
particulièrement ceux, sur le coton.
D'après des cilculs faits avec soin sur les finances de
l'empire des Birmans , on estime que le revenu annuel du
gouvernement ne peut s'élever au-dessus de i5 lacs de rou-
pies ( environ 4,5oo,ooo fr. ) {^Gazette de Calcutta.^
FORCE MILITAIRE DE LA CHINE.
U.v voyageur russe, M .Timkovski f i "), qui a passé quelque
temsenCliine, a publié, sur la force militaire de cet empire,
des renseignemens qui fei*aient juger que sa puissance est
bien plus apparente que réelle. Selon lui , les estimations qui
font monter l'armée chinoise à un milliondhommes d'infan-
terie et à 800,000 de cavalerie , sont fort exagérées. Les
troupes r.'glces sont divisées en quatre corps , d'après les
f[uatre nations qui les fournissent. Le pr. mîer corps , fort
de 67,800 hommes , se compose de Mantchous, les conqué-
rans et les maîtres actuels de l'empire. C'est à cette nation
qu'appartient la famille de l'empereur régnant. Ces troupes
sont l'élite de son armée , et elles jouissent de grands pri-
vilèges. L'î second corps , qui est de 21,000 hommes , est
formé de Mongols ; et le troisième, de 27,000, se compose
de Cliinoiti. I-e quatrième, qui est le plus nombreux, et qu'on
dit monter à 5oo,ooo hommes, est également composé de
Chinois \ mais ces derniers diffèrent des préccdens , et font
classe, et , en quelque sorte, nation à part, parce que leui's
(i) La traduclion thi voyage de M. Timkovsky \a paraître incessa m-
mcnl à la Librairie Orientale de Dondey-Dupre' , rue Saint-Louis,
■n"^ 4'^ 1 i>" Marais , eV rue Richelieu, no 67.
de la Chine. \ iç)
ancclres comballircnt conlre les Mantchous , tandis que
ceux du troisième corps se joignirent à eux et les aidèrent
à faire la conquête de la Chine. Ce quatrième corps est le
moins estimé de tous. On le dissémine dans les diverses gar-
nisons de lintérieur. Avec les milices , qui sont de i2,5,ooo
hommes, 1 armée chinoise s'élève à ^40^000 hommes , dont
175,000 de cavalerie. Il existe , en outre, une cavalerie
mongole, qui, par son organisation et son genre de service ,
ressemble aux troupes russes irrégulières du Don et de
rUral. On n'en connaît pas la force d'une manière exacte j
mais on l'estime communément à 5oo, 000 hommes.
Tous les soldats chinois sont mariés , et leurs enfans qui
sont inscrits sur les l'ôles en naissant , recrutent les curps
auxquels ils appartiennent. Outre ses armes , un cheval ,
vme maison et une certaine portion de riz, chaque soldat du
premier , du second et du troisième corps, touche une solde
mensuelle de 5 ou 4 '«"s ( i!\ ou 02 fr. ) ; mais il s'habille
à ses frais et à sa volonté , d'où résulte une variété très-
bizarre dans les vctemens des troupes. Les hommes du
quatrième corps reçoivent du gouvernement des portions
de terrain quMls cultivent pour leur subsistance.
Aucune armée ne se recrute plus facilement que l'armée
chinoise. Des malheureux viennent en foide se ranger sous
ses drapeaux, pour échapper au besoin et à la misère. Mal-
gré les sommes énormes que coûte l'entretien de cette armée
et qu'on dit monter à 87,400,000 lans (6g9,5oo.ooo fr. ) ,
elle est peu redoutable, étant sans discipline et sans énergie.
Le dernier empereur Kia-Ring lui reprocha son avilisse-
ment en termes assez durs , dans une proclamation datée
de l'année 1800. Dans cette pièce , après avoir rappelé aux
Mantchous les actions héroïques de leurs pères, il leur dit
qu'ilfisont aujourd'hui moins exercés dans l'arl militaire et
plus faibles que les ('liinois eux-mêmes, dont tant de milliers
lurent vaincus par une poignée de leurs ancélres,
VOYAGES.
RELATION' DUN VOYAGE FAIT DANS LE KHORASSAN ,
DANS LES ANNÉES iSîI ET 1822 ; SUIVIE d'unE NOTICE
SUR QUELQUES CONTRÉES SITUÉES AU NORD-EST DE LA
PERSE (1).
Par James Fraser, i8a5.
Dans le premier volume de cet ouvrage , l'auteur nous
rend compte successivement de son voyage à Bombai , à
Mascat, à Meched, à Aslerabad , à Téhéran, par Chiras
et par Ispahan 5 et des observations qu'il fit dans les camps
des Gourdes.
Sachant ainsi la route qu'a suivie M. Fraser , dans sou
voyage au Khorassan , nous allons arriver de plein saut
dans la ville de Téhéran. Nous y trouverons Mirza Aboul
Hussein Khan , ancien ambassadeur du roi de Perse à la
cour de Londres (i). Le portrait que M. Fraser fait de ce
personnage, pourra amuser et surprendre quelques-uns de
nos lecteurs.
« Mirza Aboul Hussein Khan , dit-il, n'a , par les mœurs
et le caractère, rien de commun avec les hommes respec-
tables que je viens de nommer. D'une famille ancienne ,
(i) Narrative of a journey iiito Khorasan in the yenrs 1821
and 1822 , including sorne account of the north-east of Persia. By
James Fraser , author of a Tour in ihe Himalaya moimtalns, 1825.
(a) Note du Tr. Ce même personnage a habite' quelque tems
Paris, où il prenait la qualité (l'ambassadeur de la cour de Perse près
des rois d'Occident. Il y fréquentait les spectacles, les loges maçonni-
ques , et , en général , tontes les réunions nombreuses. Le luxe de
sa toilette , sa barbe noire et bien soignée et toute inondée de parfums,
lui donnaient l'apparence d'un petit-maître.
"Relation d'ini voyage fait dn-ns le Khorassan. i3i
mais déchue et fixée tantôt à CIjiras et tantôt à Ispaliau ,
il était pauvre daus ses premières années ; mais il était
beau , et les agrémens de sa personne joints à quelques ta-
lens pour là danse , qu'il exerçait en Labit de femme , lui
firent trouver des ressources près iS^s voluptueux d'Ispahan.
Se sentant de l'aptitude pour le commerce , il renonça à ces
misérables ressources pour s'y livrer, et en persévérant dans
cette carrière , il acquit peu à peu une existence honorable.
Parvenu à cette situation, il se fit assez remarquer à Téhé-
ran , pour que le roi , qui avait besoin d'un sujet pour
l'ambassade d'Angleterre , jetât les yeux sur lui et lui con-
fiât celte mission. Mirza Aboul Hussein Rhan l'accepta,
et les connaissances qu'elle le mit à même d'acquérir , tant
sur les mœurs que dans les langues de l'Europe , jointes à
la répugnance qu'ont les grands de la cour de Téhéran ,
pour les missions dans cette partie du monde , l'ont fait
désigner pour remplir toutes celles de ce genre qui se sont
présentées depuis.
» Aucun personnage n'est moins considéré à la cour de
Téhéran, que Mirza Aboul Hussein Rhan ; il est tellement
décrédilé , sous les rapports de l'honneur et de la probité ,
qu'à moins d'y être contraint par des circonstances majeures,
aucune personne honnête n'a de relations avec lui. Dans un
âge déjà avancé , il conserve toutes les habitudes de sa
jeunesse , lesquelles , même dans un pays où l'on est gé-
péralemeut facile pour les mœurs , ne font qu'inspirer le
dégoût et le mépris. Il est vrai toutefois que cet homme ,
par la ilexibdité et l'enjouement de son caractère , sait
souvent capter avec assez d'adresse la faveur de ceux dont
il a besoin. Cependant il est difficile de s'expliquer com-
ment ce personnage a eu tant de succès dans les dillerens
pays de l'Europe, et surtout dans le nôtre. Sa conversa-
tion est remplie de propos libres et iuiperlineus j jamais
il ne parle de l'Anglelerre, qu'il ne se montre indigne des
102 Relation d'un voyage
bontés et de l'hospitalité qu'il y a reçues. 11 eu est revenu
chargé de prcsens ; il a touché pendant long-tems , et il
louche encore , à ce que je crois , une forte pension du
gouvernement britannique , et cependant il se montre , en
toute occasion, contraire à ses intérêts, et il n'en parle
qu'avec mépris. Ayant porté, à ce qu'il paraît, vm grand
nombre de schalls de sou pays , en Angleterre, il se vante
ici de les avoir troqués contre les faveurs de nos plus belles
femmes. A ce propos , il cite par leurs noms toutes celles
avec lesquelles il aurait eu des relations de galanterie , et ,
de ce nombre , se trouvent quelques femmes du premier
rang. Ce petit-maître persan met le comble à son impudence
en faisant passer de main en main des lettres qu'il pi'étend
en avoir reçues, et il a montré dernièrement au roi le por-
trait d'une femme célèbre , d'une femme non moins dis-
tinguée par ses vertus que par son rang , et qu'il compte
avec les autres parmi les maîtresses qu'il a eues à notre
cour. Il faut espérer que l'ingratitude de cet étranger ser-
vira de leçons aux dames anglaises, et qu'avec cet exemple
devant les yeux , elles se garderont , à l'avenir, d'accueillir
avec une bienveillance imprudente , des gens qu'elles ne
connaissent point.
» Mirza Aboul Hussein Khan revint chargé , non-seule-
ment de présens , comme je l'ai déjà dit, mais aussi de mar-
charchandises qu'il avait rassemblées de tous côtés , et
que , par son privilège d'ambassadeur , il put faire entrer
exemptes de droits ; mais , non content d'éviter pour elles
des Irais de douanes , il voidut aussi esquiver les frais de
transport d'Astérabad à Téhéran ; il mêla donc ces mar-
chandises avec certains présens dont ii était chargé pour
le roi , et , par ce moyen , il obtint des bétes de somme ,
tant pour ses propres bagages que pour ceux de son maître.
Cependant , celui-ci , informé de cette ruse , ou l'ayant de-
vinée peut-être par cet instinct qui le gui ic dans tout ce
fait dans le, Khonissan. i55
nul concerne ses intérêts , s'occupa bienlôl de la déjouer.
Dans ce but , dès qu'il sut que son ambassadeur approchait
de la capitale , il s'en absenta lui-même, et, ayant ordonné
ime partie de chasse , il somma Mlrza Aboul Hussein Khan
de venir le rejoindre sur-le-champ. Pendant celte partie de
chasse , les bagages de Tambassadeur cheminaient , avec
ceux, du roi , vers la capitale, et, !orsf|u"ils y fui'ent arri-
vés , ils furent logés , comme présens destinés au schah ,
au garde-meuble royal. Mlrza Aboul Hussein Khan n'osa
jamais réclamer les siens, et sa ruse tourna ainsi au profit
de celui qui devait en être la dupe.
» Le poste que cet ancien ambassadeur occupe mainte-
nant à la cour de Téhéran , est simplement cehii d'intro-
ducteur des Européens qui se présentent à celte cour. Il
ambitionne celui de ministre ^ mais vainement ; ses fonc-
tions , en ce qui concerne les affaires étrangères , se bor-
nent aux relations que la Perse entretient avec le gouver-
nement britannique , et elles sont exercées sous la direction
du ministre Mlrza Abdoul Wahab. »
Quant à la Perse en général , M. Fraser en fait un ta-
bleau on ne peut pas plus défavorable. Cet empire , selon
lui , marche rapidement à sa ruine. Le souverain actuel ,
prince faible et avide , se montre ennemi de tout mérite
dans ses propres sujets , et jaloux des relations qu'ils for-
ment avec les étrangers qui fréquentent ses états. En tra-
çant le caractère de ce prince, M. Fraser ie compare avec
quelques-uns de ses prédécesseurs , et entr'autres avec le
fameux Nadï?-, dont il raconte l'anecdote suivante :
« Nadir Schah, dit-il, appréciait le courage et savait le
récompenser. Un marchand lui avait apporté un jour quel-
ques armes à examiner. Ce prince les payait à tout \)r\x ,
([uand il en rencontrait à son gré. Il essaya plusieurs épées,
puis s'arrétanl enfin à une qui lui parut de bonne trempe, il
dit : Elle est bonne, mais (roji courte ( ek kudiini peisch ).
i54 Relation d'un voyage
— Il \\y a qu'à faire un pas en avant , dit tout bas un jeune
liomnie parmi les assistans ; voulant dire qu'au nioven d'un
pas de plus vers l'ennemi, elle aurait sa juste mesure.
Nadir Scliali baissa sur lui sou regard sévère , et après un
moment de silence, il l'apostropba ainsi : Et toi , voudrais-
tu le faire ce pas ? — Volontiers , sire , lui répondit le jeune
bomme. — Eli bien donc ne l'oublie jamais , reprit le roi ;
et en disant ainsi , il lui jeta l'épée. En effet , n'oubliant pas
ce mot, le jeune bomme se distingua depuis par sa bra-
voure et son dévouement , et parvint aux premiers grades
dans l'armée de Nadir.
» Mais , sous le règne actuel , ajoute M. Fraser , Il n'y a
de récompense ni pour la bravoure , ni pour le dévoue-
ment 5 au contraire, ces qualités n'inspirent jamais que la
méfiance et le soupçon , et attirent sur celui qui les pos-
sède, des persécutions inévitables : témoin le sort de Futeb
Allée, qui eut les yeux crevés pour prix de services impor-
lans. De tels exemples paralysent nécessairement toute
espèce d énergie. Un descbefs, près d'Astérabad , parlant
d'expéditions qu'il avait faites contre les Turkomans , et de
celles qu'il était question de renouveler contr'eux , dit : E*-
pourquoi les soumettrai-je ? De quelle manière en serai-je
payé? Comme Futeb Allée ! »
Nous passerons maintenant, avec M. Fraser, dans le pays
du Kborassan , qui paraît avoir été le principal but du
voyage qu^il a entrepris. Ces conti^ées sauvages sont ha-
bitées par diverses tribus nomades , entre lesquelles nous
distinguerons celles des Turkomans. Voici quelques détails
sur les mœurs de cette tribu :
« Les femmes des Turkomans , dit l'auteur, ne sont pas
renfermées, ni cacbées , suivant l'usage ordinaire des peu-
ples mahométans : elles ne portent pas de voile , propre-
ment dit , mais une sorte de rideau eu étoffe de soie ou de
coton , qui est fixé autour du visage de manière à en cacher
Jait dans le Khorassan. i35
Je bas au-dessous du nez, et qui descend jusqu'au sein.
Elles ne quittent pas la tente lorsqu'un étranger y arrive ,
mais restent occupées à TouA'rage qu'elles ont devant elles.
Assez familières avec les étrangers , elles passent même
pour les voir avec trop de bienveillance.
» La coiffure de ces femmes est bizarre : elle consiste en
un bonnet élevé à large fond , assez semblable à ce genre
de cbapeau militaire qu'on appelle un schakos. Ce bonnet
se porte sur le derrière de la tète et se recouvre par un
mouchoir de soie de couleur éclatante , dont les bouts tom-
bant de chaque côté , font l'effet d'un voile jeté en arrière.
De dessous ce bonnet , sortent de longs cbeveux qui se par-
tagent eu quatre tresses : deux descendent de chaque côte ,
l'une devant l'épaule et l'autre derrière. Ces tresses sont
chargées d'ornemens en agate, cornaline ou autres pierres,
suivant la fortune et le rang de la femme.
» L'usage , chez ce peuple , est que l'homme achète la
femme qu'il épouse ; et un certain nombre de chameaux ,
de moutons , ou d'autre bétail , en est communément le
prix. Les femmes sont considérées , en quelque sorte ,
comme domestiques ; mais outre les soins du ménage, elles
s'occupent aussi de la confection des objets divers qui se
vendent au prof.t de la famille. Les hommes s'occupent du
gros bétail , et d'expéditions qui ont généralement le pillage
pour but. Dans les marchés dont je viens de parler , une
veuve est plus estimée qu'une jeune fdle ; l'une se paiera de
2,000 à 4,000 roupies, tandis que l'autre ne vaudra que
de 200 à 400 roupies. Cinq chameaux sont le prix ordinaire
d'une fdle ; mais cinquante , et même cent, seront le prix
d'une femme qui a déjà été mariée et qui est encore dans
la fleur de 1 âge. La raison qu'on donne de cette préférence
bizarre, est qu'une jeune filie est censée neuve , eu ce qui
concerne les soins du ménage et les diverses occupations
cjui sont dévolues aux femmes.
i5(i Reldtion d'ii/i voyage fait dans [c Khorassan.
» Jja polygamie est moins commune , dans ces contrées ,
que dans les autres pays maliomctans. Soit par celte raison,
soit par d'autres, que je ne saurais dire , les femmes des
Turkomans sont beaucoup plus fécondes que celles des
autres tribus; elles le sont même, dit-on, dans la propor-
tion de deux à un. De chaque camp près duquel je passais ,
il sortait une multitude d'enfans. Dans son étonuemeut d'en
voir un si grand nombre, uu de mes gens s'écria : « Mais
c'est ici une véritable fourmilière. » Ces enfans sont pres-
que nus; ils paraissent forts, robustes et bien porlans. J'ad-
mirai la hardiesse avec laquelle plusieurs qui étaient à
peine en âge de marcber , plongeaient et se débattaient
tians les eaux , sans que leurs mères en parussent alarmées.
Tout atteste en eux la dure école à laquelle ils sont élevés.
Mon hôte, Khali Rhan, avait dix enfans mâles fort beaux ,
nés de ses deux femmes.
« Lorsqu'un Turkoman meurt, on lave son corps à l'en-
droit même où il a expiré ; puis dans ce même lieu, on élève
un petit tertre, en creusant une tranchée circulaire de
deux à trois pieds de largeur, et en amassant la terre au
centre. Sur ce tertre , on plante un arbre , où l'on fixe une
perche pour marquer le lieu où il est mort. Le corps est
porté plus loin dans la plaine pour être enseveli. Ou voit
beaucoup de plaines parsemées de tertres de ce genre , et
près des lleuves on aperçoit de nombreux cimetières, seuls
vestiges d'une population et d'une ancienne prospérité qui
n'existent plus. » (^Lit. Gaz.)
RELATION D UN VOYAOE A LA COCHINCHINE , PUBLIEE A
LONDRES, EN l8a4.
M. WiilTE, lieutenant dans la marine des Etals-Unis
d'Amérique , et auteur du voyage dont nous allons rendre
compte , partit de Salem sur le Franklin , en janvier iSiç),
et atteignit , le 7 juin suivant , le cap Saint-James , à Textré-
mité méridionale du royaume de Cociiinchine. No trouvant
sur la côte aucun interprète, à l'aide duquel il put commu-
niquer avec les autorités locales , il dut renoncer à s'occuner
de l'objet de son voyage, qui était d'élablir avec elles des
relations commerciales , et il quitta ces parages pour passer
à Manille, dans l'espérance d'y rencontrer un truclieraent,
IaC Franklin fut rejoint par le Marniion , autre bâtiment
américain , qui arrivait également des côtes de la Cocbin-
cbine , où il n'avait pu faire d'échanges , parce qu'il no
portait que des doublons , et que les Cochincbinois ne con-
naissent d'autres pièces étrangères que les [^.iastres.
Les deux bâtimens américains s'étant pourvus à Manille,
l'un d'un truchement , et l'autre d'une provision de piastres,
prirent la résolution de retourner ensemble aux côtes de la
Cochinchine , et ils mouillèrent de nouveau , dans les pre-
miers jours d'octobre , au cap Saint -James , situé aux
bouches du Donnai. Autorisés , après quelques jours d'at-
tente-, à remonter le (leuve et à se rendre au port de
Saigon , ils levèrent l'ancre , et , munis de pilotes , ils
s'acheminèrent vers ce port . résidence ordinaire d'un
vice-roi.
« Ici comme en Chine, dit M. Whitc , une grande partie
de kl population vit sur l'eau ; une famille entière occupe
une l)arquc, (|ui est sa seule deuKnu'c. l'^llo sidisistc jiar la
l58 Relation d'un i>oyage
pèche , par le commerce des fruits , par le transport des
passagers et par les services auxquels l'emploient les bâti-
mens chinois et autres navires étrangers , qui fréquentent
le port de Saigon. »
Eu remontant le fleuve , M. White fut frappe du grand
nombre de barques légères qui parcouraient sa surface.
Chacune de ces barques formées d'un simple tronc d'arbre,
était manœuvrée par une femme, qui n'employait pour cela
qu'une rame longue et élastique, fixée à un pivot près de
la poupe. Plusieurs de ces barques vinrent avec d'autres
plus fortes se grouper autour des b'.timens américains ;
toutes étalent chargées de divers fruits des tropiques , tels
que des bananes , des ananas , des oranges , des citrons ,
des mangoustans, des cannes à sucre et des fruits confits.
Arrivés enfin au port de Saigon , les commandans des
deux bâtimens mirent pied à terre , le 8 octobre , et , pré-
cédét? d'interprètes , de guides et de quelques-uns de leurs
gens , portant des présens destinés au gouverneur ( car le
vice-roi était alors absent ) , ils prirent le chemin du palais
de ce dernier. Ces présens se comjiosaient de lampes à
sphère , de carafes en cristal taillé , de pistolets , de par-
fums , de cordiaux, et d'une boîte pour mettre du tabac,
de l'arek et du chunam.
ce Nous passâmes, dit M. White, par des rues encombrées
d'ordures, et nous fûmes étourdis , durant tout le trajet , par
l'aboiement des chiens et par les cris d'une multitude gros-
sière , qui touchait nos vèteraens , nos mains , nos visages,
et que nous ne tenions à distance qu'à coups de bâton.
Nous entrâmes enfin par un fort beau pont de pierre , jeté
sur un fossé large et profond, dans une citadelle, ou plu-
tôt dans une place forte , dont l'enceinte carrée, fermée
par d'épaisses et hautes murailles , peut avoir un quart de
lieue de dimension. C'est là la résidence ordinaire du vice-
roi et de tous les officiers militaires stationnes à Saigon.
à la Cochinchùie. i5ç)
Les casernes qui en dépendent sont bien construites et
assez grandes peut-être pour loger cinquante mille hommes.
T^e palais du roi est situé sur une belle pelouse , au centre
de la A'illc , et entouré de grands jardins clos par des palis-
sades ; il est bâti en briques et exhaussé à six pieds au-
dessus du sol ; on y entre par un perron de bois. Derrière
ce palais . et à quelque distance , est un corps de bâti-
ment . qui contient les appartemens des femmes ; il est
surmonté de figures de monstres dans le goût chinois. En
passant devant ces bàlLmens, on nous ordonna de baisser
nos ombrelles , à l'exemple des mandarins qui nous accom-
pagnaient, pour saluer , nous dit-on , la demeure du fils du
soleil. »
Les deux officiers américains et leur suite furent rreus
par le gouverneur , dans sa propre maison , corps de bâ-
timent carré , revêtu de tuiles peintes, et dont le toit , on
saillie, était soutenu par des colonnes de bois de rose poli.
I!s le trouvèrent assis, les jambes croisées, sur une haute
estrade 5 près de lui étaient des mandarins de divers or-
dres , et derrière eux étaient rangés des soldats armés
d'épées à double tranchant et de boucliers en peau de
buiTle , ce qui présentait un coup-d'œil assez imposant. Le
gouverneur accueillit gracieusement ses hôtes ; mais l'en-
trevue se borna à un pur cérémonial. M. White fut conduit
ensuite dans la citadelle ; il vit sur leurs affûts beaucoup de
canons de divers calibres. Il j remarqua entr'aulres quel-
ques pièces de campagne, qui étaient marquées de tlcurs-
de-lis, et datées du règne de Louis XIV.
L^arsenal de la marine est un des objets qui ont le plus
fixé l'attention de M. White, à Saigon, «t Cet élablissemeut
dit-il, ne le cède guère à ceux de ce genre qui sont eu Europe.
Il ne contient pas de gros navires , mais un grand nombre de
galci*es , d'une construction excellente. Elles peuvent avoir
de quarante à cent pieds de longueur , et elles portent les
i4o Rf hit ion d'un voyage
unes seize canons, les autres seulement de quatre à iix:
ces pièces sont en cuivre et de la plus belle fonte. Les ma-
tériaux réunis dans les chantiers attenant à l'arsenal, suffi-
raient à la construction de plusieurs frégates. Les l)ois de
construction surpassent tout ce que j'ai vu de plus beau en
ce genre. Je mesurai un ais qui avait cent neuf pieds rie
longueur , sur deux de largeur dans toute son étendue ; je
ne sache pas que dans aucun pays du monde , il se trouve
des ais d'une dimension aussi colossale. J'ai vu , dans ce
pays, un arbre qui, à lui seul , aurait pu servir de grand
mât à un vaisseau de haut Ijord, et ce n'est pas ici , m'as-
sura-t-on , un exemple rare. »
La ville de Saigon contient 180,000 habitans, dont
io,coo chrétiens. Les maisons y sont, pour la plupart ,
construites en bois et revêtues d'un chaume de feuilles de
palmiers et de pailles de riz ; quelques-unes sont bâties en
briques et en tuiles; elles n'ont qu'un étage et n'ont pas
de croisées à vitres , mais des volets qu'il faut ouvrir , pour
éclairer l'appartement. Les maisons de la classe pauvre
sont sales et misérables au dernier point; toutes sont assez
tristes. On y remarque une église chrétienne , desservie
par deux missionnaires italiens : ces derniers ont un grand
nombre de disciples. Si l'on en croit les missionnaires , les
chrétiens , en Cochinchine , sont au nombre de 'jo,ooo ,
dont 16,000 habitent le district de Donnai.
Le port de Saigon est situé au confluent de deux branches
(hi Donnai , et la ville de ce nom s'étend à environ deux
lieues sur la rive septentrionale du (letive. Au point ti'union
de CCS deux branches , on a élabli un canal fie communica-
tion avec le fleuve Camboge ; ce canal qui a plus de sept
lieues d'étendue, sur douze pieds de profondeur et environ
quatre-vingts de largeur, a été creusé au travers de forets et
de marais ; dans l'espace de six semaines. 26,000 hommes
furent employés jours <t nuits à cette entreprise, et 7,000
à la Cccliinchiiie. . \.\l
cVenli-'eiix périrent de fatigue ou des maladies qui eu furent
la suite.
Les bâiiniens étrangers sont soumis ici à un droit de
tonnage exorbitant. Le Franklin^ du port de nbi tonneaux,
paya iGa^ piastres fortes, sans compter les présens qu'il
fallut faire et les exactions de divers genres qu'il fallut subir;
ce qui fît monter la taxe entière à 2,'^oo piastres fortes.
« On ne saurait se faire une idée, dit M. White , de la
mauvaise foi et de la rapacité qui cajractériseul les naturels
du pays. » Cest principalement à ce ^défaut qu'il faut attri-
buer la cessation de leurs rapports commerciaux avec
Macao et le Japon , et l'état de langueur où se trouve leur
commerce avec la Cliine. La Cochincbine possède un climat
admirable , de bons ports et des rivières navigables , des
montagnes qui renferment de l'or, de l'argent, du cuivre, du
fer et d'autres métaux. Le sol de ce pays est extrêmement
favorable à la culture de sucre, du coton , du tabac , de la
soie et des épices. Mais, malgré toutes ces ressources,
la Cocbincbine, par les vices de son peuple, les fautes
et l'avidité de son gouvernement, voit maintenant son
commerce réduit à rien. I^e roi actuel est un despote
militaire, dont l'ambition est sans bornes j ses cour-
tisans sont à leur tour des tyrans avides, et le peuple vit
dans l'ignorance et l'abjection. Dans ce pays, tout bomnie
est soldat ; les femmes sont cbargces de tous les détails de
la vie : elles font le commerce, elles exercent l'industrie et
exécutent les travaux agricoles. Les personnes qui appar-
tiennent aux premières classes sont dans l'babilude, ici
comme en Cbine, de laisser croître leurs ougles à un point
extrême, attendu qne cette marque distinctive fait sup-
poser qu'elles sont exemptes, par état, d'aucun travail
manuel. Elles ne quittent jamais leurs vêlemrns , même
pour se coucher, jusqu'à ce que, u^és par le t<'U)s cl la
m;:1proprrté, ils tonilx'nt en lain]>eriu>;.
II. lU
1 4 ">■ Relation d'un voyage
Les bois ot Ifs montagnes de ce pays ai)on(lc)U en bêtes
féroces. On y cliassc iYlépbant, le tigre et le rlilnocéros,
pour avoir île Tivoire , des peaux et de la corne. T^e com-
merce de ce dernier article, ainsi que celui de l'Ivoire , est
exclusivement réservé au roi.
Le souverain de la Cochlnchine était alo^ent de ses étals,
lors du séjour de M. White, Ce prince était occupé à éten-
dre ses conquêtes dans le royaume voisin du Ton-Kin ; il
fait sa résidence ordinaire dans la ville de Hué, aux for-
tifications de laquelle il consacre , depuis vingt ans , des
sommes énormes. J^es travaux qu'il y fait, occupent cons-
tamment 100,000 hommes. Le fossé qui environne la
jdace , a trois lieues de circuit et cent pieds de largeur.
Jjes murs ont soixante pieds de haut. Ces fortifications
sont enfin presqu'acbevées 5 on y enlrellendra une garnison
de 40,000 hommes , et les remparts seront garnis de douze
cents pièces de canon.
liQ?, voitures à roue n'étant pas connues en Cochln-
chine, les voyageurs riches se font porter en hamac. Le
hamac, pourvu de matelas et d'oreillers, est suspendu à
iine perche et surmonté par un dais en forme d'écaillé de
tortue.
Les maisons sont construites avec des matériaux très-
combustibles , ce qui rend les incendies assez fréquens :
fjuaud ils arrivent , on ne s'occupe pas de les éteindre, mais
seulement d'eu borner les ravages. On abat pour cela les
maisons attenantes à celle qui brûle , et c'est l'éléphant
qu'on emploie pour opérer cette destruction. On dirige l'a-
nimal contre la mulson qu'il s'agit d'abattre, et un choc de
sa tête suffit pour la mettre en ruines.
Quant à la population de la Cochinchine, l'auteur n'a
pu se procurer des renseigneraens positifs. Tel njandarln
l'a estimée à dix millions d'ames, tel autre à quatorze mil-
lions. Les missionnaires ne la portent qu'à six mdlious.
à la Cochinchine . i45
M. AVhlte séjourna trois mois au port île Saigon, et il
paraît que sa mission n'eut aucun succès ; il lui fut même
difficile, ainsi qu'au commandant du Marmion, de trouver
à charger son bâtiment; car, à l'exception d'une petite
quantité de résines , de pelleteries et de bois de teinture ,
Saigon ne possède aucun objet d'échange qui puisse con-
venir aux. marches de l'Europe. Ils finirent par prendre
chacun une cargaison de sucre , qu'ils payèrent à un prix
exorbitant.
En résumé, le voyage de M. White n'est pas sans intérêt.
Il nous fournit des idées nouvelles sur une contrée qui ne
nous est guère connue que par le voyage qu'y fit M. Barrow
en 1795; car les tentatives faites depuis, notamment par un
bâtiment américain , en i8o3, pour explorer ce pays, ont
été sans résultat. Celui qu'a obtenu M. White est peu en-
courageant sous le rapport commercial. En effet, le peu-
ple de la Cochinchine conserve ses préventions contre les
étrangers, et son gouvernement ignore encore que tout
commerce se fonde sur la réciprocité des intérêts. II est à
présumer qu'il ne modifiera pas de long-tems les droits exor-
bitans qui , aujourd'hui , éloignent de ses ports les spécu-
lateurs, et qu'il ne sera pas aisé de le déterminer à favoriser
ce système d'échanges, dont les nations civilisées tirent
principalement leurs richesses et leurs moyens de pros-
périté, ( Monthly Review. )
3IONTAGNES DU NILGHERRI, OU CLIMAT DE L EUROPE
PRÈS DE l'Equateur.
( lijrtrnit cCniie lettre particulière. )
« Après avoir passé quelques Jours à Callcul, je montai,
à la polate du Jour, dans mon palanquin, et Je pris la roule
qui mène aux montagnes du Nilgherri. Je m'avançai à Ira-
vers une foret qui est remplie d'élc'phans ; mais mon cor-
tège était nombreux : il se composait tl'euviron cinquante
hommes , dont la plupart étaient armés de lances , d'é-
pées , de fusils et de carabines; et, en mesure contre
vme rencontre, J'étais presque fàcbé qu'il ne s'en présentât
pas une pour nous éprouver. Dans la matinée du cinquième
Jour, j'arrivai au pied des montagnes de Nilgherri, et, à la
nuit tombante, je commençai à les gravir. Le jour suivant,
au lever du soleil, je me trouvai dans un site délicieux ; J'é-
tais environné de rochers, de montagnes, de bois et de
ruisseaux. Je continuai de monter pendant quelques heures,
et j'atteignis enfin une station appelée le Dinhutli , où des
Européens ont bâti quelques chaumières. Le thermomètre,
qui mai'quait 98° (Fahrenheit) à Calicul, en marquait iciôo
de moins, et à cette température, quand la nuit fut ve-
nue, Je ne fus pas fâché de m'envelopper dans une double
couverture. Je ne puis vous dire combien Je jouis de ce
changement de climat ; i! avait dissipé toutes meslangueurs,
il m'avait rendu la santé, au point que, tout fatigué que Je
me trouvais par sui;e du voyage, Je passai ma journée en-
tière à parcourir le pays.
» Le séjour de Dinhutti est ravissant j il me rappelle,
parle climat et par l'aspect des lieux, les sites les plus
beaux de la Suisse. En un mot, il ressemble, à s'y trom-
per, à quelques-unes des contrées de l'Europe. Après y
Climat de l'Europe près d^ l'équateur. i45
avoir demeuré quelques jours, je me remis à gravir, non
plus en palanquin, mais à clieA'al, les monlagnes du Nil-
glierri. Je gagnai, au bout de cinq lieues de chemin, une
autre station, celle de \ Otacamunde , située à 5oo toises
plus haut que la première, et où l'air est beaucoup p!us
froid. Le pays se compose d'une suite de collines qui
couronnent les monlagnes du Nilgherri; la plus haute
s'élève sur nos têtes à environ i,5oo toises au-dessus du
niveau de la mer. Ces collines sont tapissées de verdure et
entrecoupées, çà et là, par des masses de rochers. De
jolis bois, qui les révèlent en partie, donnent au pays l'as-
pect d'un grand parc bien distribué, tel qu'on en voit en
Europe. A la culture près , tout est ici comme en Angle-
terre j les bois sont parsemés de fraises, d'anémones et
de violettes. Le rosier, le chèvrefeuille et le jasmin s'entre-
lacent sur le tronc des arbres. Le rossignol et l'aloueltc
font retentir les bois de leur chant j mais, ce qui distingue
ce pays des contrées de l'Europe , c'est que les violettes y
sont ombragées par des canneliers et par des rododendnms
d'une hauteur immense, et que le chant du l'ossignol est in-
terrompu par le glapissement des singes et par les cris
des paons et des coqs-d'Inc'e.
» On a peine à croire (pi'll existe un tel pays , situé près
de l'équateur, et environné de climats brùians. Il n'est
connu des Européens que depuis 1819. Il joint aux avan-
tages que je viens de signaler, celui d'avoir un climat pres-
qu' uniforme; car, après les moussons, la température y
varie très-peu. Au moment où j écris, j'éprouve un froid si
vif aux mains, que j'ai peine à tenir ma plume. Quoique la
petite pièce où je suis, soit hermétiquement fermée de tous
les côtés, je me vols réduit à souffler dans mes doigts; ou
n'a oublié dans ma chambre aucune des précautions usitées
contre le froid , si ce n'es! \o feu , doul je ui'acc()inuio(U'i';ns
fort. IVlon liiornioni('>lrc nuirq'U' '"id" ( d<' F.ducnlicil "i; [\ .m/e
iij() t^oyages dans la mer des Indes.
heures du malin, placé à Tombre , il ne s'éiève jamais au-
dessus de 70°, même au mois de mai, celui qui est le
plus chaud de l'année.
» Quelques Anglais se sont fixés dans ce pays, et ils s'oc-
cupent d'agriculture. Ils sont forts , robustes et bien por-
tans. Leurs enfans ont un teint de lis et de roses, ce qui,
dans rinde, est un vrai phénomène. I^e sol est une terre
grasse et profonde 5 les légumes, les fruits et les fleurs y
viennent en abondance. En général, tout ce qui croît dans
nos pays septentrionaux, réussit également ici. Ces cul-
tivateurs , qui ont établi quelques fermes et des jardins
potagers, en vendent les produits aux habitans de Ca-
licut. Ces produits sont généralement bonsj les pommes
de terre surtout sont excellentes.
» En vous rappelant ce que je vous ai dit antérieu-
rement de ma santé, vous concevrez combien je me fé-
licite de cette expérience que j'ai tentée pour me rétablir.
Cette course aux montagnes du Nilgherri m'a remis en
peu de jours et m'a dispensé de faire un voyage en Eu-
rope. Je ne doute point que si Ton établissait ici un lii-
valid Bungalow ( maison pour le traitement des ma-
lades ) , il ne devînt une ressource précieuse pour ceux
des Européens qui, fixés dans l'Inde, souffrent comme
moi de son climat brûlant. »
VOYAGES DANS LA BIER DES INDES, A BORD DE LA
FRÉGATE l'aNDROMAQUE.
La frégate anglaise XAndromaque faisait partie d'une es-
cadre chargée d'examiner la baie de Lagoa, sur la côte
méridionale d'Afrique, et de faire exécuter certaines con-
T-^oj tiges dans la nier des Indes. j^T
veulioiis cuire le youveraeuieut britannique et les états
arabes, jelalives à l'abolition de la traite des nègres.
Le journal que nous annonçons , a été rédigé à bord de
ce bâtiment, par un oflicier de marine j il ne se recom-
mande point par sou mérite littéraire , mais il contient des
particularités curieuses sur des contrées fort peu connues ;
c'est ce qui nous détermine à en donner le fragment sui-
vant :
K Après avoir visité la baie de Lagoa , nous fîmes voile
pour Madagascar. Nous passâmes le canal de IMozamIjique,
doublâmes le cap de Sainte-Marie, a l'extrémité méridio-
nale de cette île, et longeâmes la côte, jusqu'à ce que nous
atteignîmes Foulpointe, où nous avons uu établissement.
Je pris terre par ordre du chef d'escadre pour entrer en
communication avec M. Hastie, ancien officier dans un
de nos régimens à l'ile Maurice, et maintenant directeur ,
aux appoiutemens annuels de 5oo liv. st., de cet établisse-
ment. Il cultive sur ce point de la côte une portion de
terrain considérable , et il a sous lui , pour le seconder ,
quatre cents naturels , et un économe anglais pour les sur-
veiller. Ce dernier, à le juger sur sa mine, ne tiendra pas
long-tems contre ce climat meurtrier.
» \J Androinaque était la première frégate qui eiitinouiiie
dans ce port. Aussi causa-t-elle une grande surprise aux babi-
tans et à leur chef, nommé Ra-Farla. De notre côté, nous
n'éprouvâmes pas moins d'élonnement en voyant ce cbc^i
africain, revêtu de l'uniforme anglais. Il portait un babil
rouge, de larges épaulettes d'or, un grand cbapeau à cor-
nes galonné et des bottes à la Wellington. C'est dans ce
costume qu'il se pavane maintenant sur le rivage de Mada-
gascar, kii qui s'y promenait naguère dans sa majes-
tueuse nudité. Kn m'approchaut de Ra-Fai'la , auquel
M. 'Haslie me présenta , je remarquai que les l)oul(m*
de sou babil portaient un nunuuo, et que c'était celui (k*
i/}^ T-^ciya^es dans lu mer des liuL-s,
8-2' régiment. II paraît cjue cet uniforme a apparleuu , au-
trefois, à notre commissaire Uplon, qui mourut sur cette
côte. Sur l'invitation de notre chef tVescadre , Ra-Farla
vint dîner à son bord. Il se fit accompagner pour s'y rendre
par un détachement de sa garde, et il nous divertit beau-
coup par les airs de royauté qu'il cherchait à se donner.
» En longeant encore un peu cette côte, nous gagnâmes
Sainte-Marie; nous y trouvâmes une frégate française qui
était à l'ancre dans le détroit entre cette île et la côte de Ma-
dagascar. Elle y était déjà, nous dit-on, depuis près d'un
an. Sou équipage était occupé à fortifier quelques points
de Sainte-Marie et à former un établissement. On m'apprit
que la saison des maladies avait bien éclairci cet équipage,
ce que je n'eus pas de peine à comprendre, en voyant l'état
déplorable de ce qui restait. Ces malheureux avaient tous
un teint cadavéreux ; on eût dit qu'ils avalent été empoi-
sonnés. Nul doute qu'au prochain retour de cette saison ,
ils ne soient obligés de partir, non pas pour l'Europe, mais
pour le voyage sans retour. La chaleur est ici intolérable;
on éprouve une oppression qui permet à peine de respirer.
» Nous nous éloignâmes volontiers de cet îlot ; nous prîmes
la haute mer et fîmes route pour la Terre-Ferme , afin de
gagner la petite île de Zanzibar. Mais les vents nous poussant
dans la direction de Sainl-Juau-de-Nova , nous fumes tour-
mentés par la crainte de toucher le bas-fond, épouvantai!
ordinaire de ceux qui viennent dans ces parages. Je ne vis
pourtant rien qui indiquât ce bas-fond , là où, d'après nos
cartes marines, on doit le trouver. Quelques gens de notre
équipage croient l'avoir aperçu ; mais ma conviction est
qu'ils se trompent et les cartes marines aussi.
» Nous confiant à un vieux marchand d'esclaves, ([ui ser-
vait comme pilote à notre bord, nous continuâmes à faire
route vers Zanzibar , île dont on n'ajiproche guère sans
danger. Etant en avant de l'escadre et à 4o° de longitude
Voyages dans la mer des Indes. i4o
orientale, nous aperçûmes enfin la terre et nous iloublànies
bientôt une pointe, que , sur la fol du pilote, nous crûmes
être celle de Zanzibar, mais cpii se trouva nôtre que celle
de l'île Pemba. Nous nous rapprocbàmes alors de la terre
ferme; nous longeâmes la côte pendant le cours da sept
à huit lieues , et nous entrâmes sains et saufs dans le port
de Zanzibar , qui , une fois qu'on y est , est certainement le
port le plus sûr qu'il y ait au inonde.
» Rien de plus agréable et en même tems de plus com-
mode que cette île ; elle est toute couverte de bois , là où
elle n'est pas cultivée j et dans les parties qui le sont, on
Y volt fleurir le gérofle, le riz, le blé de Turquie, le café,
la canne à sucre , en un mot , toutes les meilleures produc-
tions des tropiques.
» On s'avituaille facilement ici ; les vivres de toutes sortes
y abondent; ce qui prouve bien qu'on y travaille, malgré
tout ce que le vieux pilote m'avait dit de la paresse des
babllans. On vint nous apporter des vivres de toute espèce,
et on nous les offrait comme présens , sans doute parce
qu'on avait peur de nous. Mais le chef d'escadre voulut les.
payer; sur quoi , grand étonuement de la part des babitans
et du gouverneur de l'île ; mais quand le refus du chef d'es-
cadre les eut convaincus de notre générosité , Ils cherchè-
rent à en abuser. Ce qu'on nous offrait en présent se com-
posait de i,5oo ananas très-beaux et du meilleur goût ,
d'une quantité innombrable de bananes , de mangoustes ,
de citrons et de patates douces ; ajoutez à cela quatre cents
pfèces de volailles, trois vaches, un taureau, etc. Tous
ces vivres furent payés un tiers de plus qu'ils ne valaient.
liCs bestiaux ne sont pas de l'espèce de Madagascar, mais
bien de celle de Bombay ; ils sont d'une petite stature ; ils
pèsent trois cents livres l'un portant l'autre, et n'ont \y.\^
de bosse sur le dos , connue ceux de la côte d'Afrique.
» L'île de Zanzibar est uuc possession de l'inian tle Mas-
1 5o J^oycigcs dans lu nier des Indes.
cat, qui y tient quelques soldats et un gouverneur. Ce tle. -
nier a, dlt-ou , des appointeniens assez minces, deux dol-
lars par jours (i i fr. ); mais en revanche , l'iman lui laisse
tirer tout le parti qu'il peut de sou poste , et il use bieu de
cette faculté. Il perçoit , pour son propre compte , un droit
sur chaque bâtiment marchand qui relâche dans le port ;
il fait toutes les ventes et tous les achats, avituaille les
bâtimeus au prix qu'il vert , et ne laisse vendre que ce qu'il
a refiisé d'acheter.
» Ce gouverneur donna à dîner à notre chef d'escadre
pendant son séjour dans le port. Je me trouvais du diuer
avec quelques-uns de mes camarades; jamais je n'ai vu de
repas aussi sale et aussi dégoûtant; c'était à en avoir des
nausées; la nappe paraissait avoir servi depuis six mois,
sans cire blanchie, bien que je soupçonne que le gouver-
neur n'en fait pas usage , et que ce fût seulement pour nous
faire honneur qu'on l'avait mise. II y eut, à la vérité, abon-
dance de mets de toute espèce : mais , ils étaient servis sta-
des plats sales , et ils nageaient , pour la plupart , dans la
graisse. Point d'assiettes de rechange , et les couteaux , les
fourchettes et les cuillers n'étaient pas en nombre suflisant .
de sorte que nous étions obligés de nous les passer les uns
aux autres, à tour de rôle. Les fourchettes et les cuilliers
étaient , les unes en argent , les autres en fer et d'autres en
bois. Les gobelets étaient également rares, de façon que h^
même servait à plusieurs convives ; en un mot , rien de
moins comforlahle que ce repas.
» Nous apprîmes que la traite avait considérablement
diminue dans cette île; qu'au lieu de 4o,ooo nègres, qui,
autrefois, s'y vendaient annuellement, cest tout au plus
s'il s'en vend aujourd'hui i4,ooo.
)» Du port de Zanzibar , nous fîmes voile pour celui de
IVlosand)ique, Eji v arrivant, nous apprîmes qu'il s'y était
tramé un complot pour massacrer tous ies blancs , sur la
Voyages dans lu mer des Indes. î 5 1
côte , et ce qui doit surprendre , c'est que les premiers ins-
tigateurs de ce complot n'étaient pas des nègres, mais quel-
ques Lianes, qui, s'il eût réussi, n'auraient pas tardé ù
en être les victimes. Cette trame fut éventée , et la présence
de notre escadre fît qu'on n'osa pas en tenter l'exécution.
Les conspirateurs se sauvèrent sur des barques , et gagnè-
rent les contrées voisines j mais ils lurent livrés par les
chefs de ces mêmes contrées , et lorsque nous quittâmes
Mosambique , le gouverneur portugais était dans l'intention
de leur faire trancher la tète. »
DU PORT DE JACKSON ET DE LA VILLE DE SIDNEY (^NOU-
VELLE GALLES MÉRIDIONALE).
( Notes extraites du journal du lieutenant Ennis, officier de la fre'-
gate le Tamar, qui faisait partie de l'expédition faite en 1824 , pour
établir une colonie sur la côte septentrionale de l'Australie (i). )
« Ce port est assurément l'un des plus beaux que j'aie
vus dans aucun pays. Il a environ sept milles d'étendue.
Il est complètement cerné par la terre , et garanti de cette
manière contre tous les vents. Peu fortifié aujourd'hui , il
serait susceptible d'être rendu imprenable.
» Le pays qui le borde est de la plus grande beauté.
Des collines qui s'élèvent graduellement du rivage , et qui
sont revêtues de bois de haute futaie et d'arbustes divers,
entrecoupés par des terres cultivées et des pâturages , lui
donnent un aspect singulièrement pittoresque et intéres»
saut.
» En approchant de la ville de Sidney , qui est bâtie
sur la partie méridionale du port , on aperçoit , sur le pen-
(i) Yoy. a« livraison , i^c vol., paj;. 3(j8.
1^2 Du port de Jackson
chant des collines environnantes, de jolies maisons de cam-
pagne , et dans la ville même , quel<|ues édifices publics ,
qui offrent un coup-d'œll noble et imposant.
» Celte ville occupe la pente de deux collines avec le
vallon qui les sépare. Elle n'existe que depuis à peu près
trente ans , et elle est déjà grande , belle et florissante. Ses
rues sont tirées au cordeau ; les maisons ont toutes un air
de décence , de propreté , et quelques-unes même y joi-
gnent de réiégance; les édifices publics y sont superbes ;
par le goût et la majesté qui les caractérisent , ils feraient
lionneur même à la métropole.
3> Le climat de la Nouvelle-Galles méridionale est excel-
lent. La ville de Sidney peut êlre regardée comme le
Montpellier de l'Orient. Le sol est d'une rare fécondité. Il
produit en abondance tout ce qui croît eu Angleterre, et eu
outre presque tous les fruits des Tropiques. Les cboses né-
cessaires à la vie, tels que le bœuf, le mouton, la vo-
laille, etc., sont d'une bonne qualité et d'un prix fort
modique. Le progrès rapides que cette colonie a faits , peu-
vent être regardés comme un gage certain de l'importance
qu'elle acquerra dans la suite.
» Pendant notre séjour à Sidney , nous allâmes voir une
tribu d'Aborigènes, qui s'étaient campés sur le rivage op-
posé à celui où est située cette ville. C'était celle du roi
Bungari , la même qu'on trouva ici quand on y aborda
pour la première fois. Ayant gagné ce point du rlvag?,
nous vîmes une troupe de misérables , nus et affamés ,
groupés pêle-mêle autour d'un grand feu. Ils firent d'abord
peu d'attention à nous et paraissaient ne pas vouloir être
troublés dans leur repos. Cependant , nous nous ap])ro-
châmcs d'eux , et nous leur oflVîmes un peu de rbum et de
tabac j ils acccplercnt, cl bienlot ces slimulans les firent
sorlir de leur iipalliie. lisse mirent ;i ilanser devant nous :
l'jur danse était sauvage , licencieuse et dégoùuinlc ; cr'peu-
et de la ville de Sid/iry. 1 53
(lant , il n'y avait que les liorunies qui dansassent. I^es
iémmes , pendant ce tems , clianlaient une sorle de com-
plainte sauvage et monotone. Ces misérables n'observent
aucun culte particulier; et ils sont, dit-on, sans idée
sur un monde à venir. Trente années de communications
avec des Européens n'ont opéré en eux aucun change-
ment. Ils paraissent considérer les douceurs de la vie civi-
lisée comme un faible dédommagement de cette portion de
lilîerlé au prix de laquelle elles sont achetées. Bien qu'ha-
bitant le plus beau pays du monde et maîtres du sol le plus
fertile, ils n'eu tirent pour alimens que quelques racines et
quelques bulbes , et si la pêche , ressource assez précaire ,
vient à leur manquer , ils sont réduits aux alimens les plus
révoltans, tels que les lézards et des larves d'insectes. Ce
tableau présente sans doute un pénible contraste entre la
condition de l'homme sauvage et cel'e de l'homme civi-
lisé ! »
SCIENCES.
Notice sur un compte rendu d'expériences faites
PAR le capitaine SABINE, POUR DETERMINER LA FI-
GURE DE LA TERRE, ET LA DIRECTION DE QUELQUES-
UNS DES COURANS DE l'aTLANTIQUE , ETC.
Depuis le commencement de ce siècle , les géomètres
les plus distingués de l'Europe, se sont occupés , tant en
France qu'en Angleterre , d'e^ipériences jjour détermi-
ner , au moyen des vibrations du pendule , les différences
de gravitation qui ont lieu dans diverses parties du globe.
Cependant, malgré l'habileté reconnue drs auteurs de ces
1 54 Expériences
expériences , et la bonté des instrumens qu'ils ont em-
ployés , on n'a pu arriver encore à aucune solution défini-
tive de ce problême.
Des observations sur la longueur du pendule , dans
difFéreus points de la France, ont été faites par les géo-
mètres français , et d'autres, sur le même objet, ont été
faites également dans la Grande-Bretagne , par le capitaine
Kater, officier de marine, chargé , par le gouvernement
anglais , de cette mission ; mais , les résultats comparés do
toutes ces observations , ont présenté tant de discordances
entr'eux, qu'on n'en a rien pu conclure de satisfaisant. Tel
était l'état de nos connaissances à cet égard , lorsque la
série d'expériences dont il est rendu compte par le capi-
taine Sabine , a été entreprise.
Pourvu des meilleurs instrumens de la Société royale de
Londres et du bureau des longitudes , ainsi que de quatre
chronomètres, prêtés par MM. Parkinson et Frodsbam ,
opticiens de cette capitale, le capitaine Sabine fit voile à
bord du Pheasant^ pour la colonie anglaise de SierraLeone,
en Afrique, qu'il atteignit le 'i.i février 1822. Ce fut là
qu'il commença ses expériences. Il se rendit d'abord à l'ile
de Saint-Thomas, située immédiatement sous l'équateur ,
dans le golfe de Guinée, et de là , à celle de l'Ascension ,
^° 1/2 latitude lauslrale. De cette île, il passa successive-
ment à Bahia, à Maranham, aux îles de la Trinité et de la
Jamaïque , et enfin à New- York. Il quitta ce dernier port
pour retourner directement à Londres, où il arriva le 5 fé-
vrier 1823.
Le compte rendu des expériences faites par le capitaine
Sabine , dans le cours de ces divers voyages , étant, par sa
nature, peu susceptible d'analyse, et les détails qu'il ren-
ferme sur une foule d'opérations scientifiques , ne s'adres-
sanl qu'à une classe spéciale de lecteurs, nous croyons de-
voir les écarter de cette notice, et nj faire entrer (jue lo
pour déterminer la figure de la terre. iSf»
résultat de ces mêmes expériences , seul objet cVun intérêt
général. '
Ce résultat donc , qui est celui d'expériences faites sur
treize points dltîérens du globe , comparé avec les résultats
antérieurs obtenus par les géomètres français , sur dix.
points différens de la France , et par le capitaine Rater, sur
sept points différeus de l'Angleterre , est que l'ellipticlté du
globe est de -^^ ^.
Cette ellipticité diffère sensiblement , comme on voit ,
de y^^ 77 , celle qui , sur la foi des premiers géomètres de
nos jours, a été admise comme le résultat d'expériences du
même genre faites sur la terre, jointes aux données fournies
sur l'applatissement des pôles par les inégalités lunaires.
Pour résoudre le problème en question , des expériences
ont ainsi été tentées sur un arc du méridien de la plus
grande étendue accessible , et les résultats que donnent
ces expériences, s'accordent eutr'eux dans des combinai-
sons trop variées, pour qu'il soit permis de regarder leur
coïncidence comme une chose fortuite.
INous passerons maintenant au chapitre Hydrographie
du compte rendu du capitaine Sabine j chapitre qui ren-
ferme un grand nombre d'observations intéressantes sur
les courans qui existent dans divers parages de l'Atlantique,
tant boréale qu'australe. L'étude de ces courans est, sans
doute , sous le double rapport de la sûreté et de la marche
accélérée, d'une grande importance en navigation. C'est
parce que beaucoup de capitaines en Ignorent l'existence ,
que les navires qu'ils conduisent sont souvent retardés dans
leur course, et quelquefois même exposés à de grands dan-
gers ; tandis que d'autres, mieux dirigés, échappent h ces
mêmes dangers et marchent d'une manière beaucoup plus
prompte. Le voyage du capitaine Sabine fournit plusieurs
exemples d'accélération de la marclie des navires, par l'elTet
des courans.
1 56 Expériences
Dans son trojet du cap Monte an cap îles Trois-poinlcs ,
sa marclie fut accélérée tle soixante lieues niariups , nu
moyen du courant cjuî, dans la saison où les vents de sud-
ouesl régnent dans le golfe de Guinée, suit la direction de
la côte , autour du cap Palmas , dans la partie orientale de
ce golfe.
De même, dans le trajet de la rivière de Gabon à l'île
de TAscension , distance de cinq cents lieues marines, le
navire fut avancé de cent lieues, par le seul effet d'un cou-
rant en sens contraire du précédent. Les courans du golfe
de Guinée offrent un phénomène bien remarquable : c'est
de marcher en sens opposé , parallèlement l'un à l'autre et
h la côte; ils se touchent à leur bord et présentent une dif-
férence de température de lo à 12 degrés de Fahrenheit.
Un bâtiment qui marche le long de la côte, dans ces cou-
rans, est accéléré ou retardé de quinze à dix-huit lieues
par jour, suivant qu'il est engagé dans l'un ou dans
l'autre.
Le lendemain du jour où le capitaine Sabine partit de
Maraham, il entra dans un courant qu'il avait évité pour
s'y rendre , et dont la vitesse prodigieuse était de trente-
trois lieues en vingt-quati'e heures.
Le 10 septembre , à dix. heures du matin , le navire ,
marchant avec toute la vélocité imprimée par ce courant,
une décoloration subite et très-marquée dans les eaux de
la mer, fut signalée au loin du haut du grand mât. Le na-
vire était alors au 5" 08 de latitude et au 5o° 'i8 de lon-
gitude occidentale. Ce phénomène était causé par la ri-
vière des Amazones. Ce fleuve immense, par la force et la
rapidité de son cours, seprojettait en mer jusqu'à cent lieues
au-delà de son embouchure, sans qu'il eut encore confondu
ses eaux avec celles de l'Atlantique , à travers laquelle il
poursuivait son cours majestueux. Sa vitesse était de
vingt- trois lieues on vingt-quatre heures.
pour déterminer la figure de la terre , etc. iS^
Le capitaine Sabine calcule que , pendant ses divers tra-
jets, commençant à Sierra-Leone et finissant à New- York,
trajets d'environ trois mille lieues marines , il a obtenu ,
au moyen des courans , une accélération de plus de cinq
cents lieues ; exemple frappant du parti qu'un navigateur
habile peut en tirer.
Le vénérable nlajor Rennell , savant si recommandable
par ses connaissances géographiques , a joint les observa-
tions du capitaine Sabine à celles qu'il recueille depuis
plusieurs années, sur le même sujet. Il les consignera dans
les cartes hydrographiques qu'il dresse dans ce moment, et
qui , lorsqu'elles seront assez complètes pour pouvoir être
rendues publiques , seront sans doute un véritable bienfait
pour la navigation. ( Lit. Gaz. )
MÉLANGES.
TABLEAU DUNE ARMEE TURQUE EN CAMPAGNE.
L'armée ottomane peut se comparer à ces bandes de pè-
lerins armés , qui ont autrefois inondé toutes ley parties de
l'Europe. Mais au lieu de moines portant la croix et le cha-
pelet, on voit à la tète de cette armée des derviches revêtus
de manteaux bizarres , et montés sur des ânes en signe
d'humilité. Ces derviches sont suivis d'une troupe qui porte
l'étendard du prophète j après eux , vient un corps appelé
enfans perdus , qui pille et ravage le pays par oii l'armée
passe. Ceux-ci précèdent les titnariots ou milice nationale ,
montés sur des ânes ou des mules , qu'ils se prqcurent à
leurs frais , ou plutôt à ceux des pays qu'ils mettent à
contribution. A leur suite vient l'infanterie, corps qui
était jadis l'orgueil de l'armée ottomane , mais qui en
II. ' n
i58 Festin chinois.
est aujouixl'liiii la honte. Celle-ci est armée de fusils sans
baïonnettes et de pistolets ; elle marche sans ordre , par
bande comme des troupeaux de moutons. Derrière les tima-
riots sont aussi les topachis ou artilleurs , dont les canons
sont tirés par des bœufs ou par des esclaves chrétiens. On
accélère la mai'che de ces derniers comme celle des au-
tres , à coups de fouet. Parmi les soldats , les uns chantent ,
les autres pleurent ; et d'autres déchai'gent leurs fusils eu
Tair. L'arrière-garde de ce mélange confus est fermée par
un chef vêtu magnifiquement , monté sur un coursier. Il est
environné d'une foule de valets et d'esclaves , auxquels il
distribue des coups de sabre quand ils rapprochent de trop
près. Sous la protection de ces valets sont des vivandiers grecs
ou juifs , qui vendent des bardes ; des Bohémiens qui récitent
des contes , et enfin des voleurs et des bourreaux. Une
armée turque ne marche jamais sans avoir à sa suite un
grand nombre de commissaires juifs , qui vendent l'orge
pour les chevaux et le froment pour faire le pain ; et lors-
que l'armée prend position , tous les habitans des envi-
rons, amis ou ennemis, sont mis indistinctement à contri-
bution.
FESTIN CHINOIS-
Un négociant chbois , établi à SIncapoura , donna , il
y a quelque tems , aux négocians des factoreries euro-
péennes dans cette île , et aux officiers militaires qui s'y
trouvaient , un festin dans le goût chiiiois. On y servit les
mets suivans : un potage aux Jiids d'oiseaux , et six autres
potages , tant de mouton que de grenouilles et de Joie de ca^
nards; un hachis de queues d'éléphans , avec une sauce aux
œufs de lézards ; un porc épie à l'étuvée , servi Aans-\egras
rert de la tortue ^ mets que quelques Français qui assistaient
Histoire des voyages et des mctamorphoscs , etc. i5f)
au festin parurent trouver fort bon \ tlu becco de mer excel-
lent , et des gésiers de poissons entoures tl herbes marines ;
enfin , des bécassines garnies de crêtes de paons , mets d\ia
goût exquis , qui n'est servi eii Chine que dans les plus
grands festins. Ce plat , à lui seul , avait pu coûter environ
200 dollars ( 1,100 fr. )
A.U dessert, même rechercbe qu'aux services prccédeus.
On y remarquait des gelées, dont la peau du rhinocéros
avait fourni l'élément ; on ne les trouva pas d'un goût
fort délicat. Les fruits avaient été apportés exprès de
Malacea , et les vins, qui étaient d'espèces très -variées ,
venaient principalement d'Europe.
VOYAGES ET METAMORPHOSES d'uNE LIVRE DE COTON.
Les détails suivans sur les changemens de lieu et de
forme que subit une livre de coton , avant de devenir
propre à la consommation , font voir , d'une manière frap-
pante , toute rimportance de cette matière pour notre com-
merce et notre industrie. Cette livre de coton arrive de
rinde à Londres dans l'état brut ; de I^ondres , elle va à
Manchester, où on la file 5 de cette dernière ville, eil:-
passe à celle de Paisley , en Ecosse, où on la tisse ; (îc
Paislay , elle est envoyée en Ayrsliire , oii on la travaille
au tambour , et de là à Dunbarton , 011 on la coud à l.»
main. Ensuite, elle vient de nouveau à Paisley, d'où eli-
passe dans une autre partie du comté de PienfrcAv , pour
être blanchie ; cela fait , elle revient encore une fois à
Paisley, qu'elle quitte de nouveau pour aller à Glasgo^v ,
où on y met la dernière main. De Glasgow , t>lle est enliu
expédiée h Londres pour y être vendue.
On ne peut pas dire, d'une manière exacte , quel est 1<;
itrms néeessnirenKMii emplovc- p,>nr faire arriver celle \\\\>i
1 6o T)e l'âge des arbres.
de coton de 1 état brut à l'état fabriqué ;• mais on s'écartera
peu de la vérité , en supposant qu'il s'écoule une période
de trois ans , depuis l'époque où elle est emballée dans
l'In le, jusqu'à celle où on la livre au consommateur. Cette
petite quanlité de coton , au moment où on la vend en tissu,
se trouve avoir parcouru i45o lieues par mer et 5o7 par
terre j elle a fait travailler cent cinquante individus au moins,
tant dans les soins nécessaires à son transport qu'à sa fabri-
cation , et elle gagne deux mille pour cent de valeur , par
ces divers voyages et transformations.
DE L AGE DES ARBRES.
Le major Rooke rapporte , dans la description qu'il a
donnée de la foret de Sherwood, qu'en coupant du bois de
haute futaie dans le Berkland et le Bilhaugb , on a trouvé
dans l'intérieur de plusieurs arbres , des lettres qui avaient
été gravées autrefois à leur surface , et qui indiquaient le
roi sous le règne duquel ils avaient été marqués. D'après
cela , il est clair que si l'on compare le nombre d'années
qui se sont écoulées depuis le milieu du règne du roi dont
un de ces arbres porte le nom , à celui qu'il faut à un arbre
pour arriver au même degré de croissance , d'après les
idées reçues aujourd'hui , on pourra juger de l'exactitude
de ces idées 3 et c'est parce qu'elles ne se trouvent pas tou-
jours d'accord avec les résultats dont nous parlons, que
nous allons citer les falls suivans.
Les chiffres contenus dans l'intérieur des arbres en ques-
tion , sont ceux de Jacques V, de Guillaume et de Marie,
et l'on eu a découvert un du roi Jean. Un des chiffres du
roi Jacques était à la profondeur d'un pied environ , dans
l'intérieur du tronc , et à un pied du centre. L'arbre avait
été abattu en 178OJ il devait avoir deux pieds de diamètre
De l'art de l'imprimerie à Constantinople. i(i i
lorsqu'il fut marqué. Les arbres qui présentent cette gros-
seur, sont ordinairement plantés depuis cent vingt ans, ou
environ. Si on ajoute ce nombre au tems qui s'est écoulé
depuis Tannée qui répond au milieu du règne de Jacques ,
on se convaincra que l'arbre avait du être planté en i/JQ^.
Celui qui portait les cbifFres de Guillaume et de Marie, coupé
aussi en 1786, présentait environ neuf pouces d'épaisseur
en debors du cbiffre, et trois pieds trois pouces en dedans.
Le chifï're du roi Jean était à la profondeur de dlx-bult
pouces dans l'intérieur du tronc, et à un peu plus d'un pied
du centre. L'arbre avait été coupé en 17915 mais, comme
le milieu du règne du roi Jean répond à l'année 1 201 , si
nous ajoutons les cent vingt années nécessaires pour qu'un
arbre puisse arriver à la grosseur de deux pieds de dia-
mètre , la plantation de celui-ci remontera à l'an io83 ,
c'est-à-dire vingt ans après la conquête de [Guillaume : il
devait donc être âgé de sept cent six ans lorsqu'on l'a abattu.
Ce qui est à peine croyable , c'est que cet arbre n'ait eu
qu'une croissance de dix-buit ponces dans l'espace de cinq
cent quatre-vingt-quatre ans, tandis que ceux qui étaient
de la même grosseur, lorsqu'ils ont été marqués, ont acquis
douze pouces de diamètre en cent soixante-treize ans. Le
major Rooke dit qu'on a abattu plusieurs arbres qui por-
taient cette marque, et, qu'ainsi, il n'est pas probable
qu'on ait commis à cet égard aucune erreur.
DE L ART DE L IMPRIMERIE A CONSTANTINOPLE.
On ne sait peut-être pas assez généralement que parmi
les arls de la civilisation , adoptés par les Turcs depuis
leur établissement en Europe, se trouve celui de l'imprime-
rie.Cet art fut introduit dans leur capita'o , c-ii i-)^. vl les
premiers ouvrages qui sortirent des presses du gouverne-
ï6i De l'art de l'iivpvinie-rie à Constaiitinoplc,
meut de Conslantiuople , soûl : THisloire de la gueri'e
maritime des Otlomaus, pax' Hadjl Khalfa , et le Dlcliou-
naire Arabo -Turc , par Vaucouli , publiés Tuu et Vautre
dans Taunce ii4i de Tliégire, et de notre ère 1728. On
publia quatre autres ouvrages dans Tannée suivante : deus.
en lySo, deux en lySi, un en 1702, un en 1705, un en 1734,
deux en \'}l\0, un en 1741, un en 1742 et un en i755-L>G, en
tout dis.-huit ouvrages , formant vingt-cinq volumes , qui
traitent , pour la plupart , d'histoire et de philologie , et
qui ont été traduits ou compilés de l'arabe , du français
ou du latin. Ces premiers eiForts d'une presse naissante,
pour éclairer une race barbare , furent suspendus à celte
époque , non comme on le pense généralement par suite
d'une révolte parmi les copistes de la capitale , mais par
suite delà mort du directeur de l'imprimerie, Ibrahim, et
de celle de son élève Cazi Ibrahim. A ces causes , il faut
ajouter les événemens de la guerre , au milieu desquels on
perdit de vue cet utile établissement.
Depuis ce tems , '■ l'art de l'imprimerie resta abandonné
à Constantinople , jusqu'en 1785 , époque où il y fut rétabli
par un fîrman du sultan Abdul-Hamed. Ce prince institua,
dans cette année , une commission pour administrer l'im-
primerie impériale ^ sous son règne et sous ceux de ses suc-
ceseurs , il n'a été publié que cinquante ouvrages dans
l'espace de trente-six ans, depuis 1784 jusqu'en 1820.
Yingt-un de ces ouvrages sont des grammaires , des diction-
naires et autres écrits philologiques 3 trois sont historiques ,
cinq traitent de géométrie , de géographie et de sciences
en général ; huit t'e fortifications , deux de l'équitation et
luiit de matières religieuses. Parmi ces ouvrages, buit ou
dix sont traduits du français 5 un seul est traduit de l'an-
glais, savoir, la Géométrie de l>onnycaslle.
Le dernier ouvrage , publié par la commission , est un
traité d'analomie et de médecine. Il est intitulé : Le Miroir
De l'ait de rànpi-iinergb à Cojistantî/iople . i65
des corps dans Vanatoniie de l'homme ; c'est le premier
travail de ce genre qui ait paru en Turquie. L'apatliie des
Turcs, leurs 'ois et leurs préjugés religieux, qui défendent
d'ouvrir le corps humain , et de se mettre en contact avec
le sang , ont dû suffire pour les empêcher jusqu'ici de cul-
tiver ce genre de connaissances. Mais la tendance vers tous
les genres de perfectionnement , qui forme le caractère dis-
tinctif de notre siècle , paraît exercer son influence jusque
sur ce peuple orgueilleux et opiniâtre ; influence qui doit
être puissante , car les représentations du corps humain
( eu cinquante-six planches , assez mal gravées) , qui ac-
compagnent cet ouvragée , font voir qu'elle a déterminé
l'infraction d'une loi positive du Coran. L'auteur de cet
ouvrage ( grand in-folio de 800 pages ) , Cliani Zadeh, Me-
hcmmed Ataollah , memhre du corps des Ulémas , est ,
dit-on , fils d'un hehini hachi , ou premier médecin de
l'empire. Il a fait des études en Italie , où il paraît avoir
recueilli les élémens de son Miroir.
Voici dans quels termes il se félicite de l'accueil fait à
son ouvrage par le Sultan :
« Le juge par excellence, dit-il , celui qui règle les lois
de l'état, le Platon de l'empire et du califot , le souverain
auquel le destin a révélé les sciences et la sagesse , le sultan
des sultans , doué de la vertu de Salomon , le monarque
dont la gloire rappelle les tems de Cosrocs , le roi des
rois, revêtu du pouvoir du siècle de Djemehed , sultan et
fds de sultan , le vaillant sultan Mahmoud-Khan , fils du
glorieux sultan Ahdoul-Hamed-Khan (puisse le soleil de
sa puissance ne jamais cesser de luire sur le cours de ses
victoires et de ses glorieuses entreprises !) ; sa majesté noire
seigneur enfin , ayant daigné , pendant plusieurs jours .
examiner et approfondir Uii-mcme , avec un grand discer-
nement , toutes les vérités contenues dans 1rs livres ci-des-
sus , a jugé qu'ils pouvaient être de la plus grande utililc
i64 Suicides en Angleterre.
pour l'empire ottoman ( qui durera éternellement) et pour
ses sujets ; qu'en outre , cet ouvrage n'avait été précédé
par aucun autre, dont les avantages pussent lui être com-
parés ; que , comme tel , il doit donc être compté parmi
les belles et innombrables productions qui ont illustré son
règne fortuné; et, d'après ces motifs de bien public, sa
hautesse a attaché , dès ce moment , la plus grande im-
portance audit ouvrage , et a voulu qu'il fût imprimé et
publié sous sa protection suprême. Cette détermination
justifie bien le précepte : que les rois sont inspirés. »
L'auteur termine sa préface en exprimant sa joie et son
orgueil de ce qu'à l'aide de Dieu , les gravures ont été
exécutées sans aucun secours étranger.
{Monthly Magazine.^
SUICIDES EN ANGLETERRE.
Voici , pendant les treize dernières années , l'état du
nombre des suicides commis dans la ville et banlieue de
Westminster, l'une des grandes divisions de Londres, mais
qui a une administration municipale séparée :
Années.
Hommes.
Femmes.
Total.
i8i3
if)
8
24
i3
20
6
26
i4
16
7
23
x5
23
7
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16
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24
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7
21
207 83 2go
Routes (in glaises. iG5
Le nombre des suicides commis dans les mois de no-
vembre de ces treize années , n'est que de vingt-deux , ce
qui , année commune , nVst pas tout-à-fait deux pour le
mois de novembre de chaque année ; tandis que le nombre
des suicides commis aux mois de juin de ces mêmes années ,
est de treute-quatre , faisant près de trois , année commune.
Ce fait dément donc le dicton, selon lequel le mois de novem-
bre est spécialement celui où les Anglais se pendent ou se
noient. En effet , dans le mois de novembre de chacune des
années 1812, i8i5 , 1820 et 1824 , il n'y a pas eu un seul
suicide , et cela dans une ville dont la population est de
182,444 âmes , d'après le recensement de 1822. Sur le total
des treize années , le mois de mai et de septembre sont
ceux dans lesquels il s'est commis le plus petit nombre de
suicides, le nombre dans chacun de ces mois n'étant , pour
la période entière , que de dix-sept. Les mois d'août et d'oc-
tobre sont, après ces derniers, ceux dans lesquels il s'en est
commis le moins , le nombre pour ces mois étant de dix-
neuf ; et après eux vient enfin le mois de novembre , où ,
comme on l'a vu, il s'en est commis vingt-deux.
On verra , d'après l'état ci-dessus , que le nombre col-
lectif des suicides, depuis 1812 jusqu'en 1824 inclusivement,
a été de cent vingt-neuf, ce qui, année commune, est de
25 4/5, et que depuis 1816 jusqu'en 1824 inclusivement , le
nombre a été de cent soixante-un, faisant, année commune,
20 I /8 par an. Il y a donc eu, durant les huit dernières années,
une diminution , année commune , de près de six suicides
par an. On verra que le nombre des hommes suicidés excède
celui des femmes dans la proportion de cinq à deux.
ROUTES ANGLAISES;
11 résulte de plusieurs doounicns soumis celle année au
i66 Lettre française d' un prince de V Inde.
Parlement Britannique , sur Tétai des routes à barrières ,
que retendue de celles d'Angleterre et du pays de Galles
est de 24,55 1 milles (8,177 l'^"fs de France) , et que la
recette faite aux barrières s'élève , année commune , à
1,008,290 liv. st. ( 23,207,250 fr. ) , somme plus que sufii-
santc pour couvrir les frais d'entretien de ces roules.
Le comté de Middlesex ( où est située la capitale ), compte
dans son enceinte 157 milles ( 52 lieues environ) , de routes
à barrières. Ces barrières font, année commune, une re-
cette de I5824 ^iv. st. ( 45,600 fr. ) , et les frais d'entretien
de ces routes , également année commune , moulent à
1,644 ^'v- st. ( 4i,ioofr. ) , d'où il résulte qu'il y a un ex-
cédant de 180 liv. si. (4)5oo fr. ) par lieue.
Il résulte deséclaircissemens fournis par M. Mac Adam,
ingénieur civil, devant un comité de la cbambre des com-
munes, concei'uant les frais d'e«fre//e/i qu'exigent k-s routes
construites par lui, d'après un nouveau système, qu'une
route qui touche à la capitale coûte , par an, pour la pre-
mière lieue , i,5oo liv. st. ( 57,5oo fr. ) j pour la deuxième,
i,o5oliv. st. (26,750 fr. )5 et pour la troisième, 750 liv. st.
( 18,750 fr.)
LETTRE FRANÇAISE d'uN PRINCE DE l'iNDE. -
La lettre suivante est une nouvelle preuve fort singulière
de l'universalité de la langue française. La diplomatie eu-
ropéenne en a , depuis long-tems , adopté l'usage ; il est cu-
rieux de voir des rois de l'extrémité orientale de l'Asie ,
suivre cet exemple. Cette lettre a été adressée , en 1822,
à Tempereur de la Cochinchine , par l'empereur des Bir-
inans , le même qui lutte aujourd'hui contre les Anglais ,
avec des chances diverses. C'est un Européen , uomm<?
Gypson , auquel 11 avait donné le litre d'ambassadeur, qui
avait été chargé tle la remettre.
Lettre Jvancalse dan prùivc do l'Inde. 167
« De la grande Aille d'Ummérapoura, au pays où règne
la religion du vrai Dieu , où l'on trouve réunis les trésors
les plus précieux de la terre , l'auguste monarque, pro-
tecteur de cent rois ses tributaires , maître du glorieux
et célèbre éléphant blanc Schadam chen Men , et de tous
les autres éléphans blancs , possesseur de l'arme volanfe et
invisible, des mines les plus riches , dominateur des eaux
et de la terre , défenseur de la vraie religion , empereur
juste et tout-puissant , dont les pieds sacrés commandent à
tous les pays soumis à sa domination , écrit en ces termes,
par l'entremise de ses ministres , généralissimes et grands
dignitaires, à S. M. l'einpereur de Cochiachine.
» Au commencement du monde, lorsque le soleil, la lune
et les étoiles furent créés , les peuples se réunirent pour
élire un roi, et ils élurent le juste des Justes, le fidèle
observateur des dix commandemens sacrés du gouverne-
ment des peuples ; fils du soleil et des anges , il fut nommé
Maha Samadâ, c'est-à-dire l'auguste roi élu à l'unanimité.
Descendant de lui en ligne directe , l'empereur du lever
du soleil, resplendissant comme cet astre, règne aujour-
d'hui paisiblement , en récompense des vertus et des bien-
faits qu'il a pratiqués pendant toute la durée des transmi-
grations successives de son ame sur la terre.
» Eu arrivant à la suprême grandeur, il a conservé, comme
ses aïeux et son prédécesseur , la gloire du trône et des som-
braires royaux. Aimant et chérissant ses peuples comme ses
propres enfans , il les a exemptés de tous tributs , et ils se
sont réjouis, à son avènement , comme dans une belle nuit
que la lune éclaire de ses rayons argentés. Conformément
aux doctrines de la religion, il fait de nombreuses au-
mônes , et s'cflbrce , en suivant tous ses préceptes , de
mériter les jouissances du paradis. En reconnaissance de
ses bienfaits , ses peuples prient pour que leur bon roi soit
exempt de toute iiilirniilé , et jouisse d'un long règne.
lG8 Lettre francaisa d' un prince de l'Inde.
S. M. possède les royaumes tle Siina Paraula, Sampadipali ,
Duracca , Yarainlia , Sirih KUterama , Geya Vutldana ,
Camboza , Yodih IVagara , Rehmayatha , MahaNagara,
Slvik , Chein, Alavipura, Yazengala , Lavayatha , Hari-
mirenzha.
» Tous ces pays, suivant leur grandeur et leur puissance ,
payent à S. M. tributs et hommages depuis les lems les
plus recules 5 le royaume de Malia Vihica Yecapura , où
résidait le dieu Maha Mouny , et qui contient les quatre
provinces de Denliavady , Duciravady, Magavady , et Ka-
mavady^ le royaume de Nagachantba , dont la capitale
est Manipura , et celui de Asama Seccadera , qui a pour
capitales Goracon et Ramapura , sont aussi soumis à son
impériale Majesté , et lui payent tribut et hommage. Au-
delà des mers , sont encore des îles et des royaumes qu'il
protège , et dont il reçoit , comme hommage , des jeunes
vierges , des armes , des chevaux, des éléphaus et d'autres
présens précieux.
» Au loin , comme près de lui, il aime à accorder sa pro-
tection à tous les princes qui la sollicitent et à leur faire des
présens conformes à leur grandeur. Il accorde honneur et
protection à tous ceux qui servent fidèlement sa personne ,
dans son armée et dans son gouvernement. Il est l'ami de
tous les rois sacrés ou non sacrés. Les brames , hommes
et femmes , et les gens puissans par leurs richesses , jouis-
sent aussi de sa protection , ainsi que tous les habitans du
royaume , étrangers ou indigènes. Il surveille tout ce qui
concerne la religion et les bonzes , et récompense ces der-
niers suivant leur mérite , imitant en cela le grand roi
Chec-Kiavade , qui, dans un instant, se transportait où il
voulait aller.
» Il pratique les aumônes et la bienfaisance , les morli fica-
tions , la charité poussée jusqu'à l'oubli de soi-même , la
droiture et la justice, la délicatesse et l'aftabilité 5 il oublie
LeAtre frojicaise d'un prince de l'Inde. ifig
1rs ofienses et n'en conserve jamais le souvenir j il de'sire
le liien de lous les hommes el même des animaux j son cœur
ne counaît ni la haine , ni le ressentiment ; il observe les
jeûnes avec scrupule ; il tolère et respecte les religions et
les usages de lous les peuples , et leur accorde sa protec-
tion , car tel est le décalogue sacré des rois. S'efforcant
tVimiter les vertus et de suivre en tout la conduite de Maha
Samada , notre auguste monarque pratique encore huit
lois de la reconnaissance. Il en reconnaît sept pour la mo-
ralité et quatre qui concernent les devoirs envers les morts ;
fidèle à cette règle de conduite , il espère , suivant ses
désirs , voir fleurir et prospérer les quatre parties de son
royaume.
)) C'est pour se conformer à l'un des sept commandemens
qui règlent la conduite réciproque des rois , et leur ensei-
gnent à s'aider mutuellement toutes les fois que les circons-
tances le requièrent , que son auguste aïeul envoya des
ambassadeurs à S. M. l'empereur de la Cochinchine.
» Par terre , les difficultés du chemin ; par mer, les vents
contraires , purent seuls les empêcher d'arriver jusqu'en
présence de Sa Majesté.
» Après la mort de notre vieux, monarque, qui a laissé son
royaume et ses trésors dans l'état le plus florissant, son
petil-fils étant monté sur le trône , a songé , dès son avène-
ment, à tenter de nouveau d'établir des relations avec la
Cochinchine.
» Sur ces entrefaites, Ong Doi Lam et Thu Hap ïrinh ,
étant arrivés à Pulo Plnang, y rencontrèrent un Chinois
habitant de notre pays et chef de nos îles et montagnes
aux. nids d'alcyons ; ils lui firent part d'une mission dont
ils étalent chargés par le gouvernement de Cochinchine ,
et ce dernier connaissant les intentions du souverain à cet
égard , les conduisit jusqu'à Tavui. TiC grand ministre
Mengh Maha Senabady était alors .i Marlaban, en com-
1^0 Lettre française d'un prince de Vlnde.
mission de généralissime. Celui qui gouvernail la province
du Pe'gu Anbsavatly el résidait au port de mer, était
Menglié Sado Menla Koratha.
)) Par les soins de ces deux ministres , les Coch inchinois
furent conduits jusqu'à la ville de Chagain sur les galères
et bateaux des cérémonies. De Chagain ils furent conduits
sur les bateaux dorés et au son d'une musique harmonieuse ,
à la ville de Shueghl Vet, située au nord-est de la capitale ;
on leur bâtit une fort belle maison où , malgré qu'ils ne
fussent porteurs d'aucunes dépèches de leur gouvernement,
ils furent logés et gardés avec les plus grands honneurs.
Ce fut alors qu'on leur fit demander officiellement , s'ils
étaient envoyés par le ministère cochinchinois. Sur leur
réponse affirmative , ils furent conduits dans la partie sud de
la ville d'Umerapoura , au jardin Maha Siri Nandavan , où
nous leur continuâmes les traitemens les plus honorables.
Alors les cadeaux du ministre, qu'avaient apportés Ong
Doi Lara et Thu Hap Trinh. furent présentés à l'empereur ;
ces présens consistaient en armes et soieries. Aux diftérentes
questions adressées à ces Cochinchinois , ils répondirent :
que l'empereur Gialong avait eu long-tems l'intention d'en-
voyer uns ambassade à l'empereur du lever du soleil, et
n'en avait été empêché que par sa mort ; qu'après cet évé-
nement , son fds Minh-Mang étant monté sur le trône ,
qu'il occupait depuis deux ans, le gouvernement de 8. M.
ies avait envoyés au Pégu , et qu'ils venaient aux pieds
de notre empereur pour s'informer de l'état actuel du
royaume et de ses relations. Ong Doi Lam ajouta que les
Cochinchinois avalent quelques difficultés avec les Siamois
au sujet du Camboge , et que si nos deux royaumes s'unis-
saient contre Siam , nous pourrions lea vaincre sans peine ,
et dès-lors établir entre nos deux pays des communications
fLicilesj cesafiaii'es, disait-il, avaient été prises eu considé-
ration dans le grand conseil de l'état.
Lettre française d'un prince de l'Inde. i ■; i
>5 Du tenis des aïeux, du présent monarque, et même long-
lems auparavant, le royaume des Siamois était notre tribu-
taire; dans rèregoo des Birmans , c'est-à-dire, il y a plus
de deux cents ans , le roi de Siam , Biaza Duraza , était
dans notre capitale , où nous le gardions avec grand hon-
neur dans notre maison blanche. Nous avions donné le gou-
vernement du territoire siamois à son fils , qui payait
annuellement un tribut de trente éléphans et trente mille
tikaux ; mais bientôt il se révolta et refusa le tribut accou-
tumé. Le frère de l'aïeul de notre présent monarque, qui
régnait sous le nom de Chen Bin Shin, et construisait alors
la capitale Yatana Pura Ava, envoya des armées comman-
dées par des chefs choisis dans la noblesse pour reprendre
le royaume de Siam. Sur ces entrefaites , le chef des Siamois
mourut , et notre armée ayant détruit la vilîe, se retira j
de ce moment , les Siamois sont devenus brigands et
pirates à la mer 3 jusqu'ici, nous avons tout souffert avec
patience. Ong Doi LauT et son compagnon nous ont fait
savoir que pour cette même raison , ils avaient dû venir
comme de simples marchands ; en étant lui-même bien
convaincu, et pesant ces raisons dans l'intérêt et la dignité
des deux nations , notre auguste monarque a pensé qu'il ne
convenait pas qu'un tel obstacle entravât nos relations \ en
conséquence, des personnes de confiance sont envoyées en
Cochinchine et autorisées à négocier et recevoir toutes les
décisions de S. M. l'empereur et de ses ministres d'état. Ce
sont : INemio Siri Sura Naratha , Nemio Tazaou , Nemlo
Siri Raja Gounnarat , Nemio Tederat Kio , Seidi Noratha,
Nemio Sira Kiojua, Siri Cheiuda Noratha.
» Que nous avons envoyés, avec Ong Dôi liam et Thû hap
Trinh , en leur remettant pour être offert eu présent à
S. M. l'empereur de la Cochinchine , un sceau secret de
l'empire en or , vingt anneaux de rubis , vingt anneaux de
saphir, trois sacs de rubis bruts , une couverture en soie
1^2 Stances sur la tombe de Napoléon.
de fabrique du pays, quatre pièces tle soie unie , un clia-
pelet de pierres jaunes , un bloc de pierres vertes , quatre
boursettes , dont une très-petite ; trois boîtes yernissées de
différentes grandeurs ; une boîte à bétel avec ses pieds ;
quatre garde-mangers ; un bandège en vernis ; une coupe
à tlié avec son couvercle ; dix-huit lines crayons blancs ;
trente panelles d'huile de naphte.
)) Investis de toute notre confiance , et attachés à la per-
sonne de Tempereur , nos envoyés ont connaissance de tout
ce qui est relatif à la destruction des Siamois , ennemis
communs de nos deux, nations , et nous les autorisons à
agir , pour cette affaire , suivant ce qui a été conclu à cet
égard.
» Nous souhaitons qu'il plaise à S. M. l'empereur de Co-
chinchine et à ses ministres , de rédiger par écrit leurs
décisions à ce sujet , et de vous les transmettre sans retard ,
par l'entremise de nos commissaires , accompagnés de
quelques personnes de confiance. »
STANCES SUR LA TOMBE DE NAPOLEON.
Un voyageur anglais , qui se rendait dans l'Inde, relâcha
à Sainte-Hélène, le 5i janvier 1824- La vue de la tombe de
Napoléon lui inspira des vers publiés dernièrement dans
\ Oriental Herald, et dont voici la traduction :
« Salut , triste, vallon , où seul , loin des morts vulgaires , repose
pour toujours un homme redoutable !
» Ile terrible, battue par les orages, vomie par un volcan, avec
tous ces rochers qui te couvrent , tu étais faite pour servir de se'pulture
au guerrier !
» Comme loi , c'est le feu de la nature qui l'a fait surgir ; et de
même que tu domines tlans l'espace des mers , sa mémoire dominera
dans l'espace du tems.
Noiwclles des sciences , du commerce , etc. 1-5
•» Ce météore effrayant a parcouru sa rapide carrière, et il s'est
éteint dans les abîmes; mais rien ne pourra en effacer la t! are.
» Oui , ce fut dans sa pre'voyance maternelle que la nature souleva
ce rocher immense , afin qu'il pût servir de mausolée au plus extra-
ordinaire de ses fils.
» Sitôt que Sainte-Hélène paraît à l'horlson , le voyageur nui revient
des mers lointaines de l'Inde ou de la Chine, y fixe des regards émus.
» Jamais l'île où les Anglais creusèrent la tombe de Napoléon ne
sera oubliée , et si, un jour, elle s'enfonçait sous les eaux qui rongent
se» bords, les étoiles qui brillent au firmament en marqueraient la
place.
» Adieu, triste vallon , où seul, loin des morts vulgaires et des rives
fortunées de la Seine, repose en paix un homme redoutable! »
( Oriental Herald. )
NOUVELLES DES SCIENCES,
DE LA LITTÉRATURE, DES BEAUX-ARTS, DU COMMERCE,
DES ARTS INDUSTRIELS, DE L'aGRICULTURE , ETC.
HISTOIRE NATURELLE.
Prospectus dune nouvelle société dont le but est d'intro-
duire en Angleterre et de priver de nouvelles espèces et de
nouvelles variétés d animaux, prises parmi les quadrupèdes,
les oiseaux et les poissons , et de Jormer un musée zooloo-i-
que. — Depuis long-tems, ceux qui s'occupent criiistoire
naturelle, regrettent que nous n'ayons pas un grand éta-
blissement destine à l'étude de la zoologie , et une ménage-
rie publique, ou collection aussi complète que possible de
tous les animaux vivans, où Ton puisse observer leur na-
ture, leurs qualités et leurs habitudes. Il n j a eu Europe
n. 12
1^4 Noiwelles des sciences ,
aucun état dont la capitale ne possède un établissement de
ce genre , excepté celle de l'empire Britannique. Quoique
nous ayons plus de facilité que les autres peuples pour faire
des collections d'animaux vivans à cause de nos colonies,
de nos flottes et de nos voyages de long cours dans toutes
les parties du monde, nous avons encore bien peu de ri-
chesses de ce genre.
Le physicien ou le naturaliste qui désire étudier la nature
animée , n'a d'autre ressource que de visiter et de mettre
à profit les magnifiques établissemens d'un pays voisin et
rival. Le but que se propose la société que nous annon-
çons, est de faire disparaître cette espèce d'opprobre 5 au-
cune époque ne peut être plus avantageuse pour cette en-
treprise que celle où nous nous trouvons.
Cettesociété sera , pour la zoologie, ce qu'est celle d'agri-
culture pour la botanique. Tous ses efforts teudrontà intro-
duire de nouvelles variétés ou de nouvelles races d'ani-
maux pour les priver et pour en peupler nos basses-cours ,
nos bois , nos bosquets et nos landes.
L'exécution de ce projet demande, 1° un vaste espace
de terrain pourvu de tous les accessoires ; 1° des bâtimens
situés dans la capitale et propres à recevoir un musée.
Comme on présume qu'un grand nombre de personnes
seront disposées à encourager cet établissement , on pro-
pose de faire une souscription annuelle de 2 liv. st. par in-
dividu ; la somme pour l'admission étant de 5 liv. st. , les
souscripteurs auront l'entrée libre de la collection et des
enclos; ils pourront aussi obtenir, à des prix très-modérés,
des animaux vivans ou des œufs de poissons ou d'oiseaux.
Il 'suffit d'annoncerjque le plan de cette société appar-
tient à Sir Humplay Davy et à Sir ï. Stamford RafFles ,
pour faire sentir les résultats importans que l'on doit en
attendre. Grâces à cette grande et belle institution , on
peut espérer cfue l'Europe ne tardera pas à s'enrichir d'es-
du commerce , de l' industrie. , etc. ï-^S
pèces qui lui sont encore inconnues et qui pourront lui
fournir de nouveaux moyens de transport et de nouveaux
aliniens. Il serait à désirer qu'une institution semblable
fût créée en France, caria ménagerie du Jardin-des-Plan-
tes ne peut pas en tenir la place. Fort utile pour la science,
elle ne paraît pas, jusqu'à présent , avoir été d'aucun profit
pour l'économie domestique.
Ourang-outang tué à Sumatra. — Les journaux ont
parlé, il y a quelque tpms, d'un ourang-outang d'une
grandeur démesurée, qui aurait, dit-on, sept pieds de haut,
et sur lequel le docteur Abel rédige un mémoire.
On mande de Sumatra , qu'on a tué dernièrement à Ta-
ruman , un iudividn énorme de celte même espèce : " Il
avait , dit l'auteur de la lettre , six pieds de haut et le pied
long de quatorze pouces et demi. La peau était recouverte
de poils bruns, longs et brillans , semblables à ceux d'une
crinière de cheval. Sa face, qui offrait tout-à-fait l'aspect
de la figure humaine, avait une barbe longue et crépue et
des moustaches. Vous vous ferez quelqu"'idée de la taille et
de la forme de cet être singulier, quand je vous dirai qu'ayant
mesuré une de ses dents canines, je la trouvai de trois
pouces et un quart , et qu'il vécut plusieurs heures après
avoir reçu cinq balles dans le corps et avoir été percé
d'un coup de lance. Le corps était bien proportionné et on
ne remarquait pas de protubérance à l'estomac. »
Le rédacteur du journal anglais, auquel nous emprun-
tons ce fait, observe qu'on devrait s'interdire de faire pé-
rir des êli'es qui se rapprochent autant de l'humanilé que ce-
lui qu'on décrit ici. Celte considération n'a pas arrêté ses
meurtriers: après l'avoir tué d'une manière cruelle, on li-
vra sa tête à un cuisinier du vaisseau pour qu'il en détachât
les clwirs en la faisant cuire.
Licorne en Afrique e,t au Thihef. — Tifi correspondance
inf) Nouvelles des sciences ,
ileM. R uppell, savant qui voyage maintenant dansTintéreur
tle l'Afrique , offre le passage suivant , à l'égard de la licorne
qu'on a cru jusqu'ici un animal fabuleux : « Un des indigè-
nes m'a dit , spontanément , qu'il avait vu en Afrique un
animal de la grandeur d'une vache, portant une corne large
et droite sur le front. Dans la femelle, la corne manque. »
Un voyageur anglais prétend que l'on trouve le même ani-
mal daus les montagnes du Tliibet , et il assure même qu'on
lui en a fait voir des débris.
Imjnensité des plantes et des animaux. — M. Cuvier a
dernièrement présenté à l'Académie des sciences , un rap-
port sur les progrès de nos connaissances en histoire natu-
relle , depuis le retour de la paix maritime , lequel offre
des détails fort intéressans. En 1778, Linnée indiqua environ
huit mille espèces de plantes. M. DecandoUe en décrit au-
jourd'hui quarante mille, et, en peu d'années, on en
comptera sans doute plus de cinquante mille. Buffon esti-
mait le nombre des quadrupèdes à environ sept cents,
et il est loin de regarder cette liste comme complète.
M. de Lacépède écrivit , il y a vingt ans , l'histoire de
toutes les espèces connues de poissons, et le total ne se
montait pas à quinze cents. Le seul cabinet du roi en con-
tient maintenant deux mille cinq cents , qui , observe
M. Cuvier, ne sont encore qu'une faible portion de ce que
les mers et les fleuves pourraient fournir. Nous n'osons plus
fixer le nombre des oiseaux et des reptiles ; les cabinets sont
encombrés de nouvelles espèces qui ont besoin d'être clas-
sées. Mais ce qui étonne encore davantage, c'est le nom-
bre toujours croissant des insectes ; les voyageurs les rap-
portent par milliers des pays chauds ; le cabinet du roi en
contient plus de vingt-cinq mille espèces , et probablement
il n'y en a pas moins de dispersés dans les autres cabinets
de l'Euroj^e. L'ouvrage de M. Strauss sur le scarabée ,
du commerce , de l'industrie , etc. i'j'j'
vient de prouver que ce petit corps, d'uu pouce de lon-
gueur, a trois cent six pièces dures qui lui servent d'enve-
loppes , quatre cent quatre-vingt-quatorze muscles , vingt-
quatre paires de nerfs et quarantc-hnit paires de trachées.
Procédé pour conserver les débris d'animaux peur les ca-
binets d'histoire naturelle. — Il consiste à tremper ces débris ,
dans de Talcohol raèlé avec une for le dissolution de sublimé
corrosif. Les fibres des fourrures ou des plumes , une fois
saturés du liquide vénéneux , ne peuvent plus servir de pâ-
ture aux insectes ; étant d'ailleurs antiseptique , ce liquide
garantit la matière animale des influences atmosphériques ,
et comme il est incolore , il n'en altère pas les nuances. Le
tissu demeure également intact. M. Waterton (i ), naturaliste
qui a communiqué ce procédé, a lui-même une très-grande
collection d'individus rares qu'il a rapportés de l'Améri-
que du sud et qu'il a conservés par ce moven. Quelqnes-uns
d'entre eux qui ont subi cette pi-éparation , il y a mainte-
nant douze ans, ont toute la perfection et l'éclat qu'ils pour-
raient avoir s'ils étaient tués de la veille.
Distance à laquelle le sable et les corps d'un petit volume
peui>e?it être portés par le vent. — • <f Nous trouvant, dit un
voyageur anglais , le 19 du mois de janvier dernier, à bord
du C/)^û?e qui venait des Indes Orientales, à environ six
cents milles de la côte d'Afrique, nous fûmes surpris en
plein jour de voir nos voiles se couvrir d'un sable brun qui ,
examiné au microscope, parut extrêmenieut fin. Le même
jour, à deux heures après midi , ayant eu occasion de
faire plier uos voiles , nous en vîmes sortir des nuages de
poussière , au moment où le vent les fit battre contre le
mât. Pendant lu nuit précédente, un vent frais avait souillé
du nord-est, et la terre la plus jiroche était la partie de la côlc
( 1 ) C'est h; mniic «lui ;i public une rulalioii si curieuse Je ses voyaç^e^
(laus les furets «]r la Guiauc.
178 Nouvelles des sciences ,
d'Afrique qui est entre la Gambie et le Cap- Vert, dont
Qous étions éloignes de six cents milles. Ce fait ne nous
o(Fre-t-il pas le moyen d'expliquer facilement comment
ont ëtc transportées les graines des plantes que l'on trouve
dans les îles éloignées et de nouvelle formation.
SCIENCES MÉDICALES.
Du mercure administré en fumigation et des effets du
quinine. — A une réunion de la Société médicale et phy-
sique de Calcutta , qui s'est tenue en janvier dernier, il a été
lu un mémoire du docteur Gibson , de Bombay, sur l'effet
des préparations mercurielles administrées par fumigation.
Il résulte d'un grand nombre d'expériences faites par ce
médecin , qu'administré de cette manière dans les cas de
rhumatismes et de syphilis . le mercure est plus efficace
qu'il ne l'est lorsqu'on l'emploie suivant les méthodes les
plus usitées. Il paraît que pour la cure de ces maladies , les
Hindous l'administrent depuis long-tems sous cette forme ,
mais généralement avec si peu de mesure qne son effet or-
dinaire est de causer la salivation et de rendre, par lîi, le re-
mède pire que le mal. La préparation employée communé-
ment par eux , est celle du cinabre ordinaire du commerce.
A cette même réunion, il s'est fait quelques observa-
lions sur l'emploi de la quinine j dans les cas de fièvres
endémiques. On en avait reçu une petite quantité à Cal-
cutta , à l'état de sulfate. Ce médicament dissipe avec une
rapidité inconcevable les fièvres interminentes et même
les rémittentes qui participent des premières. La dose est
de trois à cinq grains qu'on peut prendre sous forme de pi-
lules, et qui, pour chasser ces fièvres et en prévenir le
retour, sont plus efficaces qu'autant d'onces du kina or-
dinaire. I
Cojiseroation des préparations anatomiques.-—h€S subs-
du cojwnercs , de l' industrie , etc. 17g
tauces employées jusqu'ici pour la couservalion des prépa-
rations auatomiques, telles que le salpêtre , le sel ordinaire,
le sublimé corrosif, l'acide pyroligneux, elc. , exercent une
action chimique si forte sur la lame des instrumens , que
les pièces préparées à Taide de ces substances ne peuvent
plus ensuite être soumises à la dissection. Le docteur Good-
man propose un agent bien prétérable à ceux que nous
venons de nommer, et qui ne présente point cet inconvé-
nient. Cet agent , c'est l'eau-de-vie (whiskey). Voici la ma-
nière dont il l'emploie ; « Je fixe, dit-il , un tuyau dans une
» grosse artère, et j'y injecte de Teau-de-vie jusqu'à ce
» qu'elle n'en puisse plus recevoir. On ne voit point cette
» liqueur sortir par la bouche ou par lesinsestins , comme
» lorsqu'on emploie une solution de sel ordinaire , ce que
» l'on peut attribuer à l'action de l'alcohol , qui fait con-
» tracter les extrémités délicates des vaisseaux capillaires.
» De cette manière on agit sur tout le système cellulaire
» et musculaire. »
De docteur Goodman conseille encore d'éponger la peau
avec de l'acide pyroligneux impur , et alors , dit-il , on
pourra conserver le cadavre très-long-tems , même pen-
dant les chaleurs de l'été , et l'on n'aura point à craindre
pour les instrumens que l'on emploiera.
Ancienneté du mode d'enseignement mutuel. — Le cou-
seiller-d'état russe, SlorstofF, inspecteur des écoles en Si-
bérie, fit, vers la fin de l'année dernière, une tournée
d'inspection dans les villages au-delà du Baïkal. En expli-
quant aux vieillards des tribus boriates de la Selende le
mode le plus facile pour apprendre à écrire à leurs cufans ,
il fut très-étonné de leur entendre dire que pour enseigner
l'arillimélique , leurs lamas se servaient de planches couver-
tes de sable , et que ce moyen avait été emprunté du Tiiibet.
Celte découverte inattendue le porta à conclure que Lan-
1 8o Nouvelles des sciences ,
castre , que l'on croit avoir invente le système d'enseigne-
ment mutuel, avait appris des prêtres de l'Inde, où il
avait résidé , le mode d'écrire sur le sable.
GÉOGRAPHIE. — VOYAGES. — STATISTIQUE.
Nombre des chrétiens dans le inonde. — Il résulte d'uu
calcul fait pour déterminer le nombre des chrétiens et celui
des individus qui professent d'autres religions , que si l'on
distribue les habitans du monde connu en trente parties
égales , dix-neuf de ces parties seront composées depayens,
six de juifs et de mahométans , et cinq de chrétiens , dont
deux appartiennent aux églises grecques ei orientales , et
trois aux églises romaines et protestantes. Si ce calcul est
exact, le christianisme, à le prendre dans sa plus grande
latitude, n'est, avec les autres religions, que dans le rapport
de cinq à vingt-cinq , ou de un à cinq. Une brochure , pu-
bliée d'abord en Amérique et réimprimée ensuite à Londres,
en 1812 , contient un calcul d'après lequel les habitans du
monde connu seraient au nombre de 800,000,000, et les
populations chrétiennes à celui de 200,000,000 , savoir :
catholiques de l'église grecque et orientale, 3o, 000,000 j
catholiques de l'église romaine, 100,000,0005 protestans
no, 000, 000. Il y a 461,000,000 d'idolâtres j i3o,ooo,ooo de
musulmans 5 et 9,000,000 de juifs. S'il est vrai que trente
ans soient la durée d'une génération, il naît et il meurt
800,000,000 d'individus dans cet espace de tems ; il en naît
et il en meurt 75,059 par jour, 3,o4.4 par heure, et 3i par
minute.
Longévité et population en Russie. — Une gazette de
Saint-Pétersbourg parle d'un homme mort à l'âge de cent
soixante-huit ans , près de Polosk , sur les frontières de la
Livonie. Il avait vu sept souverains sur le trône de Russie ,
et se rappelait très-bien la mort de Gustave-Adolphe. Il
du commerce ^ de l'industrie , etc. i8i
avait servi comme soldat daus la guerre de Trente Ans.
A la bataille de Pultawa , eu 1709, il avait cinquante-uu
ans. A l'âge de qualre-vingt-trelz.e ans, il épousa sa troisième
femme avec laquelle il a vécu cinquante ans. En 1796, ses
deux plus jeunes fils avaient, l'un quatre-vingt-six ans et
l'autre soixante-deux. Ses deux fils aînés avaient, à la
même époque, quatre-vingt-quinze et quatre-vingt-treize
ans. Tous les membres de la famille issue de ce patriarche
vivaient dans le village de Polotzka , que Catherine II
avait fait construire pour eux, en leur donnant, en même
tems, une portion considérable de terrain pour leur subsis-
tance. A l'âge de cent soixante-trois ans , ce moderne Nes-
tor jouissait d'une parfaite santé. Un document officiel, ré-
cemment publié , prouve également combien ces latitudes
septentrionales sont favorables à la prolongation de la vie
humaine. En iSaS, il est mort en Russie dix vieillards,
qui avalent plus de cent dix ans , et un autre qui en avait
cent trente. La population de cet empire redoutable fait
des j.rogrès prodigieux et beaucoup plus rapides que celle
des Etats-Unis d'Amérique. Il résulte du même document
que dans les neuf éparchles d'Orell , Wladlmir, Tambow ,
Tu!a, Pern, Ksan, Rjasan,Smolensket Woronescli, le nom-
bre des naissances a été également, en 1825 , de 629,4275
\es morts ne s'étaient élevés qu'à 277,875. Ainsi, rien que
dans neuf provinces , l'excédant des naissances avait été
de 25i,554.
Terre de lord Breadalbane. —• Cette terre, qui fait vivre -
15,557 personnes, commence à deux mille à l'est de Tay-
Brldge, dans le comté de Perlb , et elle s'étend à l'ouest
jusqu'à Casdale, dans l'Argylesbire, ce qui fait une longueur
totale de qualre-vingt-dlx-neufmilles et demi (environ trente-
trois lieues). La îargeur varie de trois à quinze milles (d'une
lieue à cinq). Cette terre n'est interrompue, dans toute sa
i82 Nouvelles des sciences ,
longueur, que par les propriétés de trois ou quatre per-
sonnes qui occupent un des côtés de la vallée , tandis qu elle
occupe l'autre , de manière que lord Breadalbane . en va-
riant un peu sa direction à droite ou à gauche, peut faire
près décent milles (trente-trois lieues), sans quitter ses terres.
Ducats troiwés dans hi Jorêt de Spielitz , en Silésie. —
Quelques paysans ont dernièrement découvert dans une
caverne de cette forêt 6,000 ducats , frappés à une époque
fort ancienne , plusieurs squelettes et des armes de toute
espèce. On suppose que c'était un des lieux où se réunissait
jadis ce fameux tribunal secret qui fut , pendant le moyen
âge , la terreur de l'Allemagne.
Voyage au mont Sinài. — Un jeune homme, nommé
M. Blanc, et son ami, M. Crompton, sont arrivés au Kairc,
le 1 5 mal dernier, après un voyage dans le désert , pendant
lequel ils ont beaucoup souffert par le manque d'eau et
l'excès de la chaleur. Ils s'étaient rendus au mont Sinaï ,
en suivant , le livre de l'Exode à la main , la route de Moïse
et des Israélites. Ils ont pris leur café dans le lieu même
où Moïse a reçu le Décalogue ; ils ont visité la grotte où
Elisée se retira à Noreb , et^ils se sont placés sur la pierre
où Moïse était assis lorsqu'il leva les mains , pendant le
combat d'Israël et d'Amalcc. Ils ont aussi trouvé dans plu-
sieurs excavations divers objets d'antiquité fort curieux ,
qu'aucun voyageur n'avait encore décrits.
Temples de Confucius. — Il y a en Chine i,56o temples
dédiés à Confucius. On calcule que pendant les sacrifices
qu'on y fait au printems et en automne, on immole 27,000
cochons, 2,800 moutons , 2,800 daims et 27,000 lapins , et
qu'on y dépose en offrande 27,000 pièces de soie.
Extrait d'une lettre d'Alexandrie. — Le bruit court qu'on
attend ici un envoyé anglais , qui doit proposer au vice-roi.
du commerce. , de l'industrie j etc. i83
de la part du gouvernement Britannique , un plan pour
unir la Mer Rouge à la Méditerranée.
Le vice-roi a dernièrement vendu du coton de Moka
pour la valeur de douze millions de talaris.
II y a maintenant à Alexandrie tant de négocians étrangers
qu'on manque de place pour les loger. Une seule chambre
coûte de 800 à 1,000 piastres d'Egypte. Les marchés sont
encombrés de marchandises étrangères : ces dernières per-
dent 25 p. '^/o ; encore est-il difficile de le vendreù; ce prix.
Hindous convertis au christianisme. — Registre des in-
dividus baptisés par les missionnaires , dans diverses parties
de l'Inde.
1800
1
1801
6
1802
9
i8o3
• 4
i8o4
i5
i8o5
3i
1806
a6
1807
«4
1808
20
1809
80
1810
loG
COMMERCE,
1811
97
1812
95
i8i3
113
1814
127
i8i5
i33
1816
85
1817
174
1818
86
1819
54
1820
5i
1821
70
1,407
Droits de douanes.' — Un fait curieux vient encore de con-
firmer la doctrine exposée dans l'article si remarquable sur
le produit comparé des hautes et petites taxes , inséré dans
notre premier numéro (i). En 1800 , le droit sur le vin de
Porto, était de 4oliV' par tonneau, et il a produit 224,000
liv. si. (5,600,000 fr.). En 1824 > i^ éi&\\. de go liv,, et il n'a
produit que 100,000 liv. st. (2,5oo,ooo fr.) Ainsi, l'augmen-
(i) Voy. tom. I , l'e liv., pag. 3(|.
i84 Nouvelles des sciences ,
atlou de ce droit , de plus de loo p. "/o , a eu pour résultat
uue diminution , dans la recette, de plus de moitié.
Commerce direct du Canada avec l'Inde. — Les jour-
naux du Canada, du 28 juin dernier, annoncent qu'en
vertu de l'acte du Parlement qui accorde la liberté du com-
merce aux colonies anglaises , il vient de se former, dans
celte ville, une Compagnie pour commercer directement
avec les Indes-Orientales.
Métaux -précieux^ exportés d'Angleterre. — On estime
que les quantités d'or et d'argent , tant monnoyés qu'en
barre , qui ont passé d'Angleterre en pays étrangers ,
dans le cours des trois mois compris entre le 5 avril et
le 5 juillet derniers, montent à la valeur de 2,854,o5o
liv. st. 5 près d'un million st. (vingt-cinq millions de fr.) par
mois.
LITTÉRATURE. .
Le Grand htconnu. — Le bruit court qu'il se présente
enHa un individu qui se déclare auteur des célèbres ro-
mans de Waverley , des Puritains, etc Selon ce
bruit, ils seraient l'ouvrage d'un M. Greenfield , ancien
professeur à une université d'Ecosse, lequel s'étant expa-
trié à la suite de quelques mallieurs qu'il avait éprouvés,
n'a pu les publier sous son propre nom. Sir Walter Scott
les aurait revus et corrigés à mesui'e qu'ils lui auraient
été transmis par l'auteur, et il y aurait ajouté des préfaces.
M. Greenfield porte maintenant , dit-on, le nom de Ru-
llierford.
Il nous serait impossible de dire si ce bruit est fondé ou
non, ni quelle eu est la source j mais nous pouvons affir-
mer qu'il s'accrédite Nul doute que sir Walter Scott n'ait
quelque part à la publication de ces ouvrages ; mais quant
à la nature de cette part, c'est ce qui demeure enveloppé
du commerce , de l'industrie ., etc. i85
fVun mystère profond. On prétend, qu interrogé sur ce
point parle roi d'Angleterre, lorsque S. M. est allée en
Ecosse, il dit, d'un ton très-affirmalif , qu'il n'en était pas
l'auteur. S'il en est ainsi, le bruit en question peut avoir
quelque fondement. D'après ce même bruit, M. Greenfield
serait en route pour revenir dans son pays , et si cela est ,
on ne lardera pas à savoir à qui, de lui ou de sir Walter
Scott, doit rester tant de gloire.
Prolixité des orateurs anglais. • — Le comte de Liver-
pool a porté, pendant la première partie de sa carrière
politique, le titre de lord Hawkesbury. Cette circons-
tance était ignorée de madame de Staël. Un jour, qu'en
causant avec lui , elle se plaignait de l'extrême prolixité
de certains orateurs anglais, elle s'écria : « Mais à pro-
pos , Mylord , dites-moi donc ce qu'est devenu un lord
Hawkesbury, qui m'ennuyait à lui tout seul plus que tous
les autres ensemble? a
Littérature Chinoise. — Cette nation qui s'est si soigneu-
sement isolée du reste du monde, possède une Encyclopé-
die en soixante-quatre volumes. Cet ouvrage a été rédiaé
par Vaug-Hong-Cban, écrivain chinois distingué, qui vivait
sous le règne de l'empereur Van-Pei, vers 1600, à peu
près à l'époque où les missionnaires européens vinrent en
Chine pour la première fois. Vang-Hong-Chan a été aidé
par son fils dans la composition de son ouvrage. II y est
question des mousquets européens. La classification des
matières est très-singulière , et, comme on le pense bien
elle a fort peu d'analogie avec celle de l'Encyclopédie de
d'Alenibert rt de Diderot. Voici quelle est cette classifica-
tion : 1° astronomie; 1° géographie; 5° portraits des per-
sonnages remarquables et des différentes tribus de chaque
région; 4° "Mystère du grand cycle et du Patkua; 5° ar-
chitecture; G° meubles et instrumens de guerre, d'agricul-
i8(i Noiweltes des sciences ,
ture, tie jardinage et de pêcher 7° aiiatomie; 8° costume;
9** jeu des échecs et autre jeux; 10° anciens caractères
chinois; 1 1" botanique et histoire naturelle des différentes
contrées; 12° manière de boxer et défaire des armes;
1 3° art du bûcheron ; 1 4" art de la danse ; 1 5* divers mojrens
de conserver la santé et de prolonger Texistence, 16" des
combats de coqs et de taureaux; 17° monnaie et pièces
d'argent gravées.
Enseignement du chinois à Londres. — Le célèbre doc-
teur Morrison , qui a fait de longs voyages en Asie et dont
les travaux philologiques sur la langue chinoise sont con-
nus de tous les orientalistes, est maintenant à Londres, où
il emploie une partie de son tems à donner des leçons de
chinois. Nous n'attachons pas la même importance à cette
langue que si nous étions des mandarins du premier rang;
mais il est impossible qu'on ne retire pas quelques avanta-
ges de l'étude que plusieurs personnes en font dans ce moment
sous la direction de ce voyageur. Un aussi vaste empire ,
dont la population fait plus du quart de la population totale
<lu globe , qui avait atteint son plus haut point de civilisa-
tion avant qu'Athènes fût bâtie, et peut-être même avant
que la Grèce fût peuplée , doit nécessairement avoir une
littérature intéressante ; et un peuple dont les formes socia-
les sont si bizarres et si différentes des nôtres , vaut
certes bien la peine d'être étudié à fond. D'ailleurs , il
paraît que depuis les travaux du docteur Morrison, et ceux
d'un savant philologue français, M. Abel Piémusat, l'étude
du chinois n'est pas même aussi difficile que celle du grec.
M. Mill, dans un article remarquable, inséré dans le der-
nier numéro du Wcàtminster Reçiew , observe que notre
éducation est si mal entendue, que l'on nous impose l'obliga-
tion d'étudier des langues mortes qui ne peuvent être que des
objets d'epiu-c curiosité, tandis que nous négligeons eutiè-
du commerce , de l'industrie , etc. 187
rement la langue d'un peuple avec lequel nous faisons ,
depuis beaucoup d'années, un grand commerce, principe
de la richesse ou de l'aisance d'une multitude d'individus
qui y prennent une part quelconque.
AGRICULTURE.
Procédé pour faciliter les défrichemens. — On a pense
qu'au lieu d'abattre les arbres au moyen de la hache et de
la scie, qui est le moyen ordinairement employé, on arri-
verait plus promptement à ce résultat en les faisant éclater
à l'aide de la poudre à canon; en conséquence, des expé-
riences ont été tentées dans ce but, et elles ont eu un plein
succès. Dans le Canada , en Afrique et dans tous les pays
où le bois abonde et s'oppose à la culture du sol, ce moyen
pourrait être utilement employé. Le procédé en question
consiste simplement à perforer avec une vrille le tronc de
l'arbre que l'on veut abattre, en inclinant toujours l'ins-
trument vers la racine. On remplit ensuite, avec de la
poudre à canon, le trou qui a été pratiqué, et l'explosion se
fait de la manière ordinaire. En employant ce moyen, on
peut éclaircir plus de pays en un jour, qu'on ne peut le faire
en huit, en se servant de la hache et de la scie ; et il y a cet
avantage de plus, que le terrain alentour étanlfort ébranlé
par l'explosion , se prête beaucoup mieux à la culture.
Tout gros bois qu'on voudrait abattre, soit pour l'em-
ploi du chauffage, soit pour en retirer de la potasse, pour-
rait être traité par ce même procédé.
Procédé pQur le dessèchement des étangs. — A une cer-
taine profondeur, au-dessous de la surface de la terre, pro-
fondeur qui varie suivant l'élcvalion des lieux, on rencontre
communément une couche de sable qui, par sa nature
livre facilement passage à l'eau. Dans les terrains sujets
aux e;iii\ stagnantes, ce sab'e est recouvert par une couche
i88 Noui'elles des sciences ,
tVargile peu épaisse. Il suffira donc de creuser un fossé au
fond de l'étang qu'on veut dessécher, jusqu'à ce qu'on ar-
rive à la couche de sable en question ; l'eau sera de suite^
absorbée, et l'étang mis à sec. S'il y avait trop d'eau pour
qu'on pût creuser commodément au fond de l'étang, il
faudrait creuser un fossé au bord , et ouvrir ensuite une
communication avec l'eau, au moyeu d'une tranchée. Ce
procédé a d'abord été employé par un fermier, qui en tirait
un grand avantage, sans, à ce qu'il parait, se rendre
compte de la cause de son efficacité. C'est ce qui a donné
l'idée d'en faire une application plus générale.
Sur l'emploi du sel dans le traitement des bestiaux. —
M. Curwen, membre très-distingué de la chambre des com-
munes , et dont les opinions au parlement font à peu près
autorité en agriculture, a publié à diverses époques les
résultats de ses expériences sur cette matière.
Voici quelques faits tirés d'un de ses écrits, sur l'emploi
du sel dans le traitement des bestiaux. « Au printems,
dit-il, im de mes troupeaux fut attaqué d'une maladie in-
flammatoire ; je lui fis administrer du sel en fortes doses,
cinq à six onces par jour, et la maladie se dissipa prompte-
ment. Lorsqu'on fait paître les troupeaux dans des terrains
humides , on court grand risque de les perdre par suite
d'épizooties. J'ai trouvé que le sel était un préservatif certain
contre ces fâcheux efïets de l'humidité. Je le fais adminis-
rer avec succès aux chevaux dont les jambes se gonflent
à !a suite de grandes fatigues. Il est également bon pour pré-
venir comme pour guérir cette incommodité. On peut, dans
ce cas , varier la dose depuis quatre onces jusqu'à une li-
vre par jour. Donné aux vaches, le sel ôte au lait et au
beurre ce goût de navet qu'il contracte quelquefois
lorsqu'on les nourrit de ce végétal. Il peut s'employer
aussi très-utilement pour la conservation des abeilles
du commerce , de l'industrie ^ eic. j8i)
pendant Tliiver. Il laut pour cela qu'il soit en dissolution
dans de l'eau de source, etinélé avec un peu de mélasse ;
dans cet état, le sel est pour ces animaux un préservatif
excellent contre la dissenterie, maladie à laquelle ils sont
fort sujets.
M Avant d'employer le sel dans le traitement de mes
bestiaux, j'avais à payer, année commune, un compte an-
nuel de 58 liv. st. ( i,45o fr. ) , pour soins et médicamens
fournis par le maréchal j depuis que je fais usage de ce
préservatif, ma dépense en ce genre est tout-à-fait minime»
» Comme Tabus du sel donné aux bestiaux a ses dangers,
et que cette substance peut être considérée comme un ali-
ment ou un poison, suivant l'emploi qu'on eu fait, il ne
sera peut-être pas mal à propos de faire connaître ici les
doses que M. Curwen fait administrer dans diverses cir-
constances.
En avril. En décembre.
Ouces. Onces.
Aux chevaux 4 ^ P^r jour.
Aux vaches quand elles don-
nent du lait 4 4
Aux bœufs qu'on engraisse. 4 6 \ *^<"^"«^^ «"
Aux bouvillons -x 3 i *'*"'' ''°'*-
Aux veaux i i
Aux moutons i l^ ^ay semd\nc.
» J'ai vu avec plaisir, dit M. Curvren, que mes expé->
riences réitérées sur l'emploi du sel dans le traitement de.«
bestiaux, ont été confirmées par celles d'un grand nombre
il'autres propriétaires du comté de Cumberland. »
INDUSTRIE.
Fabriques da Jlanelle à Rochdale. — On fabrique chaque
semaine, dans cette ville et dans les villages voisins, environ
II. i3
donné
IQO Noxwelles des sciences ,
20,000 pièces Je flanelle (le quarante-six yards (i) chacune,
faisant 47,840,000 yards par an. Dans ce nombre, on en
exporte 17,840,000 yards, et le reste, s' élevant à traite
ïnilîtons de yards , est consommé dans la Grande-Bretagne,
ce qui fait à peu près une yard et demie par individu. On
f;\it aussi de la flanelle d'une bonne qualité dans le pays de
Galles; on en fabrique également, mais d'une qualité iufé-
rieure, à Reswlck et dans quelques autres villes du royaume.
Il existe, en outre, plusieurs manufactures de ce genre
sur le continent, et, dans ce moment, on en établit aux
Etats-Unis d'Amérique. Mais la totalité de la flanelle qui se
fabrique sur les différens points du globe , n'égale pas la
(juantité de celle qui se fait à Eochdale et dans son voisinage
immédiat. Le prix de ce tissu varie de 5 deniers ( 10 sous) ,
à 5 sb. ( 3 fr. Go c. ), par yard ; de manière que la valeur
annuelle de la flanelle fraljrlquée à Rochdale s'élève à la
somme énorme de trois millions slerliags (75,000,000 fr.).
La laine employée représente à peu près la moitié du prix
de vente : les salaires et les autres frais de fabrication re-
présentent la seconde moitié.
Puissances des machines. — On calcule qu'à l'aide des
machines, deux centsbras fabriquent, de nos jours, autant de
tissus de coton que pouvaient en fabriquer vingt millions de
bras, sans machines, ily a quarante ausj eèquepour fabriquer
sans machines la quantité de coton qui se fabrique annuelle-
ment dans la Grande-Bretagne , il faudrait le travail de seize
millions d'ouvriers, qui emploieraient la simple roue à filer.
Ou calcide en outre que la quantité des produits de tout
genre, fabriqués aujourd'hui à l'aide des machines, est telle,
que pour fabriquer cette même quantité sans machines , il
Jaudrait y employer le travail de quatre cents millions
d'ouvriers.
(i) On coim)te rommunément que 78 aunes fie Franrp font 100
yards.
du commerce y de l'industrie , etc. i(ji
Appareil pour haler à terre les bâtimens qu'on veut ra-
douber. — Ce nouvel appareil , fort ingénieux , paraîê avoir
plusieurs avantages sur le mode employé Jusqu'ici. Voici
quelques-uns de ces avantages.
Le bâtiment qu'il s'agit de radouber, peut être lialé à
terre , visité , radoubé ( si toutefois il n'y a que de légèrrs
réparations à faire ) , et lancé de nouveau ea mer pendant
la durée d'une même marée ; et la réparation d'un navire
n'est jamais interrompue par l'opération nécessaire pour en
haler à terre un autre qu'on veut également mettre en ré-
paration : ce qui a lieu lorsqu'on radou])e dans un chan-
tier , puisqu'il faut remplir le chantier d'eau pour qu'un
autre bâtiment y arrive. Ce nouveau procédé est plus ex-
péditif , le bâtiment qu'on haie avançant sur un plan in-
cliné , à raison de deux pieds et demi jusqu'à cinq pieds par
minute. Il a aussi l'avantage de l'économie , car les frais
de l'opération entière , tant pour ba'.er le bâtiment à terre
que pour le relancer en mer , en le supposant du por4, de
aoo à 3oo tonneaux , ne s'élèvent pas à plus de 5o schel-
lings ( 57 fr. 5o cent. ) , et les frais de construction de l'ap-
pareil ne se montent qu'à un dixième de ceux qu'exige la
construction d'un chantier. Enfin , ce même appareil est
susceptible d'être employé là où il serait impossible d'éta-
blir un cliantier ; il peut se transporter d'un lieu dans un
autre, et môme être placé à bord du bâtiment auquel on se
propose de l'appliquer.
Sur l'emploi du cuir pour doubler les bâtimens de mcr^
— • On s'est assuré , par des expériences multipliées , que
le cuir ne s'altère pas lorsqu'il est plongé dans Veau ; qu'il
n'est pas sujet à être ronge par les vers, et quil no s'use
pas non plus par le cboc des vagues. D'après c's pro-
priét<?s, on a pensé qu'il v aurait une grande écouoniie à
le substituer au cuivre , a» zinc et même au bois , pour
doublure des bâtimens de mer. Un navire f|ui , avant de
1 9^ Nouvelles des sciences ,
quitter nos côtes, avait été doublé eu cuir de semelle , et
qui est revenu dernièrement de l'Océan austral , après une
absence de trente-six mois, s'est trouvé dans le meilleur
état possible. Le cuir de la doublure est même plus fort et
plus solide qu'il ne l'était avant le départ du bâtiment , el
il n'est nullement attaqué par les vers.
Procédé de M. Mackiiitosh , pour rendre toute espèce
d'étoffes , le drap , le cuir , le papier, etc. , ùîiperniéahles à
l'air et à l'eau. — Ce procédé important , que nous de-
von's à la sagacité de M. Charles Mackintosh , consiste à
réunir les surfaces de deux pièces d'étoffes par un vernis
flexible fait avec le caout-chouc dissous dans l'huile de
napbte que l'on obtient de la distillation du cbarbon. Ce
vernis est composé de douze onces de caout-cliouc et d'un
verre d'huile. On peut employer la chaleur pour la dis-
soudre, après quoi on le passe au tamis. On élend alors
d'une manière quelconque l'étoffe , et on la couvre avec une
brosse d'une couche de ce vernis élastique. Lorsque le vernis
est devenu gluant , ou applique, sur la première, une autre
pièce d'étoffe qui a été vernie de même. On soumet à une
certaine compression l'étoffe ainsi préparée , et on la fait
sécher ensuite. Le journal anglais qui rapporte ce procédé,
en considère l'efScacité comme incontestable.
Fers à cheçal en acier. — Le pied du cheval se compose
à son extrémité , d'une matière élastique qui se contracle
et se dilate , suivant qu'elle est comprimée ou non par le
poids de l'animal. Le fer , qu'on y ajoute communément ,
est un cercle en matière non élastique , qui gêne l'action du
pied, et cause, à cet organe, des cors et autres callosités
qui estropient l'animal. Il produit aussi des ossifications aux
parties cartilagineuses et des abcès qui causent à l'animal de
cruelles souffrances et ime vieillesse prématurée.
Il y a quelques années qu'un propriétaire, amateur de
chevaux, fit, de concert avec un chirurgien vétérinaire^
du commerce , de l'industrie, etc. 193
M. Bracy Clark, des expérinces clans le but de détermi-
ner pourquoi le cheval est le seul animal ( l'homme ex-
cepté ) qui souffre de maladies de pieds 5 et il conclut de
ses expériences, que ces maladies devaient s'attribuer au
fer non élastique qu'on leur fait porter. Ayant trouvé la
cause du mal , 11 ne restait que le remède à chercher. Dans
ce but , le chirurgien vétérinaire Inventa un fer à cheval
en acier , qui se trouve être exempt des Inconvéniens du
fer à cheval ordinaire. Ce n'est qu'i^près de nombreux essais,
auxquels il a employé plusieurs années , qu'il est parvenu
à le perfectionner. Il l'appelle , the steel tablet expan-
sion shoe [fer à cheval élastique , formé de feuillets d'acier).
Ce fer a beaucoup de succès , et on en conseille l'usage à
tous ceux qui veulent ménager les pieds de leurs chevaux.
Le maréchal qui le fabrique se nomme Samuel Davy ,
et il demeure près de la première barrière sur V Edgeware
Road.
Moyens de rendre toutes les espèces de papiers incomhus-
tihîes. — Ce résultat merveilleux est obtenu par un procédé
extrêmement simple. Il est indifférent que le papier soit
blanc , écrit , imprimé , peint ou marbré. La seule chose
qui soit nécessaire , c'est de le tremper dans une forte so-
lution d'eau d'alun, et ensuite de le bien faire sécher. On
peut facilement se convaincre de l'efiicacité de ce procédé ,
en tenant un morceau de papier ainsi préparé au-dessus de
la tlamme d'une bougie. Il y a cependant du papier qui a
besoin d'être imbibé plus fortement qu'il ne pourrait l'être
par une seule immersion. Dans ce cas , il faut recommencer
l'opération de le tremper et de le faire sécher , Jusqu'à ce
qu'il ait été complètement saturé. On assure que ce pro-
cédé , loin d'altérer la couleur ou la qualité du papier >
contribue au contraire à les améliorer.
«94
Noiwelles des sciences ,
BOURSE DE LONDRES.
Prix dts actions dans les diffêrens canaux, docks, travaux hydrau-
liques , Compagnies des mines, etc., pendant le mois d'oct. 1825.
A^^htnn
Birmingliani y^ . .
Coventi*y • p.
Elesmei-e et Chester
Grande Jonction
Huddei-fCeld
Kennet et Avon
Lancasler
Leeds et Liverpool
Oxford
Ré;;ent
Roclidale
Stafl'ord et Worcester
Trent et Mersey .
Warwict et Birmingham
Commercial
Indes orientales . .
Londres
Indes occidentales.
TRAVAUX HYDRAULIQUES.
Londres (orientale). . . .
Grande Jonction
Kent
Londres (méridionale).
Middlesex occidental..
COMi'AGNIF.S UU GAZ.
Cité de Londres
Nouvelle cité de Londres,
Impériale
Nouvelle Impériale
Générale unie
Westminster
COMPAGNIES D'ASSURANCE.
Alliance. ■ . .
Id. maritime
Globe
Gardien
Impériale. ■ . .
Londres. . . •
Protectrice. . .
Echange Royal
PaiK
primitif
des
Actions.
100
loa
I\loNTANT
(les
versemens
des Ac-
tionnaires
100
i33
100
kl
100
40
85
i^o
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40
5o
40
5o
iS
5o
5o
5
100
5o
«2 10
Octobre
1826.
25o
340
1200
125
3o5
32
2G
^45
800
5o
120
iS5
80
38
i3 10
ri 10
i(;8
2:î
4 10
2-5
ftu commerce de l'industrie , etc .
195
COMPAGNIES DES MINES.
Anslo-IVIexicaine
/</. Chili
Bré^ilieaDe
r^stello
Cliilienne
Colombienne
Haïtienne
Potose
Keal del monte
Kio rie la Plata
Mexjcâine-Unie
SOCIÉTÉS DIVERSKS.
Compagnie d^AgricuUure Australienne.
1,1. id. (1.1 Canada. .
/,/. i.l. de la Colombi
Banque d'Irlande
Compagnie d'agriculture de Rio de la Plata..
ï(h des Indes occidentales
Prix
primitifs
des
Actions.
100
100
100
100
100
100
100
100
5o
400
100
40
100
i
100
10
100
5
100
10
25
12
40
4
100
S'h
100
I
100
5
5o
I
100
10
Montant
des
versemens
des Ac-
tionnaires
3o
5
S
5
5
5
5
5
5
3oo
5
Cours
Octobre
)82(J.
80
5
II 10
7 5
1 1
18
9
't 10
5 10
Cours des fonds publics anglais et étrangers, depuis le 2/^
août jusqu'au 5o septembre i825.
FONDS ANGLAIS. Plus haut. Plus bas. dern. cour,
Banck Stock, 8 p. «/o ^3i .... 227 1/2. ferme'.
3 p. «/o consol 89 3/4. 86 1/4. 88 1/3
3 p. 0/0 réduits 90 1/2 . 87 , . . . ferme.
3 1/2 p. 7o réduits 98 3/8 . 9^ 3/8 , fermé.
Nouveau 4 p- °/o ^°4 •••• 99 7/8- io3 ....
Longues annuités expirant en 1860... 22 .3/i6 21 3/i6 fermé.
Fonds (le l'Inde 10 1/2 p. 0/0 207 1/4. 261 .... 266 1/2
Obligations de l'Inde, 3 p. "/o 43s-p.in. los. p. m. i4s.p. m.
Billets de l'Echiquier , 2 i/4 p. "/«• • • • ' 20s. p.m. 1 s. dis. l^ s.p.m.
ig6 Nouvelles des sciences ^ du commerce .^ etc.
FONDS ÉTRANGERS,
Plus haut. Plus bas. dero.voun.
Obligations autrichiennes, 5 p. o/o. . . 98 1/2. 96 . . . . y8 i/i
I(i. du Brésil Id 781/2. 74 ... . 761/2
Id. (le Buenos-Ayres , 6 p. "/o . . . 88 3/4 . 83 ... . 83 1/2
/J. du Chili /J 81 .... 70 .... 75 1/2
jTû?. de Colombie, 1822. /û?. 85 .... 72 .... 763/4
Id. Id.,i824.Id 84 .... 71 .... 753/4
Id. de Danemarck , 5 p. "/o.... ici .... 100 .... ici 1/8
Rentes françaises, 5 p. °/c 102 3/4. loo 1/4. 99 ex, d.
Obligations grecques, /</. 4^ *••■ ^^ •'•• ^^ '/^
Jd. du Mexique , /c? 74 3/4. 63 3/4. 72 1/2
/J. deNaples, Jd. 881/2. 87 . . . . 88 . . . .
Id. du Pe'rou , 6 p. "/o 78 1/2 . 66 .... 67 3/4
Id. du Portugal, 5 p. «/o 86 1/2 . 79 1/4. 83 1/2
/c?. de Prusse, 1818, /c? ici 3/4. 99 3/4- 100 3/4
Id. Id.1821, Id 100 3/4. 99 ••.. 100 ....
Id. de Russie , Id 97 i/4 . 89 1/2 ex.d. 94 ex.d.
Id. d'Espagne , Id. 22 3/4. 17 1/2 . 18 , . . .
OCTOBRE î825.
REVUE
HISTOIRE NATURELLE. — ÉCONOMIE
DOMESTIQUE.
Du PROJET d'introduire LE POISSON DE IVIER DANS
l'eau DOUCE , ET DE PRIVER DE NOUVELLES ESPECES
d'animaux.
Le docteur Mac Cullocli, en s'autorisant des expé-
riences faites dans File de Guernsey, par INT. Arnold,
a proposé dernièrement d'introduire le poisson de mer
dans l'eau douce , et concuri'emment de le parquer , si
l'on peut employer cette expression , dans des dépôts d'eau
salée. Comme ce projet n'a pas été examiné avec toute
l'attention qu'il mérite , nous croyons devoir en entretenir
nos lecteurs avec quelques développemens. Nous leur com-
muniquerons ensuite plusieurs observations qui nous ap-
partiennent , sur un sujet analogue.
L'époque où nous vivons est généralement considérée
comme favorable aux améliorations de tout genre. Notre
intention n'est pas de contredire cette manière de voir.
Cepcjndant il faut avouer que l'espèce humaine manifeste
toujours une singulière répugnance pour les innovations.
Presque toutes ont eu à lutter contre des préventions opi-
niâtres, et plusieurs sans pouvoir les vaincre. Il ne nous
igS Du projet d'introduire le poisson de mer
faudrait pas beaucoup d'efforts pour produire des preuves
nombreuses , à l'appui de ce que nous avançons j mais il
nous faudrait beaucoup de place. Nous nous contenterons
d'en rapporter quelques-unes, dont Ténumération ne sera
pas sans utilité.
La patente de Watt était expirée avant qu'il eût vendu
assez de machines à vapeur pour rentrer dans ses avances j
et ces machines n'étaient pas encore d'un usage général, à
la fin de la prolongation de quatorze ans que le Parlement
lui avait accordée, quoiqu'il n'y eût pas moins de vingt-
huit ans d'écoulés , depuis l'époque de leur invention. Il y
avait plus de cinquante ans que le système de la navigation
à vapeur avait été proposé , lorsqu'on en fit la première
application. C'est en vain que , bien long-tems après cette
découverte , lord Stanhope en avait de nouveau recom-
mandé l'usage. Vingt-deux bateaux à vapeur naviguaient
sur la Clyde , en Ecosse , lorsque l'Angleterre n'en possé-
dait pas encore un seul ; et l'Amérique du Nord effectuait,
depuis plusieurs années, vme grande partie de ses trans-
ports, au moyeu de la vapeur, avant que nous crussions à
la possibilité de suivre son exemple. C'est inutilement que
l'on a tenté , dans le comté de Kent , de substituer la char-
rue écossaise à deux chevaux , à cette lourde et incommode
machine qui ne peut être ébranlée que par quatre ou six
chevaux, et qui, avec une dépense double, fait moitié
moins d'ouvrage.
C'est avec tout aussi peu de succès que l'on a essayé
d'abréger les procédures et de diminuer les épices des tri-
bunaux ; et de persuader aux membres du clergé qu'ils tou-
chent la dîme pour résider dans leurs paroisses et pour
instruire leurs ouailles , et non pas pour tirer des perdrix
dans le Norfolk, ou jouer au Avhist à Balh.
Il n'y a encore qu'un petit nombre d'années que nous
avons adopté l'usage si commode de porter des cheveux
dans l'eau douce , etc. 199
courts et sans poudre. Que de peines n'a pas eues lady
Montague pour introduire rinoculatiou ; Pierre-le-Grand ,
pour raser ses Scythes j et le (^uarterly Rei>iew ^ pour hu-
maniser son langage ! Celle dernière réforme peut , il est
vrai , être considérée comme une des plus extraordinaires
de notre époque.
Nous pourrions prolonger cette éuuméralion hien da-
vantage; mais cela deviendrait aussi fatiguant pour le lec-
teur que pour nous. Les améliorations sont nécessairement
des réformes , et c'est pour cela qu'elles réussissent si rare-
ment. Tout est pour le mirux , dit-on. Nos pères étaient*
plus sages que nous, car ils étaient plus anciens. Les vieil-
lards sont toujours sages , attendu que leur barbe est plus
longue que celle des jeunes geus. Gardez-vous de lâcher la
bride à votre coursier; Dieu sait où il pourrait vous con-
duire .' Lorsqu'en France qu commença à couper les che-
veux, on ne tarda pas à couper les têtes. La réforme du
bourg pourri d'Old Sarum conduirait, peut-être, à celle du
comté d'York. Si nous supprimions la perruque du chan-
celier , nous supprimerions ensuite ses six clercs , les ré-
pliques , les ajourneœens , etc. , etc. Qu'an rat s'introduise
dans les digues , et bientôt il submergera toute la Hollande.
C'est par ces raisons que le prudent George III n'a
jamais voulu réformer les perruques des évêques. Si les
médecins eussent conservé les leurs , leurs fonctions ne
seraient pas aujourd'hui usurpées par les apothicaires , et
la génération actuelle ne s'en porterait que mieux. Les
Français ont démoli la Bastille, et on sait comment cela
a fini.
La Chine devrait servir de modèle aux nations. Pékin,
la ville élernelle, ne réforme rien , et c'est pour cela qu'elle
es.t éternelle. Les Turcs fument leurs pipes et s'asseyent
comme des tailleurs, depuis le tems d'Osman et de l'invin-
cible Amural ; aussi sont-ils encore à la même place.
200 Du projet d' introduire le poisson de mer
Lorsque les Romains substituèrent la soie à la laine qu'ils
portaient auparavant, ils commencèrent à décheoir. Si
Rome n'eût pas changé sa toge , elle serait encore debout.
Ne changez rien 5 et alors esto perpétua comme les Esqui-
maux.
Si les améliorations sont préjudiciables aux intérêts po-
litiques des peuples , elles le sont encore davantage à leur
moralité. On connaît ces sages maximes : « Contentus
parvo. » « Un cœur content vaut mieux que la richesse. »
« Celui qui ne désire rien , dit Cicéron , ressemble aux
'dieux. » Le désir est un état pénible pour Famé ; or il pré-
cède ordinairement les améliorations; donc il est prudent
de ne pas améliorer. Nos méthodistes , nos radicaux , nos
démagogues, sont-ils autre chose que des mécontens? Si
Caïn eût été content , il n'aurait pas failli. Et Troie , pour-
quoi a-t-elle été détruite? Parce que Paris s'était lassé d'être
célibataire, et que Ménélas ne voulait pas rester veuf.
C'est par ces puissantes considérations, et d'autres de
même force , que Ton témoigne communément si peu de
faveur pour les améliorations ; que les novateurs sont si
mal accueillis , que lorsque quelqu'un présente un projet,
il ne trouve presque jamais personne pour l'aider , et qu'au
contraire c'est à qui élèvera des objections. Mais sans nous
laisser gagner par cette disposition générale des esprits ,
nous allons rendre compte des moyens que l'on propose
pour fournir de nouveaux alimens aux babitans des trois
royaumes.
Le docteur Mac Culloch assure qu'on s'est convaincu,
par des observations et des expériences plusieurs fois répé-
tées, que beaucoup de poissons de mer n'ont aucune ré-
pugnance pour l'eau douce 3 et au contraire qu'ils y vivent ,
qu'ils y croissent et qu'ils s'y nourrissent tout aussi bien que
dans leur clément naturel. Il n'y a, dit-Il, aucune raison
chimique pour que cela doive être autrement. L'eau est
dans l'eau douce , etc. 20 1
pour les poissons la même chose que l'air pour les animaux
qui vivent sur la terre, le médium de la respiration et du
mouvement. Elle agit sur leurs o\iies qui sont leurs pou-
mons , par le moyeu de l'oxigène quelle contient. Or, il a
été démontré qu'il est plus facile de dégager Foxigène de
Veau douce que de Teau de mer , et que , par conséquent ,
l'acte de la respiration doit se faire plus aisément dans la
premièi-e que dans la seconde.
Il est également démontré que les eaux douces contien-
nent les mêmes variétés de col , pour recevoir le frai , que
la mer elle-même , et qu'ainsi il n'y a , à cet égard , aucune
difficulté. Quant aux alimens , quoique Ton suppose que
certains poissons mangent des herbes marines , il est in-
contestable que !a plupart sont exclusivement carnivores.
Les différentes espèces Avivent en se mangeant les unes les
autres , même celles qui paraissent consommer un peu de
matière végétale. I^es plus grands dévorent les plus petits,
et par conséquent là où il y a des espèces variées et en
quantité suffisante , il est impossible qu'il y ait disette d'ali-
mens. Une morne peut, d'une seule fois , avoir six millions
de petits, puisque c'est le nombre d'œufs qu'elle porte : il
est donc bien difficile qu'il y ait Insuffisance de nourriture
pour les poissons. Il semble même que la nature ne leur
ait accordé cette fécondité merveilleuse que pour qu'ils
aient toujours assez de moyens de subsistance. Quant à la
végétation sous-marine, il paraît qu'elle n'a été créée que
pour leur servir d'asile et de lieux de refuge , et non pas
d'aliment ; car il est bien loin d'être démontré d'une ma-
nière positive, qu'aucun d'eux mange réellement de ces
herbages .
Ainsi le raisonnement et l'expérience détruisent égale-
ment les objections que l'on a faites contre la possibilité
d'acclimater le poisson de mer dans l'eau douce. Nous
pourrons l'élever aussi facilement que nos anlirraux dômes-
•20'i Du projet d^introduire la poisson de tuer
tiques ; et , pour cela , il ne sera pas même nécessaire
d'avoir toujours recours à Teau douce, qui, cependant, dans
beaucoup de cas , présentera de grands avantages. Nous
trouverons sur nos côtes une multitude d'endroits où il sera
très-aisé d'établir des enclos pour le garder, soit comme
objet de spéculation, soit pour notre consommation per-
sonnelle, et oii nous l'aurons tout autant sous la main que
nous pouvons avoir la volaille de nos basses-cours.
Il existe déjà , depuis plusieurs années , trois enclos de
ce genre dans la Grande-Bretagne. Quoiqu'ils aient parfai-
tement réussi, ils n'ont pas été imités, tant nous mettons
de lenteur à adopter les innovations dont les avantages sont
le plus palpables ! lien existe aussi à Bermude et, dans la
Grèce, à Missolongîii , sur les côtes de l'Adriatique. Les
habitans des deux contrées prennent le poisson pour !e par-
quer dans ces enclos , où ils le conservent et l'engraissent
comme des animaux privés.
Il est assez curieux que nous qui passons une grande
partie de notre jeunesse à apprendre le latin , à la vérité
pour l'oublier quand nous sortons du collège , nous ne sa-
cbions pas que l'usage de parquer le poisson de mer était
général dans Fancienne Rome , et que c'était même une
des branches les plus importantes de son économie domes-
tique. L'exemple du peuple romain fait voir également qu'il
est possible d'élever le poisson de mer dans l'eau douce j
car dès les premiers tems de la république , les cultivateurs
allaient ramasser des œufs dans la mer, pour les transpor-
ter dans les !acs qui sont dans le voisinage de Rome. Plus
tard cette pratique avait été singulièrement perfectionnée
par les plus riches patriciens , qui attachaient autant de
prix aux poissons de mer qu'ils élevaient dans leurs étangs,
que nous pouvons en attacher aujourd'hui aux plantes
exotiques de nos serres chaudes. Un passage de CoUimelle
peut nous donner uue idée de la grande étendue et de !'im-
dans l'eau douce , etc. 2o3
portance de ces étangs , et des dépenses qu occasionalt
leur entretien. Mais , comme il nous serait facile de le faire
voir , les Romains ne se bornaient pas à priver les poissons :
ils privaient aussi beaucoup d'autres animaux qui vivent
sur terre ; et il est incontestable qu'à cet égard , au lieu
d'améliorer les usages de cette grande et puissante nation,
nous avons au contraire fait beaucoup de pas rétrogrades.
Il paraît cependant que l'usage de déposer le poisson de
mer dans l'eau douce s'est conservé en Sicile j car le capi-
taine Smith assure qu'encore aujourd'hui , les habitans
transportent le mulet et le homard dans !e lac de Biviera ,
afin d'en améliorer la qualité.
Cette dernière preuve est sans réplique et ne permet-
trait pas de traiter de chimériques les idées du docteur
Mac Culloch , quand bien même la possibilité de lesnaettre
à exécution ne serait pas démontrée par le succès des es-
sais de M. Arnold. Mais quelques personnes prétendent
que le poissoa de mer , sorti de sou élément naturel , ne
peut pas manquer de se détériorer et de perdre la saveur
qui lui est propre. liCS Romains étaient d'une opinion Lieu
différente , comme on peut en juger par les frais qu'ils fai-
saient pour l'élever dans des étangs , quoiqu'ils fussent si
rapprochés des côtes j et , eu effet , il est constant qu'il s'est
toujours améhoré dans l'eau douce , qu'il s'y engraisse , et
que sa chair y acquiert un goût plus délicat, « Il est prouvé
par les expériences que j'ai faites , dit M. Arnold , que la
loche devient, dans l'eau douce , doux fois plus forte qu'elle
ne l'est dans la mer. La limande y devient souvent trois
fois plus grosse, et elle y perd sa marbrure. Le mulet n'y
augmente pas en longueur, mais il y grossit beaucoup, et
il présente une couche de graisse bien plus considérable
que -de coutume. On sait généralement que les huîtres ne
sont jamais bonnes, avant d'avoir été transportées de la mer
dans l'eau douce. liCs seules qui soient bonnes naturelle-
2o4 •0« projet d'introduire le poisson de mer
meut , celles que , dans les marchés , on désigne sous le
nom (le Notii^s, sont toujours recueillies dans les endroits
où Teau douce se réunit à la mer.
Il existe plusieurs poissons de mer qui vivent dans Teau
douce sans y avoir été contraints par l'homme. Ce sont
le congre , la sardine , le gade-tacaud - la molette , l'alose ,
la grande lamproie, la petite lamp'oie, Tépinoche , l'é-
per'an, le quadricorne, le surmulet, le carrelet, le car-
relet rouge, la baleine Manche, la m us telle , le molle, le
maquereau , le hareng, la morue , la loche , la loche rouge,
le langoustin, le saumon, l'anguille, la chevrette, le crabe,
et quelques autres encore.
M. Arnold est parvenu, en outre, à acclimater dans
l'eau douce, les poissons suivans qui n'y viennent pas natu-
rellement : la limande , l'atherine , la sole , le boulereau ,
le bellicant, le lien, le turbot, les huîtres , les moules, etc.
En résumé , toutes les fois qu'on a voulu acclimater un
poisson de mer dans l'eau douce , on y est toujours par-
venu , quand on s'y est pris d'une manière convenable , et
les différentes espèces s'y sont propagées , lorsqu'elles ont
eu le tems nécessaire pour le faire. Ce qui est remarquable
encore , c'est que l'expérience a réussi , alors même que
l'eau éprouvait des changemens alternatifs , et que de salée
elle devenait saumâlre, puis douce et successivement par
rotation. On n'a pas eu besoiu de donner des alimens aux
poissons de mer que l'on avait privés : ils se sont multi-
pliés d'une manière prodigieuse tout en se servant les uns
aux autres de pâture, et c'est ainsi qu'un étang de cinq
^cres , qui n'était autrefois d'aucune valeur , est actuelle-
ment la source d'un revenu considérable.
Partant de ces faits , qui sont incontestables , l'auteur
du projet propose , en premier lieu , d'utiliser ces grands
espaces remplis d'eau douce qui se trouvent dans les trois
royaumes, en 1rs approvisionnant de poissons de mer. Il
dans l'eau douce , etc. 20 j
assure que rien qu'en Ecosse, il existe au naoins cinq cents
railles carrés occupés par des lacs ou des étangs qui ne
produisent pas un seul scheliing, et qui fournissent à peine
quelques poissons aux habitans des districts voisins. En
France et en Allemagne , les étangs convenablement aj)pro-
visionnés de poissons d'eau douce, donnent une rente
égale à celle de la terre. Très-certainement ils ne produi-
raient pas un reveau moins considérable dans la Grande-
Bretagne, si on y introduisait la marée, et ils fourniraient
une quantité prodigieuse de denrées aiimentaires.
Le doctem- Mac CuUoch propose en outre d'enclore wne
portion de la Tamise , afin d'y établir un marché de pois-
sons vivans pour la métropole. Si les compagnies qui se
forment tous les joui's avaient réellement un autre but que
d'agioter sur la valeur de leurs actions , ce projet serait
déjà exécuté ; car les avantages en sont évidens. En effet ,
les marchands de poissons savent très-bien qu'il n'y a
qu'une portion fort peu considérable de celui qu'ils ven-
dent au marché qui soit en bon état. Sur cent turbots que
l'on apporte à Londres , peut-être ny en a-t-il pas dix
qui soient sains! Il est d'usage de dire, quand un poisson
est mauvais, qu'il est hors de saison 5 mais cette explicatioij
n'est pas admissible 5 car jamais le poisson n'est hors de
saison que pendant le tems très-court du frai. D'ailleurs ,
l'approvisionnement actuel du marché a l'inconvéuient
d'être fort régulier. Quelquefois il y a encombrement , et
alors les marchands de poisson en détruisent des quantités
considérables pour maintenir les prix. Mais il arrive plus
souvent encore , soit à cause du mauvais tems , soit par
toute autre raison, qu'il y a insuffisance dans l'approvision-
nement , et les ventes se fout à des prix exorbitaus. Si le
poisson venait à Londres en plus grande quantité et d'uue
manière moins irrégulicre , uu plus grand nombre de pér-
il. i5
io6 Du projet d'introduire le poisson de mer
sonnes pourraient consommer cet aliment salubre et agréa-
ble ; et sa valeur , au lieu d'éprouver des variations conti-
nuelles , deviendrait uniforme et permanente.
En admettant même que la marée , parquée dans la
Tamise, ne se propageât pas , le but de l'entreprise ne se-
rait pas manqué pour cela j car cet enclos serait un réser-
voir où le poisson serait déposé dans les momens d'abon-
dance, et d'où on le retirerait quand il deviendrait plus
rare. Dans le cas au contraire où il se propagerait, comme
nous sommes convaincus que cela aurait lieu , ce réservoir
serait une espèce de garenne qni aurait de grands avantages
pour les entrepreneurs. Si les poissons déposés dans l'en-
clos ne se nourrissent pas comme dans la mer , en se man-
geant les uns les autres , il serait facile , à l'exemple des
"Romains, de les alimenter avec les restes des consomma-
tions d'une population anssi considérable que celle de Lon-
dres. Il n'y a pas de motifs ponr que nous ne nourrissions
pas nos poissons comme nous nourrissons nos volailles ; et
qu'après avoir naturalisé la carpe et la tancbe, et en avoir fait,
en quelque sorte , des animaux domestiques , nous soyons
moins heureux pour les autres espèces.
L'auteur du plan que nous analysons, voudrait qu'on
formât l'enclos avec des palissades , à l'emboucbure de la
Tamise ou de la Medway. Tous les jours im bateau à va-
peur en apporterait du poisson au marché de Londres,
et rapporterait de cette ville, si cela était nécessaire, ce
qu'il faudrait pour nourrir les poissons restés dans le ré-
servoir. Il n'y aurait d'ailleurs aucune difficulté à alimen-
ter constamment ce réservoir de poissons vivans, au moyen
de bateaux à soupape. On en apporte à Gravesend de cette
manière ; et l'exemple de Bermude et de M issolonghi prouve
également que rien n'est plus facile.
M. Mac Culloch suppose aussi que la tortue pourrait
dans Veau douce , etc. 207
cire naturaiisce clans la Grande-Bretagne, et ceci mérite
toute l'attention de la cour des aldermen (1). Les capitaines
de nos navires disent, il est vrai , que les tortues meurent ,
quand elles viennent dans nos latitudes. Cependant si quel-
ques-unes ne survivaient pas , comment se ferait la soupe
à la tortue ? D'ailleurs , n'est-il pas bien connu qu'en par-
ticulier , la tortue du capitaine ne meurt jamais ? mais un
fait décisif c'est qu'il y a quelque tems , on en a pris une
clans le Tamar , et (|uoique trouvée dans Teau douce , elle
e'tait parfaitement saine , et elle fut jugée excellente à Sal-
tash où on la mangea.
La naturalis.ition de la tortue, loin d'être difficile, nous
paraît même extrêmement aisée. Le paon et notre poule
domestique sont originaires des parties les plus chaudes de
rinde, et la pintade vient des sables brûlans de l'Afrique ;
ce C]ui n'empêche pas qu'ils ne soient aujourd'hui parfaite-
ment acclimatés dans des contrées beaucoup plus septen-
trionales fjue la nôtre. Il est certain cependant cjue la
nalviralisation de ces oiseaux présentait beaucoup plus de
difficultés cjue celle d'un animal aquatique; car, tandis Cjue
la différence de la température de l'air de ces climats si éloi-
gnés l'un de l'autre, est de quatre-vingts degrés de Fahren-
heit , il n'y a pas une différence de plus de dix degrés dans
la température de leurs eaux respectives. Il est évident
que cette différence sera à peine sensible pour la tortue ,
surtout quand on considère cju'elle a la vie très-dure , et
que, d'ailleurs, elle sera protégée, par son enveloppe,
contre la rigueur du froid.
(i) Note du Tr. Ce sont des magistrats municipaux dont les fonc-
tions ont quelque analogie avec celles de nos anciens e'chevins. Une
soupe à la tortue est de fondation dans les repos de corps de la Cite'.
Ce mets, presqu'inconnu en France , est si estime en Angleterre , que
lorsque le maître d'une taverne doit en servir , il le fait annoncer dans
les journaux , plusieurs jours à l'avance. S.
2o8 Du projet d'introduire le poisso/i de mer
En dépit de Tantipathie que nous avons pour les amé-
liorations , et de celle que l'on a plus particulièrement té-
moignée pour l'introduction de nouveaux animaux , nous
sommes convaincus qu'un Jour nous aurons des étangs pour
nos tortues , comme nous avons des basses-ceurs pour nos
volailles. C'est vraiment une disposition bien clrange dans
i'Iiomme , que cette aversion pour tous les projets qui
peuvent améliorer sa condition s'ils réussissent. Pourquoi
le !ord-maire et la cour des aldermen n'ont-ils pas voté
mille liv. st. pour faire mettre des tortues dans le canal
du Régent ou dans celui de la Nouvelle-Rivière; et ce qui
serait bien plus facile encore , pourquoi les monopoleurs
du dock-, des Indes-Occidentales n'en introduisent-ils pas
dans leurs superbes bassins , où , au milieu des nègres , du
rhum , du sucre et du café , elles pourraient se croire chez
elles ? Mais les directeurs , de même que les aldermen , se
contentent de se procurer de la tortue suivant l'ancienne
manière , et leur secrétaire a même déclaré que le projet en
question ne pourrait pas réussir. On avait dit aussi que ce
dock ne réussirait pas ; et le tems a confondu les contradic-
teurs , comme les tortues viendront à leur tour confondre
les directeurs et leur secrétaire.
Malheureusement notre répugnance pour les innovations
ne s'est pas manifestée seulement à l'occasion des animaux;
mais aussi à l'occasion des plantes. Ce honteux et stupide
entêtement nous a empêché d'en acclimater un nombre
Immense , qui aurait augmenté les produits de notre agri-
culture , ou servi à Tembellissement de nos jardins. Au
mépris des expériences faites , et d'expériences dont les ré-
sultats étaient incontestables , nos jardiniers ont pei'sévéré
dans leur routine : ils continuent de cultiver des boutures
et des rejetons , au lieu de cultiver la semence , et ils dé-
truisent, par la réclusion et une chaleur immodérée, des
plantes innombrables qui devraient être laites depuis long-
dans l'eau douce , etc. 20g
lems à notre climat. De tems en tems, une piaule , plus
heureuse que les autres , trouve le moyen de s'échapper, et
se naturalise dans nos jardins; mais tout concluant, que
sont ces faits ? on n'en tient aucun compte , et on persiste
dans les vieux érremens; car Texpérience, quand elle n'est
pas seconde'e par l'esprit d'observation, ne peut avoir aucun
résultat utile. Il y a environ cinq ans que Ton cultive l'ana-
nas sans le secours du feu , et comme ce fait ne peut pas
être contesté , on dit seulement que ceux que l'on obtient
de cette manière ne sont pas bons ', et quand , ce qui n'est
pas rare, il s'en trouve d'excellens , on soutient que ce sont
des exceptions.
Mais revenons à notre sujet. Nous avons avancé que
trois des oiseaux privés de nos basses -cours sont origi-
naires de pays chauds : ils ne se trouveraient pas en An-
gleterre, s'ils n'y avaient pas été naturalisés par l'homme.
Or , ce qui a déjà été fait une fois , pourrait être fait une
seconde; et nous n'éprouverions pas plus de difficultés à
acclimater le florican indien on l'oiseau messager , si nous
essayions de le faire. Lord Hastings n'a-t-il pas déjà natu-
ralisé la perdrix de l'Inde ? Et Toiseau de paradis qu'on
supposait ne pas pouvoir vivre hors de 'a Nouvelle Guinée ,
a cependant vécu à Reusingtou, et probablement il y vivrait
encore , sans l'excès des soins qui lui ont été prodigués par
une main royale (i).
Pour savoir si une chose peut être faite , il faut la tenter.
Mais les ennemis des innovations s'opposent à tous les
essais ; afin qu'on ne les force pas à en reconnaître la pos-
sibilité et les avantages. Si les animaux ne pouvaient pas
vivre sous des latitudes diverses , comment l'homme lui-
même , né, dit-on, au pied du mont Ararat , pourrait-il
exister dans le Groenland , se nourrissant de baleine .sous-
(1) La duchesse de Kent.
2 1 o Du projet d'introduire le poisson de mer
le pôle , et de noix, de cacao sous Tequateur ; heureux dans
l'un et l'autre climat , et partout dévorant tout ce qui se
rencontre sous sa main? Comment le cheval prospère- t-il
également sous le soleil de l'Afrique et sous les glaces de la
Norwège? Il y a trois siècles qu'il était inconnu dans !e
Nouveau-Monde , et maintenant il le parcourt d'un pôle à
l'autre. Pourquoi donc ne pourrait-on pas ^lassi naturaliser
le zèbre , l'éléphant ou l'hippopotame?
Ainsi que le cheval , l'âne, le renard, le loup, le lièvre,
^e mouton et le bœuf, se rencontrent dans le monde en-
tier 3 et partout ils modifient !a peau qui les couvre, confor-
mément au tems et au climat. La chèvre des montagnes
chargées de neige de l'Himalaya a vécu à Londres , et vrai-
semblablement elle s'y serait propagée, si les chefs de nos
manufactures se fussent lassés de tirer de l'Asie la laine
propre à faire des schals : les heureux essais de M. Ter-
naux , l'un des premiers fabricans delà France, autori-
sent cette conjecture. La barbe de la chèvre fait, il est vi'ai,
plus de chanceliers et d'évêques dans une latitude que dans
l'autre; mais voilà tout. Quant à sa peau elle est toujours
la même ; et , dans tous les pays , elle est également sus-
ceptible d^être convertie en livre de poche , en gants et en
souliers pour les belles.
Il en est de même des oiseaux , avec cette seule diffé-
rence qu'ils peuvent encore changer de climat avec plus
de facilité et de promptitude que les autres animaux. On
trouve également la bécassine au Beagal et dans la baie
Baffiu, dans la Mer Rouge et dans le bassin polaire de
M. Barrow (i). L'hirondelle poursuit les mouches depuis
les sables brûlans de l'Afrique jusqu'aux marais glacés du
Nord. Mille autres font de même 3 mais comme nous n'é--
(i) Note du Tr. M. Barrow est un membre de l'amirauté anglaise :
c'est lui qui a re'dige' les inslructions des expe'ditions entreprises pour
<lécouvrir un passage dans les mers polaires de rAmëriquc du nord.
dans l'eau douce , etc. ?. 1 1
crlvons pas un traité d'histoire naturelle, i! est inutile cVen
faire l'énumération.
Que les différentes espèces d'animaux aient chacune leur
climat de prédilection , cela est dans Tordre. Dans le prin-
cipe, elles durent être placées dans les pays qui leut con-
venaient le mieux. , et qui fournissent en plus grande abon-
dance les alimens qu'elles consomment. Il n'y a aucune
raison pour que d'elles-mêmes elles en franchissent les
limites. Quel motif, par exemple , pourrait déterminer un
éléphant à se rendre volontairement en Europe, au risque
d'y être mis dans une cage et montré pour un schelling ,
dans le cas où, sur la route, il n'aurait pas été pris et
mangé par un Hottentot? Mais la nature n'a pas dit aux
animaux comme aux flots de l'Océan : Vous n'irez pas
plus loin.
Si les preuves que nous avons données de îa vérité de
cette assertion ne suffisaient pas , on pourrait en acquérir
d'autres en allant visiter le géoloj^ue Buckland. Quand vous
pénétrez dans son appartement; vous vous y trouvez en-
touré des débris de tous ces quadrupèdes qu'on ne rencontre
plus aujourd'hui qu'en Asie et en Afrique ; et cependant
tous ces débris ont été découverts dans une excavation du
Yorkshire. Des découvertes semblables ont été faites éga-
lement en France, en Allemagne et en Italie , en un mot
dans toutes les contrées de l'Europe.
Nous sommes fermement convaincus que tous les ani-
maux sont susccptib'es d'être naturalisés dans les différens
climats du monde ; mais nous ne croyons pas qu'il en soit
tout-à-fait de même des plantes. Il est facile de donner la
raison de celte différence : les animaux peuvent eux-mêmes
produire la chaleur , tandis que les plantes dépendent en-
tiè^ement de celle de la température dans laquelle elles se
trouvent. Nous ne prétendons pas cependant qu'un élé-
phant déjà âgé puisse être impunément exposé à la rigueur
212 Du projet d'introduire le poissoii de mer
d'an hiver de la Grande-Bretagne. Nous ignorons de quelle
manière les chevaux ont été dispersés dans toutes les par-
ties de l'univers ; mais il est probable que c'est par grada-
tion. Quant à notre poide domestique, il paraît que de
l'Inde elle est venue dans TAsie Mineure , et de là , dans le
midi de l'Europe , d'oii ensuite elle a été transportée dans
le Nord. La pintade importie d'Afrique par les Romains ,
s'est répandue de l'Italie dans les contrées plus septentrio-
nales. Le paon a suivi une marche semblable j et rien ne
s'oppose à ce que l'éléphant et en général tous les animaux
des tropiques s'accliiuatent de la même manière en Europe,
et se répandent insensiblement de l'équateur au pôle. Les
petits , élevés dans des contrées plus froides , pourront être
exposés à une température plus froide encore j et de géné-
ration en génération , ces différentes espèces deviendront
toujours moius délicates. C'est ainsi que ces animaux anté-
diluviens , dont les débris se trouvent en si grand nombre
dans les carrières de l'Europe septentrionale , ont dû ,
lorsque l'homme n'existait pas encore pour les arrêter
dans leur marche , s'éloigner graduellement des contrées
où, dans le principe, ils avalent été placés par la nature.
Nos immenses possessions, dispersées dans toutes les par-
ties de l'univers , nous donneront de grandes facilités pour
faire des essais sur tous les genres d'animaux dont l'intro-
duction , dans la Grande-Bretagne, sera jugée utile. Quel-
quefois le succès pourra n'être que le résultat du tems ;
souvent aussi il sera beaucoup plus prompt qu'où ne le
suppose. La première chose à faii-e, ce sera de détruire des
préjugés, et il est vraisemblable que c'est également ce
qu'il y aura de plus difficile.
On demandera peut-être quels avantages procurera à la
Grande-Bretagne Ja naturalisation des animaux des tropi-
ques. Nous répondrons que les uns serviront à embellir nos
paysages ; que les antres nous fourniront de nouveaux ali-
dans l'eau douce, etc. 2i5
mens, ou que nous les obligerons à travailler pour nous.
Ils scrvirout aussi à consommer les productions végétales
dont ne font pas usage les animaux que nous possédons
déjà , et à occuper des places ou des régions que ceux-ci
n'occupent pas.
Pour mieux sentir le prix des services qu'ils nous ren-
dront à cet égard , il suffit de réfléchir à ceux que nous rend
la chèvre. La chèvre est l'épurateur universel du règne vé-
gétal ; c'est elle qui consomme les plantes vénéneuses qui y
sont répandues , et elle trouve sa nourriture dans des pâtu-
rages inaccessibles à la plupart des autres animaux. Elle
nous est donc doublement utile, et elle nous procure un
profit qui , sans elle , n'existerait pas. L'utilité du porc est
encore plus frappante ; car les alimens qu'il consomme sont
des rebuts qui n'ont absolument aucune espècede valeur ; et
par conséquent c'est de rien qu'il fait quelque chose. lien est
à peu près de même du canard et de l'oie; et eu général tous
ces végétaux sauvages que la culture n'a pas améliorés, n'ont
guère d'autre utilité que de servir d'alimens aux difFérens ani-
maux que nous consommons, et qui en élaborent les sucs dans
leur estomac.
Les chardons ne sont jusqu'à présent d'aucune utilité; ils
rebutent jusqu'à l'dne qui essaie d'en manger. Si donc nous
introduisions, en Angleterre, un animal auquel ils pour-
raient servir d'alimens , sa nourriture ne donnerait lieu à
aucune dépense. Quel avantage n'aurions-nous pas aussi à y
naturaliser la renne, qui nous procurerait de la venaison, en
échange des lichens qui ne nous sont bons à rien !
Nous allons maintenant dire un mot des animaux qu'il
conviendrait d'importer, soit sous le rapport deragrémenl,
soit à cause des avantages positifs que l'ou en retirerait , eu
les consommant ou en les faisant concourir à nos travaux.
Jusqu'ici nous n'avons guère acclimaté que le paon, parmi
les oiseaux de pur agrément , quoiqu'il y en ait une multi-
II. iG
2 1 4 Du projet d'introduire le poisson de mer
tnde d'autres qae nous aurions pu aussi naturaliser en Angle
terre. Le faisan doré n'y est vu que très- rarement j et tous
les oiseaux, étrangers , tristement reclus dans des cages ,
comme des lions et des singes, n'y engendrent pas, et ne
contribuent en aucune manière à la décoration de nos paysa-
ges. Il n'y en a pas un seul cependant , indépendamment de
ceux qui sont inconnus dans nos ménageries, que nous n'au-
rions pu naturaliser tout aussi facilement que le paon ou la
pintade. L'ibis et le flamand devraient contribuer à l'agrément
de nos étangs et de nos cours d'eau , de même que le cygne
noir d'Australie, tout récemment introduit dans la Grande-
Bretagne, commence à y concourir. C'est un pas de fait vers
une amélioration. Pourquoi n'a-t-on pas en même tems in-
troduit les grues de mer dont la forme est si élégante? Le
pélican ferait plus que contribuer à notre amusement ; il
pourrait aller à la pèche pour nous, comme il fait en Chine.
Comment se fait -il que nous n'ayons encore privé que
deux seules espèces de tout le genre des anas , l'oie et le ca-
nard? La sarcelle est un oiseau plus agréable à l'œil et beau-
coup meilleur : à quelques milles de rAngletfrre, nous pou-
vons la voir dans les basses - cours des Hollandais ; rien
n'était plus facile que de suivre un exemple si rapproché de
nous. Quatre mille ans, dit-on , se sont écoulés depuis la fin
du déluge, époque à laquelle les animaux furent rendus à la
liberté; et, pendant ce long période, nous n'avons privé
qu'une demi-douzaine d'oiseaux, tandis que l'arche toute en-
tière aurait dû l'être. Tout le Musée britannique circulerait
aujourd'hui dans nos basses-cours ou nagerait dans nos étangs ,
que ce ne serait pas encore avoir fait beaucoup , en compa-
raison de ce qui resterait à faire ; et il est inconcevable que ,
depuis si long-tems, nous n'ayons pas même songé à appri-
voiser la caille , le faisan , la bécasse, la perdrix , etc.
Nous n'avons pas fait davantage à l'égard des quadru-
pèdes. Sur un millier d'animaux à quatre pattes , nous n'en
dans l'eau douce ^ etc. 21 5
avons apprivoisé que huit; savoir : le cheval, Fâue, le
bœuf, le daim , le mouton, la chèvre , le chien et le chat.
Encore est-ce improprement que nous disons nous} car, par
le fait , dans l'espace de dix-huit cent vingt-cinq ans , nous
n'en avons pas apprivoisé un seul ; tous l'ont été par les na-
tions antérieures . Les peuples de l'Asie ont fait davantage ,
puisqu'ils sont parvenus à douipler le chameau , le droma-
daire et Téléphant. On a , il est vrai , tenté d'introduire eu
Angleterre et de priver le renne : malheureusement l'igno-
rance et l'inattention de ceux qui ont fait cet essai , l'ont
empêché de z'éussir. On a également laissé mourir tous les
élans importés d'Amérique. Mais le mauvais succès de ces
expériences, qui n'accuse que l'incurie de ceux qui les ont
dirigées, ne doit pas nous abattre. Un champ immense se
découvre devant nous j rien ne nous empêche d'j pénétrer.
Nous pouvons , si nous voulons, accroître , dans une pro-
portion indéfinie, la masse de nos denrées alimentaires;
nous pouvons aussi soulager les classes ouvrières, en fai-
sant exécuter une partie de leurs travaux par des animaux
qu'il dépend de nous d'apprivoiser.
On va nous demander comment on y parviendra. Assu-
rément ce ne sera point en répétant sans cesse que cela est
impossible. Jadis on croyait aussi qu'il était impossible de
s'élever dans les airs en ballon, d'en descendre en para-
chute; de distribuer la lumière aux habitans d'une grande
ville, avec des tuyaux et des robinets, comme l'eau dans
des bains publics; et, pour revenir à notre sujet, avant
que cela fut tenté , on devait croire également qu'il serait
impossible de soumettre , dans l'Inde , à la volonté de
l'homme , le plus grand et le plus fort des quadrupèdes ,
de lui faire porter nos fardeaux, et de le faire combattre
dans les rangs de nos armées.
Grâces à la société qui s'organise sous la direction de
Sir Humphry Davy , quelques - unes des hypothèses dont
2i6 Notice historique
nous venons d'entretenir nos lecteurs , ne tarderont pas It
être réalisées. Cette société ne se bornera point à créer
une ménagerie, à Tinstar de celle du Jardin des Plantes à
Paris , qui n a contribué en rien au bien-être des habitans de
la France : lorsqu'elle introduira de nouveaux animaux en
Angleterre, ce ne sera pas seulement pour en faire une
vaine parade , mais pour en perpétuer l'espèce , et pour
les faire servir à nos besoins. Sans doute l'autorité d'un
nom tel que celui d'Humpbry Davy , ébranlera un peu les
incrédules , et eu imposera à cette ignorance présomp-
tueuse, toujours prêle à contester ce qu'elle est incapable
de comprendre (i). ( London Magazine. )
BIOGRAPHIE.
NOTICE HISTORIQUE SUR JAMES WATT.
James Watt naquit à Greenock , en Ecosse, en lySG ,
d'une famille dans laquelle les connaissances mathémati-
ques étaient depuis long - tems héréditaires. Sou père était
un négociant distingué de cette ville, et il fut un de ses
magistrats pendant plusieurs années. Son fils aîné, celui
qui est l'objet de cette Notice, né avec un tempérament
très-délicat , ne put pas profiter de l'enseignement des éco-
les établies dans sa ville natale. C'est une chose remarquable
que la plupart des artistes , des poètes ou des philosophes
qui ont fait le plus d'honneur au genre humain , aient dû
à des circonstances analogues cette profondeur de pensée
et cet amour de l'étude qui ont immortalisé leur mémoire.
(i) Voyci le piospcclus de celte Sociiitc, i^e liv. du 2« vol. p. 173.
sur James Watt. 217
Pope fut forcé , par sa constitution débile , de vivre con-
stamment au foyer domestique i Pascal , Tontenelle , Sa-
muel Johnson, et beaucoup d'autres personnages illustres,
n'ont trouvé de soulagement à leurs souffrances que dans
les hautes méditations de la philosophie. On serait même
tenté de conclure, des exemples célèbres de Walter Scott
et de lord Byron, que la faiblesse physique est générale-
ment compensée par un plus grand développement des fa-
cultés intellectuelles, et par Thabitude, en quelque sorte
indispensable, de la méditation. Nous sommes convaincus
que cette persévérance dans l'étude, qui a distingué James
Watt pendant toute la durée de sa longue et pénible car-
rière , doit être attribuée en grande pai'tie à la faiblesse de
son tempérament.
A l'âge de dix-huit ans, Watt vint à Londres dans l'in-
tention d'apprendre l'art de fabriquer les instrumens de
mathématiques jet, pendant l'espace d'un an , il fit de grands
progrès dans les différentes branches de la mécanique. Peu
de tems après son retour en Ecosse , vers l'année 1757 ? à
peine âgé de vingt-un ans , il h\\, nomme Jahricant d' instru-
mens de mathématiques de l'Unii^ersité de Glasgow , citée
dans tous les tems pour le talent et la réputation de ses
professeurs , et alors honorée par des hommes tels que
Simpson , Adam Smith, fondateur de l'économie politique,
et le célèbre Black, l'émule de Priestiey , de Scheele et de
Lavoisier , créateurs de la chimie moderne.
Ce fut pendant son séjour à Glasgow, en 1765, que
Watt l'eçut, du proiesscur de philosophie naturelle, la mis-
sion de réparer un modèle de la machine à vapeur de Ne(i^-
comen. lia difficulté qu'il éprouva à fournir delà vapeur à
la machine, lui suggéra l'idée d'un condensateur séparé ;
et , -par une suite d'expériences fort curieuses, il parvint à
établir aA-^ec exactitude la quantité (\e calorique consommé
dans l'évaporalion. Ce serait dépasser les limites de celle
2 1 8 Notice histoncjue
Notice , que de faire l'exposé des moyens qu'il employa
pour perfeclionner la machine à vapeur , et pour varier la
forme et les matériaux des différentes pièces d'un méca-
nisme aussi compliqué. Nous ne pouvons pas davantage
parlef en détail de toutes les conséquences importantes qu'il
a tirées de ses nombreuses expériences. 11 suffira de dire
qu'on pourrait à peine citer une seule amélioration qu'il ait
due au hasard ; tous les changemens qu'il a faits à la ma-
chine à vapeur sont le fruit de son habileté comme artiste ,
et de ses profondes connaissances en chimie et en mécani-
que. Jamais un seul hcnarae ne réunit autant de savoir ,
d'imagination et de sagacité.
En 1 ^65 , Watt s'associa avec le fameux docteur Roe-
buck pour former une manufacture de machines à vapeur.
Mais il n'atteignit pas le but qu'il s'était proposé , non-seu-
lement à cause de la position pécuniaire du docteur, mais
aussi parce qu'il fût forcé de se livrer tout entier à ses fonc-
tions d'ingénieur civil. En 1767, il fit le plan d'un canal de
jonction entre le Forth et la Clyde, et bientôt après il di-
rigea les travaux de celui de Monkland à Glasgow. On lui
doit également des projets de canaux entre Perth et For-
far, et un rapport sur !a jonction des deux mers par l'isthme
de Crinan. Il serait trop long d'énumérer ici les plans , les
projets et le-s devis de toute espèce qu'il a présentés pour
construire des ponts , creuser des ports , des canaux et des
lits de rivière. Son dernier projet fut celui d'unir Inverness
et le fort William par un canal que le grand ingénieur Tel-
ford a. depuis, entrepris et heureusement exécuté : c'est le
canal Calédonien.
Après ce dernier travail , Watt accepta l'invitation de
M. Boulton, de Manchester, et il vint se fixer en Angle-
terre. C'est en 1775 qu'il obtint une prolongation au terme
dn brevet qu'il avait. pris pour ses perfectionnemens aux
machines à vapeur , et qu'il en commença la fabrication ,
sur James PVatt.- aig
sous la raison Boullon et Watt. La grande économie qui
résultait de ce puissant moteur , en fit bientôt adopter Tu-
sage dans les mines du comté de Cornouailles et dans tout
le reste de l'Angleterre. Pendant les années 1781 , 1782 ,
1 784 et> 1 785 , J. Watt perfectionna beaucoup les moulins ,
et montra autant de génie dans ses inventions , que de per-
sévérance et de sagacité dans leurs diverses applications.
Lorsqu'on examine avec soin l'ensemble de ses travaux ,
on est forcé d'admirer en lui un esprit de recbercbe , une
habileté d'exécution et une fécondité de ressources qu'on
ne saurait trouver , au même degi'é , dai^is aucun autre mé-
canicien des tems modernes. Les améliorations qu'il a fait
subir à toutes les machines à vapeur ou à roues , ont
donné à notre population, à nos manufactures, à notre
fortune, une impulsion sans exemple dans les annales du
pays. Au milieu des détails innombrables de tant d'occupa-
tions, il suivit avec ardeur les progrès des connaissance.^
chimiques , et il y contribua lui-iriéme par la découverte
de quelques propriétés remarquables des gaz.
En 1786, il introduisit en Angleterre le nouveau procédé
de blanchiment par l'acide muriatique (i), découvert par
M. Berthollet de Paris. Il communiqua ce procédé à son
beau-père, M. Mac-Grégor , et, après avoir fait construii'c
les appareils nécessaires avec le plus grand soin, il eu diri-
gea les premiers essais qui furent couronnés d'un succès
complet. On sait combien il en est résulté d'avantages et
•d'améliorations dans le système général de nos manufac-
tures.
Indépendamment de ces graves occupations , il n'est point
de méthode ou de procédé que M. Watt n'ait tenté de pcr-
fecliounerj pas ^de sciences qu'il n'ait plus ou moins ap-
profondies. Plusieurs années de sa vie ont été troublées par
(i) C'est l'acide hydro-chlorique de la nomenclalure actuelle.
220 ■ Notice historique
la nécessité où il s'est trouvé réduit, de défendre ses bre-
vets d'invention, contre une foule de prétentions illégitimes;
et ce n'est qu'en 1 799 , que la cour du banc du roi lui donna
gain de cause contre ses adversaires.
En 1800, James Watt se retira des affaires; mais il ne
cessa point de s'intéresser aux progrès des sciences , de la
littérature et des arls : jusqu'au dernier moment de sa vie,
on le trouva toujours prêt à donner son avis et ses conseils
dans les matières de sa compétence. Malgré l'extrême fai-
blesse de sa constitution , grâce au régime et à la tem-
pérance, il parvint à l'âge de quatre-vingt-quatre ans, avec
la jouissance de toutes ses facultés; il expira, après une
courte maladie , à Heathficld , dans le comté de Stafford ,
le 25 août 18 19. Il avait été nommé membre de la Société
Royale d'Edinbourg, en 1784; de celle de Londres, en
1785. En 1806, rUniversité deGlasgowlui conféra le titre
de docteur en droit , et bientôt après l'Institut de France
l'admit au nombre de ses huit membres étrangers.
Le 18 juin 18^4? dans une assemblée publique tenue à
Londres, il fut résolu d'élever une statue à cet honorable
citoyen. Le président, lord Liverpool, annonça que le roi
souscrivait pour 5oo livres sterling ( i2,5oo fr. ) à l'érec-
tion d'un monument aussi national. L'illustre président
de la Société Royale, Sir Ilumphry Davy , présenta un
précis admirable des services que James Watt avait rendus
au monde entier, par ses précieuses découvertes, et le fils
de son premier associé, l\i. Roulton, lut un exposé très-,
intéressant des avantages qu'en avaient relire les manu-
factures de la Grande - Bretagne. Nous sommes loin de
penser que les éloges de personnages aussi distingués que
le comte de Liverpool, Sir Humphry Davy, M. Huskisson,
Sir James Mackintosh , M. Peel et M. Brougham, puissent
ajouter quelque chose à la gloire de Watt; mais nous éprou-
vons une véritable satisfaction en voyant des hommes si
sur James TVatt. 22 1
honorables devenir les interprètes de l'opinion publique,
et payer à sa mémoire le tribut de l'admiration univer-
selle.
Il nous serait difficile de décrire, d'une manière -digne
du sujet, les protliges qui sont dus au génie de J. Watt j
mais nous terminerons celte Notice , eu citant le passage
suivant d'un essai de Francis Jeflrej , qui pourra en donner
VI ne idée :
« Quand on examine les grands changemens que Walt a
» introduits dans la construction de la machine à vapeur ,
)) et dans son application aux arts , on est tenté de l'en cou-
» side'rer comme !e véritable inventeur. C'est lui qui en aré-
» glé les mouvemens avec assez de bonheur pour la rendre
» applicable aux fabrications les plus délicates, et (rui lui a
» donné assez de force et de solidité pour triompher des ré-
)) sistances les plus énergiques. Il a réuni la vigueur et la
» flexibilité , de manière à communiquer à ce nouvel agent
» la précision , la souplesse et la puissance la plus éton-
» nante qu'on ait encore employée dans l(?s arts mécani-
» ques. Tja trompe d'un éléphant, qui saisit une épingle et
>» brise un chêne , ne saurait lui être comparée. Au moyen
n de la macbine à vapeur , on grave un cachet , on aplatit,
» comme de la cire, les métaux les plus durs ; on file, sans
» le rompre, un fil aussi fin que le plus léger duvet j on
» soulève un vaisseau de guerre comme une ciialnupe; on
» brode la mousseline cl on forge des ancres \ on taille l'a-
» cier en petits rubans, et on fait marcher les navires en
» dépit des courans et des tempêtes !
» Celte découverte a augmenté indéfiniment la masse
» des jouissances humaines ; elle a rendu accessibles au
» moiide entier les ressources de Taisance et de la prospii-
M irité. Elle a donné aux faibles mains de liionnne un pou-
» voir sans limites, et assuré à l'intelligence un Irioniplie
M perpétuel sur la matière. 1 -'espèce bumalne en est rede-
II. iT
222 Origine et progrès
» vable à un seul homme ; elle a reçu de lui un service
» immense , universel ; et Ton peut dire que l'inventeur de
» la charrue, déifié par la reconnaissance de ses sauvages
» contemporains , méritait moins un tel hommage que Fil-
» lustre mécanicien dont l'Angleterre pleure encore la
» perte. » ( Glasgow Magazine. )
AGRICULTURE.
ORIGINE ET PROGRES DE L HORTICULTURE EN ANGLETERRE.
L'origine de l'horticulture , de même que celle de tous
les arts de première nécessité , se perd dans la nuit des
lems. Les végétaux qui fixèrent, d'abord, l'attention de
l'homme, comme propres à le nourrir, furent sans doute
les fruits , et le premier jnrdin dut probablement son exis-
tence à ridée qu'il eut de s'approprier les arbres qui les por-
taient, soit en les protégeant là oii ils se trouvaient , soit eu
\es rapprochant de son habitation. Tous les écrivains de
l'antiquité s'accordent à mettre à la tète des premiers arbres
à fruit que l'on cultiva, le figuier et ensuite la vigne, dont le
fruit nous sert d'aliment, aussi bien que de boisson. Les
amandiers et les grenadiero furent également cultivés de très-
bonne heure dans la terre de Chanaan ; et il résulte des
plaintes des Israélites dans le désert, que la figue, le raisin
et l'olive étaient connus de tems immémorial en Egypte.
Il paraît que , dans les premiers tems , on attachait moins
d'importance aux racines et aux herbes légumineuses qu'aux
fruits j et comparativement , elles sont encore négligées daus
les pays chauds , où ia terre ne peut leur fournir ces sucs dé-
licieux ([ui les alimentent dans les région's temjérées. Ce-
de rhorticulluie en Angleterre . 220
pendant les poireaux, les oignons, les aulx, les concom-
bres et les melons , étaient communs en Egypte, à une épo-
que très-reculée. (Nomb. XI , 5.) On peut conclure de sa
description du j.irdin d'Eden et de ses lois sur la culture des
vignes de Chanaan, que Moïse était un fort bon agronome.
Par ces lois , les planteurs de vignes et de figuiers ne doivent
laisser mûrir aucun de leurs fruits , pendant les trois pre-
mières années. Le produit de la quatrième appartient à
Dieu. La récolte de la cinquième année peut seule être con-
sommée par !e cultivateur. Ce régime , prescrit pour la cul-
ture chananéenue , doit avoir beaucoup contribué à la pros-
périté des arbres à fruits.
Les jardins d' A Icinoùs contenaient, dit-on, des poires,
des grenades , des figues , des olives et d'autres fruits brïl-
lans à la vue ; probablement des citrons et des pommes.
Quant aux légumes , nous savons seulement qu'il y en avait
de plantés sur couches. Peu importe que ces jardins soient
fabuleux 5 il nous suffit que les fruits qui y sont nommés fus-
sent connus du tems d'Homère.
Dans les lois des décemvirs, le m ot/zorfz/5 désigne en même
tems, un jardin et une maison de campagne ; mais dans la
suite , le jardin potager fut distingué par l'adjonction du
mot pijiguis. Pline prétend que Ton doit regarder comme
une mauvaise ménagère, celle dont le jardin est mal tenu.
Suivant cet auteur, qui écrivait vers la fin du premier
siècle de notre ère , on cultivait de son tems , dans
le voisinage de Rome, presque toutes les espèces de fruits
que nous connaissons aujourd'hui et plusieurs de nos légu-
mes. Il faut en excepter, cependant, l'ananas, l'orange (le
citron était alors connu, mais l'orange ne le fui que dans
le IV^ siècle ) , la pomme de terre et le chou de mer. Très-
peu de ces fruits sont originaires d'Italie : la figue y fut ap
portée de la Syrie; le citron, de la Médie ; la pèche, de
la Perse; la grenade , d'Afri([ue ; i'abritot, de l'Epire; les
224 Origine et jvogrès
pommes , les poires et les prunes , de l'Arménie , et les ce-
rises, du royaiirne de Pont; les châtaignes, les noisettes,
les sorbes, les fraises et les framboises, paraissent avoir été
les seuls fruits que la nature y ait produits. On trouvait des
groseilles dans les montagnes boisées du noi'd de l'Italie ;
mais ce fruit était peu connu dans les plaines de la Pénin-
sule. La vigne et l'olivier étaient alors cultivés comme au-
jourd'hui , et formaient une des principales branches du
commerce de ce pays ; la vigne était mariée à l'ormeau et
au peuplier, et, ce qui est remarquable, quelques planta-
tions de ce genre , dont Pline fait mention, entr'autres celle
de la vallée de la cascade de Marmora ,j près de Terni ^
existent encore.
Daines Barriuglon et Sir Joseph Banks ont pensé , d'a-
près quelques épigrammes de Martial et quelques mots de
Pline et de Columelle, sur les concombres, que les Romains
connaissaient le luxe des serres chaudes et des fruiisjbrcés.
Le /apis specidaris ( pierre transparente ) était façonné en
châssis de cinq pieds de long qui pouvaient remplacer ceux
de verre; par ce moyen, Tibère, qui aimait beaucoup les
concombres, en obtint plusieurs fois dans une même année.
Ils croissaient, dit Columeîle, dans dps corbeilles de fu-
mier , couvertes de terre , et l'on avait soin de les exposer
^1 l'air dans la belle saison et de les rentrer à la nuit; il est
probable, ajoute M. Banks, qu'on avançait aussi les raisins
et les pèches , par des moyens artificiels , tels que les serres
chaudes ou le duvet; mais cette opinion nous paraît peu
vraisemblable.
L'horticulture des Romains fut entièrement soumise aux
observances superstitieuses dictées par le polythéisme. Var-
rou exhorte son ami à adorer Yénus , comme protectrice
des jardins, et à observer les jours lunaires; certaines
choses , ajoute-t-il, doivent se faire pendant que la lune est
dans son croissant ; d'autres , telles que la moisson et la
de l'horticulture en Angleterre. 225
coupe des taillis , pendant qu'elle est dans son déclin.
« J'observe pieusement ces règles, dit Agrasius, non seu-
lement pour tondre mes brebis, mais encore pour couper
mes cheveux, car je deviendrais cbauve, si je les coupais
quand la lune n'est pas dans son déclin. »
Tous les auteurs romains qui ont traité de la culture des
champs , prétendent que, au moyen de la greffe , l'on peut
confondre indistinctement toutes les espèces , et que le re-
jeton participant toujours de la nature du tronc auquel on
l'unit, ne porte plus que des fruits de l'espèce de ce der-
nier. Pline cite des exemples de ceps de vigne grefi'és sur
des ormeaux et des châtaigniers j mais les expériences mo-
dernes nous ont convaincus qu'on ne doit pas ajouter foi à
ces assertions, bien que Pline et d'autres écrivains assurent
avoir été témoins oculaires des pbénomènes qu'ils rappor-
tent. En Italie, on montre des roses venues sur des myates ,
et des jasmins greffés sur des orangers. Evelyn dit en avoir
vu , vers le milieu du siècle dernier , k Gènes et à Bruxelles.
Mais pour peu qu'on ait de connaissances en physiologie
végétale, on sait que la chose n'est pas possible j c'est un
simple tour d'adresse qui consiste, par exemple, à se pro-
curer une rose et une fleur d'orange , et à insérer la tige
de la première dans la tige de la seconde. Plusieurs ma-
nières de pratiquer de pareilles déceptions sont signalées
par feu M. Thouin, dans son ouvrage intitulé : La Greffe
Charlatan.
Les seuls fruits naturels à l'Angleterre , sont la prune
sauvage ou prunelle, la gadelle ou groseille, la ronce, la
framboise , la fraise , la baie de bruyère noire , rouge et
blanche, la cénelle, la noisette, le gland et le fruit du
liétre. Nos autres fruits nous ont été apportés par les Ro-
mains , qui introduisaient leur jardinage dans les pays dont
ils faisaient la conquête, et par les ordres religieux, pen-
dant le moyeu âge. Quant à nos légumes, les seuls qui
2'26 Origine et progrès
soient indigènes , sont la carotte , le céleri , la betterave j
Tasperge , le chou de mer et le champignon.
Jacques I^r protégea l'horticulture et embellit de jardins
les palais de Théobald et de Greenwich. Mandelso, qui vit
le premier de ces jardins, en iG/jo, dit qu'il le trouva en-
touré de hautes murailles et très riche en arbres fruitiers.
Charles I®'' appela près de lui le Hollandais Tra iescant pour
soigner un jardin potager ; il créa ensuite une place de bo-
taniste royal qu'il donna à Parkinsou, auteur de Paradisus
terrestris, un des plus originaux de nos anciens ouvrages sur
la culture des fruits et des fleurs. Les melons muscats furent
alors cultivés , comme en France et en Italie, sur des cou-
ches inclinées et couvertes de paille , au lieu de cloches. Le
chou-fleur et le céleri étaient rares à cette époque ; le broc-
coli n'avait pas encore paru j les pommes de terre de Vir-
ginie ( l'espèce la plus commune chez nous ) étaient très -
peu connues ; mais celles du Canada ( nos artichauts de
Jérusalem ) , étaient généralement répandues.
Charles II introduisit dans son royaume le jardinage
français. Son jardinier , Rose, qui avait passé quelque tems
en Hollande , alors la meilleure école d'horticulture , et qui
avait aussi étudié à Paris sous La Quintinie, planta , dans les
jardins d'Hamptoncourt et Malborough , des arbres à fruit
nains, qui étaient si remarquables, que Loadon, son élève,
dans son ouvrage intitulé The Retired Gardener, publié
en 1667 , défie toute Tf^urope d'en montrer de pareils.
Lorsque La Quintinie vint en Angleterre , Charles II lui
offrit une pension pour y résider en qualité de surinten-
dant des jardins royaux; mais il n'accepta pas cette ofî're
et retourna auprès de son maître. La Quintinie fut le pre-
mier des jardiniers modernes qui unit la théorie à la prati-
que de son art ; il était d'abord destiné à l'Eglise , mais se
sentant une vocation décidée pour le jardinage, il se livra
exclusivement aux études qui s'y rapportent. Ce fut M. Tarn-
de V horticulture en Aimleterre. Qï^7
honneau qui lui confia cV abord la direction cle ses jardins.
Il fut appelé bientôt après à la direction de ceux du roi. Il
mourut à Paris en 1701. Louis XIV parlait toujours de lui
avec Texpression du regret , et il dit à sa veuve qu'il parta-
geait toute sa douleur.
Evelyu traduisit l'ouvrage de La Quintinle, sur les oran-
gers, ainsi que son Vavjait Jardinier ; il publia, en 1664?
le Kalendarium Hortense, qui a depuis servi de modèle à
une foule d'ouvrages de ce genre. Son dernier livre sur le
jardinage, intitulé VAcetaria, fut publié en 1669. Cet
homme respectable , l'un des fondateurs de la Société
royale, fut consulté par le gouvernement sur toutes les
questions relatives aux plantations ou à l'agriculture. Lors
de la disette de 1662, ou invita la Société à propager la
culture de la pomme de terre ; mais Evelyn qui semble
avoir ignoré à cette époque tout le prix de ce tubercule ou
qui n'en entendait pas la culture , n'accueillit point cette
proposition. Il encouragea cependant un grand nombre de
publications utiles sur des objets d'économie rurale, et
spécialement sur riiorticullure ; cntr'autres la traduction de
\ Essai sur les arbres fruitiers ■) d'Arnaud d'Andillj, un des
meilleurs ouvrages pratiques connus jusqu'à ce jour , et
remarquable surtout comme le premier qui ait livré au
ridicule le mode de tailler les arbres en formes de murs ,
d'animaux , etc.
Daines Barringlon [ifense que les serres chaudes' et les
glacières furent introduites chez nous , pour la première
fois j sous le règne de Charles II , parce qu'au dîner donné
à Windsor , à l'occasion de l'avènement de ce prince , on
servit des cerises , des fraises et des glaces à la crème.
Dans le dix-huitième siècle, le jardin botanique de Chelsea
et son directeur Philippe Miller, acquirent quelque renom ;
une ère nouvelle s'ouvrit pour le jardinage , lors de la pu-
blication de son dictionnaire, et surtout depuis l'édition de
228 Origine et progrès
cet ouvrage dans laquelle il adopta le système de Linnée.
Miller perfectionna la culture de la vigne et du figuier. I-e
broccoli italien et l'ananas ne furent connus en Angleterre
que par lui. L'ananas fut d'abord cultivé par Sir Mathcw
Decker , à Richemond , dans des pots placés en serre ; mais
dans la suite on reconnut qu'il était mieux de les élever sous
couche, comme en Hollande.
L'horticulture a fait d'étonnans progrès depuis le tems
de Miller; l'usage des serres chaudes, généralement ré-
pandu de nos jours, lui a domaé une physionomie toute
nouvelle. On commença à voir des serres en Angleterre
dans les premières années du dix-septième siècle; mais les
galeries couvertes en vitrage et chauffées par des poêles,
ne furent en usage que dans le dix-huitième. Les soins et
l'adresse nécessaires pour faire XQnr'ir XesJ'ruits forcés ^ de-
vinrent de puissans motifs d'émulation peur les jardiniers
qui , dès-lors , se disputèrent à qui fournirait annuellement
les fruits les plus beaux et les plus précoces. Cette émula-
tion, jointe à un goût général pour les connaissances
botaniques, fit importer, en Angleterre, un grand nombre
de plantes exotiques qui se répandirent peu à peu jusque
dans les provinces les plus reculées. Les Jardiniers se troii-
vèrent dans la nécessité d'étudier la nature de ces plantes,
afin d'employer à leur culture les procédés les plus conve-
nables. Ainsi s'établit une tendance générale vers le per-
fectlor»nement , et une connaissance mieux entendue des
principes de l'horticulture, de 1-60 à 1790. La culture de
l'ananas et du raisin fut portée à Welbeck , dans le Not-
tinghamshire , à une très-haute perfection. Speeckley fît
connaître quelques nouvelles espèces de ces deux fruits , et
contribua beaucoup par ses écrits à en répandre la culture.
Actuellement, chaque jardin clos de murs a sa vigne ,
sa serre à pêches , et plusieurs mêmes ont une étuve pour
certains fruits exotiques.
de Vhorticidlure en Angleterre, aaq
Le jai'dlnage a fait de grands progrès en Ecosse, mais
ces progrès ne datent que d'environ cinquante ans ; car,
en tout pays, les perfecllonuemens dans les arts n'ont
lien qu'en raison de l'accroissement des richesses et de
1 „iccumulation des capitaux. Jusqu'à ces derniers tems ,
l'Ecosse s'est plus fait remarquer par l'excellence des jar-
diniers qu'elle envoyait chez les autres nations, que par
ceux qu'elle employait à développer les ressources particu-
lières de son sol.
En Irlande, l'horticulture est encore Irès-arriére'e. Les
premières améliorations de ce genre introduites dans celte
île, sont dues aux soldats de Cromwell , et surtout a
Walter Blythe , auteur du célèbre et ingénieux ouvrage
The Iinproçer improved. Depuis CroniAvell Jusqu'à l'établis-
sement de la Société de Dublin, en 1749? l'horticulture
y resta stationnairej mais par suite des travaux de celte
même Société, elle a fait depuis des progrès notables.
Après avoir tracé ce rapide historique de l'horticulture
dans les trois royaumes, jusqu'à la naissance des deux
sociétés dont nous venons de parler, essayons de la com-
parer à ce qu'elle est chez les autres nations.
L'art du jardinage est soumis, peut-être plus que tout
autre, à l'influence des circonstances géographiques. Il
est certain que la nature a réparti à cbaque climat une
variété déterminée des végétaux^ mais ceux d'enlr'eux qui
sont les plus utiles à l'homme, comme les grains farineux ,
l'ont suivi dans tous les lieux où il a fixé son séjour. Cer-
tains climats paraissent plus propres à la culture des lé-
gumes , et d'autres à celle des fruits j cependant il n'en est
aucun dans lequel les meilleures espèces des uns ou des
autres ne puissent, à l'aide de l'art, arriver en plein air à
un tïès-haut degré de perfection. liCS plus beaux fruits sont
originaires de la Syrie, delà Perse et de^ Indes; mais les
légumes les plus succulens et les plus aromatiques naissent
n. 18
23o Origine et progrcs
dans les champs liumidcs île la Hollande el de TAngle-
terre. Si ce n'est dans le Mi'auais, aucun légume de qua-
lité supportable ne croît en Italie. Le seul broccoli de
Rome peut être comparé à celui d'Angleterre. Les poi-
reaux, les carottes, les panais, les raves, y sont petits,
amers et dursj le céleri y est filandreux 5 les haricots y
sont secs et sans saveur. Les citrouilles , les melons et les
tomattes , sont , parmi les productions de ce genre , à peu
près les seules qui soient d'une bonne qualité dans le midi
de l'Italie : toutefois les concombres de ce pays ne valent
pas, à beaucoup près , ceux que nous cullivons sous couche.
En Lombardie, le climat est plus tempéré. Presque
toutes les terres sont sillonnées par des cours d'eau ; ce qui
donne à l'air beaucoup de fraîcheur. Aussi, les légumes en
général et les fruits , tels que la pêche , l'ahricot , la pomme,
la poire, la cerise, la prune, le raisin, la figue et l'olive,
y sont-iis excellens. En certains endroits , les citronniers et
les orangers demandent à être abrités pendant l'hiver j mais
dans d'autres, comme à Gênes, ils peuvent rester en plein
air, et les fruits y parviennent à une haute maturité. La
Lombardie jouit donc d'un climat qui , quoique moins boa
que celui de Rome et de Naples, pour les fruits, et, pour
les racines et les légumes, que celui de la Hollande, peut
cependant , à tout prendre , élre considéré comme le plus
favorable du continent aux deux branches de l'horticulture.
Selon le témoignage de M. Pouqueville et de M, Hol-
land , la Turquie d'Europe n'a que de mauvais légumes ,
mais €n re> anche elle a d'excellens fruits.
Tous ceux qui ont voyagé en Espagne savent qu'à l'ex-
ception des légumes cultivés dans les ports par les négo-
cians étrangers, il n'y a de bon en ce genre que les aidx ,
les oignons et les citrouilles 5 mais les fruits et surtout le
raisin , la figue et l'orange y sont délicieux.
Dans le midi de la France , on cultive Ircs-peu les ra-
de l'horticulture en Angleterre. aji
cines el les herbes. La citrouille , le blé noir, le luaïs , le
navet et la pomme de terre , sont pi-esque les seuls végé-
taux à l'usage du paysan. Dans les provinces du centre, le
haricot est la piante par excellence ; cependant les marchés
de Paris sont assez bien approvisionnés, particulièrement
eu salade , épinards , oseilles et petits pois ; les asperges et
les artichauts y sont d'un goût meilleur qu'en Italie. Le
nord de la France est cité pour ses pommes et ses poires j
le midi pour ses raisins et ses figues , qui , avec la grenade ,
sont naturalisés en Languedoc. L'olivier prospère entre
Kice, Marseille et Aix.j l'oranger qu'où cultive en plein
air, dans les îles d'Hyères , est d'un excellent produit ;
l'amande est très bonne aux environs de Lyon ; Montreuil,
près Paris, est renommée pour ses pêches j Argenteuil, pour
ses figues 5 Fontainebleau, povir ses raisins de table; Tours
et Agen pour les cerises et les prunes. Les fruitières de
Paris sont abondamment pourvues de ces fruits dans leur
saison respective ; mais aucun d'eux n'est cultivé en serre
chaude, si ce n'est pour la famille royale et un très-pelil
nombre de familles opulentes. Il n'y a peut-être pas , dans
toute la France , plus de trois ou quatre propriétaires qui
s'occupent de la culture de l'ananas. On est généralement
dans l'idée que l'air y est contraire à ce fruit. Le dernier
duc d'Orléans voulant faire une épreuve en ce genre, se
procura, par l'intermédiaire du comte d'Egremont, son
ami , une étuve d'ananas pourvue de rejetons , de briques ,
de duvet, de pots remplis d'écorce d'arbres, et enfin il fit
venir jusqu'au célèbre jardinier Blaikey; car rien n'avait
été oublié j mais après plusieurs essais infructueux , tant dans
les diverses habitations du prince , près de Paris , que dans
une de ses propriétés à peu de distance de Montpellier, sur
le bord delà mer, l'entreprise fut abandonnée. Eu résumé
on peut allirmer, sans craint»; d'èlrc déjueiitl , que la culture
232 Origine et progrès
Aea fruits forcés est à peu près inconnue dans celte partie
de TEurope.
Le climat de l'Allemagne convient mieux que celui de la
France, aux herbes et aux racines, mais il est moins bon
pour la culture des fruits. Les légumes d'Hambourg et les
fruits de Vienne l'emportent sur ceux des autres villes du
nord. Le raisin , la pomme et la poire, prospèrent sur la
rive septentrionale du Rhin : ces deux derniers fruits seu-
lement réussissent sur les bords de TElbe. Une des vignes
les plus avancées dans le nord de l'Allemagne, fut plantée
par le comte de Findiater, à son château près de Dresde,
où il s'était condamné à un exil volontaire. Il est fort rare
qu'eu Allemagne le figuier réossisse en plein air. On cul-
tive le mûrier pour ses feuilles, jusqu'à Francfort-sur-
rOder j mais à Berlin et à Dresde , si on veut obtenir des
mûres, il faut fixer l'arbi'e en espalier, sur des murailles
bien exposées. On voit des abricots et des amandes entre
Vienne et Presbourg ; quant à la pèche , elle ne réussit
en Allemagne qu'en espalier. Les premiers ananas y fu-
rent cultivés par le baron de Munchausen ( qu^il ne faut
pas confondre avec le fameux voyageur de ce nom ) , à
Schwobber; près de Hamel , en Westphalie. Quelque tems
après, le docteur Roltschmidt, de Breslaw, en envoya à
la cour impériale dans un tems (c'était en 1702 ) où ils
étaient à peine connus en Angleterre. Ce fruit est aujour-
d'hui répandu dans tout l'Empire. Le premier qui proté-
gea l'horticulture en Allemagne fut Frédéric-le-Grand j il
recueillait, à Postdam, une grande quantité d'ananas, de
pèches et de raisins.
En Russie et en Pologne f le climat est également défa-
vorable à la culture des légumes vivaces et à celle des arbres
fruitiers ; il est cependant plus fertile qu'on ne l'imagine
généralement en racines et en farineux. Ou ne voit guère de
de rhorliculture en Angleterre. 255
jardins , dans ces contrées , qu'aux environs de Moscou, de
Pélcrsbourg, de Wilna et de Varsovie; ils appartiennent à ,
la famille impériale ou à la haute noblesse, et ils sont eu
général tenus sous des vitrages. Les jardiniers sont presque
tous allemands ou anglais ; ils obtiennent une quantité pro-
digieuse d'ananas et de pastèques.
Le climat de la Suède est encore plus contraire au jar-
dinage que celui de la Russie; mais la nation étant plus
civilisée, les jardins y sont moins rares; la pomme de
terre y abonde, mais on y voit peu de serres chaudes.
Le Danemarck est plus favorable à l'horticulture qu'on
ne serait tenté de le croire d'après sa latitude. Les pâtu-
rages sont d'une plus grande fécondité dans le Holstein
que dans bien des contrées du continent , et par l'aspect
qu'oifrent ses jardins, ce pays ressemble plus à TAngleterre
qu'aucun autre de l'Europe. Peu de fruits y croissent en
plein air; mais les légumes y arrivent à un très - haut
point de perfection , et la pomme , la poire , la cerise ^
et même, en certains endroits, l'abricot et la pêche y
mûrissent en espalier; la floraison de ces arbres est , il
est vrai , fort tardive , et ils ont besoin d^être protégés par
des vitrages.
11 ne nous reste à parler que de la Hollande et de la
Flandre; pajs où les jardins d'agrément et potager sont
cultivés depuis long-tems avec le plus grand succès. On
n'a jamais expliqué ce fait d'une manière bien satisfaisante.
Harte conjecture que la nécessité de tirer parti d'un sol
stérile , jointe à la liberté qui résultait de Téloignement
de la cour, durent contribuer à cette amélioration géné-
rale du territoire. Tout ce que nous savons par les histo-
riens des Pays-Bas , et notamment par Gessner, c'est que
le goût des plantes était généralement répandu chez les
Hollandais , même avant le tems des croisades. Lobel ,
dans la préface de sou Ilisloire des plantes (1576), nous
2 Si Orif^ijie et progrès
apprend qne déjà, sous les ducs de Bourgogne, ils im-
portaient des plantes du Levant et des deux Indes ; qu'ils
cultivaient les fruits et les fleurs exotiques mieux qu'aucun
autre peuple , et que , jusqu'au XVI* siècle , époque où ,
par suite des guerres civiles , leurs jardins furent tous
abandonnes ou détruits , ils possédaient à eux seuls plus de
plantes rares que n'en possédait tout le reste de l'Europe.
Le climat humide de la Hollande est singulièrement fa-
vorable aux légumes de toute espèce. Les melons y ac-
quièrent une plus forte dimension qu'aux environs même
de Londres ; car les rock-nielons hollandais , envoyés an-
nuellement au marché de Covent-Garden , remportent sur
les nôtres en volume et en poids, bien qu'ils soient infé-
rieurs en qualité. Leurs ananas, qui nous arrivent aussi ,
peuvent se comparer aux nôtres. Amsterdam possède des
pèches d'une très-belle espèce j mais elles sont moins bonnes
que celles de Montreuil, et son raisin ne vaut pas* celui de
Fontainebleau. Malgré la longueur des hivers , les serres
haudes fournissent des raisins mûrs en mars et avril.
Le climat et le sol de TAngleterre , nous pouvons le dire
sans préjugé national, sont généralement plus favorables
à l'horticulture que ceux de tout autre pays. En admet-
tant que , pour les herbes et les racines , pour les fleurs
bulbeuses et pour quelques fruits, l'Angleterre le cède à
la Hollande, il n'en est pas moins vrai que, pour l'éclat
de la verdure , pour la finesse des gazons , pour la variété
et l'asp; et pittoresque des sites , elle est le premier pays
de l'Europe. La Erance et l'Italie ont sans doute de meil-
leurs fruits qu'elle , mais ces pays n'ont pas ses légumes
et ses gazons. Charles II, entendant un jour rabaisser
notre climat, dit que c'était cependant celui où il pou-
vait, avec le moins d'inconvénient, se pronaener en plein
air le plus de jours dans l'année, et le plus d'heures dans
le jour. « Il y a , dit Sii William Temple, outre la don-
de Vhorliciilturn en Angleterre . 255
ceux' du cliinat, deux choses qui contribuent sensibienienl
à l'agrément de nos jardins : c'est le sable de nos allées
et la verdure presqu'éternelle de nos gazons. Le premier
de ces avantages est inconnu partout ailleurs. Quant au
gazon, on n'en trouve de pareil ni en France, nî en
Hollande. Le sol de ce dernier pays n'est pas favorable à sa
finesse, et la chaleur qu'il fait généralement dans l'autre ,
s'oppose à sa fraîcheur.
Les produits du jardinage en Angleterre surpassent in-
contestablement ceux. A^s autres nations, en variété, en
qualité et en quantité. Sans parler des innombrables jar-
dins des particuliers oii les fruits les plus estimés , tels
que l'ananas, le raisin, la pèche, le melon, arrivent à
une perfection aussi grande que dans les pays dont ils sont
originaires , que de fruits envoyés au marché de Covent-
Garden et aux. marchands fruitiers de Londres I On y
trouve, en toute saison, une quantité prodigieuse d'ana-
nas j quantité plus forte même que celle qui se recueille
à la Jamaïque ou à Calcuta. On y vend en janvier et fé-
vrier, des asperges , des pommes de terre , des choux de
mer, des champignons et des concombres ; en mars on y
voit des cerises et des haricots, et une foule d'autres végé-
taux; en avril, des melons , Aqs raisins, des pêches et des
petits poisj en mai, tous \çs fruits forcés en grande abon-
dance 5 en juin , juillet et dans les mois suivans jusqu'en
novembre, une variété étonnante de fruits d'été; en oc-
tobre, des raisins, des figues, des melons, plusieurs es-
pèces de pêches ; eu novembre et décembi'e, des raisins ,
des melons d'hiver , des noix, des poires, des pommes,
des prunes, et comme nous l'avons déjà dit, des ananas
en touttems. Il en est de même }.our les légumes; en un
mot , on ne saurait se faire une idée de la variété et de la
quantité des végétaux qui sont apportés dans nos marchés
pendant tout le cours de l'année.
25G Origine et progrès
Les fleurs que Ton cultive daus les serres chaiules , la
rose, la mignonelle, ainsi que les autres fleurs île parterre,
et les arbustes, y viennent en abondance et v sont cultives
dans toutes leurs varcités. Quant aux herbes me'dicinalcs
et propres à la distillation, on .peut en trouver plus de cinq
cents espèces chez les herboristes.
Non-seulement tous ces produits végétaux sont natura-
lisés chez nous, mais ils s'y trouvent en si grand nombre,
que les consommateurs se les procurent à des prix fort
modiques, tellement qu'un négociant aisé peut, s'il le
veut, avoir sur sa table des fruits, et dans son salon des
fleurs, qui ne le cèdent pas à ce que possèdent en ce genre
nos plus grands propriétaires , et que plusieurs souverains
en Europe voudraient vainement se procui'er. Tels sont
les effets des influences combinées de notre climat, de
notre industrie et de notre richesse (i).
Malgré ces beaux résultats de l'horticulture britan-
nique, elle laisse encore un vaste champ ouvert aux
améliorations. Les mêmes produits pourraient dans beau-
coup de cas s'obtenir par des moyens plus simples et moins
dispendieux, et quelques-uns de nos légumes seraient sus-
ceptibles d'être améliorés, sous le rapport du goût, do la
reproduction , de la précocité , de la grosseur ou de h
force. Il nous manque, d'ailleurs, un gi'and nombre d'es-
pèces qu'on cultive dans les pays chauds.
Mais ce qui nous reste principalement à faire, c'est de
propager, dans les classes inférieures, le goût et la con-
naissance de riiorliculture. Peu de nos fermiers savent
cultiver un jardin. Les arbustes stériles des haies pour-
(i)]SoTE DU Tr. Le fruit servi aux banquets somptueux donne's à
Paris par le duc de Nortliumberland , à l'époque du sacre de S. M.
Charles X, venait d'Angleterre; il avait été exclusivement recueilli
dans ses serres, et il a fait l'admirallon de ses convives, plus encore
que le luxe de sa vaisselle , et la magnificence de sa livrc'e.
da. l'horticulture en Angleterre. 'j.'5'j
raient être avantageusement remplaces par des poiriers ou
des pommiers. Les haies elles-mêmes, comme cela se pra-
tique dans quelques parties daCeydertlale , pourraient Vètre
par des rangées de pruniers de Damas , dont le fruit indi-
gène mûrit en toute saison , et peut utilement s'employer
dans la fabrication du vin ou des confitures. On ne saurait
dire quel degré d'aisance et de bonlieur, d'allachement
pour ses foyers , sa famille et sa patrie , d'adoucissement
dans ses formes et dans ses mœurs , re'sulleraient pour le
peuple des campagnes, du seul embellissement de ses chau-
mières et de ses jardins. Les voyageurs observent géné-
ralement, et avec raison , que l'on peut juger de la condi-
tion du laboureur par la seule inspection de son jardin j
en effet, i! n'y a guère de moyen par lequel le cultivateur
puisse se procurer plus de bien-être, à moins de frais, et
avec plus de chances de succès , tant pour lui-même que
pour sa patrie , qu'en ren lant son habitation plus com-
mode et plus agréable , par l'accessoire d'un petit jardin ;
quelques journées employées à sa culture lui donneront
des arbres fruitiers, des semences et des plants d'un grand
nombre de végétaux utiles.
A ces avantages , on pourrait ajouter des prix destinés à
récompenser les cultivateurs qui se seraient distingués par
les meilleurs procédés : les sociétés d'horticulture sont à
même défaire beaucoup à cet égard, et nous appelons leur
attenlion sur un objet si utile et si patriotique.
li nous reste peu d'espace pour parler des jardins de pur
agrément, dans lesquels il y a encore beaucoup à faire,
soit en simplifiant les modes de culture, soit en naturali-
sant les espèces exotiques, ou encore eu améliorant celles
qui sont indigènes et communes. Le goût de ces sortes de.
jardins a fait des progrès étonnans dans la seconde moitié
du dernier siècle. Le nombre des plantes étrangères intro-
duites dans ce pays , paraît s'élever à 1 1,970.
II. 19
338 Origine et progrès
A toutes les observations que nous venons de l'aire sur
le jardinage, on peut ajouter que cet art est exercé , chez
nous, d'une manière beaucoup trop empirique. La physio-
logie végétale n'a commencé à être comprise dans notre
pays que depuis les expériences et les savantes dissertations
de M. Knightj encore celte science ne se lie-t-elle pas
assez intimement à l'art du jardinage. Les Anglais se sont
toujours plus distingués par leurs talens pratiques, que
par leurs connaissances en théorie. Ce que fait un Fran-
çais ou un Allemand par son habileté acquise, un Anglais
l'exécute naturellement , et , en quelque sorte , d'inspira-
tion. Accoutumé à i'abondance , et à se procurer toutes
choses à prix d'argent, il sent peu le besoin de la science;
il cherche ses moyens dans sa bourse plutôt que dans sa
tête, et pour atteindre un but, il va toujours en avant sans
regarder à la dépense. Ainsi le jardinage anglais est en rap-
port avec le caractère national. On peut remédier à cet
inconvénient en faisant faire de meilleures études à nos jar-
diniers , et en les accoutumant à observer, à réfléchir, et à -
généraliser.
Disons maintenant un mot des moyens employés par
les sociétés d'horticulture, pour l'encouragement de cet art.
La Société de Londres doit, en quelque sorte, son
origine à M. Rnight, son président actuel. Elle fut formée
en i8o5 et reconnue légalement en 1809. La Société tient
des réunions et des procès-verbaux depuis l'époque de sa
formation. Il a déjà paru plusieurs volumes de ses travaux.
En 1817, la Société acquit un jardin , que dans ce moment
même elle s'occupe d'étendre considérablement. Elle a des
membres correspondans dans toutes les parties du globe ,
et, à la faveur de ceux-ci , elle s'est déjà procuré un grand
nombre de graines et de plantes. Elle a envoyé un jardi-
nier dans l'Inde et un autre en Chine , pour y choisir et
faire parvenir à Londres de jeunes plants des plus beaux
de l'horticulture eiï Angleterre. 25()
arbres fruitiers de l'Orleul. La Société distribue des mé-
dailles d'or et d'argent aux simples amateurs comme aux
jardiûiers de profession; il faut observer que ceux-ci
sont admis comme membres à des conditions moins oné-
reuses que les amateurs; ainsi la Société se compose de trois
quarts d'amateurs et d'un quart de jardiniers-praticiens.
La Société Calédonienne était, dans l'origine, une réu-
nion de fleuristes qui a commencé à s'assembler à Edin-
bourg, en i8o3. Elle a agrandi ses vues eu 1809. Sou but
est le même aujourd'hui que celui de la Société de Lon-
dres , sauf quelques branches d'économie domestique dont
cette dernière ne s'occupe pas , telles que l'éducation des
abeilles et la fabrication des vins anglais. Elle a déjà publié
trois volumes in-8° de mémoires. Le dernier a paru en
1809. Ses membres sont classés comme ceux de la Société
de Londres. Elle possède unjardiu expérimental, et ùistri-
buft des médailles d'or et d'argent. Les trois quarts de ses
membres sont des jardiniers de profession.
Les médailles distribuées par la Société royale de I>on-
dres , on été jusqu'ici décernées plutôt à des patrons du
jardinage qu'à des jardiniers mêmes. Quelques-unes n'ont
tté que des dons de pure faveur, comme la médaille d'or
accordée à MM. Hanrolt et Melcalf, pour avoir rédigé !es
statuts et le règlement de -a Société. D'autres ont été don-
nées par galanterie , comme celle décernée à miss Coke ,
qui en a obtenu une pour avoir pris sous sa protection un
plant de melons provenus en plein air, et avoir fait hom-
mage d'un de ces fruits à la Société. Il serait difficile de
dire les motifs qui en ont fait décerner quelques autres.
Les médailles et les prix de la Société Calédonienne ont
été au contraire presqu'enticrement distribués à des jar-
diniers. Il nous paraît qu'elle a fait preuve de discerne-
ment dans ses choix. En général , ce ne sont pas des mé-
moires qu'elle demande sur des questions théoriques , mais
24 o Origine et progrès de f horticulture en Angleterre.
(les expériences qu'elle engage à faire, et dont les résultats
doivent être connus à une époque déterminée. Non-sevde-
inent ies membres de la Société , mais les étrangers sont
également admis à concourir. Il en résulte une si vive
émulation , et, à l'époque de l'exposition, un si grand nom-
l)re de beaux produits, que pour récompenser le mérite,
la Société est souvent obligée d'accorder un second et un •
troisième prix pour le même objet. Une chose qui a droit
à des éloges particuliers , c'est que la Société donne des
prix pour les jardins entretenus avec ordre et propreté ,
lors même qu'ils n'offrent , d'ailleurs , rien de remarquable.
INous regardons cet usage comme très- judicieux 3 il doit
contribuer à former une bonne école de jardiniers, et à
maintenir l'Ecosse au rang qu'elle occupe parmi les pays
agricoles.
Nous ne demanderons plus au lecleur qu'un dernier
moment pour examiner brièvement laquelle de ces deux
Sociétés a pris la meilleure route pour pai'venir à son but,
savoir , le perfectionnement de l'horticulture. Tout le
monde sait que l'effet ordinaire des sociétés de ce genre est
d'exciter, dans les classes opulentes , un désir général
d'en faire partie. Elles procurent ainsi des patrons puissans
et nécessaires aux individus qui exercent les arts. En con~
faidérant la question sous ce point de vue, nous pensons
que les deux sociétés ont été également sages , quoique
agissant par des principes différens , et que chacune d'elles
a suivi la marche qui convenait le mieux à la localité où
elle se trouvait. On a reproché aux belles publications de
la Société de liondrcs, un trop grand luxe typographique,
d'où est résulté un prix beaucoup trop élevé pour que les
connaissances qu'elles renferment soient à la | ortée des
jardiniers et des cultivateurs. Toutefois , chez une nation
libre et éclairée, ce qui est véritablement utile se répand
bientôt dans toutes les classes. Les mémoires de celte So-
Coiip-d'œii sur la Russie et sur sa littérature. 24 '
cidlé ne sont d'ailleurs qu'une faible partie des services
qu'elle rend au public.
Cependant , comme nous l'avons déjà dit , ce n'est pas
par leurs publications que l'une où l'autre des deux Sociétés
jseut opérer le plus grand bien , mais plutôt en donnant de
l'éclat et de la vogue à l'objet de leurs études , et en mul-
tipliant, par l'influence de leurs réunions et de leurs prix,
les jouissances que riiorticulture peut offrir aux classes
opulentes. C'est par ce moyen que les jardiniers babiles
seront plus appréciés et mieux rétribués, et comme une
augmentation de bien-être pour une portion delà Société
entraîne toujours une amélioration dans le sort des autres,
il s'ensuit que de meilleurs légumes et de meilleurs fruits
ne tarderont pas à être consommés dans les dernières
classes du peuple 5 ce qui est aujourd'hui un luxe deviendra
seulement une aisance} ce qui sera aisance deviendra bien-
tôt une cliose de nécessité 3 et c'est ainsi que le mouvement
particulier Imprimé par ces Sociétés , contribuera à la pros-
périté générale de tous. ( Quarterly Ret>iew. )
COUP D'OEIL
SUR LA RUSSIE ET SUR SA LITTERATURE.
La Russie, il y a un peu plus d'un siècle, n'excitait ni
intérêt, ni craintes, ni jalousie. On savait seulement que
ce pays éloigné était habile par des barbares ; mais on
n'avait sur lui que des notions vagues et incertaines, pui-
sées dans les récits de quelques voyageurs aventureux. A
cette époque, la Moscovie était autant hors du cercle de
la politique européenne, que l'est aujourd'hui la ïartarie
24^ Coup-d' œil sur la Russie
ou le Japon. Si parfois ses ambassadeurs et ses boyards
pénétraient jusque dans les contrées méridionales de l'Eu-
rope, on regardait ces hommes , dont il était impossible de
prononcer les effroyables noms , comme des espèces de
monstres sauvages, sortis de régions lointaines et incultes
avec lesquelles nos seuls rapports consistaient Hans un
commerce d'échange,- nous bornant à recevoir les pro-
duits bruts de leur sol et leur envoyant en retour ceux,
de nos arts et de notre civilisation , qu'une noblesse puis-
sante faisait servir à sa grossière magnificence. Quelqu'un
qui eût prédit, il y a un siècle, la prépondérance de la
puissance moscovite, se .serait moins aventuré peut-être
que celui qui, de nos jours, annoncerait aux. Lapons, ou
aux Esquimaux, la domination du monde dans l'espace
de cent ans. En effet, envahis par chaque conquérant,
humiliés par les Scandinaves , tenus dans une longue sujé-
tion par les Tartares , vaincus eu dernier lieu par les Po-
lonais, les Russes, avant le règne de Pierre I^'', loin de
songer à attaquer les autres , semblaient alors ne posséder
aucun principe de force ni de courage , et être incapables
de résister à la plus légère agression. C'eût été, de la part
d'un czar, une prétention inouie , que d'aspirer à la main
d'une princesse anglaise j car, qu'était-ce pour nous que la
Moscoi^ie , sinon une contrée lointaine, stérile, glacée,
asile de l'ignorance et de la barbarie?
Les choses ont bien changé. La Russie, quoique se trou-
vant encore en arrière , sur le chemin de la civilisation ,
n'a pas craint d'aspirer à la dictature des autres états eu-
ropéens, et elle l'a obtenue. Elle pèse sur eux. de tout son
poids , disposant à son gré des royaumes , et réglant les
destinées des nations , depuis la ville septentrionale de Tor-
nëo jusqu'aux rives desséchées du Mançanarès. Elle s'ef-
force . à la vérité , de persuader aux membres de la SainU-
et sur sa littérature. 24 5
Alliance qu'ils possèdent une influence égale à la sienne 5
mais, parle fait, elle les tient sous sa dépendance. Dans
la grande lutte qui s'est élevée entre les idées nouvelles et
les intérêts anciens, le gouvernement russe, représentant
de ces derniers, s'en est constitué le champion. Nous
sommes forcés de convenir que les maîtres iie cette nation
ont agi avec habileté, s'ils ont eu pour but unique de con-
server et d'étendre le pouvoir gigantesque dont ils sont
investis. En effet, s'ils favorisaient activement le dévelop-
pement intellectuel des peuples de la Russie , ce pouvoir
ne larderait pas à être ébranlé , ou du moins contenu
dans des limites plus étroites ; mais aujourd'hui, comme il
n'existe chez eux aucune opinion publique qui mette obs-
tacle à l'exercice de leur autorité, ils ont pu l'étendre au
dehors , et c'est ainsi que nous les avons vus , employant
tour-à-tour la ruse ou la force ouverte, ajouter à leur vaste
territoire de nombreuses provinces et des royaumes tout
entiers.
Qu'on jette les yeux sur la carte de cet hémisphère
oriental, et qu'on observe les progrès lents, mais sûrs ,
mais invariables de la puissance russe. On la verra profiter
de toutes les vicissitudes des états et des empires , pour
s'emparer ensuite de leurs dépouilles. Elle ne s'est point
agrandie ainsi que l'a fait l'Angleterre , ens'approprianl çà
et là, et comme par hasard, des territoires détachés les
uns des autres, éloignés de la mère-patrie, et dont l'en-
tretien exige le plus souvent une dépense dix fois supé-
rieure à leur valeur. La Russie a marché en étendant peu
à peu son influence, en consolidant ses forces, élargissant
ses frontières et assurant ses postes avancés par de nou-
velles possessions. Aujourd'hui, semblable à une pyramide
renversée, eile penclie sur l'Europe et sur l'Asie, qu'à
chaque instant elle menace d'écraser. C'est elle qui , dans
1^^ Coup-d'œil sw lu Russie
le mallïeureux partage de la Pologne, a enlevé la mell-
leuve part ; la Courlande et la Livonie lui ont donné tout le
littoral oriental de la Baltique ; au nord -ouest , elle a ajouté
la Finlande à ses domaines , tandis que , vers le midi , elle
s'emparait de presque tout le pays qui borde les côtes sep-
tentrionales du Pout-Euxin. La Géorgie lui appartient ; les
cent tribus du Caucase sont venues déposer leur liberté à
ses pieds. Son influence agit sans aucun contrôle à la
cour de Téhéran , et s'est fait sentir dans les conseils de la
Grèce. Ce n'est pas tout : les Russes ont traversé l'Océan
Pacifique; ils ont été planter leur pavillon sur les côtes
nord-ouest de l'Amérique. Il ne faut pas oublier que le
système de ce gouvernement , à 1 égard des provinces
conquises, est de les traiter avec la plus grande douceur.
Les Polonais ont obtenu une constitution qui flatte leur
orgueil national. Les Finlandais ont reçu , du souverain
lui-même , des témoignages non équivoques de bonté et
de condescendance (i). De riches présens et des promesses
plus brillantes encore ont consolé les princes géorgiens et
(i) Nous avons clé témoins à ce sujet d'un fait assez curieux. Les
FinlanJais e'taient profondcment irrités de la cession de leur pays à la
Russie. L'empereur Alexandre résolut de les aller visiter; mais il fut
reçu par eux avec la plus grande froideur. Un jour , qu'accompagne
de sa suite , il traversait un lac dans l'intérieur du pays , il remarqua
qu'un des rameurs portait une décoration attachée à sa boutonnière.
« Où as-tu gagné cela , mon ami ? >> lui dit l'empereur. Le paysan
garda le silence. INIais un de ses compagnons prit la parole pour lui , et
dit, qu'ayant été au service de Napoléon , il avait remporté cette dis-
tinction sur le champ de bataille; que depuis lors , il était en grande
vénération parmi ses compatriotes qui ne l'appelaient plus que le Roi
des Finois. « Prenez celte rame, dit l'empereur en se tournant vers
un de ses aides-dc-camp , et conduisez à terre le Roi des Finois. » Ces
simples paroles valurent à l'empereur Alexandre une popularité qu'il
aurait vainement tenté d'acheter au prix de plusieurs millions.
ei sur sa littérature. 245
cîrcassiens tle la porte tle leur indépendance. Quant aux
Grecs, la Russie s'est offerte à eux. comme lem* protectrice
naturelle, contre les persc'cutions des Musulmans. Enfin,
de quelque côté que la mine éclate , les traînées sont dis-
posées de manière à ce que l'explosion lui devienne profi-
table.
Il existe une autre considération non moins e£fravante.
Cet empire est inaccessible chez lui, inattaquable du de-
hors. Adossé à des montagnes , baigné par plusieurs mers ,
il a, dans les glaces, les neiges et tous le fléaux terribles
que l'hiver traîne à sa suite , des remparts qu'aucune force
humaine ne peut renverser. Ainsi que l'a fort bien dit
M. clePradt, « la Piussie possède devant elle un territoire
qui protège le sien , tandis que l'occupation de la Pologne
lui donne accès dans le cœur de l'Europe ; elle peut, quand
elle le voudra , transporter ses arsenaux aux frontières de
l'Allemagne, et faire de la Yistule sa limite. » La Russie
n'a rien à redouter de ses voisins. Eernadolte ne jouit pas
des privilèges de la légitimité ; il craindrait d'offenser le
monarque qui tient dans ses mains le jeune prétendant ,
héritier du roi Gustave; et s'il l'osait, ce serait en vain.
La Finlande et l'archipel des îles d'Aland, anciens rem-
parts de la Suède, ne défendent plus ce royaume. La Prusse
et l'Autriche ne peuvent ni se détaclicr de la Russie, ni
l'arrêter dans ses projets ; elle a , pour ainsi dire , ses postes
militaires au centre des états de la première 5 et la seconde
n'a ni forces , ni barrières capables d'opposer une résis-
tance efficace à la marche de ses troupes. L'empire otto-
man est renversé sur la poussière. Reste à savoir mainte-
nant si la Grèce, sous la protection et avec l'ai iancc de la
Grande-Bretagne , jouissant d'un bon gouvernement po-
palaire , pourra devenir un obstacle aux progrès toujours
croissans du géant du Nord.
L'armée russe , qu'on dit s'élever à un million «riiom-
a46 Coup d'œil sur la Russie
mes (i) , était, pour les finances de l'empire, un trop
lourd fardeau. On imagina, pour le soulager, un plan de
colonisation militaire , qui consiste à enregistrer les pay-
sans appartenant aux domaines de la couronne, et à les
discipliner au service actif. On obtiendra , par ce moyen ,
une armée formidable , sans trop rie charges pour l'état.
Dans un pays plus civilisé que ne l'est la Russie, le projet
d'armer la population n'eût pas été sans péril pour le
pouvoir absolu ; mais les bommes d'état qui l'ont conçu
connaissent trop bien le terrain sur lequel ils agissent,
pour qu'ils aient à craindre aucuns résultats dangereux.,
lis ont prévu que les colons , moitié soldats , moitié ci-
toyens , ayant tout à perdre et rien à gagner dans un chan-
gement qu'ils susciteraient, reconnaîtraient eux-mêmes
que, dans tout autre système du gouvernement, la foi'ce
qui réside dans leurs mains leur serait enlevée ; et après
tout, malgré les rêveries des poètes et des philosophes,
il n'y a rien de plus puissant en ce monde que le fer et l'or.
(i) Note DU Tr. Des rapports officiels la portent à 950,000; mais il y
a presque une exagération d'un tiers, dans celte évaluation. Nous croyons
que l'étatsulvant se rapproche davantage de la situation effective.
Quartiers-généraux. Hommes.
i^e Armée, gén' Saken Moliilow 320,ooo
ame Amée, » ^Vitlgenstein.le Pruth 100,000
Garde Impériale , » Ouvarow Pétcrsbourg. . . . 80,000
Armée de Géorgie , » Yermolow. . . .Tiflis 60,000
Armée de Lithuanie, Wilna 80,000
Armée de Pologne , \arsovie 3o,ooo
Kosaques réguliers , 7,000
677,500
Ce calcul a été fait d'après une rcduction opérée, il y a quelques
mois , d'environ 3o,ooo hommes qui furent tous incorporés dans les
colonies militaires.
et sur sa littérature. 247
Les colonies militaires sont déjà répandues sur les trois
gouvernemeos de Novogorod, de Cherson et de Charkow j
et plus de.5ojOoo soldats se trouvent aujourd'hui disci-
plinés , sans que l'Europe en ait , pour ainsi dire , eu con-
naissance. Leur nombre s'accroît rapidement , et chaque
jour de nouveaux villages sont enrôles. L'organisation de
ces colonies est fort simple. Les villages qui dépendent de
la couronne sont enregistrés et soumis à la discipline de
chefs militaires. Tous les paysans sont dressés au manie-
ment des armes ; mais , en même tems , ils sont tenus de
fournir à leur entretien et h celui de leurs familles, par
leur travail , sous l'inspection du chef de la colonie auquel
une certaine étendue de terrain a été concédée pour
l'usage des colons. En outre des troupes régulières effec-
tives , on a créé un grand corps de réserve dans lequel
on pi'end les recrues destinées à remplir les cadres. Cette
éducation commence dès l'âge le plus tendre et se divise
en trois époques pour la génération nouvelle. Jusqu'à huit
ans , les cnfans sont confiés aux soins et à la surveillance
de leurs parens; à cet âge , ils passent dans des écoles mi-
litaires , où ils sont astreints à une foule de devoirs, et sou-
mis à la discipline la plus rigoureuse. Ce n'est qu'à treize
ans qu'ils obtiennent la distinction de cdntonnier , et qu'on
leur apprend à la fois la double profession de laboureur et
de soldat. A dix-sept ans , ils font enfin partie de la colo-
nie. Il existe , pour ces établissemens , un code de lois
Sj)éc!ales. IjC commandanl en chef Ce la cavalerie, qui
compose à peu près la moitié du nombre total des troupes
coloniales , est le chef suprême ; mais chaque colcyiie a son
tribunal parliculier , dont roUicier le plus élevé en grade
est le président , et dans lequel les autres officiers siégeut
selon leur rang. Nulle femme de ces colonies ne peut se
marier qu'avec un individu enrôlé.
Tel est le système que vient d'adopter la Russie pour se
^48 Coup d'œil sur la Russie
créer peu à peu , sans efforts et sans de'penses , une force
militaire redoutable. Une fois mise en mouvement , celte
machine se consolidera et se développera déplus en plus,
et il est impossible de prévoir ce qu'on pourrait lui oppo-
ser, si un jour elle devenait un instrument d'agression.
Cependant , quoique le gouvernement russe ne coure aucun
risque aujourd'hui à mettre entre les mains de ses serts
des moyens de conquérir leur liberté , nous croyons que
cVst une expérience hasardeuse pour l'avenir, et qui, d'une
manière ou de l'autre, amènera de grands changemeus.
Ces bandes armées , ayant à présent une part dans la pro-
priété du sol de leur patrie , s'y attacheront davantage à
mesure quN'Ues s'accroîtront, et elles entraveront déplus
en plus l'action du gouvernement. Si on les laisse occuper
et cultiver paisiblement le même sol , elles y resteront en-
chaînées par les liens si puissans de la société et de la fa-
mille i ainsi l'établissement aura été manqué. Si, au con-
traire, un esprit d'activité et d'inquiétude se répand parmi
elles , il sera mille fois plus difficile de s'assurer de leur
docilité. Qu'une révolution de palais, qu'une émeute se
manifeste j alors, quelle confiance pourra-t-on avoir en
elles? Il nous semble voir la glace qui, pendant les longs
hivers de ces contrées, s'introduit et s'amonccle dans les
cavités extérieures des édifices; le dégel arrive, la masse
glacée s'écroule, ébranle le bâtiment, et quelquefois l'en-
traîne dans sa chute ( i ) .
(il Note DU Ta. L'etablisscroenl des colonies militaires en Russie,
conceplion gigantesque comme l'empire auquel elle est approprie'e,
est pre'senlé ici en peu de lignes et d'une manière beaucoup trop vague.
Nous pensons que nos lecteurs ne nous sauront pas mauvais gré d'en-
trer à ce sujet dans quelques de'tails indispensables pour avoir une idée
pre'cisc d'une institution qui , lorsqu'elle aura atteint tous ses de'velop-
inens, fournira à la Russie, selon les calculs les moins esage'rés ,
1 ,5oo,ooo combatlans, et selon Tévaluation de M. le comte O/.arowsky,
et sur sa littérature. a49
Quand on considère sur le papier les détails de la force mi-
litaire de la Russie, il est impossible de ne pas s'effrajer et de
6,000,000, tl'ici à trente ans , si le plan décolonisation reçoit son exé-
cution complète. Pour supple'er aux renseignemens qui manquent-dans
l'article que nous traduisons, nous aurons recours au Voyage du doc-
teur Robert Lyall ^ publié à Londres en i824'
« Un ukase , dit cet écrivain qui a fait un séjour de plusieurs an-
nées en Russie, désigne les villages impériaux destinés à devenir co-
lonies militaires. Dans \ç.5 villages ainsi désignés , tous habités par les
paysans esclaves de la couronne , et par conséquent à la disposition de
l'empereur, on porte sur des registres le nom , l'âge, la propriété et
la famille de chaque clief de maison. Ceux qui ont plus de cinquante
ans sont choisis pour composer ce qu'on appelle les maîtres ou chefs
colons. S'il n'y a pas assez d'hommes de cet âge pour formelle nombre
requis , on prend cexix dont l'âge en est le plus rapproché. A la place
de leurs cabanes , on leur construit des maisons alignées en rues. Les
chaumières sont toutes pareilles , et séparées l'une de l'autre par une
cour. Chaque maître colon reçoit en partage quinze dessetines (la des-
setine équivaut à 105,26 aresj à la charge d'entretenir un soldat, sa
famille , s'il en a une , et son cheval, si c'est un corps de cavalerie qui
est établi dans le village. En échange , le soldat doit l'aider dans la
culture de son terrain et dans les autres travaux de la campagne, quand
il n'est point occupé à son service militaire; bien entendu qu'on ne
doit exercer que rarement les troupes des colonies aux époques des
semailles et de la moisson, afin de les laisser vaquer aux travaux de
l'agriculture. Mais à présent que les soldats cultivateurs font partie de
l'armée régulière, au moins pour la plupart, les maîtres colons n'eu
peuvent guère attendre qu'une médiocre assistance. Lorsqu'une nou-
velle géne'ration , accoutumée à la fois , dès l'enfance, au double exer-
cice de l'agriculture et des armes , les aura remplacés , peut-être la fu-
sion d'élémens si divers s'opérera-t-cllc plus facilement.
» Il dépend de l'oflicler qui préside à l'établissement de la colonie
de désigner le soldat qu'il attache au maître colon, et d'en placer un
avec sa famille auprès de chacun de ceux qui n'ont pas d'enfans. Le
colon en chef devient soldat lui-même , en tant qu'il est revêtu de l'u-
niforme et qu'il est obligé d'apprendre à marcher au pas , à manier le
sabre et \\ saluer les officiers. 11 peut choisir un fils, un parent, un
.imi , pour l'aider h exploiter sa ferme, (klui qu'il a choisi est désigne
25o Coup d'œil sur la Russie
ne pas s'exagérer ses ressources. Mais, en réalité, cet empire
n'a jamais été en état de re'unir , sur un même point , des
par le nom d'adjoint, et, à la mort du maître colon , il lui succède ,
toutefois avec l'agrément du colonel du re'giment.
» Si le maître colon a plusieurs fils , le plus âge' devient son adjoint,
le second prend les fonctions et la qualification de réserve , et on lui
donne pour demeure une maison adjacente : le troisième peut être
soldat cultivateur : les autres sont classe's comme cantonniers et éleve's
ainsi que nous l'expliquons ci-après.
» Le soldat que l'on constitue membre de la famille du colon en
chef, qui prend place à sa table et qui l'aide dans ses travaux, est de'—
signé sous la de'nomination de soldat cultivateur. Ces soldats cultiva-
teurs forment la force effective des nouvelles colonies, et formeront
peu à peu celle de l'empire. Dans le gouvernement de Novogorod , on
ne leur fait faire, dit-on, que les exercices de l'infanterie ; mais dans
les trois gouvernemens du midi de la Russie, on les instruit à la fois
aux exercices de l'infanterie et de la cavalerie. Ces exercices sont à la
discre'tion de leurs officiers ; et comme les soldats n'ont, pour coopérer
aux travaux de la ferme , que le tems qui n'est pas employé au service
militaire , il est aisé de voir que l'assistance que peut attendre d'eux le
colon en chef dépend presque toujours , et en tout tems , de !a volonté
de l'officier commandant ; car, si celui-ci tient à la sévérité de la dis-
cipline , surtout dans la belle saison, le colon en chef ne tirera que
peu de secours du soldat qu'il a cependant à sa charge , avec son che-
val, pendant toute l'année. Trois jours d'exercice par semaine pas-
sent pour un service modéré, sans compter les gardes que ehacjue sol-
dat doit monter régulièrement h. son tour. En outre , tous les vilLige^
militaires sont tenus d'envoyer, à tour de rôle, un détachement au
quartier— général dii régiment pour y faire le service.
» Le soldat cultivateur est soumis au double service de soldat et de
laboureur pendant vingt-cinq ans, à dater de son inscription sur le
registre, s'il est Russe , et pendant vingt ans s'il est Polonais, après
<luoi il est libre de quitter le service ; s'il y reste , il est classé parmi
les vétérans et envoyé en garnison. Sa place est remplie par le réserve
dont je vais parler.
» Tout près de la maison du colon en chef, on en construit une
exactement semblable, qui est occupée par le réserve, que l'on peut re-
garder comme un second soldai cultivateur; c'est le colonel du régi-
ment colonial qui le choisit parmi les paysans. Ce reserve est d'ordi-
et sur sa littérature. ^-Tn
forces proportionnées à sa population ou à la valevir nomi-
nale de sou armée. Des trésors immenses sont nécessaires
pour rassembler et mettre eu mouvemeut tle si grandes
naire un fils ou un parent du colon en chef. On lui enseigne tous les
devoirs du soldat qu'il est destiné à remplacer. SI le soldat cullivateur
est tué dans le combat, meurt naturellement ou quitte le service après
avoir fait son tems , sa place est occupée par le réserve qui , à son
lour , est remplacé par un cantonnier, celui-ci par un enfant de
troupe , etc. Le réserve doit également coopérera la culture des quinze
dessctines de terre et aux autres travaux du ménage : il est tailleur,
cordonnier, etc.
» Le colon en chef, le soldat agriculteur et le réserve peuvent choi-
sir la femme qui leur plaît , et on encourage ces mariages ; mais les
femmes, une fois entrées dans l'enceinte des colonies militaires, ne
peuvent plus se marier ailleurs.
» Les ûls du colon en chef, du soldat cullivateur, du réserve, de
l'âge de i3 à 17 ans , sont désignés sous le nom de cantonniers. On les
exerce comme soldats, en les réunissant dans le village oîi est le colonel,
et qui sert de quartier au régiment. Ils continuent aussi par intervalles
de suivre les écoles pour achever leur éducation. Les garçons de 8 à
i3 ans, vont à l'école ou demeurent avec leurs parens, et, de deux
jours l'un , sont instruits au service militaire. Comme les cantonniers,
ils portent l'uniforme et sont regardés comme soldats. Les garçons au-
dessous de 8 ans , demeurent avec leur parens.
» L'éducation des enfans est un des traits caractéristiques du système.
Tous les enfans mâles, dans la colonie, sont envoyés aux écoles d'en-
seignement mutuel, Là, on leur apprend à lire, à écrire et à compter.
On leur fait aussi apprendre une espèce de catéchisme sur les devoirs
du soldat, dans le genre, à ce que j'ai pu comprendre, de celui que
Napoléon avait fait faire pour les jeunes militaires. On les instruit à
manier le sabre , aux exercices du manège , etc. Quand ils ont atteint
l'âge de i3 ans , on les rassemble au quartier-général du régiment; on
les forme en corps, et ceux qui se distinguent le plus par leur adresse
et par leur intelligence, sont promus au grade d'officiers. J'ai vu à
Yoznesensk (quartier-général du premier régiment de Boog ), vil-
lage qui portait auparavant le nom de Sokolnich, un corps de 200
cantonniers, marcher, faire leu , et exécuter toutes les évolutions dn
soldais expérimentés avec une justesse et une précision étonnantes. Il
2 5 2 Coup d'œil sur la Riissie
masses. La popiilaliou russe est , cVailleurs . tllsséminée
sur une Irès-vasle étendue de territoire, et c'est un motif
de plus pour ne point redouter une réunion subite des corps
nombreux qui composent son état militaire. Cest moins
aux. propres forces de la Russie , qu'à la faiblesse des au-
tres états et à l'ignorance où ils sont sur son compte , qu'il
faut attribuer la prépondérance qu elle exerce sur eux ;
elle a su profiler de leur erreur avec une adresse remar-
quable, pour leur cacher sa situation réelie. Toute exagéra-
tion à part, il est facile de démontrer qu'il n'existe pas
un pays civilisé , qni , proportion gardée , ne soit plus
productif, eu égard à son étendue , à sa population et
même à son climat.
Depuis que la Russie a pris rang parmi les puissances
européennes ; depuis qu'elle fait partie du système poli-
tique de l'Europe ; elle semble n'avoir été guidée que par
une seule volonté. Chez d'aulres nations , la mort d'un
monarque , la chute d"un ministre changent immédiate-
ment la marche et le caractère du gouvernement. Mais
celui-ci s'avance, et s'avance toujours vers le but qu'il s'fst
proposé. Le caractère de l'empereur Alexandre, plein de
courtoisie et de bienveillance , détourne à la vérité les
soupçons ; ce souverain nous apparaît comme le gardien
de l'ordre social, l'avocat de la tolérance, l'appui de tous
les sentimeus philaulropiques ; mais croit-on que ses re-
gards, et ceux des personnes qui l'entourent, se soient dé-
tournés de ce /fiïdi, jjut de l'ambition de son aïeule? Et
dans les détails de la politique russe, que de choses remar-
quables et dignes d'admiration !
y a parmi eux un esprit de corps qui ne peut manquer d'en faire de
bons militaires.
» L'éducation des femmes avait été jusqu'à pre'sent tiès-ncgligée ;
mais on a commencé loul récemment à établir pour elles des écoles
d'après la méthode de Lancastre , et je ne doute pas (ju'il n'y en ait
bientôt dans toutes les colonies. »
et sur sa littérature. a 55
Pierre I'', et ses successeurs , ont tonjoars eu pour sys-
tème cVattlrer près d'eux et de s'attacher les hommes dis-
tingués par lem's talens , quelles que fussent d'ailleurs leur
patrie , leur langue et leurs opinions. Cette dernière con-
sidération était nulle pour eux. Que pouvaient-ils craindre?
Quelle influence ime opinion individuelle pouvait - elle
avoir sur quarante ou cinquante millions d'hahitans dissé-
minés sur des milliers de lieues carrées, sans connaissances,
sans désir d'en acquérir , et, pour la plupart, aussi indifFé-
rens à la marche des événemens que les animaux qui
broutent l'herbe à leurs pieds? D'ailleurs, la surveillance
d'une censure jalouse sur xme presse captive n'aurait-elle
pas étouffé à leur naissance toute semence dangereuse de
mécontentement , et jusqu'au moindre mouvement d'une
indiscrète curiosité ? La grande Catherine se plaisait avec
les poètes , les historiens , les puhlicistes du reste de l'Eu-
rope; elle ne manquait elle-même ni de connaissances en
littérature, ni de prétentions à ce genre de gloire. Nous
avons vu des productions de sa plume , qui dénotent un
degré d'application non moins difficile à concilier avec sou
goût pour les jouissances sensuelles , qu'avec cet esprit actif
et inquiet qu'elle porta dans tout ce qu'elle entreprit. Parmi
les personnes qui dirigent aujourd'hui la politique du ca-
binet de Saint-Pétersbourg, parmi les généraux qui com-
mandent ses armées et les écrivains employés à son service
on voit figurer un grand nombre de noms étrangers. Des
Grecs et des Corses ont été, et sont encore, ses plus ha-
biles hommes d'état , des Allemands et des Polonais ses
capitaines les plus distingués. Les travaux publics sont
confiés à des Espagnols et à des Anglais, et c'est entre les
mains des Suisses ou des Italiens qu'est remise réducatlon
des princes et de la noblesse. Le pouvoir absolu y trouve
son compte. L'amalgame de ces intérêts divers , de ces
mœurs opposées , celle ijnporlation constante de nations
II.
254 Coup d'ϔl sur la Russie
étrangères, en agissant et réagissant sur l'opinion dans la
sphère la plus élevée, ont empêché qu'il ne se formât on
esprit public russe y tribunal qui , à la longue , eût pu pe$er
et influer sur les grandes questions d'intérêt général.
Ainsi que nous l'avons annoncé plus haut , la prépon-
dérance de la Russie sur la politique de l'Europe , résulte
bien plus de l'ignorance des autres gouvernemens que de
l'état réel de ses ressources. Tonte - puissante dans ses
moyens de défense j livrée à elle-même, elle serait sans
force au-delà de la frontière. La guerre de la Morée en
est une preuve ; si une poignée de Grecs , sans armes et
sans secours étrangers , a pu maintenir son indépendance
contre la Porte , comment expliquera-t-on l'espèce de défi
porté contre la Russie par le Divan , dans l'état d'épuise-
ment où il se trouve (i)? Ce n'est donc ni du nombre de
ses habitans , ni de ses ressources pécuniaires , ni du talent
de ceux qui la gouvernent, ni de l'étendue de son terri-
toire que résulte son pouvoir : il est tout entier dans la
natnre du pays, séjour des glaces et des neiges. La Russie
est comme entourée d'une muraille de diamans, à l'abri
de laquelle elle se rit de toute agression étrangère ; mais
cette muraitle , elle ne pourrait la transporter en avant
d'elle, s'il lui prenait envie d'attaquer les autres états. Ce
formidable empire est un géant , mais un géant de va-
(i) Note du Tr. Au lieu de considérer la mode'ration du cabinet de
Salnl-Péteisbourg envers le Divan, pendant les quatre dernières an-
ne'es, comme une preuve à Tappui de ce qu'il avance, l'e'crivain an-
clai< aurait mieux fait, ce nous semble , d'en rechercber la cause dans
un ordre de choses plus e'ievé. Il aurait dû reconnaître que c'est au de'sir
du maintien de la paix ge'nérale et surtout aux pressantes sollicitations
du gouvernement britannique , lorsque lord Castlereagh en dirigeait
encore les conseils , que l'empereur Alexandre a eu principalement
égard , lorsqu'il a re'sislé au vœu unanime de ses sujets qui soupiraient
après la délivrance de leurs coreligionnaires et demandaient à grands
cris l'abaissement de l'orgueil ottoman.
et sur sa littérature, a55
peurs, semblable à ceux d'Ossian, que feraient évanouir
les rayons du soleil. Ses finances sont loin d'être dans un
état prospère. Son papier n'obtient, à notre Bourse, que 80
à goliv. st. effectifs pour cent. La grande masse de papier-
monnaie jetée, sans aucun contrôle, dans la circulation^ lui
a fait perdre •jS p. "/o de sa valeur. Les provinces on sont
inondées , et partout , malgré les efforts réitérés du gou-
vernement , malgré tous ses décrets , il n'a pu réussir à
l'introduire dans les provinces méridionales où l'on ne
veut recevoir qiie du numéraire. Son commerce ofire une
preuve encore plus évidente de sa pauvreté. Ce sont les
capitaux étrangers qui soutiennent seuls le commerce ex-
térieur. Les droits de douane sont exorbitans et mal ré-
partis , et ont donné naissance à une foule de contreban-
diers , qui frustrent le fisc de ses revenus. Conçoit-on un
système moins sensé que celui qui taxe les objets selon
leur poids ; de manière que les produits manufacturés les
plus grossiers et les moins chers, sont ceux qui paient le
plus?
Quant à l'administration de la justice et à l'état des
tribunaux civils et criminels > il y aurait de grandes ré-
ibrmes à opérer. Paul P', qui eut çà et là d'assez bons
momens , voulut l'essayer ; il demanda qu'on lui remît
une liste des abus qui se commettaient 5 mais leur nombre
l'cffrava et lui fit désespérer d'y apporter aucun remède.
Hercule seul put nettoyer les écuries d'Augias.
La population, premier élément de force, s'accroît, il
est vrai, en Russie, dans une proportion cfl'rayante. Saint-
Pétersbourg-, dont une partie de la génération actuelle
aurait pu voir la création, renferme plus de trois cent
mille babitans. Odessa, qui commence à peine à figurer
sur nos cartes , est déjà une ville très-populeuse. Les pro-
vinces que baignent le Don et le Volga, ont été, en peu
de tems , couvertes d'habitans. Les tribus du Caucase et de
256 Coup d'œil sur la Russie
la Krimée ont atanclonné leur vie errante. Oa dirait, aax.
nombreux changemens qui se succètlent, que le gouverne-
ment russe a dirigé exclusivement son attention vers l'O-
rient, quoiqu'on sache qu'il ne néglige pas de s'occuper de
ce qui se passe à l'occident de l'Europe. Il serait aussi
difficile de tracer une limite à l'accroissement de la popula-
tion russe qu'à celle de l'Amérique ; ces contrées possèdent
toutes les deux un territoire immense , illimité , à l'abri de
toute invasion , et susceptible de nourrir dix fois plus d'ha-
bilans qu'il n'y en a aujourd'hui.
Mais avec l'accroissement de sa population et la marche
progressive de la civilisation , il est impossible que cet
empire conserve la force compacte dont il peut disposer
à présent. Tant qu'il a été plongé dans l'ignorance et la bar-
barie, il a pu ne prendre aucun intérêt à la politique géné-
rale du monde. Des circonstances étrangères sont venues
l'arracher à son repos 5 il a su, avec une adresse remar-
quable , se les rendre favorables , et se placer au sommet
de la confédération européenne. C'est la folle ambition de
Napoléon qui l'y a poussé j c'est Napoléon qui lui-même a
créé cette force, qui, après l'avoir renversé, a anéanti la
liberté et essayé de détruire jusqu'à son nom. Tant que le
peuple russe restera dans cet état actuel d'inertie , qui le
rend l'instrument passif d'un pouvoir sans bornes , rieu ne
troublera ni n'arrêtera les plans du cabinet de Saint-Péters-
bourg 5 mais cette situation ne peut durer éternellement.
Oa remarque que certaines connaissances comnaeucent à
s'introduire parmi les paysans ; à la vérité , aucun indice
extérieur n'annonce encore que la masse de la société se
soit arrachée à son apathie ; mais , sous cette enveloppe
de glaces, il y a des vagues qui roulent et qui bouillon-
nent.
Les maîtres de ce peuple, que leur orgueil et leur fierté
aristocratiques en éloignent sans cesse, se sont placés trop
et sur sa UUéraiure, '^o^
liant pour pouvoir observer les changetuens qui s'opèrent
dans ses facultés.
Il nous sera facile de nous convaincre de ces cliange-
mens en jetant un coup-d'œil rapide sur la naissance et
les progrès de la littérature russe ; c'est un sujet qui, jus-
qu'ici , n'a eucore été que faiblement exploré. L'ouvrage
dans lequel nous puiserons nos observations, suppléera
au peu de connaissances que nous possédons par nous-
mêmes (i).
On conçoit que chez une nation où l'intervalle qui sé-
pare les petits des grands, est immense, profond, im-
possible à francbirj où tout ce qui u^esl pas compris
dans la caste des seigneurs ou dans celle des esclaves
est compté pour rien , ainsi que la poussière dans ime
balance , la littérature doit être envisagée comme repré-
sentant exclusivement la seule classe privilégiée. Ce n'est
pas que, parmi ces millions de serfs, on n^ait vu, à dif-
férentes époques, surgir un génie extraordinaire qui soit
parvenu à briser les fers qui retenaient sou esprit et son
corps dans un bonteux vasselage ; mais de tels pbéno-
mènes sont très-rares, et n'ont brillé qu'à des intervalles
éloignés. Comment effacer la marque flétrissante de la
servitude empreinte sur le front de l'esclave F Comment
arracber à son abjection une intelligence enfouie dans la
fange ?
Les améliorations, en quelque genre que ce soit , ne peu-
vent être que graduelles et très- lentes cbez les Russes. Ils
possèdent, à la vérité, certaines qualités à un degré émi-
nent, entr'aulres, l'esprit d'imilalion ^ néanmoins, nous
(i) Poliartiain avœsda , Karmaunatn Knijk dha liitbrioV tiilz i
llcubileli Rusho sluvcsnus/i va iSaS, islannaia A. liclujen im i
K. /?//«•/«/. Saiiil-Pétcrsbourg, GrcUch, 1823. — Aperçu sur la lil-
Icralurc .nnciennc cl uioJciiic Je la Hus^ic jusnu'cn iSiij, par A. Bcs-
tujon et C. Rilcvliii.
258 Coup d'œil sur la Russie
avons remarqué qu'il leur était très - difficile tVélcver leurs
conceptlous au - delà d'une certaine limite. Ils atteignent
prompteraent cette limite , mais aucun effort, aucune ex-
plication n'a pu jusqu'à présent la leur faire dépasser.
Ainsi, parmi eux, les gens des dernières classes reçoivent
et se gravent profondément dans l'esprit les principes élé-
mentaires des mathématiques : qu'on leur présente une pro-
position qui exige une plus forte tension d'esprit , c'est en
vain qu'on leur applanlra les difficultés, qu'on leur exposera
le problême à résoudre de la manière la plus lumineuse :
la tâche est trop grande , le fardeau trop pesant , et leur
esprit retombe , par son propre poids , à ce point au-delà
duquel il ne saurait s'élancer. Le tems seul et les progrès
qui s'opèrent à la longue dans les sociétés humaines lui
permettront un jour de le franchir.
Chez une nation aussi peu avancée que l'est le peuple
russe , les historiens et les poètes sont les seules classes d'é-
crivains qui puissent exciter de Tintérét et obtenir quelque
faveur. Nous nous occuperons plus particulièrement de
ceux-ci, nous contentant d'indiquer les ouvrages des pre-
miers, car il en est peu parmi eux qui méritent une dis-
tinction spéciale. Pendant long-tems, on a porté en Russie
une grande attention à la philosophie et à l'origine des lan-
gues, sujet intéressant de recherches, et nous devons avouer,
à riionneur des philologues russes qui s'y sont livrés, qu'ils
ont puissamment contribué à avancer cette branche impor-
tante de nos connaissances , la sevde qui puisse nous éclai-
rer sur riiistoire primitive des nations (i).
Les premières époques des peuples sont en général enve-
loppées de fables poétiques. L'esprit inquiet de l'homme
aime à s'égarer dans les sombres et mystérieuses reUaites
(i) Voyez F. Adelung's Catherine der Grossen Verdieuitc unddic
Vergleichende sprachenhundc. Saint-Petcrbomg , i8i5.
et sur sa littérature , aSp
des tems qai ne sont plus. Il se plaît h se retracer des scènes
étrangères à ses soins journaliers, et h errer an gré de sou
imagination dans des lieux où les tristes réalités de Texpé-
rience ne viennent pas froisser son cœur. N'osant créer ses
fables dans le présent, parce que l'observation et la ré-
flexion ne tarderaient pas à les dissiper, il les bâtit dans
le passé. Quelques nations septentrionales , et principale-
ment les Finlandais , ont conservé un grand nombre de
poésies d'une époque antérieure à l'introduction du chris-
tianisme ; on y retrouve toute leur ancienne mythologie.
Il est curieux d'observer , chez ces peuples , la manière dont
s'est opérée leur conversion à la nouvelle religion et l'in-
fluence qu'elle exerça d'abord sur euxj elle ne fit, à pro-
prement parler , qu'y introduire de nouveaux noms , trans-
portant les saints de notre calendrier dans les niches
pratiquées pour leurs dieux inférieurs, et revctissant les
personnes delà Trinité et de la Sainte Famille, des attributs
de leurs plus puissantes divinités.
Vivant sous un climat inhospitalier, les peuples de la
Scandinavie durent sentir de bonne heure le besoin de se
rassembler; ils charmaient l'eûnui de leurs longues soirées
d'hiver, eu redisant les contes que leurs pères leur avaient
appris , et qui s'étaient profondément gravés dans leur mé-
moire. Voilà comme se sont transmis d'âge en âge , de gé-
nération en génération, et sans le secours de l'écriture, ces
chants et ces traditions pour lesquels ils ont toujours pro-
fessé un grand respect. L'histoire n'a souvent d'autres bases
que les fragmens qui nous eu restent , pour établir ses théo-
ries. On y trouve moins d'imagination que dans les bril-
lans souvenirs des contrées méridionales.
On a dit , avec raison, que la poésie était un langage uni-
.versel; mais ses formes, h la fois solennelles et concises,
conviennent surtout à la transmission des idées et des sen-
tiniens d'aue génération à l'autre. Les mausolées, les te m-
o.Go Coup (L'œil sur la Russie
pies, les obélisques, les palais conservent la mémoire des
actions des granns : leurs hauts faits y sont gravés sur l'ai-
rain ou sur le marbre; mais c'est dans ses chants et ses
traditions que le peuple retrouve l'histoire de ses ancêtres ;
c'est là qu'il i-ecueille l'héritage de leurs affections , de leurs
ininîitiés , en un mot , de toutes les passions qui les ont
agités. Tout ce qui constitue la nationalité , tout ce qui dis-
lingue tme race d'hommes d'une autre , se propage de
cette manière dans une succession non interrompue , sem-
blable à un fleuve dont on s'efforcerait en vain de détourner
le cours. C'est un malheur pour les Russes de n'avoir au-
cune antiquité populaire. La date de leurs plus anciennes
poésies ne remonte pas au-delà du XYP siècle, et le petit
nombre de monunîens qui restent encore de la langue na-
tionale de cette époque , n'a ni force ni couleur. Il rè-
gne une obscurité profonde sur l'origine et les premiers
progrès de cette langue; cependant il est à croire que les
traducteurs de la Bible et les annalistes ecclésiastiques, qui
introduisirent, dans les divers idiomes slavons , une foule
de mots grecs et latins , ont eu sur elle une grande in-
fluence. La i-ésidence desTarlares ne produisit pas de chan-
gemeus remarquables. Pendant les XVI* etXVIP siècles,
le séjour de plusieurs écrivains russes dans les universités
de la Pologne, qui fut de tout tems la plus intelligente et
la plus policée des nations slaves , donna un grand ascen-
dant à la branche sarmate. Sous Pierre-le-Grand , beaucoup
d'expressions nouvelles , tirées de l'allemaud et du latin ,
se nationalisèrent dans la langue russe, qui plus lard se
francisa comp. élément sous le règne d'Elisabelb. Catherine
vint, qui lui rendit son caractère national, et, depuis lors,
ses progrès ont clé chaque jour plus marques.
Ce qui restait du paganisme aura disparu dans le pre-
mier zèle de la conversion, car le fanatisme religieux est
le plus iuipitoyable des destructeurs. Wladimir, Jaroslaiv
et sur sa littérature, 261
pt Monomach irctalent pas personnellement ennemis îles
connaissances ; mais la Russie était alors devenue une arène
de discordes intestines , et les Tartares profitèrent de ses
dissensions pour en faire leur proie. Les paysans russes
conservent encore des souvenirs vagues de leurs Luttes
sanglantes avec les Tartares ; le nom de bonnets noirs ou
têtes noires {cliernie klohuki') , par lequel ils désignent les
Turcs et les tribus orientales , en y attachant une idée inju-
rieuse , indique une inimitié profondément enracinée. Les
seuls dépositaires de Thistoire et de la littérature furent,
pendant ces tems de troubles , les monastères et la ville
libre de Novogorod, où le commerce étranger avait in-
troduit de bonne heure la civilisation des peuples méri-
dionaux. Iwan Danilovitch , plus généralement connu par
le surnom de Kalifa{\a. bourse), que lui valut sa géné-
rosité, et Vassily, qui régna un siècle après lui, contri-
buèrent beaucoup aux progrès du peuple russe et à l'araé-
lioration de son sort. ÏAvan-le-Terrible , en ouvrant sa cour
aux artistes suisses; Alexis, en contractant au loin des
alliances, posèrent les premiers foudemeus des relations
de la Russie avec les nations étrangères.
I^es Annales de Nestor, le plus ancien des livres d'his-
toire que possède cette nation, sont évidemment l'ouvrage
d'un esprit habile et vigoureux. Le style en est simple,
sans afléctalion, mais rempli de vieilles expressions sla-
vonnes. Dans les chroniques de P.skow et de Novogorod ,
un grand nombre d'épisodes intéressans et de passages fort
pathétiques se perdent dans une foule de détails arides. Ces
livres et le code de lois que publièrent les princes sc;in(li-
navae, sont tout ce qui reste aux historiens pour se gut<lcr
dans le labyrinthe de Thistoire primitive de lu Russi(\
Parmi les noms de poètes qui n'ont pas été entièrement
ensevelis dans les ruines du passé , il en existe un (ce n'est
à la vérité qu'un nom ) pour lequel les Russes ])i"f»l'essei)t iu
JI. ii
a62~ Coup d'œil sur la Russie
plus religiense vénération. Boyan , le Rossignol ( Solovei),
célèbre dans les traditions comme le barde qui conduisait les
anciens guerriers de la Rnssle , celui dont les magiques ac-
cords enfantaient des prodiges de valeur, vit encore dans
la mémoire de ses compatriotes ; mais aucun son de sa
lyre n'a été transmis à la génération présente. On retrouve,
dans im fragment sans nom, lliymne de guerre de la cam-
pagne d'Igor, au XII^ siècle. Cette hymne, écrite en prose
cadencée , dans un dialecte de la Russie méridionale , pré-
sente, à travers une mythologie obscure, un caraclère
admirable d'héroïsme. 11 y a une lacune pendant les trois
siècles suivans j et jusqu^à l'époque de Pierre-le-Grand , la
seule pièce qui mérite d'être citée, est le chant de bataille
du Don , description animée, pittoresque et sans ornemens
de mauvais goût qui la défigurent.
Pierre I", un des hommes les plus extraordinaires qui
aient existé, eut une influence prodigieuse sur son siècle.
Chaque branche des arts et des sciences prit racine dans
son pays, sous ses auspices et sous son active protection.
L'éloquence populaire elle-même trouva im organe dans
Théophanes , qui enseigna aux Russes l'art de revêtir la
pensée des richesses de l'expression. Quoique sa diction
ne soit pas exempte de barbarismes, cependant elle ne
manque ni de logique ni d'énergie. Kantemir introduisit,
dans la versification, la contexlure artificielle et monotone
du vers français : son style e^t dur et heurté, mais ce fut
lui qui eut la gloire d'applanir la route pour un de ces phé-
nomènes remarquables que la Providence destine à Tius-
truction et à l'amélioration de leurs semblables. Lomonossow
était le fiilsd'un pauvre marin. La lecture de l'Ancier^-ïes-
tament avait fait sur son esprit une impression profonde ;
il transporta, dans sa langue, les beautés sublimes qui
clincelleut à cbaque page de la Bible, et parvint, de cette
manière, à l'enrichir de nouveaux élémens de force et dhar-
et sur sa littérature. 263
rnonie. Il cpura el fixa le langage , arracha aux lénèhrcs
les annales Je riiislolre tle son pays , répandit le goût de la
philosophie expérimentale , et fit faire de grands progrès à
la navigation. Son contenipoi'ain TrediakoAVski contribua à
améliorer la structure du vers russe 3 mais cet écrivain,
dépourvu de goût et de génie, n'eut d'autre mérite qu'une
industrie laborieuse, dont ses compatriotes ne lui tinrent
pas compte pendant long-tems. Ce fut à celte époque que
Sumarakow fonda le théâtre russe. Le tems, qui finit par
mettre chaque chose à sa place , a rejeté Sumarakow au
rang qu'il doit occuper 5 cependant, tant qu'il vécut, idole
de la cour et d'une noblesse peu éclairée , il s'était cru en
droit de traiter avec mépris et dédain le père de la littéra-
ture russe. Il laissa la langue aussi barbare qu'il l'avait
reçue. Les pièces de son théâtre n'ont ni originalité, ni
caractère national ; le style en est boursoufïlé et sans élé-
gance , et les intrigues eu sont compliquées. Popowski
suivit les traces de Lomonossow 5 il écrivit avec grâce et
pureté, et donna une traduction estimée de V Essai sur
Vhoinnie , de Pope.
Vers cette époque , il s'établit plusieurs séminaires en
Russie, et l'on fondu , en 1755, lUniversité de Moscou.
Le gouvernement cherchait a. attirer tous les étrangers de
distinction j mais , malgré ses efforts , nous ne remarquons
poiut encore, dans la civilisation, (ics progrès bien sensi-
bles, el nous ne voyons pas qu'aucun génie extraordinaire
se soit montré jusqu'à l'avénemenl de la grande Cathe-
rine. Celte femme élounoute, malgré ses vastes entreprises
et sou goût pour les voluptés , s'occupait des beaux arts et
des sciences qu'elle protégea d'une manière efficace. Elle
s'arrachait à ses plaisirs tumultueux, pour en rechercher de
plus calmes et de plus purs daus le commerce des muses ,
et oubliait ses rêves d'ambition dans les projets d'uuc ré-
forme intellectuelle. D'une main, clic confiait à ses gêné-
"'34 Coup d'œil sur la Russie
raux des missions auxquelles la jaslice ne présidait pas
toujours 5 et de l'autre , elle fondait des écoles et des aca-
démies. Tel est le souvenir qu'a laissé celle grande souve-
rains, qu'en dépit de la bizarrerie de ses caprices et des
cruautés qui signalèrent son règne , on ne prononce au-
jourd'hui son nom, en Russie, qu'avec un sentiment de
respect et d'affection. Pelrow, poète lyrique, plein de feu
«-'t de hardiesse, célébra les triomphes d Or'.ow. Kheras-
kow voulut en vain fléchir la muse de l'épopée j il ne put
obtenir ses faveurs. Quoiqu'on rencontre dans son Vladi-
mir et dans sa Russiade , des passages pittoresques , des
docrlj. tions locales pleines de vie, le style de ces poèmes
est , en général, lâche, affecté , diffus. Rheraskove écrivit
trop pour bien écrire 5 il s'essaya dans chaque genre de
poésie et ne réussit dans aucun. De toutes ses productions ,
Iskatelei Schastiyu ( le Chasseur de la Fortune ), est la moins
défectueuse. On doit à l'aimable et gai Bogdanovitch la
Dusheuka (Psyché), une des plus gracieuses fictions poé-
tiques. Elle obtint, dès sa naissance, la faveur publique
qu'elle eut , depuis , le bonheur de conserver. L'apparente
négligence de ce poème et ses divagations continuelles lui
donnèrent un attrait tout particulier , dans un pays où tant
d'art et de règles sévères jusqu'à la pédanterie, entravent
la marche de la versification. La facilité du style, jointe à
ime morale saine et piquante , est le mérite distinctif des
fables de Khemnitzer. Yon Visin rendit au drame russe
un caractère national ; il saisit habilement quelques-uns
lies travers de ses compatriotes, et peignit avec des
couleurs franches la frivole et ridicule vanité des der-
nières classes de la noblesse. Ces classes peuvent se cor-
riger j elles le feront sans doute , mais la vive peinlui'e de
leurs ridicules n'en subsistera pas moins. Rapnist trans-
porta dans la comédie toute l'amertume de la satii-ej ses
Odes sérieuses sont écrites avec nohlesse et élévation , et
et sur sa littérature. ^65
ses pièces légères se font remarquer par leur grâce et leur
délicatesse. La traduction en prose d'Ossian, par Kos-
trow, offre un rare exemple des nombreuses ressources
de la langue russe. Celle qu'il a faite des huit premiers
chants de l'Iliade, quoique n'étant pas également soute-
nue, est cependant à citer pour Ténergie et la dignité du
style. Kniajniu écrivit des tragédies : sa pidon, sou Vadim,
ainsi qu'un ou deux de ses vaudevilles et de ses comédies,,
resteront au théâtre.
Derzhavin naquit en 174^* I^ ^Y ^ P^s de bornes aux
éloges outrés que font de lui ses compatriotes j écoutons
13estu]ew : «Ce barde inspiré, inimitable, la gloire de
» son pays et de sou siècle , s'est élancé à une hauteur
>» que, jusqu'à lui, personne n'avait encore atteinte, et
» que nul autre ne pourra dépasser. A la fois poète et
» pbilosophe , il sut faire descendre la vérité dans Toreille
» des rois. Sa mystérieuse influence vivifie l'ame, ravit le
» cœur; il s'empare de nous et maîtrise notre attention
« par la rapidité des pensées, la hardiesse de son élo-
« quence et le grandiose de ses peintures. Son style est
» iri'ésistible , prompt comme l'éclair, brillant et somp-
» tueux comme la robe de la nature. » Ou voit , par cet
exemple, jusqu'à quel point l'exagération, commune aux
Orientaux , a envahi le domaine de la littérature russe. Il
est certain que Derzhavin est un poète du premier ordre ,
et son Ode à Dieu, sa Chute d'eau , sou Félilza, sont in-
contestablement au nombre des meilleures pièces de la lit-
térature russe , si même elles ne sont pas les meilleures.
Ecrivain enjoué et élégant, Derzhavin, après avoir éveillé
l'attention publique parla justesse de ses critiques, ne tarda
pas à prouver, par son exemple, qu'il savait éviter les
fautes qu'il avait reprochées aux autres , et l'opinion de
ses compatriotes lui assigna, dès-lors, un rang élevé dont
il n'rst jamais descendu. Les vers de Dmiuicw obtinrent
266 Coup d' œil sur la Russie
de la vogue dans les cercles du grand monde, où ils cou-
Iribuèrent à popvdariser la langue russe. Les fobles qu'il a
composées sont semées d'allusions fines et caustiques, et ne
manquent ni d'aisance, ni d'abandon; il y a dans ses chan-
sons de la gaîté et des images.
A la même époque , Raramsln , se corrigeant de l'en-
llure de ses premières productions , abandonnait ce sejiti-
W(?/zto/i.!i772e ridicule auquel il s'était trop facilement laissé
aller dans sa jeunesse. C'est à lui qu'on doit une Histoire de
Russie j qui fera un jour autorité. Il serait à désirer qu'il
l'eût écrite dans un esprit plus philosophique, et non pas
comme un avocat chargé exclusivement de la cause de son
pays. Mais, en somme, il a, par cet important ouvrage,
jeté un grand Jour sur uue portion, presqu'ignorée , de
l'histoire du monde; et la vente rapide de plusieurs mil-
liers, d'exemplaires d'une production aussi chère et aussi
volumineuse, est une preuve certaine des progrès intellec-
tuels du peuple russe. Sous le rapport du style, dont elle
offre lui excellent modèle, V Histoire de Raramsiu mérite
les plus grands éloges. La Khtrsonida de Bobrow, quoique
fortement empreinte de la couleur orientale , est une pein-
ture énergique qui présente une succession de scènes ren-
dues avec talent et bonheur. Yosiokow introduisit quelques
nouveaux changemens dans la prosodie slavonne. Raise-
roAV, traducteur de Sterne, et Marlinow, publièrent des
traduclions des poètes les plus reuommés de la Grèce, de
Rome et de l'Europe moderne. Les Satires de Gortshakow
et les Parodies de Marin , excitèrent puissamment l'atten-
tion. Un barde de la Sibérie, l'aveugle Eros, j; ta dans le
public un volume de poésies joyeuses. Ismailow, que les
Russes nomment leur Ténlers , a réussi à merveille dans ses
peintures de la vie commune. Benitzky écrivit quelques
pièces où l'on remarque des pensées fortes cl originales; ce
poète moiu-ul en iSoy, âgé de vingt-neuf ans , au moment
et sur sa littérature . -liSn
où il avait excité la plus vive admiration. Nous ne devons
pas oulilier de faire menlion des cxcellens écrits que Shish-
kow a composés pour les eafansj cet auteur a pris une pari
fort active aux discussions qui se sont élevées en Russie, re-
lativement à la langue, et il a répandu une grande clarté
sur cette matière dans sou O Staroui i Novoin Slo^ie ( sur
l'Ancien et le Nouveau style). Les pièces de théâtre de Su-
dovsbchlkoAV , Kriukowski et Oserow , ont eu du succès ;
mais le Pozharsky du second est défiguré par une foule
cVerreurs historiques. Le dernier, le plus admiré par ses
compatriotes , sut tirer de grandes ressources de l'emploi
de l'hexamètre. Son Œdipe est estimé, mais son Donskoy
ofifre plus d'intérêt pour un étranger; le caractère russe v
est peint avec vérité , quoiqu'on puisse désirer des couleurs
plus naturelles pour le héros principal. L'influence d'Osé •
row se fera long-tems sentir d'une manière funeste. C'est
lui qui a enchaîné la tragédie sous le joug de la rime , quoi-
que la langue russe , dont les accens sont si variés et les
désinences si riches et si sonores , n'eût pas besoin d'un tel
secours pour être poétique. Shakhawskj a essayé de déli-
vrer le drame de ses entraves ; ou doit regretter qu'il n'ait
pas eu assez de génie pour remplacer par de meilleurs mo-
dèles ceux qu'il voulait renverser. Le théâtre russe, calqué
sur celui des Français, est tout d'imitation. Les chefs-
d'œuvre de Molière ont été traduits par Kokoshkin , ceuv
de Racine par Lobano-\v, et ceux, de Corneille par Rantc-
nin. Boris Fedorow a traduit, sans (aient, quelques frag-
mens du Jules César de notre divin Shaks^ieare, dont l'if c//«-
let a clé transporté sur la scène russe par Viskovatow. Les
Fables de Krilow obtiendraient les suffrages unanimes de
toutes les nations policées. Faciles, piquantes, énergiques»
originales, elles présentent des modèles exquis de celle
joyeuse satire et de celle douce philosophie que nous aimons
à trouver dans ce genre de composilion. I^a traduction de
268 Coup d'œil sur la Russr'e
cps fables serait un véritable présent à faire à la littérature
anglaise (i).
Zhukowskliy et Balinshkow ont employé la langue poé-
tique avec succès , et réussi mieux qu'aucun de leurs prédé-
cesseurs à populariser la littérature 3 ils ont excite un en-
thousiasme universel. Les traductions du premier sont des
modèles; on regrette que son mysticisme le rende parfois
obscur et même inintelligible. Le Guerrier dans les ruines
du Kremlin , ainsi que les autres poésies nationales de Zhu-
koAvsky, ont eu une influence marquée sur l'esprit de ses
compatriotes. On trouve dans la Mort du Tasse de Batinsh-
kow, tout le fén et l'inspiration du génie. Piisbkin est plein
d'originalité ; RusJan et Lindmilla , le Prisonnier de guerre
du Caucase , sont des écrits remplis d'images et de des-
criptions charmantes. Vaesemski eut à la fois Vaudace de
créer et le bonheur de faire recevoir de nouveaux mots et
de nouvelles formes de langage. Gnaeditch réusvsit dans ses
traductions des auteurs grecs; son poème sur la naissance
dHomère , semble avoir été composé sur les rives de VAl-
phée. 11 publia aussi des Idylles pour le peuple. Glinka est
rêveur et mélodieux; Davidow, riche et martial ; Bara-
linskv, enjoué et gracieux ; Milovr, rapide et heurté. PiilicAV
ouvrit une nouvelle carrière à la poésie, dans laquelle
NiemceAvicz, un des poêles les plus distingués de la Polo-
gne, obtint de grands succès par des hymnes populaires et
des ballades historiques. L'auteur russe qui voudra désor-
mais se rendre utile à sa patrie, doit surtout écrire pour
(i) Note du Tr. Nous possédons une traduction des fables de Kri-
low, en vers français et italiens , entreprise sous les auspices de M. le
comte Orlow, par une réunion formée des écrivains les plus distingues
des deux nations. 11 existe encore une autre traduction en vers français
des failles choisies de Krllow, publiée à Saint-Pétersbourg. Nous res-
iiecterons l'incognito ijue le modeste Iradurteur a voulu conserver,
«juoiijne sontra\ail nous paraisse avoir droit à de jusîes éloges.
et sur sa littérature, , 260
le peuple 5 il tloit chercher à agir sur la masse de la na-
tion, car il y a trop d'égoïsme , de dépravation, de suffi-
sance et d'orgueil dans les classes éleve'es , pour qu'elles
daignent s'occuper de rinstruction des classes inférieures :
mais si le riche ne veut pas se rapprocher du pauvre , il
faut rapprocher le pauvre de lui j et celui qui réussira dans
cette noble tâche , sera en même tems le bienfaiteur des
deux classes. Ostolopow a publié une colleclion d'allégo-
ries ingénieuses; Rodsianka est le peintre poète de la vie
paisible. Merslakow et Rai'lch ont donné d'excellentes tra-
ductions; le premier, à^Y Art Poétique d'Horace; le second,
des Eglogues et des Géorgiques de Virgile. Il n'y a pas jus-
qu'aux femmes russes qui n'aient voulu descen !re dans
l'arène poétique ; nous citerons eutr'autres Anna Bunin et
Anna VolkoAV. La Chute de Phaéton , d'Anna Bunin , ren-
ferme un grand nombre de beautés de divers genres. Les
ouvrages périodiques de la Russie , que nous avons sous les
yeux , nous ont offert des productions charmantes échap-
pées h la plume des femmes. Certes , on peut sans crainte
fonder un grand espoir sur l'avenir de ce peuple, quand
on voit une telle amélioration et une si grande cidlure dans
l'esprit du beau sexe.
Parmi les prosateurs , nous croyons devoir distinguer
plus particulièrement Rachenowsky, qui a soumis à une
saine critique une grande variété de sujets historiques.
Grech , dont l'ouvrage sur la IJlléralure russe est le meil-
leur guide pour se livrer à l'étude de ses écrivains, a
également rendu des services importans à sa langue mv.~
lernelle. Quoique Polonais de naissance, Bulgarin est Té-,
crivain poîiiicjue le plus estimé parmi les Russes; et la
plupart des articles extraits des journaux de Sainl-l'élers-
hoUrg, qu'on a jugés dignes d'être reproduits dans les gazettes
allemandes, françaises et anglaises, sortent de sa plume.
Nous avons eu connaissance en Angleterre, par uiie Ira-
ir. a5
270 Coup d' œil sur la Russie.
duclion allemande , de la relation du voyage et de la captî-
TÎté du capitaine Golovîn , au Japon. Le voyage en Améri-
que , de Svinjin , mériterait également d'être traduit ; les
Soirées Slavonnes de Naraejny, sont d'autant plus curieuses
à lire, qu'on y trouve plusieurs fragmens précieux de la
vieille poésie nationale. Menshenin a publié sur la cliimie
plusieurs ouvrages importans. Nous nous garderons bien
également de passer sous silence les essais descriptifs de
Jakovlew, les lettres européennes de Kurkhelbecker et les
-critiques de SomoAV.
L'économie politique n'a pas manqué d'interprètes en
Russie. Nous n'entendons pas parler de Storcli, dont les
ouvrages, quoiqu'imprimés à Saint-Pétersbourg , ont clé
composés en allemand, langue maternelle de l'auteur; mais
de Turgenew, dont la tbéorie sur les taxes lui a valu des
louanges méritées. Les frères Bestushew sont des voyageurs
intéressans et d'excelleus critiques.
Nous bornerons là cette simple nomenclature des meil-
leurs auteurs russes; de tous ceux qui ont contribué, d'une
manière quelconque , à répandre les lumières de l'Europe
occidentale dans le plus vaste et le plus puissant empire de
l'un i vers. Cette nomenclature aura probablement paru un
peu aride. Peut-cire aussi trouvera-t-on que nous avons
été trop prodigues de louanges ; mais nos lecteurs ne doi-
vent pas oublier que nous n'avons cité que les écrivains
dont les productions méritaient véritablement des élogrs.
Nous sommes fiers et coutens de noire liste. N'est-ce pas ,
en effet, une cbose remarqviable , qu'un nombre aussi pro-
dieieux d'élémens de civilisation répandus sur la surface
d'un pays qui sort à peine de la plus affreuse barbarie ?
Malgré les bayonnelles qui le couvrent , une opinion pu-
blique s'y forme et y grandit : encore quelque tems , et son
action sur la marclie du gouvernement commencera peut-
être à se faire sentir. Nous terminerons en laissant parler
Histoire des vins anciens et modernes. u.'j i
l'auteur russe qui nous a fourni une partie des observations
précédentes : «Consolons-nous, dit-il j le goût public (il
aurait dit l'opinion, s'il l'eût osé) fait tous les jours des
progrès , semblable à un fleuve caché dans le sein de la
terre , qui travaille sans cesse à en sortir. La nouvelle
génération commence à sentir le charme et la force de la
langue nationale. C'est en silence que s'opère l'action insen-
sible du tems. Les brouillards qui couvrent le champ de
notre littérature , pourront bien encore , pendant quelques
années, dérober à notre vue la Jeune plante qui croît et
s'élève j mais avant peu elle fleurira, et l'avenir nous pro-
met les plus riches et les plus abondantes moissons. »
(^Westminster Méfier.)
HISTOIRE DES VINS ANCIENS ET MODERNES.
( Deuxième article ) (i).
En passant des vins en usage dans l'antiquité , à ceux des
lems modernes , nous sommes étonnés que le docteur Hen-
derson, dans un ouvrage essenlieîlement historique , n'ait
pas essayé de joindre ces deux époques par quelques re-
cherches sur les vins du moyeu âge. Ce travail était néces-
saire pour remplir son plan , et il aurait pu nous fournir
des documens du plus haut intérêt sur les habitudes et les
mœurs de nos aïeux. On trouve bien, il est vrai, quelques
considérations de ce genre dans la seconde partie du vo-
lume consacré aux vins modernes : mais ces aperçus sont
généralement imparfaits, ctTauteur aurait dû établir, d'une
manière moins brusque, la transition des coutumes anli-
(i) Voyez le premier article dans le trolsicmc numéro de la lievuc
Britannique , fixg. ^S.
2^3 Histoire des ii/is
ques aux. usages de notre époque. Un chapitre intermédiaire
et spécial eût été nécessaire, et certainement les matériaux,
ne lui auraient pas manqué pour le faire.
Il est probable que les conquérans de l'Europe adoptè-
rent , dans leurs repas , les habitudes des peuples civilisés
qu'ils avaient dépossédés. Peut-ctre même ces habitudes et
celles des populations du moyen âge , seraient-elles venues
jusqu'à nous , si le caprice de la mode ne les eût fait dispa-
raître. L'usage de porter des santés et des défis bachiques ,
naguère en honneur dans nos festins, commence à vieillir,
et sera probablement oublié, malgré sa gaîté franche et
joviale , dans les cercles élégans de la génération qui nous
suit. Ce n'est pas dans les forêts obscures de la Germanie
qu'on a commencé à couronner les coupes de fleurs : cette
idée poétique n'a pu naître que sous le ciel heureux de la
Grèce. Nous voyons encore dans les vieux fabliaux com-
ment les chevaliers couronnaient de fleurs les coupes qu'ils
"vidaient eu l'honneur de leurs belles , et nos vieillards peu-
"vent se rappeler combien cet usage chevaleresque ajoutait
de grâce et de vivacité à nos fêtes champêtres. Mais , pour
ensuivre la trace, il faudrait aujourd'hui descendre aux
derniers rangs de la société , où nous ne retrouverions plus
les guirlandes de fleurs que dans ces grossières couronnes
qui servent d'enseignes à nos cabarets.
L'usage des boissons chaudes continua de se maintenir
dans toutes les classes, jusqu'au XTI® siècle. Ce goût , qui
venait des anciens, avait dégénéré en véritable passion chez
les Romains. A Rome , les noms des lieux de réunion pu-
blique étaient dérivés du commerce qu'on y faisait des bois-
sons chaudes, et les citoyens qui naç>aient pas leur mé-
nage , se rendaient aux therniopolia , comme aujourd'hui
les modernes fréquentent les cafés.
Le goût des Romains pour les boissons mélangées , telles
que le vin édulcoré par le miel et des substances aroma-
anciens et modernes. 2'j5
tiques, passa de ces conque'rans aux barbares. Bientôt ce
fut un besoin Ae corriger, à force tl'épices , la saveur âpre
et dure des vins du moyen âge. Ainsi modifiés, ces vins
prenaient le nom général de /^zwe^f, probablement, dit le
docteur Henderson , parce qu'ils étaient préparés par les
pigmentanï ou les apotbicaires , ou plutôt, selon nous,
parce que les apothicaires vendaient alors les épices; car il
était du bon ton de servir le vin et les épices séparément ,
afin que les convives pussent eu faire le mélange à leur gré.
L'bippocras était une variété du piment. Le docteur
Pegge a cite une recette curieuse pour le préparer. « Pour
» faire l'hippocras des grands seigneurs , prenez, dit-il, du
» gingembre , de Tanis et du sucre ; l'hippocras dupeuple se
M fait avec de la canelle , du poivre et du miel clarifié. »
Mais, de toutes ces liqueurs, la seule qui mérite un sou-
venir, esl l'infusion de suc d^orangede Séville avec le su-
cre, dans un vin léger : on donne à ce mélange, qui est
encore en usage en Allemagne, le nom de bishop (évéque).
Un amateur allemand a donné une classification très-ori-
ginale de ces breuvages. Lorsque le mélange est fait avec
du vin de Bordeaux ou de Bourgogne, il se nomme, dit-il,
liqueur d'éi^éque ; si on a employé du vieux vin du Rhin ,
c'est une liqueur de cardinal', si c'est du vin de Tokay, la
boisson devient iW^^wç. du pape .
La Bataille des vins, un des fabliaux du XIII* siècle,
peut nous donner une idée des vins qui avaient aloi's de la
réputation en France : il y est surtout question de ceux
d'Epernay, de Hautvillicrs et de Chablis. liCS vins du Rhin
étaient connus dès le XIP siècle , car à celte époque , le
vin de Johannisberg , qui est encore le meilleur de tous ,
était fait par les moines de Vabbaye de ce nom. Les bords
c\e la Moselle étaient couverts de vignobles plusieurs siècles
auparavant. Le docteur Henderson observe que les meil-
leurs vins du moyen âge furent toujours produits pur
2^4 Histoire des vins
des terrains appartenant à l'église, parce que les chapitres
opulens qui les possédaient tenaient beaucoup plus à la
qualité qu'à la quantité : c'est ce qui a fait la réputation
du vin théologique. Mais il a oublié l'explication matérielle
de celte particularité. Les moines n'étaient pas seulement
les dépositaires de toutes les connaissances du tenis , et par
conséquent les plus habiles cultivateurs de la vigne, et les
meilleurs fabricans de vins 5 ils étaient aussi les plus heu-
reux seigneurs des plus heureux vassaux. Le respect qu'on
portait à l'église préservait leurs terres de toutes les dé-
vastations qui suivaient les guerres féodales ; la culture en
était moins interrompue, plus paisible, et leur expérience
agricole profitait naturellement aux paysans de leurs do-
maines.
Nous devons citer aussi les vins de Bourgogne , au nom-
bre de ceux qui étaient le plus, renommés dans le moyen
âge j car ce n'est pas sans raison que les ducs de cette pro-
vince étaient désignés sous le nom de Princes des bons
rins. Les vins de Gascogne n'avaient pas moins de réputa-
tion, et l'on peut dire de la France, en gi^néral , que ses
vins ont été célèbres par leur bouquet dans l'antiquité et
dans les siècles suivans , autant que de nos jours 5 tandis
que ceux d'Espagne n'ont eu que le mérite de la force
et de la chaleur, à ces trois époques. Le docteur Hendcrson
aurait pu apprendre à ses lecteurs, d'après Froissart, que
les chevaliers d'Angleterre, sous le règne d'Edouard 111,
n'aimaient pas à faire la guerre en Espagne, parce qu'ils
accusaient ses vins généreux de leur brûler le foie, d'ag-
graver la chaleur du climat et le poids de leurs armes.
Mais ils faisaient le plus grand é oge des coteaux fertiles
et des vins salutaires de la l)elle France : aussi c'était tou-
jours avec une vive satisfaction qu'ils allaient y guerroyer.
Les vins d'Italie paraissent avoir été peu connus à l'é-
tranger à cette époque, malgré l'opinion du docteur Hcn-
anciens et modernes. a- 5
derson. Après les croisades, les vins donx de la Grèce se
répandirent dans loule TEurope. Les îles de Chypre et de
Candie, exploitées par la république de Venise, en fourni-
rent en abondance à nos tables , et les chevaliers de Saint-
Jean de Jérusalem devinrent propriétaires d'une comman-
derie dont les vins formaient le plus grand revenu. Ces vins,
qu'on récolte dans Tile de Chypre, conservent encore au-
jourd'hui leur antique réputation.
Les rapports établis entre l'Angleterre et les provinces
septentrionales de France, depuis la conquête des Nor-
mands , et surtout l'acquisition de la Guyenne par Henri II,
contribuèrent beaucoup à introduire les vins de France
dans la Grande-Bretagne : il y eut un commerce actif avec
Bordeaux , vers cette époque. Depuis lors , nos réglemens
furent remplis de dispositions relatives à l'importation des
vins français. Froissart rapporte que , sous Edouard III ,
une flotte de 200 vaisseaux marchands partit d'Angleterre,
et vint mouiller à Bordeaux, qui était le siège du gouver-
nement du prince Noir, pour y faiz'ele commerce des vins :
cependant les vins de la Péninsule commencèrent à obte-
nir, dans le XVI* siècle, la faveur et même la préférence
des Anglais; ce qu'il faut attribuer principalement à la sé-
paration politique de l'Angleterre , de ses possessions fran-
çaises.
Toutefois, si les vins secs d'Espagne étaient estimés en
Angleterre, ils n'étaient pas les seuls dont ou iît cas. Har-
risson assure qu'on en connaissait plus de cinquante-six es-
pèces , tant français qu'étrangers , et que la consommation
totale du royaume pouvait s'é'ever à plus de vingt ou trente
mille tonneaux par année. Cette quanlllé paraîtra remar-
quable au XVI* siècle, mais elle l'est moins encore que la
consommation qui se Lisait dans quelques occasions parti-
culières. Le jour de l'intronisation de Nevil , archevêque
d'York, la sixième année du règne d'Edouard VI, elle
2^6 ' Histoire des vitis
s'éleva Jusqu'à cent tonneaux. Le prédécesseiu' de ce prélat
eu avait consommé quatre-vingts tonneaux, année com-
inune , pour le seul service de sa maison.
A la fin du XVP siècle, les vins secs des Canaries étaient
ceux dont on faisait le plus usage, et vers le milieu du siècle
suivant ils avaient remplacé les vins d'Andalousie : quoique
leur nom soit presque entièrement oublié , il nous en arrive
encore beaucoup, qu'on vend pour du Madère. Howell ,
dans ses lettres familières , prétend que ce n'est qu'avec du
vin des Canaries qu'on peut constater la vérité de cet adage :
« Le bon vin fait le bon sang 3 le bon sang donne une bonne
buraeur; la bonne humeur inspire de bonnes pensées; les
bonnes pensées mènent aux bonnes actions ; et les bonnes
actions mènent au cielj donc le bon vin mène au ciel. » 11
ajoute que, dans cette hypothèse , il y a beaucoup d'An-
glais qui vont au ciel, car nulle part on ne boit plus de vin
des Canaries qu'en Angleterre. Ce qu'il en disait cessa bien-
tôt d'être exact, et les vins légers de France reprirent leur
supériorité. Mais les longues guerres de Louis XIV cau-
sèrent une nouvelle révolution dans les caves anglaises.
Les relations commerciales avec la France furent inter-
rompues; les vins de Portugal remplacèrent les vins de
Bordeaux. Alors commença le règne du Porto , et nous
nous trouvâmes sous l'empire du traité de Méthuen , dont
nous avons, grâce au ciel, assez entendu parler. Le vin
de Madère est d'une date plus récente. Il est même assez
remarquable que, malgré le grand débit qui s'en faisait
dans nos colonies, depuis le protectorat de Cromwell,
rinlroduction de ce vin, en Angleterre, ne remonte pas
au-delà de la moitié du dernier siècle. Le docteur Hen-
derson pense que les officiers en ayant reconnu les qua-
lilcs pendant leur séjour en Amérique, en ont répandu le
«oût dans la métropole, et que ce goût a prévalu. Reste à
savoir si rélal de paix , nos rnpporls continuels avec le con-
anciens et modernes. l'j'j
tincnl cl la rcdiiclion des droits d'entrée, ne feront pas dis-
paraître de nos marclics les vins capiteux d'Espagne , de
Portugal et de Madère , et ne ranimeront pas celte passion
des vins légers de France et du Rliiu , si générale chez nos
ancêtres.
Après avoir passé en revue la partie historique deTou-
vrage du docteur Henderson , il nous reste peu d'espace
pour l'examen du reste de son livre , qui est consacré aux
vins de l'époque actuelle , à leur fabrication et à leurs qua-
lités distinctives. Le peu de lecteurs qui voudront con-
naître à fond cette matière , la trouveront parfaiteineut
traitée dans l'ouvrage même ; nous nous contenterons seu-
lement d'en suivre les divisions géographiques et de faire
de tems en tems quelques observations. Pour suivre le
même ordre que l'auteur, nous commencerons par les vins
de Fraliice , le pays de l'univers le mieux partagé j ar la
nature , sous le rapport de la production du raisin , et en
même tems le plus habile dans l'art de la fabrication des
vins. Cependant , nous n'adoptons pas sans restriction cet
éloge du docteur Henderson; car il y a des déparlemens
dont les crûs sont excellens, et les produits très-médio-
cres, par suite de la routine et de la négligence des culti-
vateurs. La .pauvreté, l'ignorance ou les préjugés des vigne-
rons les empêchent d'employer de meilleures méthodes ,
et ce n'est guère que dans les caves des grands capitalistes
ou des riches propriétaires qu'on trouve les vins <le pre-
mière qualité. En effet, dit avec raison M. Chaptal ,
quoique le sol de la France, depuis les bords du Rhin
jusqu'aux pieds des Pyrénées, présente tme succession, ra-
rement interrompue, de vignobles fertiles , capables de pro-
duire, sans s'épuiser, les meilleurs vins de l'Europe, il n'y
a que les crûs de la Champagne et de la Bourgogne, du Dau-
ph'iné, du Lyonnais et du Bordelais , qui aient une véritable
réputation, tandis que les vins du Languedoc, de la Pro-
II. ■2./^
2^8 Histoire des vins
vence et du Rnussillou, climals favorises du ciel, ne soui
remarquables que par leur force , trop souvent dépourvue
de bouquet.
Les vins de Champagne se distinguent , d'après la situa-
tiftn des vignobles, en crus de ricière et crus de montagne.
Les premiers sont généralement blancs ; les autres sont
rouges. Les plus vifs et les plus pétillans de ces vins sont
rarement les meilleurs , quolqu ils flattent singulièrement
le goût. Leur effervescence , qui est le résultat d'une fer-
mentation imparfaite, est une preuve du défaut de bou-
quet , et la petite portion d'alcobol qu'ils contiennent se
dissipe avec l'écume de la surface , laissant au fond du verre
ime liqueur éventée. Aussi les vins de Champagne demi-
mousseux sont-ils plus estimés des connaisseurs que les
gninds mousseux. Les premiers peuvent se garder pen-
dant plusieurs années ; les seconds se décomposent pres-
qu'immcdiatement. Le meilleur de tous ces vins est celui
de Sillery, ainsi nommé parc? qu'il était fabriqué, dès
l'origine, dans le marquisat de Sillery. Il fut long-tems à la
mode, à cause des soins que la maréchale d'Estrées fit
donner à sa préparation , et il porta , par cette raison , le
nom de vin de fa Maréchale. Au second rang, on place
les vins d'Aï, fameux par leur bouquet aromatique d'une
odeur analogue à la pomme de pin, et par leih- vivacité,
plus précieuse pourtant lorsqu'ils bouillonnent lentement ,
que lorsqu'ils sautent avec impétuosité. Hautviliers, Eper-
nay, Pierry, Bousi et le clos des vins rouges de Saint-
Thierry, près de Reims, suivent de près les crûs d'Aï eu
rivalisent avec eux. Mais les vins rouges de Champagne ,
quoiqu'ils aient du corps et de la couleur, sont générale-
ment moins estimés que les vins blancs. Le Champagne
rosé ne diffère du blanc que par un procédé particulier et
fort simple de fabrication ; il a d'ailleurs cessé d'être à la
mode.
aucians et modernes. ^79
Au coraniencemeut ilu dernier siècle , il s'éleva clans les
écoles de médecine de France, une dispute ridicule sur la
prééminenc edes vins de Champagne ou de Bourgogne.
Cette singulière discussion continua jusqu'en 1778, époqvie
à laquelle un arrêt solennel de la faculté de Paris fut pro-
noncé en faveur du vin de Champagne. Notre intention
n'est point d'appeler de ce jugement; et nous abandonnons
à leur sort les qualités diurétiques du vin de Bourgogne :
mais , pour la saveur et le parfum , nous donnerons la pré-
férence aux produits de la Côle-d'Or, en dépit des arrêts
de la médecine , en faisant seulement observer qu'un véri-
table amateur de Bourgogne ne doit pas s'attendre à re-
cevoir ce vin sans altération , de ce côté du détroit. L'ex-
périence a démontré que les vins de la Romance , de
Chambertin , du clos Vougeot , de Richebourg et de Saint-
Georges , qui sont tous d'une extrême délicatesse, ne pou-
vaient passer la mer sans danger. On assure même qu'ils
supportent difl:-.cilement les voyages , à moins qu'ils ne
soient lais en bouteilles, et qu'ils contractent une acidité
tout-à-fait désagréable , lorsqu'on ne les conserve pas avec
le plus grand soin. Au reste, ces vins sont en trop petite
quantité, et trop recbercbés en France, pour que le débit
en soit de quelque importance à l'extérieur. Ce que nous
appelons Bourgogne , eu Angleterre , n'est que le rebut des
vins rouges de cette province.
En passant de la Bourgogne dans le Dauphiné, le Beau-
jolais et le Lyonnais, nous répéterons ce que nous avons
dit plus haut , que les meilleurs vins de ces contrées passent
rarement en Angleterre. Au premier rang de tous ces crûs ,
et, peut-être, de tous les crûs du monde, se placent les
vignobles de la partie méridionale d'une colline pierreuse
«[tii domine les bords du Rhône , à une petite distance de
Valence. Ces vignobles célèbres ont tiré leur nom ai un er-
mitage dont les ruines en couronnent encore les hauteurs.
a8o Histoire des vins
L'Ermitage rouge, plein de corps, d'une couleur pourpre
foncée , est surtout remarquable par un bouquet exquis et
par une saveur analogue , .quoique très-supérieure , à celle
des framboises. Le vin blanc n'est pas si estimé , ce qui ar-
rive presque toujours lorsque le même coteau produit les
deux espèces. Ceux de Côte-Rôtie, brune et blonde^ pour-
raient entrer en concurrence avec l'Ermitage , quoique ce-
pendant ils lui soient un peu inférieurs.
Les vins rouges du Languedoc, du Roussillon et de la
Provence , sont très-négligés, selon le docteur Henderson,
et ils ressemblent beaucoup à ceux d'Espagne par leur cou-
leur foncée, leur force et leur extrême épaisseur. Il nous
semble pourtant que l'auteur ne leur a pas tout-à-fait rendu
justice, car nous avons bu, près de Montpellier, du vin de
Saint-Georges , d'Orques , capable de rivaliser avec celui de
l'Ermitage, par son odeur suave, son agréable consistance
et un velouté digne des meilleurs crûs. Les vins rouges de
Roussillon, et principalement de Cabors et de la côte du
Lot, connus dans le commerce sous le nom de vins noirs,
sont généralement employés à renforcer les vins légers du
Bordelais 5 ils supportent très-bien la mer, et quand ils ont
vieilli, ils deviennent, d'année en année, plus délicats sans
rien perdre de leur cbaleur. Quant aux vins muscats blancs
de Roussillon et des côtes du Languedoc, tels que le Lunei,
le Frontignan, le Rîvesaltes , on doit les regarder comme
les meilleurs vins sucrés qu'il y ait au monde.
Nous dirons peu de cbose des vins de Bordeaux , quoi-
qu'ils soient dignes par eux-mêmes d'un intérêt particu-
lier. Ils sont partagés eu plusieurs districts , ceux de Médoc,
de Graves, de la Palu, des vignes blanches. Les vignobles
de Médoc, qui s'étendent au nord de Bordeaux , sur un sol
sablonneux et calcaire , produisent des vins qui ont immor-
talisé le noms de Cbâteau-Margaux , de Lafitte et de La-
tour. Les crûs de Graves occupent, au midi de cette ville,
anciens et modernes. 281
un terrain pierreux : les vins qu'on y récolte sont blancs.
Le canton de la Palu , situé sur des couches fertiles d'allu-
vion , entre la Garonne et la Dordogne , donne des vins
plus forts et plus colores que ceux de Médoc : on les en-
voie aux Indes orientales sous le nom de Claret , et ils
gagnent beaucoup à voyager par mer, à cause du goût
âpre et sûr qui les rend désagréables lorsqu'ils sont nou-
veaux : aussi les Français les appellent-ils inns de cargai-
son. Le crû des vignes blanches produit le Saulerne, si jus-
tement célèbre.
Les bons vins rouges de Bordeaux sont les meilleurs vins
de France : quoiqu'ils contiennent peu d'alcohol , ils se con-
servent bien et s'améliorent par le transport. Lorsque la
fermentation en a été complète , ils sont beaucoup moins
sujets aux maladies que les vins de Bourgogne, et ils ont
moins de tendance à s'aigrir.
Nous ne paillerons des vins d'Espagne que pour expri-
mer l'aversion qu'ils nous inspirent (i). Qu'ils prennent le
nom de Rota, d'Alicante, de Bcnicarlo ou de Catalogne,
qu'ils contiennent ou ne contiennent pas de l'alcobol en
grande quantité , nous les confondons tous dans la même
réprobation . Cependant , l'Espagne possède un sol fertile ,
extrêmement favorable à la produciion des vins. Un voya-
geur anglais a trouvé, en 1809, dans la province de Gre-
nade, des vins rouges du pays, qu'il a jugé compai'ables
aux bons vins de la Bourgogne. Mais il fut obligé de faire
venir d'Angleterre un assez grand nombre de bouteilles ,
pour empêcher qu'on ne mît sa provision dans des outres
goudronnées; et, quoique le pays soit environné par des
forêts de lièges , tous les bouchons furent envoyés d'An-
gleterre, avec les bouteilles! Les principaux vignobles de
(i) Note du Tr. On voit que la prédilection «le l'ccrivain anglais
pour les vins de France , va presque jusqu'à l'inju»ticc pour ceux des
autres pays.
'iSi Histoire des vins
Xerez appartiennent à des Français ou à des Anglais , et
c'est ce cjui explique les améliorations qu'on a remarquées
dans les vins de ces crûs , pendant les dix dernières années.
En Espagne , excepté dans les villes commerçantes et dans
les couvens, on connaît à peine les tonneaux , les boutedles
et les caves. Le vin est fait avec la plus grande négligence j
on ne le laisse point vieillir, et, au lieu de s'adoucir, il
s'épaissit en contractant une odeur d'outre nauséabonde et
insoutenable. La mode a fait valoir les vins de Malaga;
mais le vieux vin sec de Xerez est le plus universellement
estimé des connaisseurs.
Nous avions presque résolu de ne pas parler des vins de
Portugal , de peur d'être entraînés dans une longue et fas-
tidieuse discussion sur le traité de Métbuen et sur l'exagé-
ration impolitique des droits auxquels sont soumis les vins
de France. C'est un grand mal qvie d'avoir forcé la nation
à s'accoutumer aux boissons ardentes et aîcoholisées qu'on
nous donne pour du vin de Porto ', car, comment les con-
sommateurs ordinaires auraient-ils pu acheter un tonneau
de vin de France, soumis à un impôt de i8o fr. , à raison
de i6 sous les quatre litres? Cette énorme taxe est main-
tenant réduite à 90 fr. ; mais il existe toujours une sorte de
proliibition pour le consommateur, puisque le marché n'est
pas ouvert aux mêmes conditions pour les vins de France
que pour ceux du Portugal. Sans doute , les vins naturels du
Douro ont des qualités remarquab'es, dont le mérite a été
apprécié sur les lieux par des Juges équitables ; mais qui
ne sait toutes les sophistications qu'on leur fait subir dans
les manufactures d'Oporto et de Ijondres ? Ne vaudrait-il
pas mieux nous laisser multiplier le véritable Bourgogne,
celui de la Romanée et du clos Vougeot , par Taddition
des vins inférieurs de la même province? Si les marches
étaient libres , les Portugais seraient forcés , par la con-
currence, de soigner davantage leurs produits, et de nous
anciens et modernes . 283
les envoyer sans mélaage. Quoi que les poHliques puissent
dire , il sera toujours à regretter qu'on ne nous permette
pas de choisir nos vins selon nos goûts , et que l'impôt pré-
levé sur nos- jouissances soit établi d'une manière si dispro-
portionnée.
Les vins d'Allemagne et de Hongrie forment la division
suivante du docteur Henderson. Parmi les premiers, ceux
du Rhin méritent seuls une mention particulière, à cause
de leur excellente qualité. On les recueille particulière-
ment sur le bord de ce fleuve, entre Mayence et Coblentz,
dans ces belles camjiagnes animées par une population
nombreuse et par l'aspect varié des vieilles ruines féo~
dales qui s'élèvent au-dessus des plus belles et des plus
riches cultures. Les vins de choix nous arrivent d'un petit
canton appelé le Rhiengaii ; mais ou y joint aussi ceux de
Hockheim , quoique ce vignoble soit situé sur les bords du
Mcin. Les qualités Jistinctivcs de tous ces vins sont très-
connups , et paraissent faire exception aux lois de la chi-
mie. Leur saveur piquante et presque acide n'exclut pas
un bouquet très-agréable j l'absence presque entière del'al-
cobol ( ils n'en contiennent pas plus de dix parties sur cent
en volume) , ne les empêche pas d'être sains et même as-
sez chauds ; et ils se conservent si bien , qu'on en a gardé
pendant plusieurs siècles sans aucune altération. C'est cette
longue durée qui aura probabement donné l'idée de les
renfermer dans des vaisseaux d'une capacité extraordinaire.
Tout le monde a entendu par !er de la grande cuve d'Hei-
delbeig : elle avaii trente pieds de diamètre sur vingt pieds
de profondeur, et ne l'emportait pas de beaucoup sur les
autres, car les propriétaires mettent de l'amour - propre
à rivaliser entr'eux. Cette méthode de conservation peut
être très-utile pour les vins forts; mais il faut avoir soin
rie ne jamais laisser les tonnes vides, et pour cela, on
verse du vin nouveau sur l'ancien, ou on v jette d(S cail-
284 Histoire des iuns
loux lavés. Dans le siècle dernier, faute de ces précau-
tions , les restes d'un tonneau de vin portant la date de
1472» à Strasbourg, furent trouves à l'état de bouillie ai-
gre, ce qui ne serait pas arrivé probablement, si ce vin
eût été mis en bouteilles.
Les vins de Hongrie pourraient être excellens , mais la
culture des vignes et la fabrication de leurs produits sont
encore très-négligées ; cependant le Tokai impérial a acquis
une grande réputation. C'est avec des raisins à demi des-
séchés qu'on prépare ce vin dont tout le monde entend
parler, et que personne ne goûte , car le prix en est extra-
vagant à Cracow même , où est établi le dépôt principal
pour les marchés de la Pologne et de la Silésie. Le vin
vieux, ovLvino vetrawrio , est si cher, que lorsque l'empe-
reur d'Autriche voulu L en offrir quelques mesures à l'ex-roi
de Hollande, le vin des caves impériales se trouva trop
jeune, et on fut obligé d'en acheter a,ooo bouteilles à Cra-
COAV, à sept ducats la bouteille (i).
Nous ne suivrons pas l'auteur dans son histoire des vins
de Grèce et d'Italie. Si la seule influence du climat et du
sol de ces deux contrées suffisait pour assurer la perfection
de leurs produits , on pourrait en vanter l'excellence '•, mais,
à peu d'exception près , leur médiocrité ne sert qu'à prou-
ver l'impuissance des avantages naturels , lorsqu'ils ne sont
pas secondés par l'industrie humaine. Les vins de Toscane,
où l'agriculture est assez bien entendue, sont meilleurs que
les autres 5 le Moutepulciauo , l'Aleatico et la plupart des
muscats ne sont pas sans mérite. Mais tous ces vins , et le
fameux Lacryma-Christi , réservé pour la cour do Naples ,
ne "sont guère connus que de nom au-delà des Alpes,
Quant à la Sicile , ses coteaux de Marsala et de Mazzara
pourraient donner des produits de quelque valeur, si les
(,1) Le ducat de Uollaii<le vaut da 1 1 à 1 i fr.
anciens et rnodmmes. 28.^
habîtans n'avaient pas la funeste liabitnde d'y mêîer leur
mauvaise eau-de-vie. Tant que ce système prévaudra ^ il est
impossible d'espérer la moindre amélioration dans les vins
de cetfe île, malgré l'heureuse situation des vignobles qui
couvrent les environs du mont Etna.
L'auteur ne nous a rien appris de nouveau sur les vins
de Madère , et 11 u'a pas donné, sur les vius de Perse et du
cap de Bonne-Espérance, tous les détails dont ce sujet était
susceptible. Cependant , l'importance de notre colonie afri-
caine semblait mériter une attention plus sérieuse. Nous
lui adresserons le même reproche pour les vins d'Amérique.
Les provinces septentrionales de celte partie du monde sont
très-ricbes en vignobles . et l'on trouve des vignes sauvages
dans toutes les forêts des États-Unis et du Canada , depuis
les bords du Mississipl jusqu'aux rives du lac Erié. Le rai-
sin de Médoc a été introduit à Philadelphie, et on en a
retiré un vin assez semblable à celui des crûs inférieurs du
Bordelais, pour engager à continuer ces premiers essais de
naturalisation. Dans les contrées du sud, quelques Fran-
çais sont parvenus à es-traire un vin passable du fruit des
vignes sauA''ages. La culture de la vigne a réussi à Mexico ,
et déjà le crû de Passa del Norte a acquis une sorte de cé-
lébrité dans le Nouveau-Monde. Des missionnaires euro-
péens ont élevé, dans la Californie, du plant de Madère qui
n'a point dégénéré depuis la moitié du XVIIP siècle. Dans
les dilférentes zones de l'Amérione méridionale , malgré les
prohibilions de la politique espagnole , la vigne a pros-
péré. Lima fait un commerce de vins indigènes, qui n'est
pas sans avantages. Les vins de Lucombat, de Pisco et de
la vallée 'de Snamba, dans ia province d'Arequipa, sont
fort estimés. Le Chili possède un grand nombre de vigno-
bl'es précieux , dont les vins rouges , particulièremeni ceux
deCuyo, sont transportés à Buenos-Ayres par les Cordil-
lères, et sont fort estimés dans tout le Paraguay. Nous re-
•^86 Histoire des vins
greltons beaucoup que le docteur HeuJersou n'ait pas fait
de recherclies sur uu sujet aussi iiiléressant.
Nous terminerons cet article en disant un mot des vignes
cultivées autrefois en Angleterre, f. s particularités peu
connues dans lesquelles le docteur Heiiderson entre à cet
égard, sont loin d'être dépourvues d'intérêt. Nous ne re-
cherchons pas avec lui, si la culture de la vigne, dans la
Grande-Bretagne, date de la conquête du pays par les Ro-
mains, attendu que cette question est sans importance :
toutefois il paraît, si l'on en croit le témoignage de Bède,
qu'il existait des vignobles en Angleterre, dès le commen-
cement du VIÏI" siècle. Il en est déjà question dans les lois
d'Allred-le-Grand. Après la conquête des Normands , on
fit beaucoup de plantations à Sbenelon , dans le comté de
Middlesex ; à Ware, dans celui d'Herl'ort , et dans le vil-
lage de Westminster. Holhorn eut même son vignoble qui
appartint dans la suite à l'évêque d'Ely 5 et lorsque les édi-
fices s'étendirent dans cette direction , ce vignoble donna
.son nom îi une rue qui existe encore (i). La plupart des
riches abbayes, dans le midi de l'Angleterre, cultivèrent
aussi leur champ de vignes; et comme les monastères
élai'^'nt généralement situés dans des vallées fertiles et bien
abritées , il est probable qu'on choisissait toujours les ex-
positions les plus capables de favoriser la maturité des rai-
sins On ne peut pas douter d'ailleurs , d'après la chronique
de William de Malmsbury, que la culture de la vigne ne lut
universelle en Angleterre au XIP siècle. Cet auteur cite
l'heureuse val'.ée du Glocestershire , au nombre de celles
qui produisaient d'excellens vins, à peine inférieurs aux vins
de France. Je sais bien qu'on a prétendu que nous confon-
dions les vergers à cidre avec les vignobles i mais un pas-
(1) Note du Tu. Elle est .situe'e à l'occidcnl de la Cité dfl Londres ,
piesqu'au rentre de la ville.
anciens et niodtrnes. 287
sage de la chronique citée plus haut , distingue parfaite-
ment les pommiers et les vignes dans le même domaine ,
et il indique même , parmi les dernières, celles qui sont traî-
nantes , celles qui grimpent sur les arbres et celles qui sont
soutenues par des éclialas. De semblables détails ne per-
mettent pas de supposer qu'il y ait confusion dans ces dé-
signations. Il est facile, d'ailleurs, de citer d'autres preuves
de l'existence de la vigne en Angleterre pendant le moyen
âge. Le Domesday book (i) distingue les vergers de pom-
miers et les vignobles. Il y avait dans le petit parc du roi ,
à Windsor, un vignoble où la culture de la vigne s'est main-
tenue jusqu'au règne de Richard II , qui en payait la dîme
à l'abbé de Waltham , alors curé de cette paroisse. Mais le
témoignage le plus irrécusable se trouve dans les archives
de l'église d'Ely, qui possède une notice sur le produit d'un
vignoble pendant deux ou trois ans ; le nombre des mesures
de raisin vendues y est mentionné, ainsi que la valeur du
vin : on y voit même que, dans une année défavorable, la
récolte ne donna que du verjus. C'est l'inconstance du cli-
mat qui a découragé nos cultivateurs , et i! est très-probabie
que l'importation des vins étrangers à plus bas prix que les
vins indigènes , aura frappé d'un coup mortel cette branche
d'industrie nationale.
Cependant , on a encore essayé de nos jours de natura-
liser la vigne en Angleterre, comme sujet d'expérience ou
d'amusement. Il n'y a pas plus de quarante ans , Sir Richard
(i) No'i'E DU Tr. On sait que le Domesday book , que les e'tymolo-
gistes font venir de domus Dei , livre de la maison du Seigneur , est
un tableau statistique de l'Angleterre , extrêmement curieux, lorminé
en 1080 , sous le règne de Guiilaume-lc-Conquc'rant et par ses ordres.
Voyez la chronique de Stowe , e'dition de Londres , in-folio , iGSa ,
ji^g. 1 18. Stowc e'tait un marchand tailleur, qui parcourut toute l'An-
gleterre , à pied , pour recueillir les matériaux nécessaires à la compo-
sition (If son onvr:!^!'.
28-8 Histoire c/es vins anciens tt modernes.
Worsley se procura quelques espèces de vigues robustes,
les planta à Saint-Laurent , dans Tîle de Wight, sur un ter-
rain rocailleux., à l'exposition du sud-est, et il y fil venir
un habile vigneron de France, pour en diriger la culture.
Le succès parut certain pendant quelques bonnes années ;
et Ton obtint même une récolte de raisin d'un goût très-
supportable j mais la fraîcheur des printems et la prompte
arrivée de l'automne affaiblirent les souches , gâtèrent les
produits , et cet essai ne tarda pas être abandonné. Toute-
fois . le site choisi par Sir Piichard n'était pas très-favorable
à fexpérience qu'il voulait faire : car malgré la douceur
du climat de l'île de Wright, son coteau restait exposé aux
vents froids qui soufflent dans la Manche, précisément à
l'époque oii la vigne commence à bourgeonner. Les efforts
de M. Hamilton , à Painshii), furent plus heureux, et le
résumé qu'en a donné le docteur Henderson est plein d'in-
térêt. A force de soins , ce cultivateur distingué parvint à
obtenir un vin absolument égal avi Champagne de seconde
qualité , lequel conservait sa force , perdait son efferves-
cence et son bouquet , et devenait tout à-fait semblable aux
vieux vins secs des bords du B-hln. Plusieurs bouteilles que
M, Hamilton avait conservées pendant seize ans, présen-
taient une teile analogie avec les vins du Rheingau , qu'elles
auraient trompé un connaisseur peu exercé. Lorsque ce
vin était jeune et mousseux, les meilleurs juges le pre-
naient pour du véritable Champagne : on en vendit au
prix de cinquante guinées le muids à des marchand qui
le firent passer pour du vin de France et le revendirent ,
en détail, jusqu'au prix de douze guinées le panier de
vingt-cinq bouteilles. Mais M. Hamilton se plaignait beau-
coup du fâcheux eftei. des frimas du mois de mal et des
pluies de l'été.
On ne peut donc plus contester qu'avec de l'adresse et
de la persévérance on ne soit parvenu à imiter eu Angle-
De la vaccine et de la petite-x<érole. litH^
terre les vins de France du second ordre. Le docteur Mac-
Culloch (i) {^Art de faire le riii , } âge 228) a démontré
qu'on pouvait faire de bon vin avec le fruit encore vert ,
les bourgeons et les jeunes pousses de la vigne, mis en fer-
mentation au inoyeu du sucre et de la crème de tartre;
et comme il est facile d'avoir des pousses ou du raisiùvert'
daus toutes les années , ce procédé peut , selon lui , avoir
beaucoup d'avantages pour la Grande-Bretagne. Quant au
projet d'établir des vignobles en Angleterre ^ nous adop-
tons l'opinion du docteur Henderson : tant qu'on pourra
obtenir les vins étrangers à des prix modérés , il n'y aura
pas de profit à vouloir les remplacer par des vins du pays.
D'ailleurs , si le raisin ne mûrit pas toujours en Cliampa-
gne , il serait absurde de supposer qu'il pourrait mûrir sous
un climat aussi variable que le nôtre , et il y aurait de la
folie à couvrir de vignes nos terres labourables. En Nor-
mandie et en Picardie, où les étés sont plus chauds qu'en
Angleterre , la culture de la vigne a été successivement
abandonnée , et toutes les tentatives qu on a faites pour la
rétablir ont été infructueuses.
SCIENCES MEDICALES.
DE LA VACCINE ET DE LA PETITE- VÉROLE ('i).
IjA vaccine est incouteslablement le don le plus précieux
que le génie de l'observation ail fait à l'espèce humaine. Si
(1) C'est le même dont il est question dans l'article sur le Projet
dlmtroduire le poisson de mer dans l'eau douce-
(2) ISoTE DU Tr. Nous croyons rendre un vc'ritable service à la
science , en niellant aujourd'hui ious les ycu\ de lios Utlcurs un ar-
ago De la vaccine
elle ne met pas toujours à l'abri des atteintes des contagious
varioliques , du moins il est presque sans exemple qu'elle
n'en affaiblisse pas la malignité.
Lorsqu^on découvrit, dans l'origine, que quelques su-
jets vaccinés avaient été atteints de la petite-vérole , on
prit ces éruptions pour de la varicelle , ou bien , i'on crut
que l'opération de la vaccine n'avait pas été faite convena-
blement. \oici comment s'exprimaient à ce sujet, en i8o3,
les rapporteurs du comité institué pour la propagation de la
vaccine :
i( Deux ou trois fois on nous a alarmés de l'apparition de
la petite-vérole cbez des sujets vaccinés depuis quelques
mois ou quelques semaines; mais après les avoir visités et
avoir pris tous les renseigneniens possibles sur leur mala-
die , nous nous sommes assurés que ce que l'on appelait
petite-vérole n'était que la varicelle. »
Le passage suivant est extrait du rapport fait au même
comité , eu i8in ;
« En observant avec soin , disent les rapporleui'S , les
cas où la vertu préservatrice de la vaccine paraissait en
défaut , nous nous sommes convaincus , ainsi que l'avaient
fait les membres du comité de Dublin , que Ifs malades
avaient été soumis à des procédés de vaccination moins
ticle publié dans la Revue d'Edinbourg , en iSsS, dans des circons-
tances semblables à celles qui excitent en ce moment au plus haut degré
l'inlérèt public. Depuis l'introduction de la vaccine , des épidémies de
petite-vérole ont sévi sur plusieurs comtés de la Grande-Bretagne,
et ont forcé beaucoup de médecins à modifier , jusqu'à un certain
point , l'opinion qu'ils avaient déjà conçue de l'infaillibilité de ce pré-
servatif. En France , des faits nouveaux donnent également naissance
aujourd'hui à des opinions nouvelles. Ceux qui sont rapportés dans l'ar-
ticle suivant pourront servir à éclairer les discussions qui se sont éle-
vées à l'occasion de l'épidémie variolique qui exerce depuis quelque
tems ses ravages à Paris , et heureusement ils sont presque tous de
nature à faire ressortir les avantages de la vaccine.
et de la petite-vérole. '^91
parfaits que ceux qui sont adoptés par le comité depuis
1810 , et dont le succès est infaillible. Le comité a publié
et distribué .gratis , dans tout le royaume , une instruction
sur le mode de vaccination employé dans ses établisse-
mens. Si l'on s'y conforme désormais , la vaccine con-
servera tous ses droits à la confiance , ou du moins les
exceptions seront trop rares pour fixer l'attention pu-
blique. »
Eu 181 9 , les membres du comité avouaient que les rap-
ports de leurs correspondons étaient moins favorables ;
une éruption dont les caractères étaient exactement ceux
de la petite-vérole , s'était manifestée sur des individus vac-
cinés j seulement, chez la plupart, l'affection avait été de
courte durée et exempte de symptômes alarmans ; mais ,
chez quelques-uns , la maladie avait suivi son cours or-
dinaire , et huit d'entr'eux avaient succombé. Les mem-
bres du comité attribuaient les funestes exceptions qu'on
vient de citer à l'imperfection des procédés du vaccina-
teur j ils recommandaient de faire deux piqûres à cbaque
bras , et de suivre attentivement les progrès des l)outous
jusqu'à leur disparition.
Mais , en 1820 , le comité s'exprima , dans son rapport
annuel, de la manière suivante :
« Dans plusieurs contrées , la petite-vérole s'est déclarée
chez beaucoup de sujets vaccinés , et il est incontestable
que les préjugés populaires contre l'efficacité de ce pré-
servatif ne sont pas tout-à-fait dépourvus de fondement.
Après avoir mis de côté , dans les observations qui nous sont
parvenues, celles qui n'ont pas un caractère suffisant d'au-
thenticité , nous sommes forcés de reconnaître qu'il est
malheureusement trop bien prouvé que jusqu'ici on a at-
tribué à la vaccine un pouvoir trop étendu ; mais du moins
elle a la faculté de modifier la petite-vérole, quand elle ne la
prévient pas entièrement. »
aya De la vaccine
Et en effet, les épidémies varioliques qui , à celte
époque , es^erçaient ieui's ravages dans la Grande - Bre-
tagne, depuis six ou sept ans, avaient prouvé que la vac-
cine n'était pas un moyen infaillible de se préserver de
leurs atteintes.
En 1818 et 1819, celte épidémie régna à Édinbourg et
dans les environs , et y fit beaucoup de mal. Le docteur
Thompson en étudia les caractères et en suivit la marche
sur huit cent trente-six sujets. Deux cent quatre-vingt-un
n'avaient jamais eu la petite-vérole et n'avaient point été
vaccinés 5 dans ce nombre, la mortalité lut d'un sur quatre.
Soixante-onze malades étaient atteints de la petite-vérole
pour la seconde fois 5 il n'en mourut qu'un svir vingt-trois.
Quatre cent quatre-vingt-quatre avaient été vaccinés : un
seul succomba.
«Ce résultat, dit le docteur Thompson , doit paraître
bien étonnant , si l'on réfléchit à la gravité de l'épidémie
et à l'état de santé défavorable qui pouvait aggraver les
effets de la contagion chez quelques-uns des nombreux
individus qui en étaient infectés. Comment méconnaître ,
après des faits si conc'uans, la puissante influence de la
vaccine, ne fût-ce que pour adoucir le fléau de la petite-
vérole? Aussi , les terreurs qu'avait d'abord inspirées l'ir-
ruption de l'épidémie, sur des sujets vaccinés , se sont-elles
dissipées quaad on a vu le contraste qu'offrait la marche
de la mauTdie chez ces individus , et celle qu'elle a suivie
chez les sujets non vaccinés. Ce contraste a convaincu de
l'immense utilité de la vaccine , les personnes les plus im-
bues de préjugés. »
Lorsque la maladie a attaqué des sujets qui l'avaient déjà
eue une première fois , ou qui avaient été inoculés , ou a
observé que l'intervalle des deux atteintes avait été tantôt
long et tantôt fort court, depuis dix jours jusqu'à trente
ans. La fièvre qui précède l'éruption était le plus souvent
et de la petite-vérole. 9.q5
très- intense, et quelquefois presque insensible. En certains
cas, les boutons semblaient appartenir à des variétés de la
varicelle ; en d'autres , ils offraient les caractères de la pe-
tite-vérole discrète ; quelquefois aussi ils ont présenté les
symptômes d'une véritable contluente.
Oa a pu faire beaucoup d'observations sur des sujets vac-
cinés , attendu que la terreur inspirée par rdpidéraie avait
déterminé un grand nombre de personnes à recourir à ce
préservatif. Toutes ces observations ont monti'é à quel point
il atténuait le mal quand il ne le prévenait pas toiit-à-fait ;
et il ne s'est trouvé en défaut que lorsqu'on l'employait trop
tard.
Cbez les sujets vaccinés qui furent atteints par l'épidé-
mie, la fièvre d'invasion était souvent si violente qu'elle
avait les caractères du typîiusj chez quelques autres, elle
était légère, mais toujours l'éruption était le premier symp-
tôme de la convalescence , et lorsqu'elle se manifestait ,
beaucoup de malades cessaient de s'aliter. En certains cas
très-rares , il y avait fièvre sans éruption. Les symptômes
les plus graves, mais qui se sont présentés rarement
étaient une fièvre de suppuration très-violente , la tumé-
faction de la face , l'inflammation de la gorge et du larynx
et la salivation i toutefois, ils se dissipaient promptement,
et ne réduisaient jamais les malades à cet état d'abatte-
ment et de faiblesse , trop fréquent à la suite des petites-
véroles confluentes naturelles. Un des sujets éprouva, pour
la troisième fois, une affection varioloïde. Plusieurs des
vaccinés se trouvaient atteints, pour la seconde fois, par
la maladie , après un intervalle de quelques jours ou de
plusieurs années. Chez les uns , la première attaque avait
paru être une varicelle, et la seconde une variole j chez
les autres, c'étaient les mêmes éruptions, dans l'ordre in-
verse. Dans d'autres cas , les deux affections ont été exclu-
sivement ou la varicelle, ou la variole. Aucune raison,
II. •!()
2g4 ^^ ^'^ i>accîne
d!ai!leurs, n'a porté à ci'oire que le virus vaccin fût affaibli
ou détérioré ; car, c'est chez les sujets âgés de plus de dix
ans , que les récidives ont été les plus rares.
« On peut s'étonner, dit le docteur Thompson, que l'ac-
tion préventive ou atténuante de la vaccine ait été aussi
puissante dans cette circonstance ; la mortalité ayant été
constamment d'un sur trois à un sur cinq, chez les indivi-
dus non vaccinés, proportion effrayante qui s'offrait pour
la première fois, depuis l'introduction de la vaccine. Je
suis persuadé que c'est à la rigueur de l'épidémie et nou
à l'affaiblissement de son préservatif, ou aux procédés dé-
fectueux de vaccination, qu'il faut attribuer i'irruplion de
la petite-vérole , sur un si grand nombre d'individus vac-
cinés, et les récidives de petite-vérole naturelle, bien plus
nombreuses qu'elles ne l'avaient jamais été dans les con-
tagions antérieures. Je suis également convaincu que ces
récidives ont toujours beaucoup moins de gravité que la
maladie primitive. Ainsi que je l'ai déjà dit, celles que j'ai
observées m'ont offert le plus souA'^ent les caractères de la
variole secondaire. »
En i8'2o, M. Cross publia un rapport sur l'épidémie va-
rlolique qui se manifesta à NorAvich , en 1819 , et qui fit
périr 65o individus. Cet auteur a signalé les mêmes phé-
nomènes que le docteur Thompson, sur les trois classes
d'individus dont nous venons de parler; c'est-à-dire sur
les sujets vaccinés, non vaccines, ou précédemment at-
teints de la petite-vérole. Ses observations ont exactement
confirmé ce fait, que, dans une épidémie intense, tous les
sujets , vaccinés ou non, sont exposés .î Tafiection régnante ;
mais les premiers n'en éprouvent qu'une atteinte légère et
presque toujours sans danger.
« Sans m'arréter à l'opinion contraire , dit M. Cross , je
considère toujours comme les caracttros de la vraie vac-
cine, ceux Indiqués par Jenner. Je ne pense pas que la
et de la petite-vérole. iqS
verta du vaccin se soit affaiblie 5 je nie également que tel
procédé de vaccioation soit meilleur que tel autre. Ces
divers systèmes n'ont été Imaginés que pour défendre la
vaccine du reproche de ne point préserver de la variole.
J'ajouterai que, ni l'adresse, ni la méthode de l'opéra-
teur, n'influent sur l'efficacité du procédé : souvent des
parens, en vaccinant eux-mêmes leurs enfans, les ont com-
plètement préservés, tandis que les plus habiles chirur-
giens u''ont pu, dans beaucoup de circonstances, obtenir
Je même résultat. »
Après avoir long-tems douté si la petite-vérole et la va-
ricelle sont des affections distinctes , ou bien les degrés di-
vers d'une même maladie , le docteur Thompson embrasse
cette dernière opinion. Il reconnaît qu'elle fut émise pour
la première fois , en 1777, par M . Geoffroy. Ce médecin rap-
porte dans les Mémoires delà iSociété royale de médecine,
qu'un enfant eut une petite-vérole volante , qui ne dura
que quatre jours. Immédiatement après, sa sœur aînée,
qui ne l'avait pas quitté , fut atteinte d'une véritable petite-
vérole dont elle conserva les traces. « Un tel fait , ajoute-
l-il , s'il se répétait plusieurs fois , attesterait l'ideulité
de deux maladies que l'on regarde comme distinctes , et
prouverait que l'une n'est qu un diminutif de l'autre ;
d'ailleurs, comme l'a observé M. Bing , la ressemblance
de ces deux maladies les a fait considérer, par les pre-
miers médecins de l'Europe, comme étant delà même
espèce. »
Les docteurs Bateman , Henderson et beaucoup d'antres,
cités par M. Thompson , professent la même doctrine.
Pendant l'épidémie d'Edinbourg , les vaccinés et les ino-
culés qui en furent atteints , présentèrent , pour la plupart,
des indices de varicelle, quoique la contagion qui les avait
jroduilsfût, selon toute apparence, une variole légitime.
Il arrivait aussi que ces varicelles donnaieril à leur tour
2^6 De la vaccine et de lu ■petite-vérole.
naissance à la variole sous sps différentes formes. Dans la
même maison , dans la même chambre, dans un même
lit, on voyait souvent un malade atteint d'une varicelle, un
autre d'une petite-vérole discrète, et un troisième d'une
petite-vérole confluente.
Dans une maison de Canongate , oii un enfant se mou-
rait d'une petite-vérole affreuse, un de ses frères n'avait
qu'une éruption discrète avec très-peu de fièvre 5 sa peau
était couverte , non de véritables pustules, mais de petites
phlyctènes vésiculaires qui s'affaissèrent le cinquième jour,
et se séparèrent en petites écailles. Un autre eut une érap-
tion semblable , qui se termina au sixième jour, tandis
que, dans la même pièce, un second enfant était dans !a
période de terminaison d'une petite-vérole confluente très-
violente, et un troisième présentait la maladie avec son
type le plus ordinaire et le plus régulier.
L'exemple suivant est encore pius concluant ; il est extrait
d'une lettre de M. John Molloch au docteur Thompson.
« Depuis neuf ans, il n'y avait point eu de petite-vérole
dans cette ville : uu domestique, habitué à courir les mar-
ches , séjourna dans une maison dont un des locataires était
atteint de celte maladie; lui-même était vacciné depuis ])lu-
sieurs années; cependant, de retour chez lui, la fièvre se
tiéclare et le force à s'aliter ; le troisième jour, éruption de
varicelle et convalescence; il put se rendre le lendemain à
un marché éloigné d'un demi-mille. La semaine suivante ,
un des eufaus de son maître tombe malade, et offre tous
les phénomènes d'une petite- vérole discrète; un second
éprouve ia même affection; chez un troisième, la maladie
prend un caractère grave et alarmant; chez le quatrième,
elle est comme chez les deux premiers; eufin , vme vari-
celle se déclare chez le dernier enfant , âgé <le huit mois. »
H nous paraît clairement démontré par ces faits que les
divers étals qu'on vient de signaler, appartiennenl à un
T-^oyage dans les pays de Timanni , etc. içfi
ïnêmc genre d'afFectiou , et que les diô'érences que Ton
observe , résultent seulement de rintensilé plus ou moins
forte de la maladie. Nous terminerons cet article en citant
de nouveau le docteur Thompson :
« Livré depuis long-tems , dit cet habile médecin, à Tc-
tude des midac'ies ciniptivcs et cutanées, combien de fois ,
lorsque je partageais les opinions commuties , ne me suis-je
pas irrité de l'impossibilité où j'étais d'établir avec préci-
sion les caractères distinctifs que mes confrères se vantaient
d'avoir facilement saisis , entre la varicelle et la petite- vé-
role! L'on préteudaii souvent reconnaître une variole où
j'avais cru voir une varicelle, et réciproquement. Aujour-
d'hui, après uue pratique d(^ plus de trente années , je ne
suis pas plus eu état de saisir ces différences imaginaires,
et je suis fermement convaincu que la variole secondaire et
la varicelle ne sont qu'une feule et même affection. »
( Reçue d'Edinhourg. )
VOYAGES.
VOYAGE DANS LES PAYS DE TIMANNI, DE KOURANKO ET
SOULIMA, DANS l'aFRIQUE OCCIDENTALE.
PAR LE MAJOR A. GORDON LAING (l).
Les plus grands obstacles qvii aient empêche jusqu'ici nos
colonies de l'ouest de l'Afrique d'établir des relations com-
merciales avec les peuples de l'intérieur, proviennent des
efforts que les chefs des tribus limitrophes de nos établisse-
(i) Tiavcls in thc Tirnannec , Kooranko , and Soo/inia connirics ,
in l'Veslern AJiica. lîy major A. Gordon Laing. 8", iNlurray, i8i5.
298 Voyage dans tes pays de Timanni ^
mens n'ont cessé de faire pour nous fermer le passage , afin
de se réserver tous les bénéfices d'un commerce exclusif.
De toutes les nations voisines de Sierra-Leone , celle des
Mandingues était la plus civilisée , et paraissait de jour
en jour mieux disposée à recevoir nos objets de luxe en
échange des produits de son sol ou de son industrie, lors-
qu'une guerre , survenue entre le roi de ce pays et un de
ses chefs révoltés, interrompit toute relation avec la colo-
nie. Sir Charles Maccarlbj, dernier gouverneur de Sierra-
Leone , jugea à propos d'envoyer une ambassade à Kambie,
sur la rivière de Farcies, et de là au camp des Mandin-
gues , afin de concilier les parties belligérantes , et de re-
commander aux naturels du pays la culture du riz blanc.
Le major Laing, alors simple lieutenant, fut chargé de
cette mission; il reçut également le mandat de s'assurer
des dispositions des habitans , relativement au commerce
et à l'industrie , et de leurs senlimens comme de leur con-
duite au sujet de l'abolition de la traite. Cet officier visita
deux fois le camp des Mandingues , et il y trouva un corps
nombreux de nègres de Soulima, commandé par le frère
du roi de cette contrée, lequel était venu au secours ^A-
mara, roi des Mandingues.
Les habitans du royaume de Soulima n'étaient guère con-
nus que de nom à Sierra-Leone , quoiqu'ils n'en soient éloi-
gnés que de 200 milles (N. N. Ouest) ; cette nation n'avait
même été visitée par aucun Européen , et cependant elle
était une des plus puissantes et des plus avancées dans la
civilisation et dans la connaissance des arts utiles. Lorsque
le général de l'armée de Soulima , nommé Yarradi , vit pour
la première fois les Anglais au camp des Mandingues, il
douta si c'étaient des hommes , et demanda à leur inter-
prète s'ils avaient des os. Voyant le major Laing ôter ses
gants, il s'écria : « Allah Akbar ! il vient d'ôter la peau de
ses mains ! »
de Kouranko et SouUma . 290)
A son retour, le uiajor Lalng parvint 'k convaincre le
gouverneur de Sierra-Leone que , les peuples de Soulima
possédant beaucoup d'or et d'ivoire , il serait avantageux, de
se mettre en relation avec eux, et qu'il serait également
fort utile de connaître les ressources de plusieurs contrées
situées à l'est de la colonie. Dans ce double but, cet offi-
cier reçut la mission de pénétrer dans le pays de Soulima ,
par la route qui paraîtrait la plus convenable à ses projets. Il
prit avec lui un interprète, et deux soldats du régiment des
Indes occidentales j il s'adjoignit , pour conduire ses baga-
ges , onze hommes nés dans le pays des Joloffs , et un en-
fant du pays de Sego. Les voyageurs quittèrent Sierra-
Leone, le 16 avril 5 ils firent quarante milles en bateau ,
sur la rivière de Rokelîej puis ils continuèrent leur route
au sud de cette rivière, dans le Timanui j mais ils furent
obligés d'acheter, par des présens faits aux chefs de ces con-
trées, l'autorisation de passer dans les principales villes
qu'ils avaient à traverser. Le Timanni a une étendue d'en-
viron 90 milles , de l'est à l'ouest , et de 5o milles , du nord
au sudj à l'ouest, il touche à la colonie de Sierra-I^eone.
Malgré ce voisinage , les nègres de cette contrée sont re-
présentés par le major Laing , comme les plus ignorans et
les plus dépravés de tous les Africains de l'ouest. Les mé-
tiers de forgeron et de cordonnier, communs dans toutes
les autres parties de ce côté de l'Afrique, leur sont incon-
nus. Voici les réflexions judicieuses du major Laing, sur
l'état de dégradation dans lequel ils vivent.
K La mauvaise foi des Timanniens , leur aversion pour
tout travail hoimête, et la lubricité de leurs femmes , sont
passées en proverbe dans toute l'Afrique occidentale. Je
laisse à la sagacité des lecteurs à décider jusqu'à quel point
leur caractère a été perverti par ce trafic infâme qui frappe
l'industrie à sa racine , qui anéantit tout ordre social, et qui
étouffe les scnlimcns les plus sacrés de la nature. J'ai vu
5oo Voyage dans les pays ds Timanni ,
deux fois clos mères m'offrir de me vendre leurs enfans , et
s'irriter de mon refus. Un soir, je fus hué comme étant un
de ces blancs qui , en s'opposant à la traite, nuisaient k la
prospérité du pays. Les deux mères dont je viens de par-
ler, surprises de ce que je n'achetais pas leurs enfans au
prix de 10 hars (environ 5o sh.) , s'en prenaient à ces êtres
infortunés, qu'elles accusaient d'être ensorcelés. »
IjC pajs de Timanni, situé près de l'embouchure d'une
des principales rivières de la côte, a été , jusqu'aux trente
dernières années , l'un des plus grands marchés de chair
humaine 5 aussi ses habitans , par la dépravation de leurs
mœurs , et leur désorganisation sociale , offrent-ils encore
aujourd'hui un exemple effrayant de l'influence profondé-
ment corruptrice exercée par la traite.
Le major Laing , continuant sa route au N.-E. , et lais-
sant la rivière de Rokeile à sa gauche , traversa une petite
portion du pays de Rouranko. Les limites de ce pays sont
inconnues du côté de l'est, ^evs ie Niger; au nord, il est
limitrophe du Limba, du Tamisso et du Soulima. Quoique
fort éltndu , il est Irès-faible à cause de sa division en un
rrand nombre de petits états séparés. Les habitans sont ido-
lâtres comme les ïimanniens, mais ils leur sont supérieurs
dans l'agriculture et dans la connaissance des arts utiles.
A Romato , sur les frontières du Soulima, M. Laing ren-
contra une dépulation qui venait de Falaba , capitale de ce
pays , chargée par le roi d'inviter ce voyageur à venir le
visiter, et de lui offrir des chevaux pour faire la route. Un
des membres de l'ambassade , qui l'avait vu au camp des
Mandingues , sauta de joie à sou aspect , et s'écria : <« C'est
M vrai, c'est vrai! c'est l'homme blanc de la côte, qui a
» promis à Yarradi qu'il viendrait à Soulima j c'est l'homme
« blanc qui disait qu'il visiterait ce pays 5 il a tenu parole. »
Le u juin, ie major Laing et sa petite troupe arrivèrent
à Falabji , et jusqu'au 17 septembre , époque où ils quitté-
de Koiiranko et Soulima. 3oi
reol colle ville, ils ne cessèrent crétre traités avec égard et
cordialité par le roi et par les habitans. Ce respect et ces
égards n'étaient point un hommage au luxe ddplojé par
notre voyageur, car il nous apprend que toute sa garde-
robe se composait d'une veste et d'un large panta'on de
camelot bleu , très-usés; de quelques chemises de ilanelle ;
d'un chapeau de paille; et qu'il n'avait pas été rasé depuis
son départ de Sierra-Leone.
La ville de Falaba est située à 9° 4o' de latitude nord ,
et à 10° 35' de longitude. Son enceinte est formée de palis-
sades assez fortes pour résister à des inachines de guerre ,
autres que l'artillerie; elle a seize portes fortifie'es ; le tout
est entouré d'un large fossé qui ne permettrait pas à des
troupes africaines de s'en emparer, en suivant leur système
militaire actuel.
M. Laing, dans un des passages de sa relation , fixe à
6,000 le nombre des habitans de Falaba ; mais plus loin, il
porte ce nombre à 10,000, évaluation plus exacte, si,
comme il le dit , Falaba contient quatre mille maisons ou
cabanes , et peut fournir utie armée de 3, 000 hommes. Les
liabitations sont circulaires, et, quoique construites en ar-
gile et surmontées d'un loit de chaume, elles sont tr^s-
propres , bien éclairées, et, en général, d'une structure
élégante.
Le roi de Soidima, Assana-Yérn , possède, outre sa ca-
pitale, quatre villes importantes. Il peut lever une armée
(le 5,000 cavaliers et de 20,000 hommes d'infanterie; aussi
est-il regardé comme un des rois les j)lus puissans de
l'Afrique occidentale. D'après le portrait intéressant que
M. Laing eu a tracé, ses taleus et ses vertus doivent le
placer au rang des meilleurs princes, et lui ont mérité le
npmde pèredu peuple. « C'est, dit-il,, un vieillard desoixante
ans, d'une sanlé robuste ^>l d'un «extérieur agréable; sa
taille est plus haute que ne l'e.Nl , en général, celle de ses
ir.
37
^oTi Voyage dans /es pcfvs r/c Tiruamu .
stijets ( il a 5 pieds 1 1 pouces d'Angleterre ") ; et le a èteraeiTt.
simple el large quil porte , composé de tissus du pays, lui
sied très-bien. On nous a dit qu'il ne s'était jamais départi
de celle simplicité de costume, et que bien différent à cet
égard delà plupart des princes africains, il a constammenrt
repoussé l'usage des orneraens splendides , et s'est toujours
velu comme le moins riclie de ses sujets. Sa stricte probité
Ta placé très-haut dans l'estime de son peuple et des na-
tions voisines.
» il doit l'affection générale qu ou lui porte au soin avec
lequel il examine les réclamations qu^on lui adresse, et à
la manière équitable dont il rend la justice.
» Voici ie détail de ses opérations journalières :
» li S2 leva au point du jour, et s'occupe d'abord de ses
affaires domestiques; il surveille e\isuite la préparation du
repas dont il gratifie ses hôtes, et de ia iiourritiire qu'il
envoie à ses esclaves; puis il donne audience aux habitans
qui se proposent de quitter ia ville dans la journée, cl il
leur en accorde ou leur eu refuse la permission, suivant les
circouslacces. A neuf heures , il siège sur son tribunal : là,
accessible à tous , il rend la justice jusqu'à trois heures ,
après midi ; à trois heures précises il revient chez lui pour
dîner, et ce repas se compose uniquement de riz qu'on
délaie dans un peu de bouillon, afin de lui donner plus
de saveur. Comme tous ses sujets , il est étranger au luxe
des cuillers; je lui en ai olïert une plusieurs fois, dont il
n'a jamais voulu se servir. Après dîner, accompagné de
son csr.îavc favori , il dirige sa promenade vers un étang ,
où il a un crododilc apprivoise' : c'est là qu'il fait ses ablu-
tions: après quoi il se promène dans ses propriétés jus-
qu'au coucher du soleil ; il rentre ensuite dans son habita-
tion, et s'enferme pour le reste de la soirée, dont il consacre
une grande partie à l'exercice de pratiques religieuses.
» Dans le cours de diverses conversations qiii avaient
de Kouranko et Soulima . 3o.')
pour sujet la Iraite des nègres j la guerre, la pai>: . et le
commerce , Assena montra un esprit assez judicieux pour
comprendre très-bien les avantages d'un état social et d'un
gouvernement opposés à ceux qu'il connaissait; toutefois,
à regard tle la liberté du commerce , ses préjugés avaient
des racines trop profondes pour s'eftacer aisément. Comme
le pacha d'Egypte, il fait maintenant le monopole de tout
le commerce du pays , et nous craignons qu'il ne soit très-
difficile de lui persuader qu'en se dépouillant de ce privi-
lège, il accroîtrait et assurerait son pouvoir. La richesse a,
chez les Africains , une influence sans bornes ; car les plus
opulens sont toujours sûrs d'y trouver de nombreux par-
tisans, au moyen desquels ils parviennent quelquefois à
s'emparer du trône. »
Le major Laing fut témoin , à Falaba , de plusieurs fêles
et spectacles publics, Les jellemen ou bardes célébrèrent
sou arrivée et la gloire de leur pays, dans des chants qui
ressembleraient tout-à-fait à ceux d'Ossian , s'il y était ques-
tion àç?, brouillards grisâtres des montagnes , et si l'on subs-
tituait le nom de Fingal à celui d'Yarradi. La guerre entre
le royaume de Soulima et celui de Foulah a inspiré un
hymne national dont voicï (juelqucs fragmens :
K ils sont braves les guerriers de Foulah I Eux seuls pcu-
» vent résister aux combattans de Soulima. Ils uiarchèrent
» sur Falaba, au nombre de (rente mille ; comme un torrent
» fougueux , ils se précipitèrent du haut àç?, montagnes.
« — Apportez-nous votre or, disaient-ils, ou nous brùle-
» rons votre ville. — Mais le brave Yarradi lança sa flèche
» contre eux, et s'écria : Cc^st sur mon cadavre que voi'S
» exécuterez vos projets. — Le combat s'engagea; le so-
)) leîl voila son disque pour ne point voir le nombre des
» .morts ; les nuages qui couvraient les cieus. roulaient ter-
» ribles comme l'œil du hclkmansa (général). Les guer-
» riers do Foulah combattaient en hommes; Vs fossés qui
3o4 Voyage ddns les pays de Tinumni ,
» ccigneut Falaba étaient remplis de leurs morts. — ^ Que
» pouvaient-ils contre le lion de Soulima? — Ils ont fui
» pour lie jamais revenir; el Fa!aba est aujourd'hui heu-
y> reuse et paisible. «
La description d'un des spectacles donnés au major Laing;
mérite de trouver ici sa place.
« Aussitôt que les amazones eurent cessé leurs chants ,
le grotesque de la troupe prit une espèce de guitare dont
le corps était formé d'une calebasse, et commença à chan-
ter, en s'accompagnant, un air assez agréable. Il se van-
tait que, par sa musique, il guérirait toutes les maladies,
qii^il apprivoiserait des bètes féroces , et ferait danser les
serpens. « Si l'homme blanc en doute , je vais , dit-il , en
y> faire l'expérience devant lui. » Aussitôt, il joua un air
plus vif, et un gros serpent sortit de dessous un buisson,
et traversa rapidement TeDceinte du spectacle : alors, notre
jongleur ralentissant son jeu : « Halte-là, serpent, dit-il ,
» vous allez trop vile; arrêtez-vous, et amusez l'homme
» blanc. » Le serpent obéit, el le musicien continua : «« Ser-
» pent , il faut danser ; l'homme blanc est venu à Falaba ;
» dansez , serpent , car voici un beau jour. » A ces mots ,
le serpent se dressa sur les replis de sa queue , releva sa
tête, forma des anneaux , se mit à bondir et à faire divers
tours, dont je ne l'aurais pas cru capable. A la fin, le jon-
gleur, suivi du reptile, sortit de l'enceliite , et me laissa
dans un grand étonneiuent. Quant aux autres spectateurs ,
ils paraissaient enchantés qu'un nègre fût parvenu à exciter
la surprise d'un blanc. »
Les détails que donne le major Laing, sur son départ de
Falaba , sont du plus vif intérêt.
« Le 17 septembre , après avoir, dans la matinée, fait
prendre les devans aux gens de ma suite, je partis de Fa-
laba à midi , accompagné du roi et escorté d'une gran«U:
fonlc, dans laquelle les femmes se faisaient remarqucrpar
de Kouranko et Soulimu. 5o5
les dcmonstralions de douleur les plus extravagaules. (^elle '
foule me quitta à uu mille au-delà du sommet de la colline
qui domine .Faiaba , et le roi me suivit dans la val 'ce op-
posée , sur la route de Ronkodougore. Iàx , ce vieillard
s'arrêta , et , en me disant qu'il me voyait pour la derjiière
fois , ses yeux se remplirent de larmes, et pendant quel-
ques iustans il demeura sans voix. « Homme blanc, me
» dit-il enfiu, en me tendant la main , pensez à Faiaba , car
» Faiaba pensera toujours à vous. Quand vous arrivâtes
» parmi nous, vous paraissiez ridicule aux hommes , et à
» votre aspect, les femmes et les cnfans fuyaient d'effroi.
» lis ont tous maintenant la tète dans leurs mains et les
M yeux baignés de larmes, parce que vous nous quittez. Je
» me souviens de tout ce que vous m'avez dit; vous m'avez
» appris ce qui est bon , ce qui contribuera , je le sais ,
» à la grandeur de mon pays. Je ne ferai plus d'esclaves. »
Puis, me serrant affectueusement et détournant la tôle :
« Assez, me dit-il, et revenez nous voir. » Use sépara de
moi à ces mots, et il se couvrit la figure de ses mains. Je
me sentis ému comme si je m'étais éloigné d'un père. Le
souvenir de cette scène est gravé trop avant dans mou
cœur, pour être efface par le tems ou par la dislance, et
jamais je ne cesserai de faire les vœux les plus vifs pour la
prospérité d'un pays dont Ifs habitans m'ont témoigné tant
d'intérêt. »
Le major Laing pense qu'il peut résulter de grands avan-
tages de l'établissement d'un commerce direct avec Sou-
iima. Ce p^ys produit du riz, du café , du coton d'exccllenlo
qualité; ou peut y cultiver avec succès toutes les plantes
lies Iropifjues. Les cultivateurs se trouvent sur les lieux ,
«l le désir de posséder des marchandises d'Europe suffirait
pour les exciter au travail. La rivière de Rokellj; qui tra-
verse le pays et passe à vSierra-FjCone , est navigable en
certaines saisons , dans une grande partie de son cours.
5o6 Voyage dans les pays de Ti/naiini ,
Toutefois , c'est moins dans rintérél fie la Graude-Brt;-
lagne, que dans celui de la civilisation africaine, que le
major Laing nous propose d'entrer en relations commer-
ciales avec cette nation. Elle a, assure- l-il, un grand res-
pect pour les Anglais , et peu de préjuges à opposer aux
changemens que ceux-ci tenteraient d'introduire dans son
sein; mais il craiut que lorsque les peuples de cette par-
lie de l'Afrique auront vu plus d'Anglais à Sierra-Leone ,
leur respect ne s'affaiblisse beaucoup. « Les nègres ma-
Iiomclans , dit-il, voient avec pillé, souvent avec dégoût,
la légèrelé des blancs, qu'ils considèrent comme très-favo-
risés du ciel, mais comme indignes de ses bienfaits. » Un fait
qui mérite d'être remarqué , c'est que la religion de Mabo-
mct a fiiit en silence des progrès rapides cbezles Africains ,
tandis que , malgré tous les soins qu'on a pris et toutes les
dépenses qu'on a faites en Angleterre , pour leur expédier
des missionnaires et Aes Bibles, il est sans exemple qu'un
seul d'enîr'eux ait embrassé le cbristianisme bors de nos
établissemens. Là, leur conversion ne se manifeste que par
rol)servance de quelques pratiques extérieures , et par la
fréquentation des églises. Ce voyageur augure irès-avan-
lageusement de l'exemple qu'offrirait , dans cette partie du
monde, une nation indépendante, qui adopterait volon-
tairement les institutions, les babitudes industrielles et la
religion des blancs. Il croit que cet exemple, donné par
les babitaus de Soulima , serait beaucoup plus utile à l'A-
frique, que tout ce que nous avons fait jusqu'à présenta
Sierra- Leone.
Nous ne partageons point l'avis du major Laing au su-
jet des missionnaires qu'il recommande d'envoyer mainte-
nant cbcz les babitaus de Soulima. L'expérience de plusieurs
années nous a appris que le système actuel des missions C5t
entacbé d'un vice radical. On n'a rien gagné jusqu'ici, et
l'on ne gagnera jamais rien à rendre des tribus sauvages
(le Koinaiiko et Souliina. 5<)y
ohréliennes, qui , par le tait , ne le sont que de nom. Les
lumières et la civilisation doivent être les précurseurs
du chrisliaitisme ; et Tœuvre de la conversion , pour être
durable , doit être lente et graduelle. Il est cependant ww
moyen prompt et sur d'enseigner la loi du Christ, c'est de
prêcher d'exemple ; lorsque les blancs auront convaincu
les ncftrs que leur conduite est d'accord avec leurs pré-
ceptes ; lorsqu'ils prouveront à leurs catéchumènes , par le
tabieau de leur vie entière, qu'ils sont eux-mêmes guidés
par les principes de la religion chrétienne, alors, mais
seulement alors, nous pourrons nous attendre au perfec-
tionnement des nations africaines. Mais combien cette heu-
reuse époque est éloignée ! IS'ous pouvons conclure de
l'ouvrage qui est sous nos yeux , que nos missionnaires
eux-mêmes sont bien loin de prêcher d'exemple , dans la
crainte sans doute qu'on ne les accuse d'entretenir des
opinions hérétiques sur le mérite des bonnes œuvi'es. « J'ai
vu de mes yeux, dit le major Laing , un missionnaire
étendu sur ie pavé , dans une ivresse complète ; j'en ai
connu un second qui avait pour concubine une négresse
de sa paroisse ; j'en ai vu un troisième condamné comme
meurtrier d'un enfant, qu'il avait assassiné à coups de
verges. »
Ce voyageur a appris que le Niger prend sa source à
trois journées de Falaba , dans le pays des Rissi , nation
barbare à l'est de Sonlima. Il demanda souvent des guides
et une escorte pour aller reconnaître ce fleuve , mais on
les lui refusa constauunent , sous divers prétextes. On lui
permit cependant de visiter ia source de la Rokelle , et de
ce point on lui fit voir, dans le lointain , la montagne de
laquelle on lui dit que jaillissait le Niger. Il fixe sa position
■\\i\ ç)" 25' de latitude nord; cl aux 9° 4^' de longitude
ouest. Mais, les voyageurs sont souvent trompés au siijet
de la source des rivières^ presque tous les fleuves se Ibr-i^
5o8 J'oyage cm pôle tiusîrcif.
ment d'un grand nombre de ruisseaux, qui peuvent sourdre
à une distance considérable l'un de l'autre, et il est pres-
qu'inipossible de s'assurer auquel d'entr'eux doit rester
l'honneur de porter le nom du fleuve à la création duquel
ils contribuent tous. Ainsi , diverses peuplades peuvent se
vanter, avec autant de raison l'une que l'autre , que le même
fleuve prend sa source dans leur pays.
La préface de la relation du major Ijaing nous apprend
que ce voyageur est parti de Londres le 5 février dernier,
et qu'il s'est rendu à Tripoli pour y joindre une caravane
qui devait aller à Tombuctou , et de là, suivre le cours du
Niger. 11 était difficile pour une expédition semblable de
l'aire un meilleur choix. [London Magazine.)
VOYAGE AU POLE AUSTRAL,
PENDANT LES ANNÉES 1<S22 ET 1824,
Contenant «les observations sur la mer Antarctli]ue jusqu'au 74^ Jegré
lie latitude; le récit d'une excursion à la Terre-de-Feu , et des
documens iraporlans sur la navigation des cotes i!u cap Horn et des
terres adjacentes ; par James VS'^eddclI , de la marine royale. —
Londres , iSaS.
Tandis qu'une expédition entreprise à grands frais par
le gouvernement, et dont la conduite avait été conliée au
capitaine Parry, explorait les régions iuhospitalières du
pôle arctique, cl que l'Européen suspens, en attendait
avec impatience le résultat, à peine savait -on hors des
comptoirs de MM. Mitchell de liondres , et Strachan
d'Edinbourg, qu'un voyage eulièrement analogue avait
lieu à l'extrémité australe du globe. Ces deux banquiers
s'étaient associés à M. Weddell pour l'exécution d'im pro-
T^oyage au pale austral. 3o()
jet qui tloit faire passer \?\\xh noms à la postérité, et ils
rendaient un service signalé au commerce et à l'hydro-
graphie.
Le récit modeste et simple du voyageur chargé de com-
mander cette expédition , lo soin avec lequel il a écarté
tous les détails inutiles, -sa manière franche et loyale, ne savi-
raient manquer de frapper tous les lecteurs. Nous le lais-
serons souvent parler lui-même. Examinons rapidement
ritinéraire qu'il a suivi, nous présenterons ensuite an pu-
blic les circonstances les plus intéressantes de sa relation.
Le 17 septembre \^ii , le brick Jane de Leilh, du port
de cent soixante tonneaux , et de vingt-deux liomraes d'é-
quipage , et le cuUer Betiufoy de Londres , de soixante-cinq
tonneaux, monté par treize hommes , tous deux approvi-
sionnés pour deux ans ; le [ reniier, commandé par M. Wed-
flell 5 le second, par M. Mathieu Brisbane, partirent des
Dunes pour a'ier vers le sud, à la recherche des peaux de
veaux marins. Les deux navires, s'étant séparés à la pointe
de Portland, se rejoignirent le i4 octobre à Bona-Vista ,
une des îles du Cap-Vert, pour faire provision de sel. Le
i-' novembre, ils passèrent la ligne, et ils abordèrent le rq
novembre à Sainte-Hélène, pour réparer leurs avaries. Le
7 janvier suivant , le capitaine Weddell aperçut des îles de
glace, et après avoir exactement suivi les traces de Cook,
il cingla droit au sud. Le tems était sombre et nébuleux ,
la température de l'air ne s'élevait qu'à deux degrés au-
dessus de zéro R. ; celle d3 l'eau était à zéro ; le vaisseau se
trouvait par les6i° 44' de latitude , et les 5 1° i5' i5" de lon-
gitude du méridien de Greenwicli. Ecoutons l'auteur :
« Après avoir navigué long-tems au milieu des brouil-
lards avec un vent frais, l'humidité pénétra leilement nos
vaisseaux , que les équipages tombèrent malades. Les ma-
telots étaient tourmentés par des catarrcs et des rhuma-
tismes. Pour les préserver de cette fâcheuse influence ,
Ji. aS
5ro T'oyugs Ml jjôIo aiislrai.
j'ordonnai qu'on entretînt un feu constant au poêle de îa
cuisine , afin de faire se'cher les vôtenxens ; et bientôt , à
l'aide de quelques précautions hygiéniques , toutes ces in-
dispositions se dissipèrent.
» Le 6 et le 7 février, nous remontâmes plusieurs îles
de glace, dont Tune me parut avoir deux milles de largeur
et deux cent cinquante pieds d'élévation. L'observation
nous donna 64° i5' de latitude, et les chronomètres 5o° 46'
de longitude. A dix heures du s'oir, le tems étant fort obs-
cur, nous faillîmes donner contre une île de glace , près de
laquelle le Beaiifoy, qui nous serrait vivement, manqua de
se briser. Le q , nous crûmes voir la terre vers le nord-
ouest; mais après avoir cherché à atteindre cette terre ma-
gique , novis reconnûmes notre erreur : c'était vme masse
de nuages. Le vent passa biaisquement au sud , et souffla
avec rce par rafales.
» Le lo, au point du Jour, le contre-maître signala une
terre en vue , sous la forme d'un pain de sucre. Je supposai
que ce devait être un roc, et je m'attendais à rencontrer
un continent à peu de distance vers le sud. Nous n'y tou-
châmes qu'à deux heures après midi , et alors seulement ,
à la distance de 3oo mètres , on put se convaincre que ce
que nous avions pris pour une terre n'était qu'un bloc im-
mense de glace noire. Une autre île de glace parfaitement
blancbe, presqu'unie à la première , formait avec cel!e-c'
un contraste singulièrement pittoresque. La partie septen-
trionale ^e cette masse était tellement liée à une espèce de
terre noire, qu'on l'aurait prise pour un véritable rocher.
Ce désappointement contribua à décourager les équipages,
qui espéraient trouver pins tôt une compensation à leurs
fatigues.
» Le vent soufflait du sud avec violence , et nous aurait
portés rapidement vers le nord; mais l'aspect de cette île
et de la grande quantité de terre qu'elle contenait, me fit
Voyage au pôle austral. 3 1 1
«apposer que nous ne pouvions larder d'arriver au point
d'où elle s'était détaclice. On mit en panne, et je gardai le
vent. Je dois observer ici que ces rochers douteux , indi-
que's sur les cartes de l'Atlantique du Nord, n'ont proba-
blement pas d'autre origine que celle dont je viens de par-
ler : leur position u'a pu être solidement établie , au grand
regret de tous les navigateurs. Nous étions alors par le 60"
26I de latitude, et les 5o° 52' de longitude du méridien de
GreeuAvich. »
L'auteur continue de tracer avec une exactitude qui sera
appréciée par tous les marins , l'itinéraire de sa périlleuse
navigation, jusqu'au y 1™^ degré de latitude. Acetle distance,
la mer lui parut presqu'entièrement couverte d'oiseaux res-
semblaus aux pétrels bleus. Le tems était alternativement
obscur et serein ; mais M. Weddell ne put tenir compte de
la température : il avait brisé ses deux thermomètres par
accident. Parvenu au 74^ degré de latitude, le 120 février
1825 , au milieu des glaces, le chef de l'expédition ne put
gouverner au sud , retenu qu'il était par le vent contraire -,
jugeant d'ailleurs que la saison , déjà fort avancée , rendrait
son retour très-pénible à travers les îles de glace semées
sur une ligne directe de plus de six cents lieues, il profita
du vent pour quitter ces parages qu'aucun navigateur n'a-
vait reconnus avant lui. Laissons-le continuer son récit :
« J'ai fait tous mes efï'orts pour apercevoir ces aurores
australes que Forster remarqua dans son voyage autour du
monde, avec le capitaine Cook, en 1773 j et quoique le
soleil fût sous l'horizon pendant plus de six heures par
jour, je n'ai rien aperçu. Je suppose que le crépuscule était
la seule cause qui m'empêchait de jouir de la vue de ce
phénomène. Je partage également l'opinion du capitaine
Cdok, sur la formation des montagnes de glace : cet il-
lustre navigateur pense que tous les bancs de celte nature
partent d'un continent, et ne se forment jamais en plein
3l2 Voyage au j)6lc austral.
iner. On a l'ait beaucoup de systèmes sur l'extrême rigueur
de la terapérnUiî-e de i'iiéjnispiière austral. Bernardin de
Saint-Pierre croit q^u'elie vic-iit d'une coupole de glaces qui
entoure le pôle sud , et qui s'éler.d au loin vers le nord.
Ne serait-il pas plus raisonnable «le supposer que cette terre,
inconnue à Cook . que nous avons trouvée par le 6i^ deg'é
de latitude , est la cause principale des froids excessifs qu'on
essaie d'expliquer par toutes sortes d'hypolbèses? J'ai cons-
taté oue la température de fair et de Feau n'était pas des-
cendue au-dessous de zéro, pendant notre passage entre
les 60 et 6 1 degrés de latitude : on ne peut donc attribuer
qu\TUx îles de glace, dont les terres australes sont entourées,
la rigueur des bivers qui les désolent. Cette supposition
est d'autant plus vraisemblable , que lorsque nous fûmes ar-
rivés au 74*^ degré de latitude, où il n'y a plus de terre,
la mer s'ouvrit devant nous calme et libre } elle est donc
moins l'roide qu'on ne l'imagine, en approcbant du pôle,
et il reste encore un beau cbamp de découvertes à exploiter.
» Dès que ma résolution de partir fut arrêtée, je fis si-
gnal au Beaufoy d'appareiller pour le nord-ouest et de for-
cer de voiles. Les matelots étaient singulièrement contra-
riés du mauvais succès de notre expédition, parce que
leurs intérêts dépendaient de la découverte d'une terre aus-
trale et des cbargemens qu'on y pourrait faire. Pour leur
rendre un peu de courage, je ui'emprcssai de recounailre
leur zèle et leur patience , et de leur annoncer qu'ils se
trouvaient sous une latitude inconnue à tous les navigateurs.
Le pavillon national fut bissé , salué d'un coup de canon et
d'une triple salve d'applaudissemens. Une distribution d'eau-
de-vie acbeva de ranimer les esprits. »
Les deux vaisseaux revinrent par la Gjjorgie du sud , le
cap Horn , les îles Falkland, où ils passèrent l'biver, Santa-
Crux et Montevideo. Ils arrivèrent de celte dernière ville
à Falmoutb après une traversée de cinquante-neuf jours et
Voyage au pôh austral. 5 i J
uue abseuce d'environ t'eux ans. On conçoit à peine com-
ment ces deux fi'èles navires , dont les carcasses navaieul
pas plus de deux pouces et demi d'épaisseur, ont pu échap-
per aux dangers de toute espèce qui ics altendaieul dans les
mers autrales, fameuses par tant de naufrages!
Nos lecteurs n'accueilleront pas sans intérêt quelques cita-
tions du récit de cet important voyage. L'introduction est
précédée d'un exposé de la route des deux vaisseaux . tracée
avec habileté. L'auteur v a joint des cartes de la rivitre de
Santa-Cruz, du port de Sainte-Hélèae, des iles Falkland,
du cap Horn , et d'une partie des cotes de la ïei-re-de-Feu ,
avec une fovde de particularités utiles à la marine. Danô
plus d'une circonstance , il a relevé les erreurs des anciens
navigateurs , avec une exactitude et une réserve qui font
honneur à ses talens et à son caractère.
« Lorsque nous fûmes arrivés scus le 65° 21' de lati-
tude et par le 4^° 22' de longitude, nous étions en posi-
tion d'observer cette fameuse terre de glace , qui est indi-
quée dans toutes les cartes de la mer Atlantique du sudj
mais malheureusement cette terre n'existe pas. 11 est fâ-
cheux que plusieurs marins se plaisent à propager ces er-
reurs hydrographiques , et je plains ceux qui , pouvant jeter
quelques lumières sur l'état du globe qu'ils habitent, ne
prennent pas la peine de faire des observations souvent
très-faciles. Mais l'extrême répugnance que j'éprouve h
censurer ceux de mes concitoyens qui suivent la même
carrière que moi, m'empcche de signaler les erreurs gra-
ves qu'on pourrait reprocher à quelques-uns d'entr'eux ,
erreurs très-préjudiciables, surtout à la marine marchande,
et qui sont dues à la faiblesse, à la négligence ou à l'avarice
de plusieurs capitaines. C'est ainsi qu'on a signalé comme
des rochers douteux, sur toutes les cartes de l'Atlantique
du sud, les îles de glace couvertes de terre d ni j'ai déjà
parlé.
3 1 4 Voyage au pôle austral.
M Le 17 avril, rextrémité orientale de la Géorgie nous
apparut au nord-est, à la dislance de quatorze milles (près
de cinq lieues). Le vent fraîchit tout -à -coup en passant
au sud, et rendit la mer très-houleuse 5 le 18, le tems
devint très-nébuleux et jn'empccha d'observer les rochers
que je désirais voir. On les suppose placés par 53 degrés
48' de latitude et sous le 4-^*^ degré 25' de longitude , h
fleur d'eau ; mais ils s'élèvent en pain de sucre à la hau-
teur de soixante ou soixante-dix pieds 5 leur hase est en-
tourée de brisans. C'est ce qui les aura fait prendre pour
les îles Aurora. I^e vaisseau de guerre espagnol VAtreinda
ayant été envoyé , eu 1796, pour examiner les prétendues
îles Aurora , rencontra probablement ces trois rochers , et
il crut avoir réellement découvert trois îles qui furent im-
médialement adjugées au gouvernement espagnol. Ces îles
ont été indiquées sur nos cartes, avec la route de X Atrcvida,
et elles trompent encore tous ceux qui croient à leur exis-
tence. Il en résulte de grands inconvéniens pour la navi-
gation autour du cap Ilorn.
» Ayant habité les îles Falkland pendant deux hivers, et
visité presque tous leurs ports , j'espère pouvoir offrir sur
ces parages, des documens qui ne seront pas sans utilité.
» Ce groupe de terres désertes , connues sous le nom
d'îles Falkland, est formé d'environ quatre-vingt-dix îles
qui s'étendent du 45* degré de latitude jusqu'au 52° 45' sud,
et du Sy^ degré de longitude jusqu'au 61° 4t>' o"^st. Deux
de ces îles sont d'une étendue considérable •. la plus grande
n'a pas moins de trente-quatre lieues de long et de seize
lieues de large. Elles sont séparées par un détroit de trois
à quatre lieues de largeur, dans lequel on trouve quelques
îles plus petites. Ce détroit est navigable pour des vais-
seaux d'une certaine grandeur, et on peut le traverser sans
danger. J'ai séjourné dans tous les ports qu'on y rencontre,
et je les ai trouvés très-commodes et comparables aux
Voyage au pôle austral. 5i5
meilleurs mouillages connus. Sur la oôle nortl de la plus
occidentale de ces îles , on aperçoit plusieurs ouvertures ;
la principale est celle du port Egmont , visible à une assez
grande distance en mer. Ce port est immense; mais quand
le vent souffle avec violence^ les communications ayec le
rivage deviennent très-difficiles. I/aiicrage le plus voisin
du port Egmont est le port de West- Point ( pointe de
l'ouest), situé à rextrémité occidentale de la terre sud du
détroit de Berkeley. Les îles de Jason sont au nord-ouest,
sur la route qui mène à Touverlure du sud. Il faut bien se
garder d'y aborder pendant la nuit ou par une mer liou-
leuse, parce que la marée est si forte qu'elle s'oppose à la
manœuvre des vaisseaux. »
Nous renvoyons à l'ouvrage même, les marins qui vou-
dront profiter des uliles observations de M. Weddeil. L'au-
teur a tenu ce qu'il avait promis ; its ne pourraient suivre un
meilleur guide. Sa description du détroit de Berkeley mé-
rite d'être étudiée par tous les navigateurs; on sait que c'est
à l'entrée de ce bras de mer, sur un écuei! nommé le roc
du Volontaire , qu'une frégate française s'est perdue au
mois de février 1820.
Les considérations sur les îles de Shetland du sud sont
dignes de l'attention générale. Cet archipel a été découvert
seulement eu 1819, par M. William Smilli, capitaine du
brick le TVilliam , dans un voyage de Montevideo à Val-
paraiso. Il occupe l'espace compris entre le Gi" et le 65*
degré de latitude, le 54° et le G5o de longitude, et il se
compose de douze îles principales environnées d'une in-
croyable quantité de rochers^ on y trouve quelques bous
ports.
La Géorgie du sud fut découverte par M. de La Roclie ,
en 1G75. Eu 175G, elle fut visitée par un vaisseau nommé
le Lion} mais elle n'a été bien connue que par Texpé-
dilion du capiloiue Ccok, en «771. Le rapport officiel de
<
"rT) T^oyage au pôle austral.
cel illustre navigateur engagea beaucoup d'ai'matears à s'y
rentlre, pour faire des chargemens tle peaux de veaux ma-
rins et d'huile d'éléphaus de mer, dont il avait annoncé
l'existence. Ces races d'animaux sont presque éteintes au-
jourd'hui ; mais j'ai su que depuis l'année où on les vit pour
la première fois , ou en avait tant rencontré que les mar-
chés de Londres avaient reçu plus de vingt mille ])arils de
leur huile. On chargeait aussi, dans !e même lems , nne
quantité considérable de peaux de veaux marins 3 mais les
Anglais n'ayant pas su les^^préparer convenablement, cette
branche de commerce fut abandonnée aux Américains.
Ceux-ci les portaient à la Chine, ovi ils les vendaient sou-
vent citiq et six dollars la pièce (25 on 5o fr.). On peut
évaluer à douze cent mille le nombre total de ces exporta-
tions de la Géorgie du sud. La longueur de l'île est d'envi-
ron trente lieues , et sa largeur moyenne de trois lieues.
Elle est le\\eïï\tix\\. festonnée par des baies , que dans quelques
endroits les deux bords de ces petits mouillages paraissent
se toucher. Les cimes des montagnes sont très-escarpées et
toujours couvertes de neiges. Dans les vallées, la végéta-
tion ne manque pas de force pendant l'été. On y remarque
surtout une espèce de fourrage, dont les liges , très-vigou-
reuses , s'élèvent communément h deux pieds de hauteur.
Il n'y a point de quadrupèdes , mais l'île est peuplée d'oi-
seaux et d'animaux amphibies.
« Les pingoins , dont le nom vient du latin pijiguedo ,
sans doute à cause de leur embonpoint, marchent ordinai-
rement en Ix'oupes. On voit ces oiseaux se promener sur le
rivage avec une contenance fière , la tête haute, comme les
paons , auxquels, d'ailleurs , leur plumage ne saurait être
comparé. Lorsqu'on les aperçoit de loin, par un ieras né-
buleux, on les prendrait pour un corps de soldats. C'est
ce qui trompa probablement Sir John Narboroug, lors-
(ju'il l<\s comparait fnncmr<nt v à des bnndrs d'enfans pnr-
J'^oyage au pôle austral. 3 1 'j
îaiit des tabliers blancs. » Toutefois , ceux qu'il a décrits ne
sont qu'une espèce bien iL-férlenre au piogoin-roi dont il est
question ici.
» Ceux-ci ont l'air de se fuir au moment de la mue, à
cause du triste état où leur plumage est réduit; mais lors-
qu'ils ont retrouvé cette parure, iis se rapprochent, et re-
prennent leur genre de vie accoutumé. C'est une chose
véritablement amusante , que de les voir s'admirer eux-
mêmes avec complaisance, et visiter leurs ailes avec soia
pour en écarter les plus légères souillures. Au commence-
ment de janvier, ils pondent et couvent leurs œufs. Pen-
dant le lems de !a couvée, le mâle est très-assidu, et
lorsqTic la femelle quille le nid, c'est lui qui la remplace.
Lorsqu'ils n'ont point de nid , ils prennent les œufs avec
précaution et les placent , en s'aldanl mutuellemeat , entre
leur queue et leurs cuisses. On remarque chez la femelle ,
une espèce de poche destinée à cet usage.
» La mère s'occupe de l'éducation des petits pendant
près de douze mois , durant lesquels ils ont le tems de re-
nouveler et de compléter leur plumage. Lorsqu'il s'agit da
leur apprendre à nager, elle use quelquefois d'artifice ; si le
petit refuse d'aller à l'eau , elle le conduit sur le bord d'uu
rocho^r et le précipite avec elle dans la mer, jusqu'à ce qu'il
s'y plonge de lui-même.
» L'albatros (le diomedia de l'ornithologie méthodique),
est un oiseau qui a élé souvent remarqué par nos naviga-
teurs au sud du cap de Bonne-Espérance et dans les lati-
tudes australes ; mais comme on en rencontre une quantité
prodigieuse dans l'île de Géorgie , il me semble naturel de
citer ici quelques-unes de ses habitudes, qui sont véritable-
ment singulières. L'albatros a seize ou dix-sept pieds d'en-
vergurej il est si abondamment revêtu déplumes, que
lorsqu'on l'en a dépouillé, il présente à peine la moitié du
volume qu'il avail auparavant.
Jl. 3y
5 18 T^ojage au pôle auxiral.
« Rieu n'est plus amusant que leur manière de faire Fa-
mourj le mâle et la femelle se dirigent l'un vers l'autre
avec de grandes cérémonies , remuent leur bec en cadence,
secouent leur tête, et semblent se contempler avec une
attention profonde. Ce manège se prolonge quelquefois
pendant deux heures, et ne manque pas de ressemblance
avec la pantomime des amans. Les albatros ont beaucoup
deforcedansle bec, et je les al vus, même dans leurs nids,
se défendre vigoureusenient contre les attaques d'un cbleiu
Leurs pieds sont palmés, et tellement larges que, lorsque
la mer est tranquille, ils se promènent sur sa surface, en
agitant légèrement leurs ailes dont le bruit s'étend à une
distance considérable. La qualité de leurs œufs est infé-
rieure à celle des œufs d'oie ; Us ont moins de jaune et plus
d'albumine, en proportion de leur grosseur j ils pèsent
environ une livre et trois quarts. Tous les albatros et les
oiseaux, de cette espèce pondent au mois d'octobre, et leui'S
œufs sont d'une grande ressource pour les navigateurs. »
Après avoir parfaitement décrit les îles Falklaud et la
Géorgie du sud, M. Weddell introduit ses lecteurs dans
la Torre-de-Feu. Cette conlrée si peu connue et si digne
de l'être , puisque ses côtes se trouvent sur la route qui
mène au Chili et au Pérou, mérite cependant, à plusieurs
égards , d'exciter la curiosité européenne. « Les îles qui la
composent, dit l'auteur, occupent un espacé de plus de cent
vingt lieues de l'est à l'ouest , le long .du détroit de Magel-
lan ; leur largeur est d'environ cinquante-cinq lieues, de-
puis le détroit jusqu'à l'extrémité du cap Horu. Ce pays
contient une population considérable, principalement sur
les bords du détroit. On aperçoit, dms l'iniérleur, quel-
ques sommets de montagnes toujours couverts de neige ,
quoique le plus élevé ne paraisse p." s avoir plus de trois
mille pieds de hauteur. La longueur des jours d'été produit
un elTt t ravissant , pî. lorsque le tems est beau et la mer
Voyage au pôle austral. 5ig
tranquille, les paysages ont un aspect extrêmement pit-
toresque. Le volcan, observé déjà plusieurs fois par des
voyageurs qui doublaient le cap Horn, n'e'lait pas visible
à cette époque j mais j'ai ramassé une grande quantité de
laves qui doivent en être les produits. Le capitaine Basî'e
Hall l'aperçut tout embrasé en iB-aa , lors de son passage
au cap, sur le vaisseau de Sa Majcsié , le Conway^ et moi-
même , en 1820, lors de mon premier voyage, j'ai vu le
ciel tellement rouge au-dessus de la Terre-de-Fea , que je
ne puis attribuer ce phénomène qu'à une éruption volcani?-
que. Le climat de cette contrée a été décrit très-diversement
par les voyageurs , selon l'époque où ils l'ont visitée. Le
fait est que la température y dépend beaucoup de l'intluence
des vents i car au milieu de l'été , quand le vent souffle du
pôle , le thermomètre ne s'élève qu'à deux ou trois degrés
au-dessus de glace , tandis que lorsqu'il souffle de la ligue ,
le tems devient aussi cliaud qu'au mois de juillet, en An-
gleterre. Je n'ai vu de quadrupèdes que des chiens et des
loutres , et je ne pense pas qu'il y en ait daulres au sud du
détroit de Magellan.
» Le Jaiie et le Beaiifvoy mouillèrent dans la petite cri-
que de Saint-Martin, où nous reconnûmes les sauvages à
leurs cris et à une foule de gestes qui étaient des signes
d'amitié. Comme ils ramaient à quelques mètres du na-
vire, j'invitai les hommes de l'équipage à leur rendre ces
témoignages de bienveillance, pour les décider à venir à
bord j mais ils commencèrent par s'y refuser. Il y avait de
la surprise et de l'agitation dans leur manière d'être , car ils
ne cessèrent de s'entretenir vivement entr'eux pendant ua
grand quart d'heure. Peu à peu l'ellVoi que nous leur ins-
pirions s'élant calmé, ils ramèrent tout autour et très-près
du vaisseau , paraissant tout-à-fait inccrtaius si c'était une
masse inerte ou animée ; et quoiqu'ils en pussent juger fa-
cilement par analogie avec leurs chaloupes, leur intelli-
3'iô Voya<^e an pôle austral.
^ence n'alla point jusque-là. Enfin , après s'être famiiiari»-
ses avec notre présence , ils se hasardèrent à monter sur le
pont. Les deux, ou trois premiers qui se présentèrent avaient
si mauvaise mine , que je crus leur rendre sen'ice en leur
offrant à boire et à raaoger. Je leur fis servir du bœuf,
du pain et du viu : ils mangèrent un pevi de bœuf, mais
ils ne voulurent pas toucher au pain , cl i!s refusèrent le
vin de Madère.
» Je m'aperçus ([u'ils laissaient prudemment leurs fem-
mes dans les canots , et je n'en fus point fâché , parce que
la jalousie extrême des sauvages aurait pu rendre leur
présence très-désagréable sur le navire. Toutefois, je crus
devoir leur faire une galanterie , et je leur offris du vin
dans une coupe vernie : mais ce petit ustensile leur parut
tellement précieux que, dans leur admiration , elles répan-
dirent le vin qui était contenu, et le iendemain j'aperçus
les morceaux de ma coupe suspendus au cou de toutes ces
dames.
» Les hommes paraissaient surpris de tout ce qu'ils
voyaient , et le fer surtout captivait leur attention. Une
barrique de fonte , qui pouvait contenir sept à huit cents
litres d'eau, les effraya tellement qui.ls n'osèrent pas eu
approcher. A'^oyant leur goût pour ce métal, je fis présent
à chacun d'eus d'un cercle de fer, dont j'avais une grande
provision à bord.
» Le lendemain niatin, au lever du soleil, ils accouru-
rent vers le vaisseau , et témoignèrent , par de grands cris
de joie, le désir qu'ils avaient de nous voir. J'avais donné
l'ordre qu'on ne les laissât pas monter jusqu'à ce que tous
les matelots fussent rendus sur le pont , ce qui avait lieu
ordinairement à quatre heures. En peu de tems , nous vî-
mes approcher un iroisième canot, qui s'arrêta à quelque
dislance du navire, et cette arrivée nous fil supposer que
les nouveaux venus avaient été informés, par les conipa-
Voyage au pôle austral, 52 1
Irioles, clu bon accueil que nous leur avions fait. Le nom-
bre des visiteurs s'élevait à vingt-deux, hommes, femmes
et enfans. Je leur montrai les cabines et les différens oljjets
d'ameublement , parmi lesquels un poêle et des miroirs pa-
rurent exciter leur admiration. Ils se regardaient avec em-
pressement, et faisaient devant ces miroirs une foule de
grimaces qui nous dlverùssaient beaucoup.
» Lorsqu'ils revinrent, ils étaient tous en costumes di-
vers, les uns revêtus de plumes Lieues, les autres peints
en noir de ]aisj quelques-uns, parmi les hommes surtout,
avaient la face sillonnée de lignes parallèles rouges et
blanches. Dans cet étal , ils présentaient une physionomie
si grotesque, que nous ne pouvions nous empêcher d'en
rire jusqu'aux larmes. Ils étaient devenus très-familiers, et '
ils nous accordaient volontiers tout ce que nous leur de-
mandions; trop heureux, îorsqu'en échange, nous leur
donnions quelques cercles de fer dont ils faisaient si graud
cas. Ces petites transactions leur ayant inspiré l'amour du
gain , ils trouvèrent plus simple de voler ce qui était à leur
convenance, et nous eûmes occasion d'observer par hasard
leur penchant à l'imitation , à l'occasion d'une de leurs fri-
ponneries.
» Un matelot avait donné à l'un d'eux un pot d'élain
plein de café, qui celui-ci but sur-le-champ, et il garda
le pot. Le matelot , s'apercevant que son pot avait disparu ,
le demanda vivement, et, malgré l'énergie de sou geste,
personne ne se présentait pour restiiuer l'objet volé. Après
avoir employé tous les moyens imaginables, cet homme ,
furieux et prenant une attitude tragique, s'écria d'un ton
anime : « Canaille cuivrée, qu'as-tu fait de mon pot ?» Le
sauvage, imitant aussitôt son attitude, redit en anglais, et
sur. le même ton : « Canaille cuivrée, qu'as-lu fait de mou
» pot? » L'imitation fut si exacte et .si prompte , que tout
l'équipage en (iclala de rire, excepté le matelot qui s'é-
5a2 Voyage au pôle austral. "■
lança sur le voleur, le fouilla et retrouva son pol trétain.
M. Brisbane intervint , et fit cesser ce difTcrend en ren-
voyant le fripon de son bord, »
M. Weddell repre'sente les habitans de la Terre-de-Fou
comme lout-à-fait misérables. Yivant sous un climat se'vère,
et dans un pays de montagnes presque stériles , ces infortu-
nés sont dans un état d'abrutissement inexprimable j leurs
îles nourrissent fort peu de quadrupèdes j ils n'ont pas
même la ressource de la cbasse, et leurs occupations s■^
bornent à pêcber, quand la saison le permet. Ils ne parais-
sent avoir aucune espèce de croyance religieuse. Ils sont
doux et même timides, et le seul bruit d'un coup de canon
répandit la terreur parmi eux. Ils se procurent du feu en
frottant vivement des fragmens de pyrites contre le silex ,
et en recueillant les élincelles sur une substance sèche,
analogue à la mousse. Leurs armes sont l'arc, la fionde
et une sorte de lance armée d'un os poiatu. Nous n'avons
remarqué chez eux ni clief, ni maîlre quelconque; leurs
rapports paraissent d'une nature très - bienveillante , et
l'on eût dit que tout était commun enlr'eux. — Mais nous
avons assez fait connaître riutérèt répandu sur toute cette
narration, pour donner à nos lecteurs le désir de l'étu-
dier dans l'ouvrage de M. Weddell. Nous pouvons assu-
rer qu'il est peu de livres écrits avec plus de sagesse , de
franchise et de simplicité.
[Literary Gazette.)
SCÈNES ET IMPRESSIONS Eîs EGYPTE (i).
Sous le titre de Scènes et impressions en Egypte et en
Italie^ l'aimable auteur des Esquisses de l'Inde (2), a
rendu compte du voyage qu'il a fait de Bombay à Douvres,
à son retour dfs possessions de la Compagnie. Celle nou-
velle production nous paraît encore supérieure à la pre-
mière : les descriptions y sonlplus aciievéesj le sentiment
poélique y est plus vivement empreint ; ks réflexions qu'on
y rencontre sont d'un ordre plus cievé ; et les sujets qui
y sont traités présentent, en général j plus de variété et
d'intérêt. Il nous sera facile de justifier nos éloges par des
citations que nous emprunterons exclusivement à la pre-
mière partie; car Tllalie a été si souvent, et quel([uefois
si bien décrite, que la seconde, quel qu'en soit d'ailleurs
le mérite, doit nécessairement offrir un attrait moins vif à
la curiosité.
Ce fut eu 1822 , que l'auleur quitta l'Hindostan et
sembarqua sur un bâtiment frété pour la Mer B.ouge. La
description qu'il a faite de ce bâtiment nous paraît fort
heureuse : /
" Notre vaisseau , par sa construction grossière , devait
ressembler parfaltemeut à ceux qui, dans i'anliquité et dans
les tems postérieurs , apportaient les riches cargaisons de
l'Inde aux rois grecs de l'Egypte, aux préfets que les Ro-
mains y envoyaient, et aux cailfes arabes. Il était muni
d un compas et d'une ]jousso!e, et noire nakhoda, ou pi-
lote, faisait tous les jours ses observations avec une barbe
aussi noire et aussi longue que ceile d'un magicien , et une
solennité au mcfins égale. Mais, quoique ces peuples aient
(i) Scènes and Impression in Ej^ypt and in Ilaly. London , 182^.
(■.>.) Vove7, l'extrait des Es'/uisses de V Inde , dans la première livrai-
jon du orcmicr volume.
52 J Scènes et Impressions
atloplé ces iovenllous tîes injidèles , ils construisent et ils
équipent leurs navires tout aussi mal qu'ils le faisaient ja-
dis. Le nôtre avait un gouvernail qu'il était très-cliflficile de
manier; mie e'norme voile suspendue à une vergue d'une
longueur démesurée , que les efforts de cinquante hommes
ne hissaient qu'avec peine au haut du grand mât. Quant au
mât d'artimon, il était si petit qu'à peine aurait-il pu con-
venir à un bateau pêcheur. Notre cargaison consistait en
balles de colon , entassées sans précaution les unes sur les
autres, à une grande hauteur; on eût dit que notre na-
vire était une portion du quai, violemment détachée du
rivage par quelque convulsion de la nature, et emportée
sur les eoux. avec toutes les marchandises dont elle était
couverte. »^
, Ce n'est pas avec moins de bonheur qu'il peint l'équipage
et les divers passagers qui se trouvaient à bord. Dans le
nombre , il y avait plusieurs femmes; mais notre voyageur
ne les entendit et ne les vit pas une seule fois ('ans tout le
cours de la traversée. Leur réclusion était si complète ,
qu'une d'enlr'ellcs mourut et fut jetée à la mer, et que les
passagers n'apprirent cet événement que plusieurs jours
après qu'il avait eu lieu. Comme elles étaieut ensemble ,
leurs maris ne pouvaient même pas communiquer avec
elles; il n'y avait qu'un eunuque, qui faisait leur cuisine,
qui eût accès dans leur chambre.
« C'était avec une vive satisfaction, dit notre voyageur,
que je considérais tout ce qui se passait autour de moi , cl
le souvenir de quelques-unes des scènes dont jai été le té-
njoin , ne sortira jamais de ma mémoire. J'éprouvais une
émotion toujours nouvelle, lorsqu'à l'heure paisible du soir,
les Arabes se réunissaient pour la prière , tandis que le
vent nous entraînait avec rapidité à travers les flots , qu'il-
luminaient les feux du soleil couchant, et qui , après avoir
loncbé le navire en se soulevant . se dérobaient sous lui.
eji E^yple, "^5
truand je voyais tous les passagers profondénieut inclines
vers la terre, et que j'entendais cei aineen prolongé, en-
tonné, en méTue tcms , par leurs vois, graves et fortes, je
joignais involontairement à la leur nia prière silencieuse.
Il y avait, dans les formes à la i'ois simples et solennelles
de leur culte, quelque chose qui rappelait vivement l'âge
et le { aysdes patriarches. »
Il relâcha heureusement à Moka , dont il lait une pein-
ture agréable , et s'embarqua ensuite pour Djedda. Chaque
nuit, ils jetaient l'ancre près du rivage, et . ordinairement,
on permettait aux [ assagers de se promener pendant une
lieuie dans le désert. La description suivante da chameaii
est le fruit d'une de ces excursions.
« A l'heiire où le soleil , à son coucher, colore le désert
d'un rouge ardent, c'est un spectacle curieux de voir paître
le chameau. Je me plaisais à considérer la forme élancéf^
de celui que j'avais sous les yeux, son allure indoîeute ,
son grand col d'autruche, tantôt incliné vers la terre et
tantôt élevé dans toute sa longueur, lorsqu'il regardait ce
qui se passait autour de lui, avec une curiosité lranqulli(%
Il n'est guère possible tic voir un chameau, sans que , par
une transition naturelle , vous ne soyez amené à sonrer à
l'enfance du monde, à ces rois pasteurs, à leurs tentes , à
leurs trésors champêtres , à leurs courses et à leurs stations
dans le désert. I/heure, la scène qui s'oflVait à moi dans le
lointain, la majesté extraordinaire de cette chaîne irrégu-
lière de montagnes hautes et sond)rcs , qui se terminait
au cap de Ras el Askar; tout concourait à entretenir et à
augmenter mon émotion. >>
A Djedda, il eut une audience de l'Aga. Voici en quels
termes il en rend compte.
« Ruslan Aga était ua homme de bonne mine, d'une
physionomie fière et martiae; il avait des niouslnche.s ,
JX- 5o
5u6 Scènes et Impressions
mais point de barbe ; sa robe était d'un rouge écarlale.
Hussein Aga, assis à sa gauche, avait un beau profil et
îine longue barbe grise 3 un ruban noir cachait la place
d'un œil qu"il avait perdu 5 il était vêtu d'une robe d'un
bleu pâle.. A la droite de l'Aga, se trouvait Araby lel-
lanny, vieillard fort âgé , qui avait un air simple et véné-
rable. Les autres individus qui étaient dans rappartement ,
portaient des vestes courtes et de larges pantalons d'un
brun foncé; le manche, surchargé d'ornemens , de leurs
pistolets, sorlait de leurs ceintures cramoisies ; leurs sabres
recourbés pendaient devant eux , soutenus par un cordon
d'argent; ils avaient dés turbans blancs , de larges mousla-
ehes , mais leur menton était rasé avec soin. Leur teint
était pâle, comme l'est en général celui des hommes qui vi-
vent dans la réclusion. Leurs bras étaient ployés , et leurs
yeux étaient fixés sur nous; ils étaient au moins une
douzaine. Je n'ai rien vu de semblable , même en Egyple ;
car Dj'edda est un excellent gouvernement, à cause du voi-
sinage de la Mecque , et l'appareil qui environnait Rustan
Aga avait quelque chose d'imposant. Il a le droit de vie et
de mort; s'il eût dit un mot ou fait un signe, tous ces
hommes qui nous regardaient avec des physionomies si
paisibles , si pâles, si respectueuses , auraient souri et nous
auraient égorgés.
» C'est ici que j'eus occasion de voir, pour la première
fois, un scribe copte : sa robe, son turban , ses babouches^
ses larges pantalons, en un mot, tout son accoutrement
annonça-it un homme d'un rang élevé ; il portait son écri-
toire, qui est tantôt en argent et tantôt en cuivre . dans
les plis de sa ceinture , comme un poignard. Lorsqu'on lui
dit de s'en servir, il tire une feuille de papier de dessus sa
];oilrine, la coupe avec des ciseaux, et écrit sur ses genoux
la lettre qu'on lui dicte. Lorsqu'elle est terminée, il la pré-
iente à Tapprobalion tle celui qui l'a diclée , qui la lui rend
ensuite d'un air insouciant et hautain, et lui jette son an-
neau pour la sceller. »
Le soldai turc nous paraît très-bien peint dans le passage
suivant :
« Les soldats turcs excitaient surtout ma curiosité à
Djedda ; il y en avait dans cette ville un corps considé-
rable; c'était une divbion de rarinée envoyée, il y a deux
ou trois ans, par Mobammed-Ali , contre les Wechabites.
On eu rencontrait de tous les côtés; les uns circulaient
isolément ou par groupes, dans les allées du bazar; les
autres étaient accroupis ou étendus sur les bancs des cafés.
Plusieurs portaient des turbans et des vestes à manches
couvertes de broderies ternies; mais la plupart n'avaient
qu'un simple gilet, un petit bonnet et des bas rouges qui
ne couvraient pas leurs genoux, et une chemise dont les
larges manches, souvent retroussées jusqu'à l'épaule, lais-
saient voir des bras velus et nerveux; tous avaient des pis-
tolets dans leur ceinture. Il s'en fallait de beaucoup que leur
teint et leurs traits présentassent un aspect uniforme; un
grand nombre avaient des yeux d'une couleur claire; leur
moustache était en général d'un jaune sale : ou eût dit
qu'elle avait été brûlée par l'ardeur du soleil. Quant à leur
regard , il était, comme celui du tigre, à la fois indolent
et féroce.
» Le soldat turc peut s'asseoir, fumer et dormir pendant
deux ou trois ans consécutifs; il hait le mouvement et mé-
prise la discipline. Quelquefois cependant il est capable des
plus grands efforts , et, après un long l'epos, il se précipite
sans crainte au milieu du carnage , en poussant ses clameurs
guerrières. Les troupes de Djedda avaient d'abord été en-
voyées de Coustanlinoplc en Egypte, cl elles étaient égale-
ment familiarisées avec les neiges de la Thrace et le soleil
de l'Arabie. Plusieurs des hommes que je rencontrais s'é-
2b Scènes et Imprcssiûiis
talent ballus successlvemeut sur les bords du Danube contre
les Rosses enveloppés de fourrures, et, dans les plaines de
riïedjas, coulre les soldais nus des seciatcurs de Wabab.
Ce sont des bomuies semblables qui ont égorgé , dans la
Grèce, les paisibles habitans de Scio j et tels étaient aussi ,
1 Europe cbrélienne aurait dû se le rappeler, ceux, qui , il
y a moins d^m siècle, vinrent canipcr sous les murs de
Vienne. »
Après un court séjour à Djedda , notre voyageur s'em-
barqua pour Rosseïr, d"oii il se rendit à Thèbes , en traver-
sant le désert. Le récit de sou voyage dans le désert est îi
la fois rapide, pittoresque et poétique.
« La route , à travers le désert, offre plus d'iutérêt qu'on
ne serait tenté de le croire; et il serait difîicile d'en trou-
ver une plus belle. Elle est large, ferme, et pendant les
deux tiers de la distance qui sépare Kosscïr de Tbèbes, elle
serpente à travers des rocbcrs qui tantôt s'éièvent perpen-
diculairement de cbaque côté du voyageur, comme s'ils
avaient été dressés par l'art; et tantôt projetant en avant
leurs formes irrégulières, re^semb ent aux. rivages d'un
grand fleuve dont le lit serait desséclié. Quelquefois ces ro-
chers bornent, de toutes parts, votre vue, et quelquefois
vous vovez devant vous une longue vallée dominée par des
hauteurs au-dessus desquelles s'élèvent de petites tours
carrées. Il était tard lorsque nous nous arrêtâmes pour
prendre du repos, dans un endroit qu'environnaient des ro-
ches deuteléf s , et qui ofFrait l'aspect d'une baie abandoimée
par la iner : ses flots auraient pu se développer sans efforis
sur celle vallée de sables , et y bercer mollement le marin
faliguc par la teujpète. La rosce du soir avait été abondante;
nous dressâmes notre tente, et nous convînmes de nous
mettre en roule, le jour suivant, de grand matin, afin
de jjouvoir nous arrêter avant l'heure brûlante de midi.
Lorsque, le lendeu^-ain, nous nous disposions à partir, il
en Egypte. 5'ig
faisait encore naît et presque foid. Mon cliaînenu, impa-
tient de se l'élever, faillit me faire tomber, en se secouant
pour se réchaufi'er, avant que je fusse bien assis. Ces ani-
maux marcbent plus vite la nuit que le jour, et ils mar-
quent fortement sur le sol l'empreinte de leurs pieds calleux.
Pendant mon voyage dans le désert , la lune était à son
déclin. Il n'y avait pas long-tems que nous avions quitté
notre dernière station, lorsqu'elle parut au-dessus des col-
lines qui se trouvaient à notre gaucbe : elle avait Tappa-
rence d'un fer rougi au feu 5 mais en s'élevaut sur l'azur
foncé du ciel , elle reprit peu à peu ses tous argentés.
Cette belle planète a , pour le voyageur, surtout quand
c'est rOrieut qu'il parcourt, un attrait qu'elle ne saurait
avoir pour celui qui n'a pas quitté ses foyers domestiques :
elle peut l'appeler à ce dernier le souvenir de ses rêves d'a-
mour ou de quelque sérénade nocturne donnée sous des ja-
lousies enlr'ouverles ; mais quel bien ne fait-elle pas au
militaire en sentinelle; au marin, de quart sur un navire,
ou au voyageur solitaire dont elle éclaire et dont elle chai-me
la route !
» Je ne conçois pas, lorsqu'on a voyage dans le désert,
que l'on soutienne que tout y est stérile et inanimé. Dès le
matin , la perdrix et le pigeon viennent voltiger à vos pieds;
et cliercber leur nourriture sur le sentier battu pur ie cha-
meau ; ils ne sont pas timides, car ils n'ont pas anpr^s à
craindre l'homme qui traverse ces solitudes. Comment , en
effet, le camelier ou le ciiasseur j^iourraient-ils avoir le cœur
assez dur pour tuer ces aimables babilans du désert ? Je ne
vis qu'un seul daim , mais c'était de très-loin qu'il suivait la
trace de nos chameaux; il s'arrêta un instant, avança la
tête pour écouter, puis, franchissant la route , il s'éloigna
avec rapidité et se dirigea probablement vers quelque source
qui jaillit peut-être dans un endroit où l'Iiomuie n'a pas en-
core porté ses pas. »
55o Scènes et Impressions
Notre auteur n'a pas peint avec moins de vivacité et de
fraîcheur le moment où il sortit Au désert.
« C'était à la pointe du jourj le soleil commençait à ré-
pandre ses tons d'un jaune d'or sur les sables blancliâlres
du désert : je marchais seul, les yeux diriges vers la terre,
mi peu en avant de mes compagnons, lorsqu'un cri qu'ils
poussèrent me faisant sortir de ma rêverie, je relevai la
tète et j'aperçus , à travers les légers brouillards du matin ,
dans un lointain vaporeux et magique , un vallon couvert
de verdure : c'était la terre d'Egypte ! Nous nous avançâmes
d'un pas rapide en regardant la scène étalée devant nous.
Dans moins d'une heure , nous atteignîmes le village d'He-
jazi , situé sur la limite du désert. Nous nous arrêtâmes
dans un karavanseraï , d'une fraîcheur et d'une propreté
remarquables : il avait une chambre intérieure , avec un
large bassin pour les ablutions des Musulmans 5 en dehors
jaillissait une belle fontaine à laquelle venaient se désalté-
rer les chameaux. Je me l'eudis dans la campagne pour
voir la ricbe végétation dont elle était couverte , ainsi que
les hommes et les animaux qui s'y ti'ouvaient dispersés,
isolément ou par groupe ; je m'arrêtai sous l'ombrage des
arbres pour entendre le gazouillement des oiseaux , et ce
fut avec une satisfaction enfantine , qu'eu m'approcbant du
moulin , j'entendis le bruit de l'eau qui tombait de sa roue
eu nappes abondantes. »
Mais, toutes ces descriptions sont inférieures à la pein-
ture vraiment éloquente qu'a faite notre auteur, des ruines
magnifiques de Karnac et Luxor, à Thèbes, et des impres-
sions qu'elles lui ont fait éprouver. Il est vrai que, dans ce
genre , il serait difficile de trouver rien de mieux que quel-
ques-uns des passages suivans :
« Devant la grande entrée de cet ii)îniense édifice, com-
posé de plusieurs constructions séparées, qui s'unissaient
jadis dans un tout harmonieux, se trouvent deux superbes
en Egypte. 55 1
obélisques , qui élèvent dans l'air leurs pointes aignës. Mal-
gré tant de siècles qui se sont écoulés, ils sont encore avi-
jourd'hui tels que le sculpteur les a faits ; le ton primitif de
la pierre n'a point éprouvé d'altération, et les arrêtes des
symboles et des caractères sacrés qui les décorent, sont-aussi
iînes et aussi pures que si elles eussent été exécutées la
veille. Yous les voyez, tels que Carabyse les vit , quand \\
arrêta les roues de son char, pour les contempler, et que
les soldats persans cessèrent leurs cris de guerre, devant
ces magnifiques symboles de l'aJoraliou du feu. Derrière
sVlèvent deux, statues colossales, qui, comme eux, sont
en partie cachées dans le sable , ainsi qu'une porte et un
grand propylée. Cest sur ce propylée que se trouve cette
bataille dont on a tant parlé j mais mes yeux revenaient
toujours vers les obélisques que j'examinais avec un éton-
nement qui croissait sans cesse, et une admiration silen-
cieuse.
» Le cœur vivement ému , avec des pas aussi prompts
que mes pensées, je me dirigeai vers le village de Kar-
nac , et passant rapidement à travers quelques bouquets de
palmiers, je me trouvai dans la grande allée des sphynx,
tout-à-f;iit on face de cette belle porte, décorée du titre
de triomphale ; et, dans le fait, jamais triomphateur n'en
a traversé une plus élevée, et qui fût d'une majesté plus
imposante. Sur la coupe hardie de son élégante corniche,
se trouve un globe couleur de feu , que soutiennent deux
longues ailes du plus brillant azur. Cette porte gigantesque
est isolée, et cet isolement en augmente encore reflet j les
colonnes, les propylées , les murs du grand temple en sont
à quelque distance. Je m'en approchai lentement enire
deux longues lignes de sphynx, accroupis de chaque côté
de ma route , dans le môme ordre que celui où ils furent
placés, il y a tant de siècles. Ils sont d'une pierre plus ten-
dre, et par conséquent moins durable que le granit j l'en-
5.32 Scènes et I//>press/'ons
semble en est conservé , mais les détails d'exécution ont ,
eu général, beaucoup souffert. Il y a, dans la coupe de
ces spbyux, dans leur position, dans leurs tètes à demi
détruites . dans leurs énormes griffes , dans la petite idole
qu'ils ont devant eux , dans le iau sacré qu'ils tiennent dans
leurs pattes , quelque chose qui vous inspire une crainte
religieuse.
» Vous ne pouvez pas vous luéprendre sur l'endroit où
vous êtes 5 vous vous trouvez évidemment sur la grande
route du temple; c'est ici que le Romain vint avant vous ,
pour le voir et l'admirer, et le Grec avant lui. Ce sol que
vous foulez, l'a été également pendant des siècles par le roi
et le pontife, le maître et l'esclave , le cortège du triom-
phateur, la procession religieuse et celui qui allait prier
seul au temple. C'est par là que les vaincus passèrent en
désordre pour se réfugier dans leur dernier asile et leur
dernière forteresse; et les pas rapides des vainqueurs , les
hennissemens de leurs chevaux, les ordres de leurs chefs,
le bruit do leurs trompettes, ont retenti dans ces lieux où
règne maintenant un si profond silence. De tous côtés vous
êtes entouré de ruines. Les tours qui flanquaient les murs
du temp'e, renversées par le lems ou par la main des
hommes, forment d'immenses amas de décombres; mais
les parties de ces étonnantes constructions , élevées avec des
matériaux de granit, n'ont subi aucun changement, et les
angles en sont aussi vifs et les surfaces aussi polies qu'ils
ont jamais pu l'être. Ces ruines n'ont pas les ions noii's ou
grisâtres de celles de l'Europe ; il semble que la chaleur
sèche et brûlante de ces contrées les ait blanchies, comme
elle blanchit les ossemens humains. Les mousses, les li-
chens , les lierres, les figuiers sauvages n'y cochent pas
non plus, comme dans nos latitudes , les diffomiilés de la
destruction , sous des touffes de fleurs ou de feuillage. l><on ,
tout \ est aride ^ desséché : ce.sl le scptleile colcssal d'un
en Egypte. 355
éflifice immense que le soleil dévore lentement, au milieu
du silence et des sables du désert.
» Il n'y a pas de ruines qui puissent être comparées à
celles-ci. En entrant dans la première cour, vous voyez
une haute colonne isolée, debout sur les débris d'une co-
lonnade dont elle faisait partie. Je m''arrètai un instant , et
ensuite je repris plus lentement ma route. Après avoir tra-
versé une grande porte, je me trouvai entouré par cent
cinquante colonnes (i) ; et je défie tout homme , quel qu'il
soit, civilisé ou sauvage, de les voir sans être ému. Le goût
des siècles postérieurs a répudié leurs proportions colos-
sales; mais l'admiration, l'étounemeut silencieux, l'espèce
d'oppression que le voyageur éprouve , pourraient conso-
ler l'architecte qui les a élevées, s'il existait encore, des
dédains capricieux du goût.
n Je passai un jour entier au milieu de ces ruines. Il
me serait impossible d'en faire une description dctalilée ;
je n'ai ni le talent ni la patience nécessaires pour compter
et mesurer. Je montai sur une aile du grand propvlée de
l'ouest , et je m'y assis pendant long-tems. Je circulai au
pied des grandes statues colossales ; je me reposai sur un
obalisque renversé , en regardant les trois qui sont encore
debout parmi des fragmens informes de granit. En errant au
milieu de ces ruines , j'examinai les pelutures et les légendes
hiéroglyphiques; et, de tems en tcnis , j'écoutai, en sou-
riant, les explications d'un petit cicérone fort poli, qui,
du ton capable tl'un savant qui veut bien se mettre à la
portée du vulgaire, me disait , en me montrant des hiéro-
glyphes : « Ceci, veut dire l'eau ; ceci , la terre ; ce signe
est le symbole de l'éternité ; voilà le nom de Béréuiee. »
» En sortant des ruines, nous ordonnâmes à notre guide
(i) Plusieurs «le CCS colonnes ont onze pieds français rlc diamèlrc ,
Ici plus petites en ont huit.
II. 5i
554 Scènes et Impressions
de nous conduire au necropolls , ou ville des morts , et nous
gravîmes une montagne qui s'élevait au - dessus de nous.
Plusieurs de ces sépultures ont été pratiquées dans des
puits j mais la plupart sont des passages creusés dans les
flancs de la montagne. De tems en tems , vous voyez une
portion du rocher qui a été applanie , peinte ou revêtue
d'un bel enduit; mais, en général , il est entièrement nu.
A tout moment mes pieds s'embarrassaient dans des lam-
beaux, de toile et les osseraens des squelettes qui ont été ar-
rachés de leur sarcophage de sycomore, dépouillés de leurs
linceuls et de leurs papyrus. Peut-être celte toile que je
ramasse a-t-elle été tissue , il y a trente siècles, sous l'om-
brage des arbres, par une jeune fdle qui chantait pour di-
minuer la fatigue de son travail! Peut-être aussi avait-elle
été bénite et consacrée dans le temple , avant d'envelopper
le corps inanimé d'un être tendrement chéri pendant sa
vie, et long-tems pleuré après sa mort !
» En traversant la plaine , pour retourner à noti'e ba-
teau, nous repassâmes devant ces statues célèbres, si sou-
vent décrites. Ce sont d'élonnans monumeus : elles sont
assises sur des trônes en face du Nil et à l'exposition du
levant. Il est impossible de ne pas être frappé des immenses
proportions de leurs corps, de leurs membres et de leurs
têtes. Il y a dans leur position, droite et calme, quelque
chose qui émeut Tame. Des géuérations innombrables ont
passé devant elles, et on dirait qu'elles se plaisent à fixer
leurs regards immobiles sur les hommes qui travaillent ,
qui s'agitent, el qui meurent à leurs pieds.
» Il était tard, et il faisait déjà nuit, lorsque nous arri-
vâmes à notre gîte. Le lendemain matin, nous nous ren-
dîmes de nouveau sur la rive occidentale du Nil, et nous
nous dii'igeâmcs vers les sépultures des rois, en passant à
travers une vallée étroite el brûlante. L'Arabe qui nous
servait de guide arrêta mon âue dans un endroit de l'aspccl le
en Egypte. 535
plus sauvage, et me fit signe de descendre. De chaque côté
se trouvaient des collines peu élevées, mais très -escarpées,
et qui n'offraient aucune trace de végélation; à mesure
que j'avançais , le chemin se resserrait toujours davantage,
et ressemblait au lit d'un torrent. J'étais tenté de croire
que nous étions égarés, lorsque je me trouvai tout-à-coup
en face d'une ouverture pratiquée dans le flanc de la mon-
tagne, et qui avait Tair de Ventrée d'une mine. En entrant,
j'observai que le rocher, qui est une pierre tendre , mais
d'un grain très-fin et très-serré, avait été poli et peint.
L'Arabe alluma mou flambeau , et je passai dans un long
corridor. De chaque côté , il v a de petits appartemens ,
dont les murs sont couverts de peintures ; ce sont des scè-
nes de la vie commune qu'on y a représentées, ainsi que
les instrumens les plus ordinaires de nos plaisirs et de nos
travaux. C'était avec une satisfaction mêlée de tristesse ,
que je considérais ces peintures, en pensant aux généra-
lions successivement éteintes depuis le tems où elles avaient
été exécutées.
n Vous y voyez fidèlement représentés les travaux et
les intrumens de l'agriculture : une charrue, un van, des
bœufs , et l'artiste a peint, en se jouant , un veau qui bon-
dit au milieu des sillons. Vous y voyez faire du pain et
préparer un repas pour une fcle. Vous y voyez aussi une
scène d'irrigation, un jardin éniaillé de fleurs, des lits de
repos , des sofas , des chaises , des fauteuils d'une forme si
élégante qu'ils pourraient convenir à la décoration d'un salon
de Londres ou de Paris , et des vases de toutes les espèces ,
jusqu'à l'humble pot-à-l'eau. On y a repré.seuté également
des prêtres qui pincent de la harpe, et d'autres qui sont
assis et qui paraissent écouter ; des vaisseaux avec de gran-
des voiles diversement colorées ; cl, enfin, des habits de
cérémome et des armes, lcll<s que des cpées, des lances,
des poignards, des flèches, des carquois, des casques, etc.
53G Scènes et Impressions
Les autres scènes , peintes sur les murs des sépultures des
rois , sont des mystères et des processions religieuses, en-
tourés d'un grand nombre de légendes hiéroglyphiques. Il
y a une petite chambre où se trouve la vache d'Isis , et une
grande dont la décoration n'a pas été achevée ; j'y remar-
quai des dessins esquissés qui devaient être terminés le len-
demain ] mais ce lendemain n'est jamais arrivé. »
Après avoir visité les ruines de ïhcbes, l'auteur se
rendit au Kaire , où il rencontra un Mamelouk écossais ,
et où il fut présenté à Mohammed- Ali , par M. Sait, notre
consul-général. Il alla ensuite visiter les pyramides de Gi-
seli ; voici comment il termine la belle description qu'il en
a faite :
« Celui qui est monté sur le sommet des plus anciens et
cependant des plus étonnans monumens que l'homme ait
laissés de sa puissance et de son orgueil 5 qui a porté ses
regards jusqu'aux lieux où s'étendent , dans le silence , la
Libye et l'Arable (1)5 et qui a vu la terre d'Egypte divi-
sant, à ses pieds, ces tristes déserts, par une étroite vallée
couverte de la plus riche verdure, et que parcourt, dans
toute sa longueur, un fleuve solitaire 5 a éprouvé des im-
pressions qu'il ne saurait transmettre ; car il lui est impos-
sible de se les expliquer.
» Ce sont les tombes de Chéops el Cepbren , disent les
Grecs. Ce sont celles de Seth et d'Enoch , s'il faut en
croire les Arabes. Un voyageur chrélîen serait tenté d'y
voir la sépulture du patriarche Joseph ; mais, ce qui n'est
pas douteux , c'est que tous les philosophes , tous les poètes,
tous les capitaines célèbres , venus en Egypte, les ont visi-
tées ', qu'Alexandre , Germanicus , Saladin, Napoléon , ont
aiguillonné les chevaux qui les portaient, pour se rappro-
(i) NotkduTr. Les anciens donnaient le nom d'Arabie aux dc'scrts
situes entre rEgy[>tc et la Mer Rouge.
eji Egypte. 5Zj
cher de leur base, el^jue Pylhagorc, avec ses pieds nus ,
a dû monter h leur sommet. »
Notre voyageur a décrit le Raire avec beaucoup de dé-
tails, et quelquefois avec une baute éloquence. Nous ter-
minerons nos extraits en citant sa description du marché
d'esclaves, qui est certainement Tune des meilleures de
sou livre :
« Nous nous arrêtâmes devant un grand bâtiment , et ,
en entrant , nous nous trouvâmes dans une cour d'une di-
mension moyenne , entourée de tous côtés de petites cbam-
bres dont les portes étaient ouvertes , et qui avaient l'air
sombre et misérable. Ea dehors , se trouvaient de petits
groupes d'esclaves du sexe féminin, assises ou debout, et
j'apercevais , dans l'intérieur, les yeux et les dents blancbes
de celles qui craignaient l'ardeur du jour. La longue che-
velure de ces jeunes filles était blanchie par la graisse dont
on l'avait frottée, et cette graisse donnait égaiemeut des
tons luisans à la peau de leur visage , de leurs bras et de
leur sein. Au-dessus du rez-de-chaussée, il y avait aussi un
grand nombre de petites pièces, et , en avant, une espèce
de balcon, sur lequel étaient inclinées d'autres esclaves.
Tout retentissait , dans cette enceinte , de bruyans éclats
de rire; car ces infortunées éprouvent une vive satisfaction
quand on les expose pour les vendre. La cabane^ le pays
011 elles sont nées, le sein qui les a nourries, la main qui a
dirigé leurs premiers pas , ne sont pas ouljliés ; mais elles
sont résignées à no plus les revoir, et il semble que c'est
dans un autre monde qu'elles les ont laissés. Les peines et
les dangers du désert, la nourriture grossière et iusufli-
sante qu'elles y recevaient, la douleur de leurs pieds qu'y
gonllaient Tardeur du soleil et la fatigue des marches ; le
îouel , les imprécations de leurs guides , toutes ces tristes
impressions s'effacent j elles pensent qu'elles vont avoir
pour maître ou pour maîtresse un être doux cl compatis-
538 Voyage de M. Biot
sant ; peut-être aussi pourront-elles gagner le cœur d'un
enfant qui leur sera confié , par les soins et les caresses
qu'elles lui prodigueront. Quelques-unes se tlattent de l'es-
poir d'être mères, et de voir tranquillement s'êcouier leur
vie dans la paix d'un harem. Toutes vous sourient , et plu-
sieurs cherchent même à vous agacer par des regards las-
cifs; mais comhien ces sourires rappellent de larmes , car
c'est pour échapper aux traitemeus cruels de ce maure au
teint hasané et à l'air farouche, que vous apercevez dans
un coin de l'enceinte , qu'elles s'eflorcent de vous plaire. »
(^Refue d'Edinbourg.)
VOYAGE
DE M. BIOT, AUX ILES SHETLAND (i).
Au commencement de 1817, M.' Biot , de l'Institut royal
de France, arriva en Angleterre avec un appareil pour
déterminer la longueur du pendule, le même, à ce qu'il
paraît, qui avait déjà servi à Borda et à Cassini. Il fut con-
venu que les observations sur la longueur du pendule se-
raient faites ù Londres, à Edinbourg , et à l'extrémité sep-
tentrionale du grand arc du méridien, qui, comme on le
savait déjà , devait se terminer aux îles Shetland, entre
Unst et Balta. M. Biot , accompagné par le colonel Mudge,
(1) ÎÎOTE DU Tr. Cet article a c'té rétligé par le professeur Playfair,
mort, il y a quelque tenis, à Edinbourg, et qui e'iait un des hoinmes.
les plus remarquables de l'Allii-nes britannique. La justice qu'il rend
à notre savant compatriote fait voir combien les lumières de notre
nouvelle civilisation tendent à dc'lruirc ces inimiiic's et ces antipathies
nationales qui ont élc' si funestes au monde, et surtout à la France et
à l'Angleterre. S.
mi.r îles Shetland, oSf)
son fils le capitaine Mudge, et le tlocteur Olinthus Gre-
gory, se rendit à Ediubourg , et , après avoir fait quelques
observations à Leilh Forth , il s'embarqua pour les îles
Shetland 3 ils furent rejoints par le capitaine Colbj, qui
dirigeait les opérations trigonomélriqucs.
Le mauvais état de santé du colonel Mudge le força de
retourner. M. Biot et le docteur Gregory firent leurs ob-
servations séparément, mais dans la même île; et le pre-
mier resta, jusqu'à une époque très-avancée de Tannée, sur
un roc stérile , où il était à peu près seul ^ exposé à une
température humide et froide , et entouré d'une mer ora-
geuse. Le courage d'un homme accoutumé aux douceurs
des climats méridionaux, se serait nécessairement abattu ,
dans une situation semblable, s'il n'eût été soutenu par le
pur amour de la science , et par le désir d'en étendre les
conquêtes.
Il a publié le récit de son excursion dans la Grande-
Bretagne, et particulièrement de la réception qu'on lui a
faite en Ecosse et aux îles Shetland : cette relation est rem-
plie d'observations judicieuses; elle annonce un excellent
esprit , et un cai'aclère bon , gai , facile et cordial. I^es îles
Shetland paraissent l'avoir plus parliculièremeut intéressé,
cl il a été vivement ému du contraste que présentent, dans
ces régions reculées, le monde physique et le monde mo-
ral. Il était ravi de l'hospitalité, de l'intelligence et de la
bonté de ses hôtes 3 et ceux-ci étaient sans doute remp'is
de respect pour un illustre étranger qui , du centre de. la
civilisation, avait pénétré dans ces contrées lointaines, et
qui attachait l'éclat d'utiles et savans travaux , à cette por-
tion ignorée du globe, où la Providence avait fixé leur de-
meure.
'Il dut éprouver une vive satisfaction, en réllccliiss.int
qu'il avait également contribué à déterminer les deux ex-
trémilés d'une ligne qui s étend depuis la plus niéridionale
34o Précis des dwers éi>éneniens
des îles Baléares, Jusqu'à la plus septentrionale tles îlc5
Shetland. Celte ligne est la plus longue que le doigt de la
géométrie ait encore tracée sur la surfiice du globe , et
l'exécution de ce grand ouvrage fera éternellemeut la gloire
du XIX^ siècle , dans les âges à venir.
Les asj:ects si divers qu'offre la nature sur ces deux points
de l'Europe, qu'il a successivement occupés, durent aussi
se présenter à sou esprit avec toute la force que leur don-
nait le contraste; et probablement, il se sera rappelé plus
d'une fois le soleil élincelant, les cieux sans nuages, les
teintes azurées et brillantes de la Méditerranée , sur ce ro-
cher que le nord couvrait de ses brouillards , et dont une
mer turbulente ébranlait la base. Lorsqu'il dirigeait ses re-
gards vers le monde moral , le contraste n'était pas moins
grand, mais en sens inverse; et certes il ne regrettait pas
ces hommes farouches , devant lesquels lui ou ses compa-
gnons avaient été obligés de fuir, lorsque le paisible insu-
laire de Shetland lui ouvrait sa cabane pour l'abriter contre
la tempête. Il put voir alors que les causes morales influent
bien plus puissamment que les causes physiques, sur le ca-
ractère des hommes. {Glasgow Magazine .^
MÉLANGES.
PRECIS DES DIVERS EVENEMENS QUI ONT PRECEDE ET
AMENÉ LA GUERRE ACTUELLE ENTRE l'eIMPIRE DES
BIRMANS ET LA COMPAGNIE DES INDES (l).
Les faits que renferme ce précis sont lires d'un recueil
volumineux de pièces officielles , qui comprcunenl une pé-
(i) Note du Tr. D;ins un moment où la guerre entre les Biin»ans
et le gouvernement britannique dans l'Iude; paraît à la veille de se
1
<jui ont amené la guerre des Birmans. 54 i
riodc de douze années , depuis 18 ii jusquen 1824, et qui,
par ordre de la Chambre des coinmunes , ont été soumises
au parlement dans le cours de sa dernière session.
En 181 1, un personnage nommé Kingberriug , qui pos-
sédait de grands biens dans le royaume d'Arracan , limi-
trophe du Chittagong , qui apptirîlenl à la Compagnie , vint,
par suite de quelques démêlés avec son gouvernement , se
réfugier dans cette province, et y demander un asile. Dès
qu'il l'eut obtenu , il forma des rassemblemens sur la fron-
tière, appela près de lui un corps nombreux de IMugs , peu-
plade guerrière qui avait abandonné l'Arracan après que
les Birmans l'eurent soumis ; et, à la tête de sa petite ar-
mée , il marcha contre le radjah qui gouvernait ce royaume
sous la tutelle de la cour d'Ava. L'intendant anglais du Chit-
tagong, ignorant sans doute les projets de cet exilé, ne put
faire à tems les dispositions nécessaires pour en prévenir
l'exécution. Eu conséquence, Kingberring fit une éruption
soudaine dans l'Arracan, et en soumit rapidement le terri-
toire, sauf la capitale dont II forma le siège.
La cour d'Ava pouvait penser que celte expédition, ten-
tée par un protégé du gouvernement anglais, était dirigée
ou du moins favorisée par celte puissance , et pour empê-
cher que cette opinion ne s'établît, rintendaut de Chitta-
terminer par la cession Je l'Assam el du royaume (l'Arracan à la
Compagnie , nous avons pense' que le re'cit des éve'nemcns qui oni
amené ceUe lutte ne serait pas de'pourvu d'inte'rct. Encore quelques
guerres et quelques transactions de ce genre , et l'empire immense que
la Grande-Bretagne a fondé sur les rive, du Gange ne sera plus borne
que par la Cliiae , l'Indus , les montagnes de l'Himalaya et l'Oce'an.
Tandis que la Russie occupera tout le nord de l'Asie , l'Angleterre en
occupera toute la partie méridionale. Les progrès que font l'une et
l'autre de ces puissances, dans cette partie du monde , sont tellement
rapides , qu'il est vraisemblable que leurs limites ne larderont pas à s'y
touchck-. Le choc de ces deux colosses causera un ébranlement qui se
fera probablement ressentir dans tout l'univers.
II. 52
542 Précis des divers éi>énemeTis
gong se hâta , daus une lettre au ratljah (VArracan , de
désavouer la levée de bouclier de Kingberring. Le gouver-
neur-général des possessions britanniques dans l'Inde écri-
vit , dans le même sens , au vice-roi de Pégu , et , afin de
dissiper entièrement les ombrages de Fempereur des Bir-
mans, il envoya le capitaine", depuis major Canning, dans
!e royaume d'Ava, pour lui donner toutes les explications
qu'il réclamerait. A peine cet envoyé avait-il quitté Cal-
cutta, qu'il y arriva un vakil , chargé de faire des repré-
sentations au gouverneur-général sur les événemeus qui
venaient de se passer dans l'Arrî^can , et en même tems un
corps birman s'avançait au secours de la capitale de ce
royaume. Kingberring fut forcé d'en lever le siège , et de
se réfugier de nouveau dans le Chittagong.
Par suite de ces événemens , le gouverneur-général avait
une décision fort délicate à prendre j il s'agissait de savoir
comme il agirait envers les réfugiés qui invoquaient sa
protection. Ces réfugiés se partageaient en trois classes :
celle des chefs qui avalent excité ces troubles , à la tête des-
quels était Kingberring', celle des Mugs, qui les avalent
suivis dans cette irruption j et, enfui, celle de quelques
habitans de VArracan , qui s'étaient déclarés en faveur de
rinsurrcclion , et qui avaient tout à craindre de la ven-
geance de leur gouvernement. Il se décida à mettre les
chefs en surveillance , et à ne prendre de parti définitif à
leur égard que lorsque le major Canning lui aurait fait
connaître les dispositions de la cour d'Ava , de bannir les
Mugs du territoire de la Compagnie , et d'accorder un asile
aux exilés d'Arracan.
Cependant les troupes qui avalent mis en fuite Kingber-
ring , se rapprochaient de plus en plus de la frontière du
Chittagong. Leur chef désavouait toute Intention de violer
le territoire britannique j il demandait seulement que King-
berring et ses partisans lui fussent livrés,- qu'en outre un
qui ont amené la guerre des Birmans. 545
tlocleiu' Mac Rae, sujet anglais, qui avait aidé Kingber-
ring dans son entrepi'ise, fût égalementrais à sa disposition,
et il signifiait à l'intendant de Chittagong que, dans le cas
où ces demandes ne seraient pas accordées, une armée de
80,000 hommes envahirait les possessions anglaises , el que
l'empereur des Birmans serait secondé dans celte agression
par l'empereur des Français , qui s'engageait à lui fournir
des secours.
Notre frontière , de ce côté, n'était gardée, à cette épo-
que, que par un faible corps de troupes. Dans crtte con-
joncture , le premier soin du gouverneur-général fut de
renforcer les postes sur toute la ligne qui touchait au ter-
ritoire birman. Il se décida ensuite à faire cesser les com-
munications qui existaient entre l'intendant de Chitlagong
et les chefs birmans , et à n'en avoir plus que de directes
avec la cour d'Ava , au moyeu d^'un chargé d'affaires. L'in-
tendant de Chittagong eut l'ordre de notifier cette résolu-
tion aux chefs birmans.
L'envoyé britannique était arrivé au mois d'octobre dans
le port de Rangoun , et le vice-roi de Pégu , en l'y rece-
vant, lui avait appris que des dispositions étaient faites par
la cour d'Ava pour qu'il pût voyager en sûreté jusqu'à Um-
merapoura, et pour qu'il reçût sur sa route tous les hon-
neurs dus à sou caractère public. A cette époque, les cam-
pagnes et les roules étaient infestées de brigands.
Cependant, sur la frontière des deux états, les troupes
des Birmans et celles de la Compagnie restaient en présence.
Les premières tentèrent enfin un acte d'hostilité; elles pas-
sèrent sur plusieurs points la Naaf , rivière qui sépare les
^cws. territoires , et se répandirent dans le Chittagong. Ces
troupes étaient divisées en pctys corps, et venaient, di-
saient-elles , enlever Kingberring et ses partisans. L'inten-
dant de la province adressa des remontrances, à cette oc-
casion, au général birman; celui-ci répondit que cctle
544 Précis des dii>ers éfénernens
violation de territoire s'était faite à son insu, et qu'il ferait
à l'instant rappeler les troupes 5 mais il n'en fit rien, et,
peu de jours après sa réponse, un corps de 600 liommes
passa la Naaf en vue du camp birman; il rencontra nos
cipayes, tira sur eux, et en tua quelques-uns. Nouvelles
remontrances de la part de l'intendant de Chittagong ; nou-
veau désaveu de la part du chef birman.
Le major Canning était à Rangoun lorsqu'il apprit ces
événemens. Le vice-roi tlu Pégu pressait son départ pour
Ummerapoura , mais ses instances à cet égard lui parais-
saient suspectes. Au lieu donc de se rendre près de l'em-
pereur, il se détermina à négocier à Rangoun; il ne tarda
point à recevoir des dépêches qui lui enjoignaient de de-
mander une réparation , à raison de la violation du terri-
toire britannique. D'un autre côté , 11 n'avait aucune satis-
i'actiou à donner à la cour d'Ava sur ses demandes relatives
à Ringberrlug et à ses adhérons ; cette remise des chefs des
insurgés était cependant un point sur lequel le gouverne-
ment birman se montrait tous les jours plus pressant; et il
venait d'en renouveler la demande par le canal du radjah
d'Arracan. Celui-ci avait déclaré aux autorités britanni-
ques, que tant que Kingberring, Larenigbage et Naklou ,
trouveraient un asile dans le Chittagong , les Birmans con-
serveraient leurs positions dans cette province.
Malgré le ton arrogant de la cour d'Ava , le gouverne-
ment de la Compagnie crut devoir user de ménagemens
avec elle, et, en conséquence, l'intendant du Chittagong
reçut l'ordre de mesurer beaucoup les termes de la corres-
pondance qu'il avait reprise avec le général birman, et de
faire en sorte , autant que possible, que les discussions nées
de la révolte de Ringberrjng , ne se terminassent pas par
une rupture entre les deux puissances : des instructions
dans le même esprit, furent adressées au major Canning ,
à Rangoun. Lo gouverneur-général, lord Minlo, on ren-
qui ont amené la gucjTc des Birmans. 5^5
dant compte de cette ncgocialion au gouvernement de la
métropole, s'applique à faire l'apologie, et à montrer la
nécessité de ce système de temporisation. « Je me flatte,
» dit-il, qu'on approuvera cette marche circonspecte, jus-
» tifîée par la position où se trouve l'envoyé britannique
» chez un peuple barbare, qui pourrait être tenté de le
M retenir au mépris dn droit des gens. »
Le gouverneur-général crut devoir multiplier les pré-,
cautions pour assurer le respect dû à son envoyé j car, en
même tems qu'il faisait négocier, avec cet esprit concilia-
teur, 11 chargeait deux bâtimens de guerre de se rendre et
de se maintenir dans le port de Rangoun. La présence de
ces navires excita une grande rumeur parmi les habltans
de la ville, et leur fit croire qu'elle allait cire bombardée.
L'agitation et la crainte furent portées à leur comble : le
vice- roi supplia l'envoyé britannique de faire éloigner ces
bâlimens , et de poui'suivrc son A'oyage à Ummerapoura.
L'envoyé rejeta cette double demande, conformément à
l'esprit des instructions que lui avaient apportées ces bâ-
ti m en s.
Cependant, l'agitation des esprits ne se calmait point :
quelques dispositions pour la défense de la ville, ne firent
que l'accroître 3 on éleva des batteries sur le port, et l'on
fortifia les ouvrages qui le protègent. Il fut ordonné à cha-
que chef de famille de fournir un homme, lequel, armé
d'une lance et d'une épéc, se tiendrait prêt à marcher au
premier signal . Ces préparatifs faits , l'envoyé britannique
fut sommé de nouveau de renvoyer les bâtimens de guerre,
et sur son refus, quelques agitateurs voulurent porter le
peuple à commettre des excès contre lui. A la tète des plus
exaltés, était le nommé Rogers, renégat anglais, qui oc-
cupait, à RangOHU, le poste important de sliahhundcr.
Dans cett(; crise, le major Canning reçut un niessage du
vice- roi , par lequel ce dernier, pour prévenir, dis:iit-i[.
34(3 Précis des divers éoéneniens
nn soulèvement général , l'invitait à une conférence , et le
priait de se rendre près de lui. Suivi d'une escorte de trente
cipayes , il s'acLemina vers la demeure du vice-roi. Il eu
approchait , lorsqu'il reçut un second message, qui lui re-
commandait de congédier ses cipayes , ou du moins de les
désarmer j mais il n'en tint aucun compte. La conférence
eut lieu ; on se plaignit de part et d'autre , et on se quitta
sans accommodement.
Quelques circonstances suspectes , dont cette entrevue fut
accompagnée, jointes à la disposition générale des esprits,
à Rangoun , déterminèrent le major Canning à quitter une
ville oii il ne se sentait plus en sûreté , et à se réfugier se-
crètement à bord du Malahar. Il fut assez heureux pour y
réussir j mais au moment de son départ, on essaya de le
séparer de ses cipayes , et d'enlever la barque sur laquelle
ils étaient montés.
Des pourparlers s'établirent entre le vice-roi et l'envoyé,
dès que celui-ci eut gagné le bord du Malahar. Le premier
s'excusa des insultes faites à la mission britannique . et offrit
une réparation. Le major Canning agréa ces excuses, et
l'harmonie parut se rétablir j c'est ce qu'il désirait, autant
pour le succès de sa mission que pour la sûreté des comp-
toirs anglais établis à Rangoun.
Après avoir, pendant près d'un an , lutté avec autant de
fermeté que d'adresse , contre les artifices de la cour d'Ava ,
l'envoyé britannique reçut l'ordre de retourner à Calcutta.
Il était chargé de déclarer, avant de partir, au vice-roi de
Pégu , que son rappel n'avait rien dhostile; que le but de
sa mission était atteint, puisque la cour d'Ava avait reçu
les explications des autorités britanniques , touchant les en-
Ireprises de Ringberring, et avait ordonné ensuite l'éva-
cuation de la province de Chittagongj et que si , de son
côté, l'empereur avait quelques réclamations à former
auprès du gouvernement du Rcngal , il pouvait les lui
qui ont ainené la giiey-re des Birmans. ^^']
adresser par Teutremise iVun pakil , qui serait reçu dans
les possessions de la Compagnie , avec tous les égards con-
venables. Le major Canning était de retour à Calcutta , au
mois de septembre 1812.
Cependant Ringberring , après que les Birmans eurent
quitté la frontière de Chittagong , était une seconde fois
sorti de sa retraite , et , à la tête d'un parti de Mugs , il
avait envahi de nouveau le royaume d'Arracan. Mais , at-.
taqué par les Birmans en nombre supérieur, il fut mis en
déroute et repoussé jusqu'aux frontières du Chittagong. Le
radjah d'Arracan fît , à cette occasion , de vives représen-
tations au gouvernement du Bengal; l'accusa de perfidie
dans la protection qu'il accordait à Ringberring , et le
menaça de la vengeauce prochaine des Birmans.
Posté avec ses Mugs sur la frontière du Chittagong ,
Ringberring tenait la province entière dans l'inquiétude.
Le gouverneur-général se détermina donc à faire marcher
contre lui un détachement de cipajes. Il se retira devant
ces troupes , se jeta dans les forêts au raidi de la province,
et jle là , renlra de nouveau dans le royaume d'Arracan.
Trop faible cependant pour tenir tête aux Birmans , il cher-
cha encore un refuge dans les montagnes du Chittagong.
Le radjah le poursuivait, et pénétra alors assez avant dans
le territoire britannique ; mais quelques cipaves , dirigés
contre lui, le forcèrent à rentrer précipitamment dans l'Ar-
racan. Ces événemens se passèrent à la fin de 1812.
Au mois de juin i8i5, le gouvernement du Bengal fut
instruit que la cour d'Ava chefchait à insurger contre lui
les principaux états de l'Inde. Sur ces entrefaites, arriva à
Calcutta uu envoyé de cette cour, suivi de trente per-
sonnes qui annonçaient l'intention de se rendre à Bénarcs
pour examiner et copier certains écrits religieux gardes par
les brahmes. On sut bientôt que ces brahmes entretenaient
des relations avec l'empereur des Birmans, Ce prince de-
548 Précis des difers évènemens
manda , peu lie lems après, qu'il fut permis au schahbuu-
der iVArracan , personnage connu pour être un de ses
agens confidentiels , de passer par le territoire de la Com-
pagnie pour se rendre à Delhi. Le but ostensible de ce
voyage était d'en rapporter d'autres livres religieux. Le
gouverneur-général n'accueillit pas cette demande; mais
il offrit de se charger de procurer ces livres à l'empereur.
Cependant, Kingberring s'agitait encore, et méditait de
nouvelles excursions j mais celte fois, le gouvernement
du Bengal , averti de ses projets, lui intima l'ordre d'y re-
noncer, sous peine d'être pris et livré au radjah d'Arracan.
Le marquis de Hastings , arrivé au Bengal en i8i5 ,
comme gouverneur - général des possessions britanniques
dans l'Inde, crut devoir adopter un système conciliant
avec le gouvernement des Bii mans. Il autorisa donc à pour-
suivre Kingberring et ses partisans sur plusieurs points du
territoire de la Compagnie, qui étaient très-malsains, et
par cette raison peu accessibles à nos propres troupes.
Soutenu, toutefois, par les Mugs et par de nombreux
exilés qui , du pays des Birmans, venaient se rallier autour
de lui, ce chef infatigable , malgré ses défaites réitérées, ne
cessa, tant qu'il vécut, d'inquiéter la cour d'Ava, par ses
incursions dans l'Arracan. Il mourut en i8i5.
On se félicita des deux côtés d'être délivré de cet instiga-
teur de troubles , et l'on crut que , privé de leur chef, les
Mugs reprendraient enfin leurs occupations paisibles. Ils y
parurent enfin disposés ; mais , vers la fin de cette même
année, un nouveau chef les- appela autour de lui, et les
excita à entreprendre une irruption dans l'Arracan. Ce
chef, nommé Runjunzing, sur l'avis que l'iulendanl de
Cliittagong eut de ses projets , fut arrêté par nos cipayes ,
et le rassemblement qu'il avait formé fut dispersé.
La cour d'Ava se montra satisfaite de cet acte de bon
voisinage de la part du gouvernement britannique, et elle
qui ont amené la guerre des Birmans. 34«j
paraissait être revenue à son égard à des sentimens favo-
rables; mais, dans ce moment même, elle clierchait à
soulever contre lui tout i'Indoslan; elle envoyait dans ses
diverses parties une foule d'émissaires qui s'y donnaient
pour des négociaus , et qui étaient chargés de pousser
les esprits à la révolte j et elle négociait avec le chef de^
Seïks un traité d^alliance offensive.
Dans l'automne de 1817, (rois individus suspects arrivè-
rent à Calcutta , venant d Arracau , et se rendant à Lahore ,
chargés d'une mission du gouvernement des Birmans. Ijeij
autorités anglaises les chassèrent du pays, et adressèrent,
à ce sujet , une lettre de reproches au radjah d'Arracan
qui s'empressa de les désavouer.
L'année suivante, au mois de juillet, la coar d'Ava
somma la Compagnie des Indes de lui restituer comme
dépendances de l'empire des Birmans , les territoires de
Ramon , de Dacca, de Mourchedp et de Chittagong. La
dépêche était conçue en termes outrageans, et elle empor-
tait une déclai'ation de guerre à la Compagnie, en cas de
refus. On ne peut douter que celte démarche ne fût une
conséquence des naenées de la cour d'Ava auprès des Mah-
ratles. Voyant le gouvernement britannique en guerre avec
eux, elle put juger le moment favorable pour détruire sa
puissance dans l'Inde j mais la soumission des Mahrattes
ne tarda pes à ramener l'empereur des Birmans à des dis-
positions pacifiques. Ce prince mourut au commencement
de 1819. Sous son successeur, le prince régent, le calme
qui s'était heureusement rétabli, dans les relations entre
la cour d'Ava et le gouvernement britannique dans l'Inde ,
fut de pou de durée.
Au mois de juin 1819, le territoire d'Assam, limitrophe
de celui des Birmans et des possessions anglaises , fut le
théâtre d'événemcns qui ont allumé la guerre actuelle.
Le radjah de ce pays, Pourunder Singh , fut chassé de
II. 55
55o Précis des dii-'ers ct'éneinens
ses états par une faoiinn rjui, forte île Tappui des Birmans,
voulait porter sur le trône Cliunder Kaunt. Pourunder
Singh se réfugia sur le territoire de la Compagnie , et of-
frit de devenir son titulaire, si elle consentait à le rétablir
sur !e trône Le gouvernement du Bengal répomUt que son
intention était de ne prendre aucune part à cette cjuerelie.
Il fit une réponse semblable à Chunder Kaunt, qui de-
mandait que le radjah dépossédé lui fût livré , et à la cour
d'Ava qui appuyait cette demande. L'année 1820 se passa
en correspondance sur ce sujet. L'année suivante fit mieux
connaître les vues des Birmans sur le territoire d'Assam,
Pourunder Singb avait rassemblé des troupes dans la pro-
vince voisine du Boutan , et allait tenter une entreprise
pour recouvrer, ses états , lorsqu'il reçut des propositions
bien extraordinaires de la part de celui qui l'avait détrôné.
Ce dernier, fatigué de la protection des Birmans qui avaient
usurpé son pouvoir et ne le laissaient régner que de nom ,
l'invitait à joindre ses foi'ces aux siennes, pour chasser cet
ennemi commun du territoire d'Assam.
Pourunder Sing rejeta ces offres, et, persistant dans
son entreprise , il rentra dans ses états par la frontière du
Boutan, Chunder Raunt le mit en fuite ; mais la guerre
étant survenue entre lui et les Birmans , il fut vaincu à son
tour, et forcé de se réfugier dans les possessions anglaises.
Les Birmans l'y poursuivirent , et y commirent quelques
ravages 5 mais , bientôt après , ils rentrèrent dans l'Assam ;
l'empereur nomma un nouveau radjah , et il invita le gou-
vernement de la Compagnie à le reconnaître , et à ne four-
nir aucun secours aux deux exilés.
Vers la fin de 1821, Chunder Kaunt, à la tête de tous
ses partisans , pénétra dans l'Assam , surprit les Birmans
et les défit en plusieurs rencontres. A la même époque ,
Pourunder Singh y fit une incursion par le pays de Boutan.
Ces entreprises faites, apparemment de concert, eurent
qui ont amené la guerre des Birmans. J'ii
<V abord quelques succès ; mais leurs auteurs ne purent te-
nir long-tems contre les forces supérieures des Birmans.
Réfugié de nouveau sur le territoire de la Compagnie ,
Chunder Kaunt s'y ménageait des ressom'ces et entretenait
des intelligences avec les habitans de TAssam. Au com-
mencement de 1822, il reprit l'offensive, et s'avança jus-
qu'à Govahati sur le Bramapouter 3 mais ici , il eut à com-
battre le fameux Mengli Maba Bundonlah, qui venait d'être
nommé au commandement de cette contrée, et qui arri-
vait avec un renfort considérable de Birmans. Il fut mis eu
iléroute complète par ce cbef , et il regagna avec peine la
frontière britannique. A l'occasion de ce succès , Mengb
Maha Bundoulah publia un manifeste par lequel il signa-
lait le fugitif aux autorités du Bengal, et menaçait d'enva-
liir leur territoire, si elles lui accordaient un asile. Depuis
lors, TAssam n'a plus été qu'une province de l'empire des
Birmans
A la suite de ces guerres , il ne tax'da pas à s'élever des
contestations d'une nature assez grave entre le gouverne-
ment de la Compagnie et celui des Birmans. Elles eurent
pour objet la possession d'une île située près de Goalpa-
racb , sur le fleuve Bramapouter. Les Birmans la revendi-
quaient comme dépendance de l'Assam, et manifestaient
rintention de s'en emparer de vive force , si elle ne leur
était volontairement cédée. De son côté, le gouvernement
de la Compagnie se montrait résolu à se maintenir dans
cette île, comme dans plusieurs autres situées également
sur le Bramapouter, et soutenait qu'elles éfaient comprises
dans les limites qui séparent le territoire britannique du
pays d'Assam.
Telles étaient les dispositions de ces deux puissances , et
les rapports qui existaient entre elles , lorsqu'en 1 820 , ceux
des habitans d'Assam qui étaient réfugiés sur les possessions
anglaises , tentèrent une expédition pour rentrer dans leur
SS'i Discussions de Baenos-Ayres
patrie. Le gouvernement des Birmans , les jugeant soutenus
dans cette entreprise par les autorités britanniques, crut
user de représailles, en ordonnant des incursions sur le
territoire de la Compagnie : ses troupes firent prisonniers
quelques chasseurs d'élcphans^ elles s'emparèrent, à main
mée, de l'île de Chapuri. Ces actes d'agression ont amenée
de part et d'autre , une succession d'hostilités dont le carac-
tère a pris plus d'importance de jour en jour, et qui, au-
jourd'hui , mettent l'empire des Birmans à deux doigts dei
sa perte.
Discussions de Buenos -ayres avec le bresil
et les patagons.
La province de Monte-Tideo, où la nature parait s'être
plu à étaler toutes ses richesses, n'est pas moins remar-
quable par sa position géographique que par la beauté de
ses sites et la fécondité de son sol. Placée à l'embouchure
du majestueux lleuve de la Plata , et selon des observa-
lions très-réoentes , au 34° 54' 4^" de latitude australe , et
56° 5' 5o'^ de longitude occidentale, elle n'est éloignée que
de quarante lieues de la ville capitale de Buénos-Ayres ^ et
de dix de la côte maritime. Au couchant et au midi , elle
est bornée par les fleuves de TUraguai et de la Piata, et
au nord elle confine au territoire du Brésil. Son climat est
tempéré, et (juoique humide, il est d'une salubrité par-
faite , tant par l'ettet des vents secs appelés passageros , (|ul
traversent les vastes plaines de Buenos- Ayres, qu'en raison
de la brise qui , en sens opposé , souftle de l'Océan.
Dans Tannée i8io,la province de Monte-^idco comp-
tait une population de Go à 'jo,ooo âmes . y compris celle
de l-t ville du menu: nom. qui s'éhvail à environ "20,000.
m>ec le Brésil et les Patagons, , 355
Celle province en contient à peine 4o à 5o,ooo aujourd'hui^
savoir : io,ooo dans la ville , et le reste tlans les campagnes,
qui sont d'une immense étendue ; car, en bornant la pro-
vince aux limites arbitraires qui, en 1809, lui fnren^t im-
posées par la cour du Brésil , elle comprendrait encore
cent trente lieues de Castille , du nord au midi , et environ
qualre-vingt-dix de l'est au couchant. Elle renferme plu-
sieurs villes considérables , telles que IMaidonado , Colonia,
Sainte-Lucia , Caméléone , Saint-Jose , Saint-Carlos , Sc-
riano et Cerro-Largo ; et quelques gros villages , tels que
Tolédo , Pando , Roclia , Penarol, Picéras , Saint-Salvador^
Minas, Florida , Porongos, Colla, Bacas, Vivoras , Espi-
nella , Mercedes, Paisandu et Hervidéra. I^es causes qui
ont principalement contribué à diminuer sa population,
sont , la guerre qu'elle a eu k soutenir contre TEspagne , les
troubles civils dont elle a été le siège, et Témigration qu'a
dû produire la domination brésilienne. Monte-Vidéo fut
peuplé, il y a moins d'un siècle, par une colonie envoyée
de Buénos-Ayres. A cette époque , le pays était occupé par
une multitude de barbares indigènes qui, depuis, se sont
retirés peu à peu dans ses parties les plus reculées , ap-
pelées Charrecas. Les nouveaux colons se trouvent dans
un pays qui abondait en vigognes; ils négligèrent l'agri-
culture pour ne s'occuper que de pâturages , industrie qui
leur offrait l'appât d'immenses bénéfices. Le commerce du
bétail fut celui auquel la province se consacra spéciale-
ment : elle faisait tous les ans des exportations très-grandes
de peaux de vigognes et de cheval, de viandes salées et de
suif. Monte-Vidéo possédait , dans le tenis de sa prospérité ,
trente-trois établissemens pour la salaison des viandes , et
dans chacun de ces établissemens , on tuait au moins cent
vigognes par jour; ce qui , compensé d'un autre coté par
un\: foule de circonslances favorables à la propagation tie
l'espèce , n'en diminuait pas scusiblemeut le nombre. Les
554 Discussions de Buenos- Ayres
pâturages de cette contrée sont , non-seulement très-abon-
dans , mats aussi d'excellente qualité. A chaque pas que
tait le voyageur, il rencontre des ressources ; il est agréa-
blement surpris par la vue de ruisseaux d'une eau pure et
salubre, et ces eaux précieuses arrosent un pays dont la
surface variée présente à l'œil , des collines , des vallons ,
des prés, des forêts et des montagnes.
Les rivières principales sont, l'Uraguai, le Négro ,
ribiaci, le Cébollati, l'Yi , la Sainte-Lucia , le Guesigaï, le
Diaman , l'Arapei , le Guareï , l'Oiimar, le Pardo , le
Tacuari , l'Yguaron et le ïacuarembo. Ces rivières sont
formées par de nombreux afduens qui sillonnent le pays
dans tous les sens , à l'exception de celte portion montueuse
qui traverse la province du nord au midi, et qu'on appelle
le Cucliillo. Presque toutes , dans une grande partie de
leur cours, pourraient être rendues navigables j celles qui
le sont déjà, sont l'Uraguai, le Négro, le Cébollati et la
Sainte-Lucia. Les terres, dans ce pays , sont pour la plu-
part vierges 5 la population ne s'étant occupée, jusqu'ici ,
d'agriculture que pour fournir h sa propre subsistance , et
jamais dans des vues de spéculation. Ces terres produiraient
cependant avec abondance, et presque spontanément,
toute espèce de grains , de fruits et de légumes.
Cette belle province , autrefois une dépendance de la
vice-royauté de Buénos-Ayres , est, depuis l'année 1817,
possédée , sans autre droit que celui de la force , par le gou-
vernement portugais ou brésilien.. Ce gouvernement, pro-
fitant à cette époque des discordes civiles des provinces de
la Plata , fit occuper, par un corps d'armée, Monte-Tidéo
et son territoire, après en avoir chassé Artigas , qui y do-
minait comme chef du parti indépendant. Il a , depuis ce
jour, retenu l'un et l'autre, d'abord sous prétexte de sauver
le pays des mavix de l'anarchie, et de le remettre, en tems
opportun à l'autorité légitime , et ensuite , parce qu'il pré-
ai'ec le Brésil et les Patagons. 355
tend y avoir été appelé , lorsqu'il en prit possession , par
les propriétaires et les principales autorités du pays.
En 1820 , les provinces unies de Rio de la Plata, cons-
tituées en république, et indépendantes de leur métropole ,
par le même droit que le Brésil Tétait de la sienne , firent ,
par Tintermédiaire de leur gouvernement central de Bué-
nos-Ayres, quelques démarches près la cour du Brésil ,
pour obtenir qu'elle fît évacuer Monte-Vidéo et son ter-
ritoire , et pour faii'e entrer cette province dans l'union de
Rio de la Plata, Un commissaire fut député vers le nouvel
empereur don Pèdre , afin de traiter avec ses ministres , à
Rio-Janeiro , de cette restitution. Mais en vain cet envoyé
fît-il valoir près d'eux toutes les considérations de politique
et d'intérêt commun qui semblaient devoir engager leur
monarque à abandonner, à cet égard, ses prétentions ; en
vain offrit-il une indemnité pécuniaire pour prix de cet
abandon : la cour du Brésil pei'sista aiory et persiste encore
à garder celte possession. Cependant , la position de l'Union
de la Plata s'améliore tous les jours 5 pleine de confiance
dans son bon droit , elle a offert au cabinet de Rio-Janeiro ,
de soumettre leurs diflérens à un congrès de puissances
américaines. Si cette proposition n'est pas accueillie , il
est probable que le gouvernement de Buenos- Ayres ne
tardera pas à recourir à la force. Dans le cas où cette lutte
s'engagerait, l'empereur don Pèdre pourrait-11 beaucoup
compter sur le dévouement des Brésiliens , exposés , comme
ils le sont , à la séduction des idées républicaines ? Il y a
tout lieu de croire qu'à la suite de cette guerre , l'Amérique
du sud renfermerait dans son sein une république de plus ,
et que les premiers coups de canon renverseraient le seul
trqne qui s'y trouve.
Pendant que le gouvernement de Buénos-Ayres s'occupe
des moyens de faire rentrer la hnndc orientale sous sa do-
mination , il parait qu'il voudrait aussi agrandir son terri-
556 Discussions de Buenos-Ayres , etc.
toire du côté de la Patagonie; qu'il a déjà fait plusieurs
démarches dans ce but, et qu'au besoin, il serait même
disposé à prendre les ai'nies.
Les communications entre la Patagonie et Buénos-Ayres
s'entretiennent actuellement par nier, et il ne faut que huit
à dix jours pour avoir, dans cette ville, des nouvelles du
pays des Patagons ; bien que par cette voie il en soit plus
éloigné d'environ 200 lieues que par la voie de terre. Inoc-
cupation de la Patagonie agrandirait le territoire de Bué-
nos-Ayres de plus de 20,000 lieues carrées, dans la direc-
tion du raidi , et lui permettrait de reculer ses limites
jusqu'au 5 i* degré de latitude australe. Cette république
serait alors , avec la Russie , la Chine , l'empire des Anglais
dans l'Inde, celui du Brésil, la république de Colombie et
l'Union de l'Amérique du nord , un des plus vastes états du
monde.
Déjà , pour avoir accès dans ces régions et y introduire
les bienfaits de ia civilisation, en y étendant son empire , le
gouvernement de Buénos-Ayres a proposé aux peuples
qui les habitent, d'acheter une portion de leur territoire.
En 1822 , il nomma des commissaires pour traiter avec
leurs chefs d'une cession de ce genre ; et ces commissaires,
s'étant transportés en Patagonie, eurent des conférences
avec une réunion de caciques. Ces conférences se tinrent
dans la tente de l'un de ces caciques. Voici les noms des
principaux d'entr'eux : Liucou , Afonné , Aynepau , Pi-
chilongoy, Anafdû, Chemabilù , Cachul , Chanapas, Cas-
trell, Epuan, Huilletruz, Tucumau , Amenaquel, Necul-
nichui , Triû , Pitri , Califiau ; chefs des Indiens , Acanes et
Pampas. Les noms suivaus sont ceux des caciques Huili-
ches et Telmeches : Niginil , Quinisolo , Pichimandura ,
Yambilconi , Banali , Chalequien , et Napalo. Les Indiens ,
soumis à ces chefs, sont des hommes d'une taille et d'une
force extraordinaires ; ils ont sept pieds anglais de haut ; ils
Portrait de trois orateurs du barreau anglais. 357
se tatouent le corps et vont à demi nus ; ils portent des
chapeaux de cuir, surmontés d'un plumet. La plupart de
ces caciques consentaient à vendre leurs terres , mais ils
en demandaient un prix exorbitant. Par cette raison , et
par suite de Finfluence qu'exercèrent sur eux, dans cette
occasion, les chefs des Runquèles, race turbulente et belli-
queuse qui occupe un territoire situé près du Chili , cette
conférence , ou parlamento , n'eut pas le résultat que le
gouvernement de Buenos- Ayres en attendait, et, après de
longs débats , ses offres furent rejelées.
Il paraît, d'après cela, que le gouvernement central
des provinces unies de la Plata sera obligé de recourir à la
force pour mettre à exécution ses projets sur la Patagonie.
Il sera, au reste, d'autant plus sûr de réussir par ce moyeu,
que ces peuples barbares , armés seulement de frondes et
de lances, sont en petit nombre, et très-dissérainés, et qu'ils
ne pourront opposer à la tactique et à la discipline euro-
péennes que ce courage dans les combats , qu'ils tiennent de
la nature, et cette rapidité dans leurs évolutions , qu'ils doi-
vent à la bonté de leurs chevaux et à leur adresse à les
manier. {Lit. Gaz.)
PORTRAIT DES TROIS PLUS FAMEUX ORATEURS DU BAR-
REAU ANGLAIS, ERSKINE, SCARLETT ET BROUGHAM.
Lord Erskine , le premier talent du barreau d'Angle-
terre , était un homme dépourvu de génie et d'imagination ,
et c'est à cela même qu'il dut ses prodigieux succès. Ses
discours , correctement écrits, ne contiennent aucun mor-
ceau remarquable qu'on puisse détacher de l'ensemble, et
graver dans la mémoire. Ses plus brillaus passages ne sont
que des lieux communs exprimés avec élégance et ingé-
II. 34
558 Portrait des trois plus fameux orateurs '
nîeusement adaptés à sou texte. S'il avait eu plus de fécon-
dité dans la pensée, de grandeur dans les images, de pro-
fondeur dans les vues, il n'aurait jamais pu donner tant
de couleur aux. actions les plus ordinaires de la vie. S'il
avait pu rivaliser avec Pitt , ou appuyer Fox , sans paraître
faible après lui, il n'eût pas fait les délices et la gloire de
la cour du banc du roi. Son tempérament, ses moyens
et ses connaissances étaient parfaitement en harmonie avec
sa profession. On n'avait jamais déployé , avant lui , un plus
grand nombre de qualités propres à réussir au bari'eau j
un esprit brillant , une grande fécondité de saillies , une
grâce singulière dans le débit, un rare bonheur d'expres-
sion , une mémoire riche et familière avec les traditions
de l'antiquité, lise tenait toujours à la portée de son au-
ditoire , et possédait l'heureux talent de l'élever jusqu'à
sa hauteur. En cela , il était favorisé par les rapports de
parenté qui l'unissaient à une famille distinguée , par un
son de voix harmonieux et par un regard expressif, qui
semblaient solliciter l'indulgence, et quelquefois comman-
der l'admiration. Ses qualités morales contribuaient encore
davantage à lui gagner les cœurs. Il était impossible de
résister à cet air de bienveillance , à cette naïveté enfan-
tine, à cette couleur aimable qu'il savait répandre sur les
sujets les plus sévères. Ses faiblesses mêmes étaient des
moyens d'iniluence. Il semblait fulre partager au public
son égoïsme, sa vanité, et tous ses petits défauts person-
nels. Mais ses traits les plus vigoureux partaient bien plus
souvent de ses passions que de son imagination. S'il em-
ployait une comparaison pittoresque, iU'empruntait tou-
jours aux scènes les plus simples de la vie champêtre. Le
paysan grossier, le marchand iliélré s'attendrissaient au
récit naïf des aniusemens de l'enfance, au tableau des
charmes d'une vieille amitié, à la peinture touchante des
peines et des plaisirs domestiques. Il savait faire valoir avec
du barreau anglais. ÔSq
beaucoup d'art les affections douces , mais rarcmeiil il avait
recours aux émotions violentes. Lorsqu'il avait à de'fendre
les droits politiques d'un de ses concitoyens, ce n'était pas
avec des abstractions, c'était au nom àes coutumes antiques
du pays , au nom des lois sanctionnées par la cour et par
les parlemens. Il se renfermait toujours dans les formes
du barreau, même lorsqu'il se permettait une digressioa
sur l'histoire ou sur la littérature 3 mais il savait les rendre
respectables, en les faisant servir d'appui à l'opprimé , et
en leur prêtant les couleurs de son imagination. Ou ad-
mirait surtout la discrétion avec laquelle il glissait sur les
matières délicates , et le goût parfait qui caractérisait son
langage. Dans les causes peu importantes , il ne tombait
jamais dans l'exagération ; il se contentait de donner de
l'intérêt aux détails , et de les lier au sujet principal avec
beaucoup de grâce et de sagacité ; souvent un bon mot lui
servait d'argument. Ses digressions avaient pour but de
donner le change au jury, au moment où il voulait frapper
un coup décisif. Il y avait de la sagesse jusque dans son
audace, et la fermeté même n'était chez lui qu'un moyen
comme ses faiblesses. Il soutint conslammeut, devant les
cours, la dignité de l'avocat, et rendit au barreau un im-
mortel service , moins encore par le courage que par l'à-
propos de sou opposition. Il fut, en un mot, l'avocat le
plus accompli dont nous ayons gardé le souvenir 3 il éleva
sa profession j et cependant, avec toutes ses grandes qua-
lités , avec tous ses genres de gloire , Erskine ne fut qu'un
écrivain spirituel , et qu'un argumentateur sans génie.
Scarlett , aujourd'hui le coryphée de la cour du banc
du roi, a mains d'éclat que son prédécesseur 3 mais il ne
lui cède peut-être eu rien dans l'art de conduire une cause.
Il évite avec soiu les écarts d'imagination ; il s'adresse ra-
rement aux passions des hommes ; mais il a souvent donné
des preuves ilu talent le [)lus brillant et le plus énergique.
36o Portrait des trois pîusjamevx orateurs
Dans la discussion clés afliilrcs domestiques qui n'exigent
que du bon sens et du tact, il n'a pas en de maître ni
même de rival. Entre ses mains , le résultat d'une cause
ne semble jamais douteux; il le prévoit, il le décide au
milieu des plus grandes difficultés , et il se trompe rare-
ment. Il marche droit à son but avec assurance quoi-
qu'avec sagesse. Ce que Johnson disait de la manière dont
Burke traitait un sujet , « qu'il se repliait comme un grand
?j serpent, » on peut le dire de Scarlett. Il ne se contente
pas d'effleurer une affaire, il ne se décourage pas non plus
si le succès en est compromis : 11 s'y enfonce , l'agite , la
remue dans tous les sens. On remarque dans chacun de
ses discours une disposition lumineuse , de la clarté , l'heu-
reux emploi de l'ironie ; mais c'est dans la réplique surtout
qu'il triomphe. Il ne présente plus alors une suite de con-
sidérations ingénieuses pour arriver à l'évidence , encore
moins une froide analyse de la déposition des témoins j
mais il réunit à l'instant tous ses moyens pour en faire
une masse imposante , comme s'il avait eu le loisir de
les préparer pour frapper un grand coup. Sa pensée vi-
goureuse et rapide forme un plan, des divisions, et il les
développe en homme supérieur. Lorsqu'une cause a été
péniblement élaborée pendant une demi-journée , et qu'elle
semble compromise par le plaidoyer de son adversaire ,
il la résume , l'abrège , la relève et l'emporte. Il anime
et fortifie tout ce qu'il touche : entre ses mains, le moindre
soupçon se change en certitude ; les circonstances vagues ,
isolées, sans intérêt, deviennent pour lui des moyens de
convaincre. On le vit un jour, par le seul prestige de son
talent , arracher au jury une déclaration contraire à la
justice et à l'évidence. Si ce discours n'est pas un chef-
d'œuvre , du moins il n'est pas assez au-dessous de plusieurs
ouvrages du premier mérite, pour que nous hésitions à le
ranger parmi eux.. Lors des débals sur la motion relative à
du harreau anglais, 36 1
raccnsatîon de M. Abercrombie contre le chancelier, Scar-
lett montra que c'e'tait par nécessité et malgré lui qu'il avait
assujetti son talent aux formes commandées par la routine.
Dans cette occasion , il changea sa manière ordinaire :
oubhant les formes polies, l'accent, les gestes quil avait
adoptés depuis long-tems, il parla avec la rudesse d'un
homme du nord, et fit entendre des vérités qui étonnèrent
la chambre.
Brougham, sans avoir une haute naissance , une grande
fortune ou des rapports intimes avec l'aristocratie , s est
élevé , par son seul talent , à la tète du parti de l'opposition
parlementaire, et il recommence maintenant à exercer sa
première profession d'avocat. Cependant , quelles que soient
retendue et la variété de ses connaissances, il ne possède
pas cette grande et puissante faculté qui éclipse toutes les
autres, je veux dire l'imagination. Ses moyens variés ne
sont pas combinés de manière à se prêter un mutuel appui j
mais ils semblent au contraire agir isolément. Le même
discours peut ofï'rir une carrière à plusieurs genres de ta-
lens : à une narration élégante et facile, à un esprit vif et
brillant, à une dialectique serrée, à une chaleur pathéti-
que; mais ces beautés sont cparses, et ne sont pas fondues
dans le corps de ses discours. Son arme la plus redou-
table est le sarcasme : c'est le mépris qui lui inspire ses
plus beaux mouvemens. Il tire plus départi de la terreur
que de l'attendrissement ou de l'enthousiasme. Emporté
par l'impétuosité de son caractère , il cherche à « dévoiler
» ces esprits médiocres qui n'osent pas se produire au grand
» jour, et il traîne dans la poussière une majorité de tiers
» persécuteurs (i). » Chez lui , tout est dirigé vers le posi-
tif ; c'est un géant plutôt qu'un magicien. Il peut faire vingt
cboses à la fois , et bien ; mais il est incapable d'en faire uuo
(i) Note du Tr. Allusion au procès Je la reine.
562 Vn trait de la vie du lord Byron.
grande, et il ne faute pas attendre de lui vine de ces inspira-
tions soudaines et sublimes, qui étonnent le monde par un
caractère nouveau de vérité et de grandeur. Il déploie une
activité peu commune dans la sphère étendue de ses occu-
pations , et il est l'homme de chacune d'elles. A trois heures
du malin , on l'entendra faire au parlement une sortie fou-
droyante contre ses ennemis, et à neuf heures et demie,
on peut le rencontrer au palais, plaidant avec chaleur une
affaire de cinq guinées. Celte diversité d'occupations , cette
étonnante flexibilité du talent de M. Brougham, dépendent
beaucoup de son caractère et de son tempérament. Non-
seulement il se livre à un plus grand nombre de travaux
qu'aucun autre homme; non-seulement on le voit , au mi-
lieu des plus grands débats politiques, composer un article
pour la Revue d'Édinbourg^ et préparer un nouveau sys-
tème d'éducation pour le peuple , mais il fait tout cela avec
tant de naturel et de simplicité , qu'un étranger le prendrait
facilement po\ir un gentilhomme, maître absolu de son
tems et de ses plaisirs. Le feu qui anime son intelligence
ne semble point accélérer son pouls , ni donner à son sang
plus d'ardeur que sa chaleur naturelle. Cest un homme
tout diflérent au sénat , dans son cabinet , dans un comité ,
et au barreau : aussi n'est-il jamais au-dessous des devoirs
qui lui sont imposés. Et cependant , quoique digne d'clre
rangé parmi les hommes d'état, devant lesquels Erskinc
était si faible, ce n'est qu'avec les plus grands efforls qu'il
parvient à soutenir le poids d'une réputation sous lequel
tout autre aurait succombé. [London Magazine.)
UN TRAIT DE LA VIE DE LORD BYRON.
Lorsque lord Byron , accompagné du lieutenant Ekcn-
licad, passa à la nage l'Hellespout, il fit celte prouesse à
Vn trait de la vie de lord Byron. 363
tJii point du canal qu'il supposait être celui où liCandre l'a-
vait traverse pour aller trouver Héro. Il paraît qu'aux
Dardanelles le courant est tellement rapide qu'il est impos.
sible d'y passera la nage, et même dans une barque, avec
certilude de toucher à un point donné. Lord Bjron partit
du château d'Abjdos , et ne gagna la rive opposée qu'à
trois milles au-dessous de l'endroit qu'il voulait alleindre.
Il avait une barque à sa suite pendant tout le passage , de
sorte qu'il était à l'abri de tout danger. Lorsqu'il arriva à
terre , ses forces étaient tellement épuisées qu'il se trouva
heureux d'accepter l'offre que lui fît un pauvre pécheur
turc de prendre quelque repos dans sa cabane. Il était ma-
lade et il avait un fort accès de fièvre. Comme le lieutenant
Ekenhead était obligé de retourner à sa frégate, il resta
seul avec les bonnes gens qui l'avaient recueilli.
Le Turc n'avait aucune idée du rang et de l'importance
de son hôte. Il lui rendit néanmoins tous les soins possi-
bles ; sa femme ne lui en rendit pas moins , et tous deux
firent si bien qu'au bout de cinq jours leur malade fut ré-
tal)li. Quand il s'embarqua pour regagner la côte opposée ,
son hôte le pourvut d'un grand pain , d'un fromage et d'une
outre remplie de vin ; il lui fit accepter aussi quelques prae^
(^pièces de monnaie de la valeur d'environ 20 centimes) 5 il
pria Allah pour lui , et lui souhaita un bon voyage. Lors-
qu'il reçut les dons du pauvre Turc , lord Bvron se borna
à lui faire un simple remercîracnt; mais, rendu sur l'autre
rive , il expédia son fidèle Stefano pour aller, de sa part ,
porter au pécheur un assortiment de filets, uu fusil de chasse,
une paire de pistolets et douze aunes d'étoffe de soie pour
sa femme. Le bon pcclieur, tout étonné de se voir tant do
belles choses, s'écria : «< Quelle magnifique récompense
» pour un peu d'hospitalité!» Il se détermina le lende-
main à passer l'IIellcspont , et à aller remercier eu per-
sonne le maître de Stéfano. Il lauça doue sa barque et ga-
364 Histoire des relations
gna hientôt le large ; mais à peine fut-il au milien du canrîî
qu'il s'éleva un violent coup de vent qui le fît chavirer, et
le précipita an fond des eaux.
liord Byron fut très-afFIigé, comme on le pense bien ,
de ce triste accident; et, dès qu'il en eut connaissance ,
il envoya une somme de 5o dollars à la veuve du pécheur,
et lui fit dire qu'elle pourrait , dans toute occasion , compter
sur lui. Cette anecdote, qui fait honneur à la mémoire de
lord Byron, vient d'ctre publiée aujourd'hui pour la pre-
mière fois. Nous la devons à M. Hare lieutenant dans la
marine royale, qui était sur les lieux à l'époque où ces
faits se passèrent. Il ajoute qu'en se rendant à Constan-
tiuople, en 1817, lord Byron se fit mettre à terre à ce même
endroit, et qu'il fit de nouteaux présens à la veuve et à
son fils, qui se rappelaient encore les bontés de lord Byron,
mais qui ne se remettaient plus sa personne, tant son
costume et quelques années l'avaient changé.
HISTOIRE DES RELATIOxVS DES NATIONS ETRANGERES
• AVEC LA CHINE.
Voici la manière bizarre dont un écrivain chinois rend
compte des relations de la Chine avec les nations étran-
gères.
« Au lems de Houang-te (environ 2200 ans avant l'ère
chrétienne), un étranger arriva du midi, et apporta en
tribut une coupe et des peaux.
» Au lems d'Hëa , des insulaires apportèrent des babils
brodés.
>> Au tems de Chang (1700 ans avant l'ère chrétienne) ,
les Ye-gou , dont les cheveux étaient coupés , apportèrent
de l'Orient des cofl'rcs faits avec des écailles de poisson , des
é|:ées et des boucliers. Us apportèrent du midi des perles,
des nations étrangères açec la Chine. 565
des dents d'éléphans , des écailles de tortue ^ des plumes
de paon , des oiseaux et des petits chiens.
«Au tems de Chou (environ ïooo ans avant Jésus*
Christ), la Chine entra en relation avec huit nations
barbares.
n Au tems de Han (environ 200 ans avant Jésus-Christ ) ,
plusieurs individus arrivèrent de Canton , de Lou-whang-»
che , et d'autres contrées du midi : les premiers étaient à
dix jours de marche de l'empire , et les seconds en étaient
éloignés de cinq mois. Leurs territoires étaient considé-
rables et bien peuplés, et on y trouvait beaucoup de mar-
chandises de prix.
"L'empereur Wou-te (120 ans avant Jésus-Cbrist ) ,
envoya des ambassadeurs dans différentes contrées, où ils se
procurèrent des perles , des pierres fines , des curiosités de
diverse nature, de l'or, etc. 3 ils furent bien accueillis par-
' tout où ils se présentèrent, et , à partir de cette époque ,
les articles de cette nature arrivèrent en grande quantité
dans l'empire.
» Au tems de Rang Wou (un siècle avant Jcsns-Cbrist) ,
les barbares apportèrent des cbevaux. Mau-yuen fit poser
des palissades en fer pour empêcher les irruptions des
étrangers du raidi et de Toccldent.
» Au tems de Sony (Goo ans après Jésus- Christ), on
envoya des ambassadeurs à toutes les nations voisines.
» Au tems de la dynastie de Tang (700 ans après Jesus-
Christ), un marché régulier fut établi à Canton, et l'em-
pereur y envoya un oflScier pour percevoir les droits dus
au gouvernement. Les étrangers qui résidaient à Canton
recevaient des Chinois de l'or , de la soie, etc., et ils dou-
uaient en retour des cornes de rhinocéros , des dents d'élé-
phans , du corail , des perles, des pierres Hocs , du cristal,
des drogueries , etc. Ces marchandises payaient un dixième
de leur valeur.
II. 55
566 Histoire des relations
» Dans la tlouzicme année de Ching-li (en i55o), Jes
étrangers nommés Fa-lan-te (les Français) arrivèrent de
roccideut, et dirent qu'ils apportaient des tributs ; puis ils
entrèrent tout-à-coup, et sans prévenir, dans le portj et, dès
qu'ils y furent, ils se mirent à tirer de grands coups de
canons qui ébranlèrent toute la ville. On en e'crivit de suite
à la cour, et l'empereur ordonna de les renvoyer immédia-
tement, et de faire cesser le commerce avec les barbares.
Mais les babitans de Canton ayant ensuite écrit à la cour
pour demander de reprendre lecir commerce, ils y furent
autorisés.
■4
» Le Se-yang-kuo (le Portugal) est une contrée considé-
rable à cent mille li de la Cbine ; elle produit des bois odo-
raus, des étoffes de différentes natures , etc.
» Dans la première année de Yoiing-Lo (en 1 588) , le roi
de Portugal envoya un ambassadeur. Trois ans après, iî en
envoya un second avec un tril>ul. L'empereur lui écrivit,
le nomma roi duKou-Li , et lui donna un sceau d'argent.
Dans la cinquième année de son règne , il ordonna à son
eunuque d'envoyer au roi de Portugal quelques étoffes de
soie pour babiller ses officiers.
» Dans la sixième année de Rang-lîi , un ambassadeur
lui fut envoyé avec une lettre du roi de Portugal , écrite sur
des feuilles d'or, un portrait de ce prince , une épée montée
en or, un arjjre de corail , des grains de corail, des grains
d'ambre , deux pièces d'étoffe de laine , dix tlonli d'éié-
pbans , quatre cornes de rbiuocéros, des bois de senteur,
des drogues , de l'essence de roses, etc. l's offrirent à l'im-
pératrice un collier, un grand miroir, des grains d'ambre,
de l'essence de rose et d'autres parfums. L'empereur traita
magnifiquement les personnes qui faisaient partie de la lé-
gation : il donna à raiu])i.ssadeur soixante-six pièces de soie
«■t cent lacis; à ce'ui qui venait après lui, dix-buit pièces
de soie et cinquante laèls ; au prêtre dix-buil pièces de soie
des nations éfnmgcres auec la Chine. 067
Cl cinquante tacls, et, à cliaciiu des dix-neuf domestiques ,
dix pièces de soie et vingt tacis. Dans la cinquantième an-
née de Rang-Hi , le roi de Portugal envoya en ambassade
un ta-keo-sze (ministre d'état), avec des tributs} il avait
vingt personnes de suite.
» Dans la troisième année de Yung-cbing , le roi de
l'église (le pape), envoya une ambassade avec un grand
nombre de présens ; des globes, des perles , de l'ambre,
des coupes , etc. Dans la quatrième année, arriva une autre
ambassade, l'empereur écrivit au roi de l'église, de sa
propre main ; celui-ci lui répondit par une lettre qu'il en-
voya dans un coffre d'or,
» Les Ho-Lan (les Hollandais) ne venaient pas autrefois
à la Cbine; dans l'hiver de la vingt-neuvième année de
Wan-Li (en 1600), deux ou trois grands vaisseaux arri-
vèrent à Macao; les habits des gens qui s'y trouvaient
étaient rouges, leur taille élevée et leur chevelure rousse;
leurs yeux étaient bleus , leurs pieds très-longs ; ils effrayè-
rent le peuple par leur étrange apparence. On demanda
qui ils étaient; ils répondirent qu'ils n'étaient point des
pirales et qu'ils apportaient des tributs 5 mais comme on
ne les avait pas vus auparavant, et qu'ils n'avaient pas de
lettres , on ne voulut pas ies recevoir. Dans la dixième
année de Shun-Chi, ces barbares envoyèrent une ambas-
sade. L'empereur, en considération de la difficulté du
voyage , voulut bien les recevoir. Dans la seconde année
de Kang-Hi , ils envoyèrent un roi de l'Océan (un amiral)
pour aider les Chinois à détruire les pirales du Fo-Rin , ( t
ils denuHulèrenl i'anlorisalion de commercer avec la Chine.
L'empereur leur ordonna de venir en Chine faire le com-
nierce, Ui\c fois tous h^s deux ans. Dans la troisième an-
née, ils envoyèrent de nouveau un i-i i de l'Océan , pour
combattre les pirales de Fo-Rin. Dans la cinquième an-
née , on refusa de les recevoir, parce que dans l'espace do
368 Nouffelles des sciences ,
huit années, ils n'avaient donné qu'un seul tribut. Dans
la vingt-cinquième année , ils demandèrent Tautorisation
d'apporter des tributs tous les cinq ans. Autrefois, ils appor-
taient de la vaisselle d'argent et des selles , etc. On con-
sentit à les recevoir, mais on leur ordonna de n'apporter
que du corail, du camphre, des habits, de l'ambre et des
fusils. » {Asiatic Journal,)
NOUVELLES DES SCIENCES,
DE LA LITTÉRATURE, DES BEAUX-ARTS, DU COMIMERC£,
DES ARTS INDUSTRIELS, DE l'aGRICULTURE , ETC.
miiai;;i
SCIENCES NATURELLES.
Prolongation de la vie humaine. — M. Finlaison, archi-
viste du bureau de la dette publique , a consigné , dans un
ouvrage de statistique, ce fait important , que la durée de la
vie a été tellement prolongée dans le cours du dernier siècle,
que le terme moyen à cet égard est aujourd'hui , au terme
moyen il y a cent ans , comme quatre est à trois. Cette ob-
servation fait voir quelle heureuse influence exercent sur
l'espèce humaine les progrès de l'industrie; car c'est à ces
progrès qu'est dû incontestablement cet heureux résultat.
H paraît qu'après l'enfance, la vie des femmes est bien
plus longue que celle des hommes ; et de ce fait résultent
des différences énormes dans la fixation des intérêts qui
dépendent de sa durée j ainsi, supposez qu'un homme et
une femme du même âge , trente ans , par exemple , dé-
sirent acheter une rente viagère pour la jouissance de ce-
lui ou celle qui survivra à l'autre ; dans ce cas , si l'homme
l'achète au profit de la femme, la rente en question cov\-
du commerce , de l'industrie .^ etc. ^^^
tera 469 liv. st. i4 sb. 6 d. (11,667 fr. 4oc.); a" lieu que,
si c'est la femme qui achète au profit tie Thomme , la rente
ne coulera que Siy liv. st. 1 sh. 7 tl. (7,926 fr. 90 c). Un
fait bien affligeant, c'est l'immense morlalité qui à lieu
dans l'enfance , parmi les classes pauvres. Sur mille enfans
qui naissent dans cette classe, il n'en vit , lors des gros-
sesses suivantes des mères qui leur ont donné le jour,
que 542 ; c'est-à-dire qu'il n'eu reste guère plus que la
moitié. ,
Or natif. — Dans les mines de Slatowsk , en Sibérie , en
a trouvé récemment des masses d'or natif d'une valeur ex-
traordinaire, et en très-grand nombre. La quantité de ces
masses d'or, recueillies dans un seul jour, pèse cinquante-
huit livres , et la masse la plus forte , qui eu pèse seize ,
a été expédiée de suite à l'empereur.
Inondation de la Hollande. — Les journaux ont annonce
que la dernière inondation de la Hollande avait étendu
et multiplié ses ravages dans tous les sens. Les provinces
d'Over-Yssel et de Frise sont celles qui paraissent avoir le
plus souffert de ce désastre. Si les rapports ne sont pas exa-
gérés, plus de cinq mille acres de terre ont été engloutis
dans ces deux seules provinces, par suite de la rupture
des digues. La ville d'Embden, surtout, présente l'image
complète de la dévastation. Les eaux de la mer se sont éle-
vées partout à une plus grande hauteur qu'elle ne l'avait
jamais fait depuis la terrible inondation de 1775. Sans en-
trer dans tous les détails relatifs à ce malheureux événe-
ment , nous nous bornerons à mettre sous les yeux de nos
lecteurs le récit suivant, qui mérite d'autant plus leur cou-
fl'ance, qu'il porte un caractère ofiîciel.
« Le mardi i^' février, l'atmosphère étant devenue tout-
à-coup brûlante pour la saison , présageait une grande
tempête 5 le soir, ou vit s'avancer rapidement^ du sud-
3^0 Nouvelles des sciences ,
ouest , une longue colonne tle nuages noirs ; le vent com-
mença immédiatement à souffler de ce point. Le mercredi
2, il continua de souffler avec violence dans la môme di-
rection; vers le soir, il passa tout-à-coup au nord-ouest.
Le jeudi matin, à Tlieure du flux, il n'avait pas change',
ce qui fit craindre une forte marée. Le même jour, après
midi , la mer s'éleva à une hauteur extraordinaire ; lèvent
se maintenait au nord-ouest, et arrêtait le reflux qui fut
incomplet : tout annonçait donc que la marée suivante se-
rait encore plus formidable. En effet, dans la matinée du
vendredi, la tempête continuant avec la même force, les
eaux s'élevèrent à 'i6 pouces hollandais plus haut que la
veille. A la marée basse , la mer ne descendit que jusqu'à
la moitié de ses limites habituelles , ce qui prouvait que
l'ouragan se prolongeait au loin et soulevait l'Océan. Tous
ces symptômes , qui annonçaient une catastrophe pro-
chaine, répandirent les plus grandes alarmes; ou ne pou-
vait plus douter que la marée suivante ne s'élevât encore
davantage. Bientôt, ce moment arriva : tant que la mer
n'eut point franchi son point d'élévation accoutumé , on
n'observa aucun pliéaomène extraordinaire, mais, parve-
nues à ce point , les eaux s'élancèrent avec rapiiHlé , et dé-
passèrent bientôt de six pouces et demi les marées de 1808.
Pendant le reflux, le vent tomba peu à peu. C'est une
chose remarquable que, le samedi 6, la marée du matin
ne s'éleva qu'à sa hauteur habituelle. Dans ce moment , le
vent se releva toujours du nord-ouest; aussi la marée du
soir fut au moins aussi considéralile que celle de la soirée
du mardi. A la nuit , îe vent redoubla de violence , et
comme le mouvement rétrograde des eaux n'avait été que
peu sensible, on s'attendait à un nouveau désastre; mais ,
vers les dix heures et demie du soir, le veni faiblit et passa
au nord, même un peu à Test, ce qui lit baisser la mer
avec rapidité, quoi(iu'ellc fût très-haute dans ce moment ,
du commerce ^ de rùidiisirie, etc. 5^1
et elle rentra bientôt dans son Ht ordinaire. Depuis lors,
les marées ont été régulières. Il est peut-être inouï , dans
les annales de la météorologie, que cinq orages aient éclaté
pendant six marées consécutives, dont Tune atteignit une
hauteur sans exemple jusqu'alors , dans la province de
Zélaude.
Phosphorescence des po77imes de terre. — Liclilenljeri;
raconte que, le n janvier, un officier de garde, dans une
ville d'Allemagne , en traversant la caserne , aperçut de la
lumière dans uuc des chambres de Tédifice. Comme il
était expressément défendu d'en avoir, il crut que c'était
un incendie, et courut sur-le-champ pour porter du se-
cours. En entrant dans la chambre , il trouva les soldats
assis sur le lit, admirant une lumière magnifique qui par-
tait d'un monceau de pommes de terre i\ l'état de putré-
faclion naissante. Cette lumière était si vive, que les sol-
dats pouvaient lire à sa clarté; elle perdit peu à peu sa
vivacité et son éclat, et elle dispdvut entièrement dans la
nuit du lo janvier.
Comhuslio7i diijer à la vapeur du soufre. — - Le profes-
seur lîare a observé que si Ton chauffe jusqu'au rouge l'ex-
irémilc d'un canon de fusil , et qu'on y introduise un mor-
ceau de soufre, un jet de vapeurs sulfureuses enflammées
s'échappe par la lumière , pourvu toutefois que rouverlure
du canou soit fermée avec soin. Un morceau d(! (il de fer
soumis à l'action de ce jet enflammé , brûle comme dans le
gaz oxygène, et tondjc sous la forme de globules fondus,
à l'état de proto-su fure. l /hydrate de polas^^e expostî à
cette flamme se liquéfie, et forme un sulfure tl'uue belle
co'uleur rouge.
Pores du corps humain. — La peau de l'honmie ollVe lut
spectacle curieux , examinée à l'aide du microscope. Lu en
5^2 JSfoiwelles drs sciences^
coupant une pelile portion avec un canif, on un rasoir, on
aperçoit une multitude de petits pores imperceptibles à
l'œil nu , qui forment l'appareil à travers lequel la matière
perspirable est constamment sécrétée. Ces pores se distin-
guent encore mieux sur la seconde peaui On en compte
mille sur la longueur d'un pouce, et, par conséquent, un
million par pouce carré. En suivant ce calcul, on peut
apprécier la quantité des pores qui doivent se trouver à la
surface de chaque corps, au mojen du raisonnement sui-
vant : L'étendue extérieure du corps d'un homme de gran-
deur moyenne, est estimée à quatorze pieds carrés. Or,
chaque pied carré contenant 1^4 pouces, le nombre total
des pores égale 1,000,000 X i44 ^ 14 = 2,016,000,000,
deux milliards seize millions.
Effets du son sur quelques animaux. — Dans l'oreille de
riiomme, la forme du tympan est circulaire , de sorte qtie
les fibres rayonnent du centre à la circonférence, et sont
toutes d'une égale longueur. Sir E. Home a observé que
chez l'éléphant, .dont le tympan est ovale, ces fibres sont
inégales comme les rayons qui partent du foyer d'une
ellipse. La conformation de l'oreille humaine la rend mer-
veilleusement propre à sentir l'harmonie de la musique, et,
selon M. E. Home , les fibies les plus longues de l'éléphant
lui rendent sensibles les plus légères vibrations. Un piano
fut transporté à Exeter-Change, pour constater sur un élé-
phant ce phénomène intéressant. Les notes les plus hautes
parurent à peine avoir frappé son oreille; mais les tons bas
réveillèrent vivement son attention. L'effet des sons aigus
d'un piano, sur le grand lion de la ménagerie, fut d'exci-
ter en lui une forte surprise j mais à peine eut-on touché
les noies basses, qu'il se leva brusquement; ses yeux lan-
çaient des flammes, il s'efforçait de rompre ses cliaînes ,
se battait les flancs de sa queue, et paraissait animé d'une
du commerce , de l'industrie , etc. 075
telle furenr, que les femmes présentes à ce spectacle furent
glacées d'effroi. 11 poussait des rugissemens épouvanta-
bles ; tous les symptômes cessèrent avec la musique. Sir
E. Home a observé une organisation analogue dans les
bêtes à cornes, les bêles fauves, les chevaux^ les lièvres et
les chats.
Suif minéral, — On a trouvé récemment quelques échan-
tillons de cette substance minérale, dans une fondrière,
sur les bords du lac Ayne. Des paysans l'avaient observée
pour la première fois en 1706 , sur les côtes de Finlande;
on en trouva depuis dans un des lacs de la Suède. M. Her-
nia'n , médecin à Strasbourg, découvrit un minéral sem-
blable dans une fontaine, près de cette ville. Enfin, le
professeur Jameson vient d'en trouver en Angleterre. Ce
corps singulier a la couleur du suif, et produit au toucher
la même impression, mais il est insipide. II fond à 118°, et
bout à 2go°, Fahrenheit. A l'état de fusion, il est trans-
parent, incolore; en refroidissant, il devient opaque et
reprend la couleur blanche, mais moins foncée qu'aupa-
ravant. 11 est insoluble dans l'eau, soluble dans l'aîcohol ,
l'huile de térébenthine, l'huile d'oUve, de naphte . lors-
que ces liquides sont en ébullition ; mais il est précipite
par le refroidissement. Sa pesanteur spécifique, à l'clat na-
turel, est de 0,6078, et comme il est plein de bulles d'air
après le dégagement par la fusion , sa pesanteur spécifique
devient 0,983, et est, par conséquent, pins considérable
que celle du suif. Il ne se combine pas avec les alcalis et
ne forme point de savon. Ainsi , il diffère de tous les corps
connus ; des huiles fixes, puisqu'il ne fait pas de savon • des
huiles volatiles et bitumineuses , par ses propriétés insipides
et'inodorcs. Sa volatilité et sa combustibilité sont égales à
celles de toutes les huiles volatiles et du naphte (1).
(i) Voyez la description A' xxii Suif vcgcial, a^ liv. da i<:r vol. p. 372,
II- 5G
374
Nouvelles des sciences f
COMMERCE.
Del'ùifluence de rétablissement des diverses Compagnies
nouvelles , sur le prix des fonds publics. — La niasse de
capitaux que des entreprises de divers genres ont absorbée
dans ce pays, pendant la dernière année, a dû ne'cessaire-
ment exercer une influence puissante sur le prix des fonds
publics et sur la valeur de l'argent en général. Le tableau
suivant fera connaître le développement qu'a pris ce genre
de spéculation, et expliquera suffisamment, selon nous, la
rareté de l'argent qui se fait sentir aujourd'hui.
Nombre des Compagnies. Capitaux.
Liv. st. Francs.
33 Pour construction (le canaux et gares.. 17,753,000 ( 44^)825, 000)
48 Pour construction déroutes à rainures
de fer 22,454,000 ( 56i,35o,ioo)
42 Pour distribution de gaz 11, no, 000 ( 277,750,000)
6 Pour la fourniture du lait 565, 000 ( 1 4, 125,000)
8 Pour distribution d'eau à la capitale, i, 750,000 (' 4''')75o,ooo)
4 Pourl'exploitation de mines dehouille. 2,750,000 ( 68,750,000)
34 Pour l'exploitation de mines me'tal-
lirjues 24,4o5,ooo ( 612,375,000)
20 D'assurances 4'»8oo,ooo (i,o45,ooo,ooo)
a3 De banque 21,610,000 ( 54o,25o,ooo)
4 Pour la fournilure des ble's 4iO)000 ( io,25o,ooo)
12 Pour la navigation par paquebot , etc. 5,54o,ôoo ( i38,5oo,ooo)
3 Pour la pccbe 1,600,000 ( 40,000,000)
1 Pour la pèche des perles 625,000 ( i5, 625,000)
5 Pour la culture de l'indigo, du su-
cre, etc io,5oo,ooo ( 287,5oo,ctoo)
4 Pour entreprises agricoles l^1QQO^ooo ( 100,000,000)
a Pour élablissemens d'industrie en
Irlande 2,5oo,ooo ( G2,5oo.ooo)
1 Pour la construction des roules sou-
terraines sous la Tamise 200,000 ( 5, 000, 000)
a Pour la construction des bains d eau
de mer ■ 75o,ooo ( 18,750,000)
2 Pour la fondation des journaux 4^0,000 ( ii,5oo,ooo)
i8 Entreprises de divers genres 2,832,o5o ( 70,8oi,a5o)
376 Total — 174,704,050(4,367,061,250)
du commerce ■, de l'indiéstne^ etc. 5^5
Les entreprises que ce tableau nous présente , au nom-
bre de 276 , ont donc absorbé une soiriu)e de capitaux qui
s'élève à près de 1 73 millions sterl. (4, 375, 000, 000 de fr.) î
Or, si nous sommes bien informés , les emprunts faits par
le gouvernement , durant la dernière guerre , n'ont pas dé-
passé, année commune , 5o millions (750,000,000 defr.),
somme qui , multipliée par sis. , se monterait à 180 millions
(4.5500,000,000 de fr.) : donc aujourd'bui , dans une seule
année de paix , on aura affecté à diverses entreprises , une
somme égale à celle empruntée par le gouvernement pen-
dant six années de guerre. On sait assez que les emprunts ,
renouvelés sans cesse pendant la guerre ,. ont été la cause
pour laquelle le prix des fonds publics est toujours resté à
un taux fort bas ; or, puisqu'il en est ainsi , pourquoi la
baisse que ces fonds viennent d'éprouver, ne s'expliquerait-
elle pas par une cause analogue? Si, par un emprunt an-
nuel de 5o millions , le gouvernement épuisait la place de
capitaux , et tenait toujours les fonds publics à un taux très-
bas , pourquoi un épuisement causé par des Compagnies
de particuliers, ne produirait-il pas le même effell' car,
supposez que sur cette somme de 1^5 millions st. , citée
plus haut , comme affectée à diverses entreprises , il y ait eu
25 pour cent d'avancé par les actionnaires, il y aura eu, dans
une seule année , un épuisement de 4o millions sterling ,
c'est-à-dire, de 10 millions sterling de plus que celui causé
par les emprunts du gouvernement , dans la dernière
guerre. Il faut remarquer que le tableau que nous avons
donné ci-dessus, ne comprend pas les fonds absorbés par
les emprunts étrangers. II s'exporte annuellement , depuis
la paix, presqu'autant de capitaux qu'il s'en exportail pen-
dant la guerre, et tant que cet état de choses subsistera , il
est impossible que le prix des fonds publics se maintienne à
un taux fort élevé. Nous voyons déjà l'effet produit sur eux
par ces aûcclalious de capitaux , (pic noua appellerons cm-
376 Nouvelles des sciences,
priinls particnlîers , par opposition aux eraprunls publics.
Nous voyons qu'elles en ont fait baisser le prix, de 10 pour
cent , en moins d'une année , et si ces emprunts particu-
liers se renouvellent , si ce système d'association se répand
dans l'ancien et le nouveau continent , on ne peut douter
qu'il n'en résulte , pour les fonds publics , une baisse en-
core plus sensible.
D'après ces considérations , nous sommes portés à croire
que l'argent continuera d'être rare , et que le prix des
fonds publics sera déterminé à l'avenir par les taux de l'in-
térêt dans les opérations particulières. En France , aux
Etats-Unis et eu Russie, il est probable que cette baisse
sera moindre, parce que la dette publique, dans ces pays ,
est bien moins considérable qu'elle ne l'est chez nous.
Quoi qu'il en soit, nous pensons que tant que durera le
goût des entreprises par compagnies , il sera très-difficile
que les fonds publics se relèvent , et nous ne serions pas
surpris de voir nos 5 pour cent consolidés descendre dans
le cours de l'année prochaine, à 5 pour cent plus bas qu'ils
ne sont aujourd'hui. Quand on emploie des fonds à un
placement quelconque , on les retire nécessairement d'un
autre placement. Lorsque, pour employer une somme de...
à quelque entreprise , on retire cette somme des fonds pu-
blics , ces fonds doivent souffrir d'autant , par l'effet de ce
déplacement. Un homme qui spécule habituellement sur
les denrées coloniales ou agricoles, aura place ses capitaux
dans les fonds publics comme dans un lieu de sûreté , à
Tépoque où ces denrées seront tombées à vil prix 5 mais,
lorsqu'il viendra à les retirer des fonds publics pour les
employer de nouveau à ce genre d'entreprise, parce que
CCS denrées auront haussé de 5o à 4o pour cent, est-il
possible que ces mêmes fonds ne se ressentent pas de cette
opération? et cependant, nos habitués de la bourse disent
qu'ils ne comprennent rien à la baisse actuelle du prix des
du conmierce^ de l' industrie , etc. Z'j'j
fonds publics , bien qu'ils aient expliqué la hausse par un
raisonnement semblable à celui par lequel nous expliquons
la baisse.
Commerce et Navigation. — Etat du nombre des na-
vires britanniques qui sont sortis des ports du Rojaume-
Uni , ayant pour destination les lieux ci-dessous nommés ,
dans le cours des anne'es qui se terminent au 5 janvier 1824
et au 5 Janvier 1825.
1824. 1825.
Bâtiinens. Tonneaux. Bâlimens. Tonneaux,
Indes Orientales gg 49)04^ 9^ 49»*^^
La Chine i5 20,128 23 3o,oo2
Cap de lionne-Espérance 3o 7» 107 27 C,i54
Malacca 3 i,3oi 3 997
Java 7 2,210 7 1,665
L'île Maurice 1 471 5 1,822
'limor — I 128
Îvouvelle-Hollande et îles de la mer
Pacifiijuc.. 36 12,794 33 11,701
Pèche dans les mers Australes Sg 17.669 3i 9, '22
Sierra Leone 32 7*427 57 16, 384
Total dans le Royaume-Uni 282 118, i4g 283 127,098
Etat du nombre des navires construits et enregistrés dans
l'empire britannique , pendant les années qui se termi-
nent au ^^ janvier 1824 et au ^^ janvier 1825.
1824. 1825.
Navires. Tonneaux. Navires. Tonneaux.
Royaume-Uni 594 63,i5i 799 gi,o83
Cucrncsey et Jersey elîle de Man.. . 10 637 38 2.i3b
Colonies britannit|ucs 243 a2,a4o 174 21,968
847 86,028 1,011 115,187
Ztat général de la marine de l'empire britannique , au 20
septembre 1825.
Nombre des hàlimcns 24 776
Tonna^^e 2,559,587
>f ombres des marins 168,637
5^8 Nout>elles des sciences ,
INDUSTRIE.
Progrès de la cwiUsation dans les îles de la Société. —
Le peuple de ces îles continue de faire de grands progrès
dans les arts utiles. A Otahiti , on a établi une fabrique de
sucre 5 et, à Einies, une fabrique de coton qui sera mue
par un cours d'eau. Le sucre et le coton croissent abon-
damment dans le pays. Grâce au zèle des missionnaires
protestans , les lumières de TÉvangile sont aujourd'hui
généralement répandues dans ces différentes îles , qui ne
tarderont pas à offrir bientôt , à plusieurs égards , l'aspect
des contrées civilisées de l'Europe. On ne peut comparer
l'influence qu'y exercent ces missionnaires, qu'à celle
qu'exerçaient les jésuites au Paraguay.
Progrès de la civilisation en Russie. — Deux projets très-
iniportans pour le bien de la Courlande, occupent dans ce
moment l'esprit de ses habitans. L'un se rapporte à l'éta-
blissement d'une banque à Mittau , qu'on aurait voulu ren-
dre indépendante de celle de Saint-Pétersbourg , mais pour
laquelle on n'a pu obtenir, sur ce point, la sanction de
l'empereur. L'autre a pour but de creuser un canal de
communication entre le Vindau et le Niémen. Quinze cents
à deux mille soldats seront employés incessamment à l'exé-
cution de cette belle entreprise. Il existe, de pius , un pro-
jet pour faire communiquer la Mer Noire avec la Baltique ,
au moyen d'autres canaux qui seraient également exécutés
par des soldats. Il serait fort à désirer qu'à l'exemple de
l'empereur Alexandre , les autres gouvernemens européens
employassent leurs soldats, en tems de paix , à l'exécution
des travaux publics. Ce serait un grand soulagement pour
les nations qui , au lieu de salarier en pure perle des mil-
liers d'oisifs, ue feraient plus , de cette manière, que sala-
rier des hommes utiles. Assurément, il vaudrait beaucoup
du commerce ^ de. l'industrie ^ etc. S'jg
mieux, et II serait beaucoup plus honorable pour les offi-
ciers de nos régimens, de conduire et de surveiller des tra-
vaux semblables, que de passer, comme fout beaucoup
d'entr'eux , une partie de leur Journée à boire dans des
cafés et des tavernes , où ils épuisent à la fois leur bourse
et leur sanlé. /
Travaux des mines dans la Laponie et la Norwcge. —
Les journaux suédois ont annoncé qu'une des compagnies
anglaises des mines a pris des arrangemens avec le pro-
priétaire éclairé des mines de Gelleivara , pour leur ex-
ploitation. On dit le minerai si riche , qu'il donne 'ji pour
cent de métal. Mais, ce qu'on ne saurait apprécier, ce
sont les avantages qui doivent résulter pour les provinces
septentrionales , disons mieux , pour toute la Suède, d'une
exploitation bien entendue de mines si abondantes. Dans
la Norwcge , on a découvert récemment des dépôts im-
menses de chromâtes de fer, et il est probable que toutes les
richesses miuérales de ces contrées seront bientôt versées
dans la circulation , grâce à l'influence toute-puiosante de
l'Angleterre.
Canal d' Amsterdam. — Jusqu'à présent on avait regardé
comme unique en son genre, sous le rapport de l'étendue
et de ses autres dimensions, le canal Calédonien, qui peut
transporter une grande frégate de la mer du INord aux
côtes occidentales de l'Ecossej mais le nouveau canal d'Ams-
terdam, qui établit une communication directe entre l'O-
céan et celle importante place de commerce, surpasse en
profondeur et en largeur tous les ouvrages du même genre
qui existent en Angleterre. Il paraît qu'une frégate de 44
l'a déjà parcouru dans toute sa longueur, et qu'il est navi-
gable pour des vaisseaux de 80 pièces de canon. Le canal
projeté de Portsmouth , qui doit recevoir également des
vaisseaux de ligne, sera aussi profond et aussi large que
38o Nouvelles des sciences ,
celui trAmsterdam , et le surpassera en longueur dans la
proportion de cent à cinquante milles.
Navigation à vapeur. — Des navires à vapeur sont
maintenant eu actlvilé entre Londres et Dieppe, Rouen ,
le Hdvre-de-Gràce, Cadix., la Corogne, Alicante, Vigo ,
Lisbonne , et autres ports de France, d'Espagne et de Por-
tugal. On en a établi un , il y a quelque teins, entre Naples,
I/ivourne et Gênes, mais on a du y renoncer par suite des
difficultés qu'on éprouve dans ces ports , relativement à la
quarantaine. Sur le lac de Genève, on en a lancé un dont
la construction est défectueuse , et qu'on se propose , par
cette raison, de remplacer par un autre. Ces navires de-
viennent tous les jours plus nombreux , parcourent de plus
grandes distances , et naviguent dans des mers plus diffi-
ciles, telles que le golfe de Biscaye, la Méditerranée, la
Baltique, les golfes de Finlande, de Bothnie, etc. Un pa-
quebot à vapeur porte aujourd'hui la malle entre Kiel ,
dans le Holsteln, et Copenhague. Dans l'Adriatique , un
bateau à vapeur, la Caroline , va , tous les deux jours , de
Venise à Trieste; X'Eridan se rend de cette ville à Pavie ;
ce dernier voyage se fait communément en trente -sept
heures. Le Royal-Georges , paquebot à vapeur, effectue son
passage de Portsmouth à la Corogne, trajet de 4 î^ !^oo
milles, en 60 ou 64 heures.
Force relative des machines a vapeur. — Une machine
dont le c>lindre a 5i pouces de diamètre, frappant 17
doubles coups de pistou par minute, équivaut à la force de
4o chevaux travaillant nuit et jour ( comme il faut trois
relais, on peut compter i2o chevaux ), et consonnne par
jour 1 1,000 livres de charbon de terre. Un cylindre de 19
pouces , dont le piston frappe 25 coups , est égal à la force de
12 chevaux travaillant constamment, et hrùle 5, 700 livres
de charbon. Une machine de 24 pouces, frappant 25 coupS;
du commerce , de V industrie , etc. 58 1
brûle 5,5oo livres de cliarbon, et représente une pnîssance
de 20 chevaux.
Machine détonnante. — On va faire paraître, dit- on,
dans peu de tems, une machine d'un nouveau genre, qui
doit l'emporter sur les machines à vapeur, si l'auteur ne
s'est pas trompé dans ses espérances ; en voici une idée
générale.
A l'extrémilé inférieure d'un petit cylindre, est placé
un appareil peu considérable , destiné à produire du gaz
d'huile. L'hydrogène, en se dégageant , soulève un piston
dont le monvement introduit de l'air atmosphérique dans
les proportions nécessaires pour former le mélange déton-
nant. La force mécanique de l'explosion peut s'appliquer
à tous les usages , comme la vapeur. Ou dit que des expé-
riences heureuses ont été faites sur le nouveau moteur,
qui a lancé de l'eau à une hauteur considérable. Suivant
l'inventeur, M. Cécil, on obtiendra deux sortes de puis-
sances : l'une sera due à l'emploi du vide opéré par la
détonation du mélange , l'autre à la force expansive de
l'explosion elle-même. Mais la machine n'est pas une ap-
plication spéciale de ce dernier phénomène.
Découverte du terre. — L'art de fabriquer le verre ne
remonte pas à une très-haute antiquité, quoiqu'il paraisse
avoir été connu des Phéniciens, plusieurs siècles avant
Icre chrétienne. Le récit que Pline fait de son origine est
assez probable. L'équipage d'un navire marchand qui était
entré dans une rivière de Syrie, descendit à terre et alluma
du^feu sur le sable pour préparer son repas. Le vase où
cuisaient les alimens fut appuyé sur des blocs de nitre qui
' faisaient partie de la cargaison du vaisseau : l'aclion du feu
fondit graduellement le nitre, et le mélange de cette subs-
tance avec le sable donna naissance à une matière transpa-
rente et liquide qui n'était autre chose que du verre.
II. ^7
582 Nouvelles des sciences ,
Emploi des jio.rfunis contre la moisissure. — I^a moisis-
sure altaque et déiruit un grand nombre de substances duti
«sage journalier dans les besoins ordinaires de la vie. L'em-
ploi des parfums , et surtout des huiles essenllelles, comme
préservatif, a obtenu le plus heureux succès : il serait dif-
ficile d'expliquer leur action chimique , mais cette circons-
tance est peu importante.
L'encre , la colle , les cuirs , les graines , sont au nombre
des substances le plus exposées à ce genre d'avarie , aux-
qaelles on peut faire aisément l'application du remède. Les
alimens , comme le pain , les viandes froides , le poisson
SQC, présentent plus de difficulté, à cause du mauvais goîit
qu'ils pourraient contracter. Cependant , les clous de girofle
et les autres épices d'un parfum agréable peuvent atteindre
le même but. Il paraît que ces substances n'agissent point
on vertu d'une propriété anti-septique, mais en empêchant
la foi'malion de celte espèce de mousse végétale que l'on
voit croître sur l'encre et sur les autres substances qui ne
sont point animales.
Les effets du girofle contrôla moisissure de l'encre , sont
eënéralemeut connus : on obùent le même résultat avec
ime très-petite quantité d'huile de lavande ou de toute autre
huile aromatique.
liS conservation des cuirs , parle même procédé , est un
objet de la plus haute importance, surtout dans les maga-
sins militaires, où l'entretien des harnais et des chaussures
entraîne des dépenses considérables, et où la moisissure
cause souvent des pertes énormes. Les huiles essentielles
ont répondu jusqu'ici aux tentatives qu'on a faites dans le
but de préserver les cuirs : il faut choisir celles qui sont au
meilleur marché; riiuile de térébcntliinc parait mériter la
préférence.
Un fait remarquable, à l'appui de ces observation-;, c'est
que le cuir de Russie, parfumé avec une espèce de goudron
du commerce , âe l'Industrie , etc, 383
qu'on tire du bouleau, n'est point Enjcl h la moisissure :
les livres couverts (le ce cuir préservent même les reliures
en basane qui se trouvent dans leur voisinage. Cette parti-
cularité est bien connue des marchands russes qui laissent
des balles de cuir entassées pendant long-tenis, dans les
docks (bassins) de Londres, sans en prendre le moindre
soin , sachant bien que leurs marchandises ne seront point
gâtées par l'humidité, taudis que nos magasins ont besoin
d'être continuellement ouverts , nettoyés et aérés. Les ama-
teurs de livres ne seront pas fâchés d'apprendre que quel-
ques goutles de celte huile résineuse suiïlsent pour garan-
tir une bibliothèque.
On a fait quelques tentatives heureuses pour préserver
le bois de la piqûre , au moyeu du même procédé. Il est
entendu qu'on doit toujours employer de l'huile écono-
mique à cette opération , surtout lorsqu'elle est exécutéo
eu grand.
De toutes les substances que nous devons examiner, la
colle est une de celles qui paraissent le plus susceptibles
d'altération. L'alun, employé par les relieurs, n'est pas
un préservatif absolu , quoiqu'il contribue beaucoup à la
conservation des peaux. La résine, en usage parmi les cor-
donniers , est préférable , et agit entièrement dans le même
sens ; mais l'huile de térébenthine a beaucoup plus de
puissance encore; la lavande et les autres substances aro-
matiques d'une odeur forte, comme le poivre, l'anis, la
bergamote , réussissent parfaitement , même en très-petite
quantité ; elles conservent la colle pendant un tems illiniilé.
Cette découverte sera très-utile aux. personnes qui sont
obligées d'employer fréquemment la colle en petile quan-
tité pour fabriquer des cartons; elle leur évitera l'embarras
de la renouveler à chaque occasion , en la conservant du-
rant des années enlières, sans aucune alléralion , et toujours
prête à servir.
584 Nouvelles des sciences ,
La meilleure colle est faiie de tleur de farine ordinaire ;
on y ajoute de la cassonade grise et une petite portion de
sublimé corrosif. lie sucre lui donne du liant, et empêche
la formation des écailles sur les surfaces polies. Le sublimé
la défend des insectes et de la fermentation. Ce sel ne pré-
vient pas la moisissure; mais , comme deux gouttes d'huile
suffisent pour l'empêcher, toutes les causes de destruction
sont ainsi enlevées. Celte colle, exposée à l'air, durcit sans
se décomposer, et devient semblable à la corne; il faut la
mouiller quelque tems avant d'en faire usage. Gardée dans
un vase hermétiquement fermé , elle peut servir en tout
tems, sans autre préparation.
Le même procédé peut s'appliquer à la conservation des
graines, surtout lorsqu'elles doivent faire le voyage d'outre-
mer, qui en détruit, comme on sait, un si grand nombre.
Dans ces circonslances, l'humidité exerce beaucoup de
ravages , et, de plus , cette mousse végétale qui constitue la
moisissure augmente rapidement le mal, soit par l'eutre-
tlen de l'humidité , soit par toute autre action invisible. La
même chose arrive dans la piqûre du b nis , et dans tous les
phénomènes analogues. Une preuve bien remarquable de
la puissance du préservatif proposé , c'est que les graines
aromatiques de toute espèce ne contractent jamais de moi-
sissure, et que leur voisinage en garantit même les autres
semences : elles produisent les mêmes effets sur les subs-
tances animales. Nous remarquerons qu'on emploie souvent
le poivre pour la conservation des collections d'insectes ou
d'oiseaux, sans qu'on ait observé que cette substance a la
propriété de s'opposer à la moisissure , et d'écarter ou de
détruire les insectes.
On peut encore ajouter à l'appui de toutes les preuves
contenues dans cet article, que le pain d'épices, et généra-
lement toutes les pâtisseries épicées, sont beaucoup moins
suj(îltfs à se moisir que le pain ordinaire. Ce serait une
du commerce , de l'ùtdustrie , etc. 585
question de la plus haute importance, que celle de savoir
jusqu'à quel point on pourrait conserver les farines par des
moyens analogues.
BOURSE DE LONDRES.
Cours des fonds publics anglais et étrangers, depuis le 24
septembre jusqu'au 24 octobre i825.
FONDS ANGLAIS. P'"-" ''""'• ^'"* *•""• '''"■"• '^""'■'•
Banct Stock, 8 p. 0/0 226 .... 225 .... 2-26 ....
3 p 0/0 consol 88 3/4. 87 3/8. 87 5/8
3 p. 0/0 rcduiis 88 ... . 86 5/8. 86 7/8
3 1/2 p. °/o réduits 96 .... g4 • • • • 9^ i/4
Nouveau 4 p- "A ^^^ 'A*- "^^ 1/8. io3 1/4
Longues annuite's expirant en 1860 .. 21 1/8. 2» .... 21 ....
Fonds de l'Inde 10 1/2 p. 0/0 267 1/2., 264 .. 267 ..•■•
Obligations de l'Inde, 3 p. 0/0 20 s. pr. iis.pr. iis.pr. .
Billets de l'Ecl)i(]uier , 2 1/4 p. °/o-. . . 5s. pr. pair. is.pr..
FONDS ÉTRANGERS. P'""* ''^"'' Plu» bas. dern.coms.
Obligations autrichiennes, 5 p. 0/0. . . 99 .... 97 3/4.. 98 1/2
/r/. du Brésil Jd 741/4. 731/8. 74 ....
Id. de Bucnos-Ayres , 6 p. 0/0 . . . 84 • . . . 83 ... . 83
JJ.duChlIi, Id 69 .... 68 1/2.. 69
JJ. de Colombie, 1822. /J. 77 1/2, 75 i/a.. 76 1/4..
Id. Id. , 1824. Id 76 . . . 74 74 3/4
Id. de Danemarck , 5 p. 0/0.... loi 1/4. 101 1/8. loi 1/4
Rentes françaises, 5 p. "/o 100.... 98 1/2. 100 ....
Obligations grecques, 5 p. o/p.. 33 . . . . 28 .... 29 1/2
Id. du Mexique , Id 71 1/2 . 69 1/2. . 71 ....
Id. de Naples , 5 p. Vo 88 .... 86 87
/rf. du Pérou . 6 p. 0/0 65.... 60 1/2. 61 1/2
/J. du Portugal, 5 p. 0/0 83 1/2. 83 83....
/û'. de Prusse, 1818, /</ 981/2. 98 9^>/4
Id. Id. 1822 , Id 100 1/2. 1 00 ... . 99 3/4
Id, de Russie , Id 94 .... 92 3/4 . 93 ... .
/</. d'Espagne , Jd. 181/4. iG 1/4. 17 ....
FIN DU SECOND VOLUME.
TABLE
DES MATIÈRES DU DEUXIÈME VOLUME.
Pag.
Sciences. — Expériences pour déterminer la figure de
la terre , etc. ( Lit. Gaz. ) 1 55
De la vaccine et de la petite-vcrole ( Revue (VEdin-
bourg. ) . 289
Littérature. — OEuvres de Frédéric Schlegel.
{yVestminster Review.') 80
Coup-d'œil sur la Russie et sur sa lilléralure.
(JVestminster Reincip. ) 241
Economie politique. — De la liberté du commerce
et de Texportation des machines. {JVestminster
Reçiew.) 68
Vues présumées de M. Huskisson , présideut du
bureau du commerce. [London Magi) 112
Économie domestique. — Du projet d'introduire le
poisson de mer dans l'eau douce; de le parquer
sur les côtes ; et de priver de nouvelles espèces
d'animaux. ( London Mag. ) 197
Agriculture. — Industrie. — Comaierce. — Ex-
ploitation des mines du Nouveau-Monde i
Des progrès de la richesse publique en Angleterre.
{<Quarter/y Reoicw.) 19
Histoire des vins anciens 88
Histoire des vins motlernes 271
Des plantations d'arbres. (Farmer's Magazine.). . . io<)
De l'Horticulture en Angleterre. (Çnarterly Ret'.).. 'm
Biographie. — Notice sur la vie de Sir Richard
Arkwright. [Glasgow Mechanic's Mag.) nyi
INotice sur la vie de J. Watt. [Glasgow iSîeclianic s
Mag. ) 2 1 G
TABLE DES MATIÈRES. 587
Pag.
Statistique. — Popul.Ttlon actuelle.de l'Irlaïuîe. ... i iG
Sitnalion de rile-tle-France , maintenant île Mau-
rice U9
Aperçu des ressources de Tempire des Birmans.
{Gazette de Calcutta.) -. . 122
Force et organisation de rarciée chinoise 128
Voyages. — Voyage dans le Rliorassan. (Z//. Gaz.). i3o
Voyage à là Cochinchine. ( Monthfy- Reinen>.) i33
Excursion dans les montagnes de Nilglierry ....... i44
\oyages dans la mer des Indes i46
Notes sur le port de Jakson et sur la ville de Sidney,
dans la Nouvelle-Galles méridionale 1 5 1
Voyage dans le pays de Timannl, de Kouranko et
deSoulima dans l'Afrique occidentale. (E/i;. Gaz.). 297
Voyage an pôle austral et dans la Terre-de-Feu.
{Lit. Gaz.) 5o8
Scènes et impressions en Egypte. ( Rame d'Edin-
bourg. ) 32 >
Voyage de M. Biot aux îles Shetland. {Glasgow
Mechanic's Mngazi/ie. ) 338
MÉLANGES. — Tableau d'une armée turque en cam-
pagne 1^7
Festin chinois ï 58
Voyages et métamorphoses d'une livre de colon.
{Glasgow Mechanic's Magazine.) iSg
De l'âge des arbres 160
De Fart de Timprimerie à Constantinople 161
Suicides en Angleterre i G4
Hontes anglaises 'Gf)
Lettre française d'un prince de l'Inde. ( Oriental
Herald.) lOG
Stances sur la tombe de Napoléon, écrites à Sainte-
Hélène. (Oriental Herald.) 172
588 TABLE DES MATIERES.
Pag.
Précis des c-vénemens qui ont ainené la guerre des
Birmans et de la Grande-Bretagne. ( Gazette de
Calcutta.) 5^0
Discussions de Buénos-Ayres arec le Brésil et les
Patagons. {^Lit. Gazette. ) 552
Portraits des trois plus fameux, orateurs du barreau
anglais. ( London Magazine.) oSt
Un trait de la vie de lord Byron 3Ga
Histoire des relations des peuples étrangers avec la
Chine , par un auteur chinois. {Asiatic Journal.) 564
Nouvelles des Sciences, de la Littérature, des
Beaux-Arts, du Commerce, des arts indus-
triels, DE l'Agriculture, elc 1^3 et 568
fin de la table.
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